• Aucun résultat trouvé

Lors de leur première expédition, les espagnols débarquent sur Mers El Kébir. Après cette occupation du port de Mers El Kébir, la ville d’Oran fut désertée, puis totalement occupée et gouvernée par les espagnols. Au XVI siècle, Oran fut une place forte. Les espagnols construisent une prison sur un éperon rocheux près de la rade du port. Les espagnols n’épargnent pas les juifs de la ville, considérés comme des ennemis de la religion. Les juifs habitant Ras El Ain et le Ravin Blanc sont expulsés hors d’Oran et durent habiter la montagne de la Corniche Supérieure de

Misserghin. Les colons français s’installent en Algérie depuis 1830. Cela n’empêche

guère les algériens de côtoyer les européens de petites conditions. La Scaléra raconte l’histoire de ces temps révolus depuis 1830 jusqu’à 1962. Ce roman comme les deux précédents Izuran et Dounia mettent toujours en scène une femme dans un espace donné. A partir de là nous pouvons remarquer l’intérêt de l’auteur pour la condition féminine en Algérie:

« L’œuvre s’enracine dans un moment historique donné et elle est structurée par les représentations caractéristiques d’une époque. Historique et idéologique sont confondus dans le texte par leur lien étroit avec leur base de référence : l’indice de réel qui les constitue. Etudier les rapports de l’idéologique et /ou de l’historique avec le texte, […] Au symbole se substitue, se mêle ou s’oppose, selon les moments et les niveaux de l’œuvre, le référent, expression de ce qui est attesté. » 51

La Scaléra est un roman qui met en intrigue une vieille femme « Mimouna », racontant son histoire à une jeune femme médecin Nadia. Mimouna était à l’hôpital, tout en racontant sa vie depuis son enfance, elle relate l’histoire de l’Algérie en général et celle de la ville d’Oran en particulier. Après avoir quitté la campagne de son enfance, Mimouna et sa famille occupent un petit appartement dans la ville

d’Oran plus précisément dans La Scaléra dans le quartier de Sidi El Houari. Dans ce

quartier, les habitants de différentes nationalités cohabitent : algériens, espagnols et même les italiens sans distinctions religieuses ou ethniques :

51

ACHOUR, Christianne et BEKKAT, Amina, clefs pour la lecture des récits, Convergences Critiques II. Blida : Tell, 2002, p. 97.

58

« Notre rue, à l'époque, était essentiellement habitée par des européens, c'est une petite rue en pente étroite qui débouchait sur La Scaléra, les espagnols étaient les plus nombreux, mais il y avait aussi des siciliens, des maltais et quelques français. » La Scaléra, p. 39.

Mimouna fut malheureuse après son mariage avec un mari qui la maltraitait. Une

série d’évènements malheureux se succèdent entres autres la mort de son mari. Fort heureusement, Mimouna connaîtra un certain bonheur après son mariage avec

Abdessalem, l’ami de son frère tous les deux ayant combattu pour la cause nationale.

A la fin de sa vie, Mimouna sera prise en charge par l’enfant issu d’un viol par les soldats français d’une militante algérienne que son frère a aimée et épousée après la naissance de cet enfant. Mimouna éprouve une vive révolte contre la soumission des femmes de son temps et constate que seule l’instruction peut libérer la femme au sein de sa société et briser le silence qu’on lui a imposé :

« Et puis tu es docteur ! Tu te rends compte ! De mon temps les Algériennes qui travaillaient dehors étaient femmes de ménage chez le colon ou fille dans la grande maison ! Celles qui savaient lire se comptaient sur les doigts. Et puis lire ! Va voir ! Elles lisaient « Nous Deux »tout juste et faisaient du « chiqué » pour nous raconter les histoires. Et encore, en cachette, parce que les maris et les belles-mères n’aimaient pas ça. Alors, ma fille rends grâce à Dieu et profite de ta situation. Tu ne connais pas ton bonheur, va ! » La Scaléra, p. 114.

L’auteur convoque les faits réels pour installer sa fiction. Ainsi, il est question de la lutte algérienne contre le colonialisme français. D’abord, la lutte de l’Émir

Abdelkader :

« Mais mon grand-père, surtout, avait des idées particulières. […]il

haranguait les fidèles :’ Les païens, disait-il, les mangeurs de cochon, les buveurs de vin, que Dieu les maudisse, […]Si vous êtes des musulmans comme vous le prétendez, […]L’heure de la guerre sainte a sonné […] Il n’est jamais plus revenu. Une seule fois, nous avons eu de ses nouvelles

59

par un berger. Il avait, nous a-t-il dit, rejoint « l’Émir ».’» La Scaléra, p.18-19.

