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L’importance de la femme réside dans la maternité. Effectivement, une femme

stérile demeure une femme incomplète dans sa féminité. Si son ventre n’engendre pas la vie après plusieurs années il est assimilé à un corps qui n’enfante que la mort :

« La maternité a toujours été pour nos femmes un moyen de s’affirmer : l’enfant donne de l’importance à la mère c’est pourquoi toutes les jeunes

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mariées souhaitent avoir un enfant dans la première année de leur mariage. » La Scaléra, p. 121.

Ce corps stérile est considéré comme incomplet dans sa féminité, c'est un corps amputé, handicapé, qui va même jusqu'à la déchéance :

« Un jour, au bain, j’ai entendu ma belle-mère, qui ne m’avait pas vu sortir de la salle chaude, confier à la patronne […] quant à la seconde, que te raconter, je ne sais pas pour qui elle se prend, et en plus, elle est sèche comme le sable du désert, j’ai bien peur quelle ne donne jamais aucun fruit. » La Scaléra, p.120.

Le corps féminin mutilé traduit le sacrifice de l'identité féminine. La femme qui n’enfante pas ou qui ne peut avoir de mâles doit subir les que dira-t-on des membres de la famille et ceux de la société. La science a prouvé que la femme n’est guère responsable de cet état, celui d’avoir que des filles comme elle. Mais, vu l’ignorance dans laquelle vivaient les algériens, la société continue à blâmer la femme et rendre son corps fautif. Ne trouvant aucune solution, la femme recours aux différentes pratiques de mythes en rendant visite aux marabout et demandant sa baraka pour l’aider à enfanter :

« Le gardien a ouvert la salle du tombeau et le cheikh y est entré pour prier. Pendant ce temps, je devais faire des ablutions complètes avec de l’eau glacée du puits. […]Le lendemain, je délirais de fièvre et je ne pouvais plus rien avaler, une toux horrible me déchirait la poitrine. « Les mauvais esprits quittent son corps », disait ma belle-mère, mais je pensais plutôt que l’eau glacée du puits et le sol humide sur lequel j’étais allongée avaient largement contribué à les libérer. La Scaléra, p. 127.

Le miracle accompli, Mimouna est enceinte. Mais le malheur arrive lorsqu’une altercation éclate entre elle et sa belle-sœur Mlouka. Cette dernière ne se contente pas du fait de se considérer comme supérieure à Mimouna car elle a déjà enfanté de plusieurs. Le drame fait que Mlouka rapporte ce fait à Mohamed, l’époux de

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châtiment corporel digne des films d’horreur, Mohamed furieux n’épargne pas sa jeune femme :

Mais qu’est- ce que c’est ça ! dit-elle en découvrant les traces bleues et violettes sur mon corps. Ne me dis pas que tu es tombée dans l’escalier ! Ah les vauriens ! C’est ton mari, hein ! J’ai bien vu qu’il n’avait pas la conscience tranquille quand il est venu me chercher ! Et ce bébé, ce n’était pas son heure ! C’est pas bon ça, c’est pas bon ! Il vaut peut-être mieux aller chercher le docteur. » La Scaléra, p. 134.

Nedjma, l’accoucheuse espagnole venant aider Mimouna à mettre au monde son

bébé constate la chair et le corps mutilés de la future maman, qui attire son horripilation.

En effet, l’époux de Mimouna a fait preuve d’une grande cruauté nécessaire au redressement de la fautive. Ainsi, elle a reçu la leçon de sa vie et le corps de la femme est altéré comme l’écrit Anzieu: «La profondeur de l'altération de la peau

est proportionnelle à la profondeur de l'atteinte psychique »161

L’altération de la peau du corps féminin entraîne un état défaillant de son Moi-peau162. Les traces bleues et violettes sur son corps ne sont plus que des cicatrices car la jeune femme reste pour toujours un être fragile déséquilibré physiquement et psychiquement :

« Si ma fille avait vécue, elle aurait aujourd’hui plus de cinquante ans. Eh bien, vois-tu, je ne me suis jamais consolée de l’avoir perdue. Les semaines qui ont suivi mon accouchement ont été les plus tristes de ma vie. J’étais épuisée physiquement et moralement. » La Scaléra, p.135.

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ANZIEU, Didier. Le Moi-peau, Paris : Dunod, 1985, p. 34.

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ANZIEU, Didier est psychologue stagiaire dans un service de dermatologie où il travaille notamment avec des patients souffrant d’eczéma, «pratique où prendrait source sa première intuition de la notion de Moi-Peau. étudie la philosophie, obtient l'agrégation en 1948, puis réalise un parcours de psychologie à l'Institut de psychologie de Paris, où il est notamment l'assistant de Daniel Lagache en 1951. Il soutient en 1957 une thèse d'État intitulée L'auto-analyse de Freud (publiée en 1959 sous ce même titre). Il analyse l'œuvre de Samuel Beckett, sur le plan de la création littéraire, et l'œuvre de Bacon, sur la création artistique, dans une tentative de modélisation d'une topologie propre aux créateurs.

