• Aucun résultat trouvé

D

ounia est plutôt le roman qui raconte l’histoire d’une jeune femme épanoui. A dix

sept ans, elle jouit de la complicité d’un père compréhensif et continuellement à l’écoute de sa fille Dounia. L’adolescente a acquis une certaine culture et une éducation parfaite de la part de Si-Tayeb son père et Ma Lâlia sa nourrice, quoiqu'elle affiche une certaine émancipation par rapport à certaines traditions :

« -Laisse-moi sortir habillée en garçon, chuchota Dounia en faisant la grimace et en se bouchant les oreilles à l’avance. » Dounia, p. 13.

Dés son adolescence, Dounia se comporte en femme épanouie dans un corps épanoui. Elle ne veut pas suivre les traditions à l’aveugle. En demandant à sa nourrice la permission de sortir habillée en garçon, Dounia ne manifeste aucun rejet de ses origines. On ne peut cependant ignorer dans son comportement une certaine tendance à y recourir malgré tout :

« Oubliant toutes les recommandations de Mâ Lalia, elle souleva sa robe et son jupon jusqu’aux genoux, découvrant son seroual de coton blanc et, sur un ton de défi, lança :

-Nous, les pantalons, c’est en dessous que nous les portons ! » Dounia, p. 77

Dounia représente le modèle de corps épanoui dont toute femme rêve. Une jeune

femme au corps souple et léger lui permet de monter sur sa jument et aller se promener dans la forêt. Aucune femme de son époque n’osait affronter la société de la sorte :

« Dounia emprunta le chemin menant au douar, en haut dans la vallée, […] Elle menait sa monture au pas, attentive à ne pas la brusquer. […] Dounia n’oublia pas les leçons de celui qui était, à ses yeux, le plus prestigieux des cavaliers. » Dounia, p.49.

Tout en étant une femme de petite condition, cela ne l’empêche guère d’être une femme dans un corps épanoui. Dans La Scaléra, le corps de Yamna la bonne de

164

Madame Cruz jouit d’une bonne santé et une bonne humeur qu’elle ne perdait

jamais :

« Yamna était toujours de bonne humeur. Elle chantait en faisant la vaisselle ou en balayant l’escalier. J’aimais aller la voir quand elle se trouvait dans la buanderie pour la lessive. Je m’asseyais sur un petit banc et je la regardais aller et venir […] Moi j’étais contente de la regarder et surtout écouter ses histoires, parce que, lorsque Yamna ne chantait pas, elle parlait, et même toute seule s’il le fallait. » La Scaléra, p. 28.

Une femme ne devient l’être dominant des êtres et des esprits que par le chant et la poésie. Ainsi une poétesse comme une chanteuse subjugue littéralement son interlocuteur telle cette voyeuse que Mimouna, sa maman et Yamna sont allées voir. Pour prédire à Mimouna son avenir quant au fameux prétendant qui tarde à s’annoncer, sa voix devient une mélodie :

« C’était une poétesse, une vraie, de celles qui naissent avec un don. De sa voix mélodieuse, elle transformait les mots, elle avait le pouvoir de faire vibrer en vous la moindre parole. Elle variait le rythme, haussait le ton, murmurait ou soupirait, et chaque fin de phrase retombait sur la même syllabe que celle qui l’avait précédée. De la poésie pure, improvisée, mais inspirée par on ne savait quel djinn : ma mère en avait les larmes aux yeux. » La Scaléra, p. 89.

Le corps de cette poétesse est à l’image de sa poésie. Le corps du féminin est valorisé par Mimouna décrivant le corps de cette voyeuse. Elle lui attribue une valeur esthétique et poétique. Par ce processus, elle donne au corps toutes ses fraîcheurs et ses éclats afin de réveiller en nous une conscience rêveuse capable de métamorphoser le corps de la femme pour l’épanouir d’avantage. Mimouna tient un discours singulier et une sensibilité d’affinité entre le corps et la poésie.

La vie dans le quartier vit au rythme du mariage de Maryse et Omar. Les commentaires illustrant la position de chaque communauté vont bon train.

165

Effectivement, Madame Cruz contrariée du fait qu’une française épouse un arabe réplique les commentaires de Yamna qui essaie de défendre la position de Maryse en citant l’exemple du Prophète étant marié à une chrétienne :

« -Quoi ! Tu veux que Maryse elle devienne une « moukhere » ! Enfermée toute sa vie à faire des gosses et à servir la belle-mère ! Mais tu déraisonnes, franchement ! » La Scaléra, p.65.

Mimouna épouvantée par ce qu’elle vient d’entendre, prise d’une folle révolte se

rappelle le jour où l’école lui était refusée. Le même nœud se forme au niveau de la gorge. Mais cette fois-ci, elle savait s’imposer :

« En tout cas, je me promettais de ne pas me laisser faire…mes idées étaient bien confuses. Je ne prétendais pas aller au bal bien sûr ni m’attabler au café de la place, non ! Mais je voulais avoir mon mot à dire, pouvoir donner mon avis, être prise en considération enfin ! » La Scaléra, p. 66.

Voilà un esprit qui a muri dans un corps épanoui pour pouvoir enfin s’affranchir des interdits qui ont entravé la liberté de ce personnage féminin. Bien sûr, avant cet évènement, Mimouna adhère corps et âme aux enseignements de sa mère qui n’arrête pas de lui inculquer les règles à suivre pour être une bonne et parfaite épouse. Mais depuis le jour où l’on a commencé à parler de l’union de Maryse et

Omar, Mimouna a perdu son bel élan et sa foi en l’avenir : « Il me révéla que, peut-être, l’ordre établi auquel j’étais invitée à me soumettre n’était pas parfait, qu’il était injuste et même très injuste. » La Scaléra, p. 62.

Mimouna trouve injuste de la part de la société d’établir de tels ordres pour freiner

les libertés des femmes. L’évènement en question face au comportement de sa maman était le point de départ d’une nouvelle attitude, d’un épanouissement du corps féminin.

Le corps de la maman de Mimouna représente bel et bien ce corps épanoui et décrit de façon si sensible :

166

« […] Elle ne portait aucun tatouage sur le visage, contrairement aux femmes de sa génération. Par contre, ses mains blanches et fines étaient brodées, du poignet à la naissance des doigts, de petits dessins géométriques, parfaitement exécutés, qui donnaient de loin, l’impression qu’elle portait des mitaines. C’était beau ! » La Scaléra, p. 43.

La beauté et la blancheur du corps de la mère ébloui la fille et éveille en elle un sentiment d’admiration, la perfection des dessins géométriques lui donne de la grandeur.