Cette période n’est pas indiquée dans le texte par une date mais, comme à chaque fois, les références anthropologiques et historiques l’attestent, à titre d’exemple nous relevons le passage suivant qui renvoie à la présence des français sur le sol algérien :

« Nous sommes arrivés dans la nuit, et je n’en ai gardé aucun souvenir. Mon père avait loué deux pièces contigües dans une maison mauresque. […] Les derniers locataires, à cette époque, étaient une famille de Français, les Perrins. Ils habitaient au premier. » La Scaléra, p.25-30.

Les faits remontent à l’époque où les algériens ne pouvaient plus subvenir aux besoins de leur famille. Les terres étant occupées par les colons, les algériens durent quitter leur village et aller travailler en ville, les hommes comme ouvriers et les femmes comme femmes de ménage :

« Le matin même, la propriétaire est venue nous voir. Mme Cruz. […] Elle parlait très fort, très vite et nous, on la regardait, intimidés. On ne comprenait rien. Yamna ! Yamna ! Cria- t-elle en direction du premier étage. Yamna ! Viens expliquer aux nouveaux. Yamna était sa bonne. » La Scaléra, p. 26-27.

Puis arrive l’époque où la France mobilise les algériens pour l’aider à mettre fin à l’occupation allemande lors de la 2ème guerre mondiale. Elle embarque plusieurs centaines d’algériens, c’était disait-on le service militaire :

« L’Allemagne avait envahi la France ! Hitler avait coupé la France en

ceux ! Des Français se battaient contre d’autres Français ! L’Angleterre, l’Italie, la Russie, l’Amérique, le Japon ! […] Pour nous, la vie devenait de plus en plus difficile. Les jeunes avaient été mobilisés. » La Scaléra, p. 182-183.

60

Et cela arrive, Kader le frère de Mimouna fut embarqué pour combattre auprès de la France. Les français de souche continuent à débarquer sur le sol algérien. Mais les comportements de certains étaient différents à l’égard des autochtones :

« Pour nous c’était la même chose. Il n’avait que l’accent et les

manières qui changeaient et puis aussi, peut-être, le fait que les français de France nous parlaient plus poliment, mais on restait des indigènes pour tout le monde. Et ça, on commençait à ne plus le supporter. Oh ! Ce n’était pas encore la révolte non !» La Scaléra, p. 164.

En déroulant le fil de l’histoire, Bakhaï ne manque pas de citer des noms réels de certains quartiers de la ville d’Oran tels : La Scaléra, Ekhmuhl, la Ville Nouvelle,

Derb, Bassins, Murdjadjo, Douar Belini:

« Je les rencontrais surtout aux « Bassins », c’est là que j’allais une fois par semaine pour faire la grosse lessive. Les ‘ Bassins’ étaient aménagés directement sur le cours de l’oued qui descendait du Murdjadjo. » La Scaléra, p. 168.

De tels endroits surtout la Ville Nouvelle plus communément Mdina Jdida ou Douar

Belini ne manquent pas à leur rôle d’authentification dont l’auteur fait appel. Faisant

référence aussi à cette époque, Bakhaï eu recours aussi par nostalgie à des films égyptiens datant de l’époque ainsi que les noms des actrices américaines et égyptiennes :

« J’essayais de deviner d’après les affiches quel genre de films serait

projeté le dimanche suivant. J’aimais bien Shirley Temple et Rita Hayworth. Parfois nous montions jusqu’au Rex pour voir les films égyptiens. C’était la grande époque d’Oum Keltoum, de Leila Mourad. » La Scaléra, p. 179.

L’auteur n’oublie pas dans ce cas là de référencer les bas de pages en définissant l’identité de ces personnages ainsi que l’époque. L’Histoire authentique se poursuit

61

dans La Scaléra, cette fois-ci les références se font autour des dates de la période de la guerre de libération :

« On était en 1955, et Kader est revenu. […] Je retrouvais mon petit frère et je découvrais un homme inconnu, […] Il m’a semblé qu’il avait grandi, il portait une fine moustache à la Clark Gable.52 » La Scaléra, p. 229.