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N’ayant plus rien à espérer de la vie, un retour vers l’omniscient s’avère nécessaire. Ainsi, le seul moyen de retrouver son équilibre physique et moral se fera dans la prière: « Lorsque je repliais mon petit tapis, j’avais le sentiment d’être en paix avec

moi-même et je ne craignais plus d’affronter les autres. » La Scaléra, p. 136.

Le sacré Coran le confirme dans la sourate « Errad » : « a layssa bidikr ellah

tatmaenou el koloub » 163

Selon Anzieu, la construction du Moi de « la mutilée » passe par plusieurs étapes. La peau ayant des fonctions déterminées qui ont été altérées, la femme doit réagir en se prenant en charge.

Le rapport de la mutilation et du Moi-peau

Pour obtenir un équilibre physique et psychique, la femme doit compter sur elle-même pour reprendre une vie normale tout au long de sa quête initiatique tel que illustré par la citation suivante: « Pour rétablir et maximiser les fonctions de peau

maintenante et contenantes. »164

Cependant, toujours, selon Anzieu, une peau mutilée perd sa fonction. Une femme battue est une femme qui se recherche, qui n’arrive pas à comprendre pourquoi sa peau a subi les affres du mâle qui engendre un trouble de l’âme tel le corps de

Mimouna.

Il est judicieux de se demander si l’altération de la peau entraîne l’effondrement de la femme qui donnera lieu à l’effondrement du Moi-peau. En effet et selon,

Jacques Pierre:

« Le corps est l'un des lieux privilégiés de la signification. Le dessin du corps n'est qu'une ligne de cessez-le-feu provisoire entre le dedans et le dehors. [...] un pacte momentané sur le parchemin duquel s'écrit l'identité du sujet. [...] Ce pacte en vient-il à être révoqué par un

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Sourate Eraad, Verset 28.

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déséquilibre interne ou une agression extérieure que tout [...] sombre avec lui : la psychose. » 165

Ce qu’affirme Jacques pierre confirme que l’altération de la peau est à l’origine d’anéantir et affaiblir le psychique de la femme.

Comment rétablir le Moi-peau ?

Anzieu affirme que la douleur : «affecte la capacité de désirer et l'activité de

penser. »166 Effectivement, une femme blessée, meurtrie dont l’activité de désirer et

de penser se trouve émoussée a besoin d’une tierce personne afin de resurgir. C’est pour cela, d’ailleurs, et dans de rares familles, la reconstruction du Moi-peau est en partie menée en compagnie d'un homme. Dans La Scaléra, le personnage de

Mimouna, grâce à la présence à ses côtés de son frère Kader, ses besoins psychiques

et psychologiques sont pris en charge par les confidences, l’écoute et la communication. Kader a usé d’une véritable thérapie qui a aidé sa sœur Mimouna à se reconstruire. Depuis la nuit des temps, la fonction première de la peau est de recouvrir le corps mais Anzieu lui a découvert d’autres propriétés tel que illustré : «

Son Moi-peau qui n'a plus son étayage biologique sur la peau mais plutôt un étayage «socio-culturel »167, nous constatons, alors, que la peau passe par l’étape de

soutien biologique à un autre type de soutien appelé par Anzieu : «la peau de

mot »168. Ce concept commence à s'établir afin d’estomper la douleur psychique dont

la présence est assez loin dans le temps chez Mimouna. Le phénomène de l’éclipse de la douleur a eu lieu grâce à la présence de Kader. En effet, Mimouna soutenue, réconfortée, entourée d’affection et d’attention par son frère qui a aussi semé la confiance en elle devient plus réaliste. Mimouna s’est métamorphosée et a pu reconstituer un Moi-peau nouveau de type socio-culturel comme l'explique Anzieu : « le Moi-peau fonctionne en effet par étayage multiple.169

En effet, plein d'attention, Kader un frère très attentif et affectueux, a pris en charge les soucis de sa sœur chose qui lui a permis d’accepter un deuxième mari Abdeslam :

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PIERRE, Jacques. Le corps, le sens et le sacrifice: l'examen du cas de Yukio Mishima, dans Le corps

rassemblé: pour une perspective interdisciplinaire et culturelle de la corporéité, op. cit., p. 262.

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ANZIEU, op. cit., p. 103. 167

ANZIEU, op, cit, p. 207. 168

Ibid. 169

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« Après la première entrevue, Kader avait invité Abdeslam à la maison. […] lorsque Kader m’a fait entrer dans la pièce, il s’est levé(Abdeslam), et ce geste m’a beaucoup touché. Ce n’était pas tous les jours qu’un homme se levait devant moi ! […] qu’il voulait vraiment faire mon bonheur ! » La Scaléra, p. 214-215.

La quête de soi soutenue et encadrée par les deux hommes de sa vie lui a permis de se reconstruire et de s'affirmer en tant que femme. Grâce à eux, Mimouna reprendconfiance et goûte aux plaisirs de la vie sans crainte.

II-La spatialisation corporelle féminine

La notion du corps humain dépasse les limites du corps physique pour atteindre les espaces dans lesquels vit le personnage féminin en usant de métaphores spatiales.