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L’épanouissement de la femme est entravé par les traces indélébiles qui ont marqué son corps et sa mémoire. Le corps marqué psychiquement et physiquement représente un voile qui enferme la femme et l'empêche de s'exprimer et de jouir de sa liberté.

La maladie

Le thème de maladie est beaucoup plus présent dans La Scaléra que dans Dounia ou

Izuran. Les images d’un corps violenté et bouleversé foisonnent dans ce roman. La Scaléra s’ouvre sur le corps d’une vieille femme Mimouna gémissante sur le lit d’un

hôpital :

« Cet endroit […] était réservée aux grands malades longues durées, comme on disait. […] Elle poussa la porte et découvrit une vieille femme toute ratatinée, recroquevillée au fond d’un lit sans drap. » La Scaléra, 9.

La maladie aidée par la vieillesse a raison du corps de la femme. Ce corps rongé et ratatiné semblable a une fleur qui a perdu son éclat et sa splendeur. La maladie, la vieillesse ne demeurent pas les seules agressions du corps féminin. Aussi paradoxale que cela puisse paraître, le plus beau jour de la vie d’une femme peut aussi se révéler une épreuve éprouvante.

167 La nuit de noces

Ayant quitté la maison parentale, la jeune femme doit s’adapter à un nouvel espace qui n’est autre que la maison des beaux- parents. Du roman La Scaléra, se dégage un sentiment relevant du domaine carcéral.

Le mariage traditionnel était fatidique pour la femme, l’angoisse s’emparait de son corps. Un corps abandonné et sacrifié à un homme qu’elle ne connaissait pas en général:

« J’ai attendu seule. Je n’osais pas bouger, peut-être qu’on me surveillait par un truc caché ! […] J’avais du mal à maîtriser le tremblement qui avait envahi tout mon corps, une panique insurmontable s’était emparée de moi. » La Scaléra, p. 102.

Loin de la joie qui devait s’emparer de la jeune mariée, une panique terrible envahissait ce corps tout jeune à peine sorti de l’adolescence.

La claustration

Si les mères et grands-mères acceptent leur sort et vivent heureuses dans un espace de confinement, les jeunes femmes comme Mimouna, s’opposent à cette situation d’espace conflictuel :

« J’aurais voulu fuir cette chambre au plafond trop bas et à la fenêtre

trop petite, fuir ce vacarme et tous ces gens inconnus, mais c’était trop tard, il était là. » La Scaléra, p. 102.

Ce sont des femmes, les mères et les grand-mères qui perpétuent cette tradition d’oppression et étouffent la parole des autres femmes. Elles se sentent obligés d'assurer le respect des règles traditionnelles de la société patriarcale :

« Ce raisonnement n’était pas propre à ma belle-mère. La plupart des gens pensaient comme elle et même de nos jours, il n’a pas complètement disparu. Personne n’était indigné par le fait qu’un homme frappe sa femme ! Si vraiment il la laissait mal en point, on murmurait que, peut-être, il exagérait un peu, non dans le principe mais dans la manière ! De

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toute façon un homme ne frappait jamais sa femme pour rien. C’était toujours elle la fautive. » La Scaléra, p. 107.

Révoltée par sa situation et celle des autres femmes, Mimouna ne cesse de réfléchir à l’impact de la culture et de la société sur le corps des femmes : « Alors j’ai

commencé à pleurer et j’ai pleuré mes espoirs déçus, mon corps humilié, jusqu’au matin. » La Scaléra, p. 104.

Nous relevons dans le corpus que la vie d’une femme est jalonnée par différentes épreuves tout aussi lugubres les unes que les autres à savoir la nuit de noces, la claustration et la maladie. Le crépuscule de cette vie n’est pas plus reluisant car très souvent, il se termine par un divorce.

Le divorce

La femme divorcée est une femme qui a été incapable de garder son mari. Une femme divorcée est une femme qui retourne vivre avec sa famille et devient un fardeau :

« Endurer les humiliations quotidiennes, les injures, les coups semblait souvent moins dur que d’avoir à affronter les regards réprobateurs de son entourage. […] Voilà pourquoi les vieilles femmes apprenaient aux jeunes la patience, l’endurance, l’art d’étouffer sa révolte. » La Scaléra, p. 113.

Malgré leur forte personnalité, ces femmes incarnent des corps présentant un handicap aux yeux de la société traditionnelle dans laquelle elles sont nées. Elles se sentent prisonnières d'un corps mutilé.

Des corps pour la plupart du temps handicapé par l’impact de la société, une femme dont l’enfance a été bercée par les récits anciens n’arrive pas à s’en détacher pour libérer son corps et lui permettre un quelconque apprentissage de la part de l’Autre :

« Ma mère au début a beaucoup souffert de cette situation. D’abord, il y

avait le problème de la langue. De toute sa vie, elle n’est pas arrivée à apprendre plus de dix mots. En réalité, elle ne voulait pas apprendre. » La Scaléra, p. 39.

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Après tant d’années passées en ville, la mère de Mimouna refuse toujours de s’exprimer en français lorsqu’elle est devant une situation contraignante. Pour elle, c’est la langue du mécréant. En pratiquant leur langue ou en se mêlant à eux, elle pense commettre un véritable péché. Durant les premières années de colonisation, c’était la coupure totale entre les deux communautés. Aucun échange n’était permis, les anciens veillaient inlassablement à cette tâche. Cette femme ne voulait en aucun cas croire à l’amabilité de certains français vivant sur le sol algérien comme

Madame Lopez et les autres. Mimouna pense le contraire:

« Les ennemis, pour moi, c’étaient les autres, ceux que je ne connaissais pas. Ce ne pouvait être Madame Lopez, si douce et si bonne, ni Maryse qui me donnait des caramels, ni même Santa-Cruz qui criait beaucoup mais faisait de si bon beignets ! » La Scaléra, p. 40.

Le corps de la femme a toujours été l’objet de souffrance, pendant les périodes difficiles telle la période du colonialisme, la femme doit travailler durement pour aider son mari à subvenir aux besoins de la famille. Les hommes ayant perdu leur terre, les femmes doivent accomplir des tâches traditionnelles et domestiques soit chez elles ou chez les colons :

« C’était Yamna qui avait eu l’idée, un jour, de lui proposer du travail à domicile. Elle lui apportait de la semoule, et ma mère roulait le couscous et le faisait sécher, puis le restituer dans de petits sacs en tissu, prêts à l’emploi. » La Scaléra, p. 40-41.

Un corps mutilé ne manque pas de traces qui le marquent, aussi, il devient le corps d’une femme fatiguée par le poids de la misère et du temps.