Le football a joué le rôle de catalyseur qui propulse l’acte inattendu par la partie adverse. En effet, grâce au football, il eut une prise de conscience nationale quant à la domination française. En partie, l’équipe de l’USMO contribuait à l’éveil du nationalisme. Les initiales U=union +M=musulman, l’expression en elle-même exprime une exhortation, un appel aux musulmans d’Oran de s’unir autour de cette équipe représentant le symbole de l’Algérie qu’on devait libérer:

« Nos petits garçons en espadrilles, couverts de poussière sous le grand

soleil, tapaient inlassablement dans des ballons de chiffons, sur le terrain du « Petit Santon » en rêvant de faire partie un jour de l’U.S.M.O. » La Scaléra, p. 233.

Arrive enfin la fameuse date du cessez-le feu : le 19 mars 1962 qui devait marquer la fin d’une guerre sanglante. Malheureusement, l’OAS fait beaucoup de victimes après cette annonce. Cette date nous renvoie à un fait historique véridique et authentifié par les ouvrages historiques :

« Le 19 mars 1962, le cessez-le-feu a été annoncé, mais la victoire nous n’avons pas eu le temps de savourer notre bonheur. L’OAS avait déjà entamé son horrible œuvre de destruction et d’assassinats. C’était le règne de la terreur. Tout le monde avait peur. » La Scaléra, p. 270

52

Clark Gable (1901-1960) : acteur américain. Il fut l’une des figures marquantes du cinéma américain. D’une carrière riche en personnages pittoresques ou passionnés, on retiendra : Autant en emporte le vent et Les Désaxés, son dernier film célèbre.

62

Benjamin Stora rapporte ainsi les conséquences du cessez-le feu : « Sur la base des

déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, loin d’apaiser, les résultats de ce référendum poussent l commandement de l’OAS dans une folle escalade, la « politique de la terre brûlée. »53

Le jour de l’indépendance ne tarde pas à venir, sa date n’est pas mentionnée mais le fictif l’annonce en décrivant l’embarquement des derniers européens sur le quai du port d’Oran. Rosy pleurait son sort et Mimouna devait la consolait:

« Mimouna, nous, on a jamais voulu tout ça, on voulait vivre tranquille, c’est tout, pourquoi nous ont-ils fait ça ? [ …] L’OAS avait tué le dernier espoir pour toutes les « Rosy » d’Algérie. Et, le jour de l’Indépendance, […] les drapeaux longtemps dissimulés claquaient au vent d’été et que les youyous se relayaient encore de maison en maison, tard dans la nuit, Rosy attendait au port, assise sur sa valise, l’arrivée du bateau. » La Scaléra, p. 271-272.

« Les signes, plus ou moins figés, des idéologies contemporaines que le texte entend comme transcender, signes présents, nommés ou signalés dans le texte comme des éléments du décor contemporain[…] Le texte, ici fait allusion[…] consciemment, en vue d’effets calculés à des idéologies refroidies, dépassées, tyranniques parfois, et qui ont cessé réellement d’inventer et de parler. » 54

La relecture du patrimoine historique a pu situer le contexte historique dans toute sa dimension. Ceci a conditionné l’émergence d’une littérature comme reflet de l’Histoire ce qui a pu rapprocher l’histoire fictionnelle de l’Histoire réelle.

53

BENJAMIN, Stora. Algérie, histoire contemporaine 1830-1988. Alger: Casbah, 2004, p. 196. 54

BARBERIS, Pierre. Le prince et le marchand. Fayard, 1980 –« Texte littéraire et Histoire » dans Le Français aujourd’hui, n°49, mars 1980 , p.7-19 (Paris, revue).

63

Pour conclure, nous dirons que cette étude a permis de constater l’appel de la part de l’auteur aux grandes dates historiques mentionnées et certains passages explicites et implicites présents dans l’œuvre allant de la préhistoire dans Izuran en étudiant la vie des Mechtoïdes, des Capsiens et des Garamantes. Puis l’histoire dans Izuran avec l’étude des périodes depuis les Lebou jusqu’aux vandales. Ensuite la période des ottomans dans Dounia et pour finir la période coloniale dans La Scaléra. L’étude de ces différentes périodes a permis d’aboutir à l’authenticité de l’œuvre historique et la situer dans son contexte. L’Histoire réhabilitée avait pour vocation d’épuiser la symbolique des faits et gestes pouvant servir de représentation de l’histoire collective. Elle s’est avérée comme le meilleur moyen, de montrer les liens entre passé et présent, mémoire et projet, individu et société et d’expérimenter le temps comme preuve de la vie.

64

Chapitre 3 :

La variable politique