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Le personnage est un élément organisateur du texte narratif, il participe à tous les niveaux du fonctionnement narratif (fiction, narration et mise en texte). Les personnages constituent un des fondements de l’illusion référentielle. Ils sont les

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nœuds autour desquels se lient les événements, les catégories actantielles, les contextes, les commentaires. Ce sont des carrefours où se rencontrent les composantes multiples et les niveaux divers du texte.

Le personnage est une donnée fondamentale du roman. Souvent le lecteur a à faire à un être doté d’un certain nombre de caractéristiques le faisant exister d’une manière ou d’une autre. C’est l’être en papier. Ainsi la somme des personnages dans le roman en question constitue une entité caractéristique utile dans notre recherche. Dans ce registre le personnage féminin n’est pas exclu de la scène romanesque, il constitue, au contraire, un point culminant dans toute l’œuvre de Fatéma Bakhaï. Les personnages portent la teinte émotionnelle. Pour Tomachevski :

« Les personnages portent habituellement une teinte émotionnelle […] attirer la sympathie du lecteur pour certains d’entre eux et sa répulsion pour certains autres entraîne immanquablement sa participation émotionnelle aux évènements exposés et son intérêt pour le sort du héros. » 97

Le lecteur éprouve une certaine pitié face à certains personnages et évènements. La

petite boiteuse ressent une grande tristesse suite à la mort de la matriarche, ne

pouvant compter sur personne, elle prend son bâton et part à la recherche d’un abri : « Vint le jour où la matriarche s’étendit prés du feu. […]Puis elle ferma

les yeux […]la petite boiteuse, discrètement, se couvrit d’une peau, prit le bâton sur lequel elle s’appuyait et partit. La matriarche n’était plus là pour la soutenir sur la pente rocheuse. Elle glissa puis se releva, rampa pour rattraper son bâton, glissa encore et c’est à genoux qu’elle parvint au bas de la colline. » Izuran, p.46

Contrairement aux personnages précédents qui font émouvoir le lecteur comme la

petite Boiteuse, d’autres personnages attirent la répulsion du lectorat, tels les

vandales, un peuple qualifié d’inculte, lorsqu’ils pénètrent dans la ville pour la dévaster et propager la peur et l’indignation des habitants :

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« Affamés, incultes, rustres brutaux, ils avaient marché en colonnes, étourdis par toutes les richesses qui s’offraient à eux. Ils se servaient à plein bras, tuaient, pillaient, brûlaient si on leur résistait alors, on s’écartait sur leur passage avec l’espoir secret que, plus loin l’armée enfin alertée viendrait à bout de ces hordes avides. » Izuran, p.264

L’auteur donne à ces « êtres de papier » de l’épaisseur et des caractéristiques qui le font exister. A cet effet, le lecteur ne peut qu’être pris au piège de sa présence, pris au piège de l’effet de réel. La présence du personnage est évoquée par un corps romanesque, par un visage féminin, le réalisme de l’auteur apparaît à travers les détails caractéristiques susceptibles de retenir l’attention du lecteur : « Une

descendante de Poil Rouge et de Peau de Lait, très brune, les cheveux à peine bouclés, les lèvres minces et qu’on appelait pour cela Petite Bouche. » Izuran, p.25

Les détails délivrés par l’auteur et attestés par les recherches des anthropologues et historiens font preuve du réalisme de l’auteur. Cette étude a permis de savoir que le métissage a donné lieu à une population de teint brun et un mélange de traits ; la

Petite Bouche ait ou peau de lait en sont est le résultat.

Ces détails visent le plus souvent l’ensemble du personnage, cependant, il faut distinguer entre l’expression corporelle et la présence corporelle. En parlant de l’expression corporelle d’un personnage, il faut d’abord définir son statut social, moral et humain. Le corps de Longues Jambes est celui de la future matriarche comme l’indique son corps dans les passages ci-dessous :

« Longues Jambes qui avait quitté le campement à l’aube pour chercher

des œufs. […]C’était un signe de grande puissance ! Si tout allait bien, elle serait la prochaine matriarche. […] Elle se dirigea vers la matriarche, s’accroupit devant elle […] l’enfant endormi […] Les autres se taisaient. Ils observaient, incrédules. Longues Jambes expliqua puis passa la main sur la tête de l’enfant pour signifier qu’il était sous sa protection. C’était déjà un geste de matriarche ! » Izuran, p. 16-17.

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Il arrive que le corps du personnage suggère une présence et non une expression, le corps dans ce cas n’est plus le signe de la personne mais il manifeste lui-même sa vie propre par un geste, un cri, un sanglot :

« Longues Jambes, comme toutes les matriarches avant elle aurait dû se frapper les joues, la poitrine, les cuisses en poussant de longs cris qui auraient libéré toute la horde de la tension vécue et tous se seraient mis à sauter, à se taper sur le dos et sur le ventre…Mais la nouveau-née poussa son premier cri dans un silence absolu et la matriarche resta immobile, ses grosses lèvres entrouvertes, le regard dans le feu. » Izuran, p.21

Le personnage principal étant le moteur du récit, son étude se révèle, alors, être judicieuse. Le personnage se trouve être défini par la fonction qu’il occupe au sein du récit. Un personnage peut incarner plusieurs fonctions comme il peut remplir des fonctions illustrant ses idéaux.