• Aucun résultat trouvé

Fatéma Bakhaï viole le tabou de la représentation du corps féminin quant au regard

de l'autre que Segarra nomme le «regard subi. »170 La religion musulmane interdit le regard car il : «A le pouvoir de déposséder la femme de son corps qui devient, par le

détour d'un regard, la propriété des autres. »171

La femme ne doit regarder, ni être regardée par un homme étranger. Le regard est soumis à des lois bien précises pour l'homme et pour la femme car « être musulman

c'est contrôler son regard et savoir soustraire à celui d'autrui sa propre intimité. »172 Assia Djebar a depuis longtemps revendiqué le regard dans ses écrits:

« Je ne vois pour les femmes arabes qu'un seul moyen de tout débloquer: parler, parler sans cesse d'hier et d'aujourd'hui, parler entre nous... [...] Parler entre nous et regarder. Regarder dehors, regarder hors des murs et des prisons! ...La femme­regard et la femme-voix » 173

Si la femme est condamnée à la claustration, c'est au moyen de son corps et de son regard qu'elle a toujours essayé de parler :

170

SEGARRA Marta. Leur pesant de poudre: romancières francophones du Maghreb. Montréal : L'Harmattan, 1997, p. 76.

171

SEGARRA Marta, op,cit. 172

BOUHDIBA, La sexualité en Islam, op. cit., p. 51.

175

« Moi, je pouvais tout regarder, bien à l’abri derrière l’étoffe légère, mais personne ne pouvait me voir, me reconnaître et donc m’agresser. Les regards concupiscents et malhonnêtes ne pouvaient pas m’atteindre. » Dounia, p. 61.

Dans une société où tout dévoilement du corps, où toute nudité est inacceptable, la femme trouve dans le voile une protection contre le monde extérieur et le monde intérieur mais lui permettant de regarder à travers son petit œil.

« Dans la société traditionnelle la femme ne doit posséder ni une voix, ni un regard, ni un corps, puisqu'elle est la «clef de voûte de l'édifice islamique, et sur qui s'exercent en premier lieu les pressions idéologiques. » 174

Une femme doit se convertir aux obligations de la famille et ceux de sa société. Elle doit accepter tous les enseignements des mères pour être une épouse modèle, obéir à son époux et à son père corps et âme :

« Une femme, me disait ma mère, ne doit jamais élever la voix ni se mettre en colère, elle ne doit pas montrer ses sentiments, bons ou mauvais, elle ne doit jamais révéler ses secrets, elle ne doit pas rire aux éclats, elle doit obéir sans rechigner, c’était là les principes clés qui devaient aider une femme à conserver sa place dans la société. » La Scaléra, p. 61.

Voilà un corps d’une femme soumise, une femme sans voix, sans regard, sans sentiments. C’est une femme que l’on peut comparer à une éponge absorbante. Absorbante de tout ce qu’on lui dicte de faire. Une femme qui doit servir en réprimant toutes ses volontés.

174

VIOLA,Bill Artistes en dialogue, dans La chair et Dieu,1999.

176

Malgré ces interdictions, le regard a une double fonctionnalité. Si la société ne permet pas à la femme de regarder un étranger, ses sentiments ne peuvent obéir à cet interdit :

« Tant d’années après, il me suffit de fermer les yeux pour revoir Mouloud debout prés de la porte d’entrée, sa boite de dattes à la main. Il devait avoir vingt ans. […] Mais quelle douceur dans le regard ! » La Scaléra, p. 79.

Ce regard foudroyant était le symbole d’un avenir heureux avec Mouloud, ce jeune homme avec qui Mimouna espérait réaliser ses rêves. Dans la culture algérienne et traditionnelle, la femme n’osait pas lever le regard même sur son père. C’est une autre forme de regard, celle du respect envers les parents surtout envers le père :

Mimouna garda les yeux vers le bas, le jour de son mariage lorsque son père est

venu lui dire au revoir :

« Le plus dur fut de dire au revoir à mon père. Toutes les femmes s’étaient éloignées pour permettre à mon père d’entrer. Il m’embrassa sur le front tandis que je gardais les yeux baissés. » La Scaléra, p. 100.

Par pudeur, elle est censée garder son regard et ses yeux baissés le jour de son mariage : « On ne m’avait pas trompé, dit-il en ricanant, tu es jeune ! Alors

seulement j’ai osé le regarder. » La Scaléra, p. 103.

Le regard possède plusieurs formes : regard méprisant comme c’est le cas du regard de Mimouna regardant son époux Mohamed la nuit de noces lorsqu’il lui déclare qu’il n’a pas été trompé. Le regard méprisant de Mimouna jeté lors de sa nuit de noces à son mari signifie que son corps n’est pas une marchandise.

Une autre forme de regard présente dans le corpus, celle du regard de la pudeur : si

Mimouna n’ose pas regarder son époux la nuit de noce, cela traduit la pudeur de la

femme. Dans la même situation, nous rmarquons une binarité de regard. Pour la même personne, on adresse deux formes de regard selon la situation comme c’est le cas du regard de Mimouna envers son époux. Un regard de mépris ou de pudeur.

177

Le regard peut être une forme de croyance à la manifestation de forces mystérieuses comme le mauvais œil, une vieille superstition. Si une personne est regardée d’une façon envieuse sans dire « Ma Châ Allah » la personne est atteinte du mauvais œil qui pourra nuire à sa santé ou même à sa maison comme c’est le cas de la maison de

Dounia protégée contre le mauvais œil par des amulettes : « Il y en avait une suspendue au-dessus de la porte d’entrée pour contrer le mauvais œil du visiteur mal intentionné. » Dounia, p. 95.

Alors, regarder n’est pas seulement fonction de la vue. Car cet organe est capable de donner naissance à différents regards images d’une multitude d’émotions. Mais la fonction principale du regard en tant qu’espace corporelle féminin demeure une arme au service de la femme.