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Sur le territoire national, le système d’attribution est strictement encadré, mais en raison de nombreux non-dits et des spécificités de chaque jeu d’acteur territorial, c’est un système extrêmement hétérogène, comme le montre D. VANONI241 par son étude des pratiques dans six agglomérations en

2009. Pour lui, la tension du marché local du logement et le rattachement des problématiques locales à un traitement national ou non impactent les attributions : il souligne donc l’importance du contexte local. Il explique cette hétérogénéité par une marge de manœuvre nécessaire des acteurs locaux pour mettre en œuvre leurs politiques, qui peuvent viser aussi bien un clientélisme de masse que le loge- ment des plus démunis, et maintenir un certain équilibre entre leurs missions et leurs intérêts respec- tifs.

Les instances locales du traitement de la demande ouvrent des espaces aux institutions du logement social pour qu’elles élaborent et stabilisent des consensus locaux relatifs aux politiques publiques mises en œuvre sur le territoire. En Isère, ces instances ont une forte composante, ou du

240 JOBERT B., MULLER P., op. cit.

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moins un fort affichage partenarial, que ce soit les CSI ou CLH des intercommunalités ouvertes aux bailleurs, les commissions communales qui sollicitent également les bailleurs, les groupes de travail partenarial animés par Absise ou les comités de pilotage des différents dispositifs tels que la PAHLDI ou Etoil. Or « Les politiques publiques […] conduisent à produire du sens et des valeurs qui doivent

se définir dans les nouveaux espaces ouverts, par le droit procédural, à la délibération collective »242.

Ce qui signifie que ce sont ces instances et dispositifs qui permettent aux acteurs de partager leurs représentations et leurs pratiques, mais aussi d’aboutir à la mise en place des inputs que nous avons observés.

En Isère, le grand nombre d’espace de partage, que l’on peut éventuellement corréler avec le volontarisme politique local en matière de logement social, favorise donc le partage mais conditionne également les avancées à l’établissement préalable d’un consensus, au moins relatif. On retrouve par ailleurs dans les discours des professionnels interrogés l’idée que l’innovation est un propre du terri- toire de l’Isère, qui le met en capacité d’influer la loi, grâce à des consultations par le niveau national. Un exemple de ce rapport du territoire à l’innovation en matière d’attribution du logement social, établi grâce à l’observation participante de l’enquête mais confirmé par le discours d’un professionnel inter- rogé, est typiquement le cas d’Etoil.

Cet outil a été développé à l’initiative des parties prenantes iséroises du système d’attribution, soutenus par une dynamique conjointe avec le département du Rhône. Les bailleurs sociaux appuyés sur Absise et le Conseil Départemental, soutenu par la suite par les grandes intercommunalités du territoire, ont été ainsi précurseurs de l’appui du système d’attribution sur un fichier départemental partagé de la demande. Le SNE, au profit duquel Etoil va être abandonné, est son aboutissement au niveau national. Et les raisons de l’abandon de leur outil partagé, malgré des développements récents en vue d’une observation de la demande grâce à ce fichier, sont eux-mêmes justifiées par les coûts de l’innovation. Car régulièrement le fichier départemental a été l’objet d’innovations, par la suite rat- trapées par des avancées nationales qui nécessitaient une remise en adéquation de l’outil par rapport à certains détails divergents du système national, ou des frais de mise en relation de l’outil avec l’outil national mis en place. Ce rapport territorial à l’innovation est même mentionné par un professionnel pour justifier de la prudence relative des parties prenantes iséroises du système dans la mise en œuvre des inputs de lutte contre le refus, dont les modalités n’étaient jusqu’à la loi Alur pas prévues par la loi. Il s’agissait pour lui de ne « pas faire ETOIL bis en étant trop précurseurs car l'instabilité

règlementaire peut nuire. »243. Nous sommes donc face à une boucle de partage des représentations

entre le niveau national et le niveau local qui favorise une diffusion des valeurs admises et partagées par les partenaires sociaux de l’Isère hors de leur territoire.

Cela s’explique également par un rapport partenarial spécifique en Isère dans le sens où les communes sont particulièrement volontaristes sur la question du logement social. C’est pour cela que

242 Yvon SCHLERET, in BALLAIN R. (dir.), BENGUIGUI F. (dir.), AUBREE L., DARAN M., MAUREL E., SCHLERET Y., Loger les personnes défavorisées, une politique publique sous le regard des chercheurs

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sur la plupart du territoire ce sont elles qui accueillent les demandeurs et enregistrent la demande, et c’est également pour cela qu’elles ont pu davantage garder la main sur leurs réservations au cours des dernières décennies à l’inverse de ce qui a pu se produire sur d’autres territoires. Cependant si elles ont réussi à s’imposer comme titulaires de la gestion d’une grande partie de la demande, leur partenariat avec les bailleurs sociaux est marqué par un rapport de force avantageux au profit de ces derniers, comme nous avons pu le souligner.

En 2012, une étude de l’Observatoire Social de Lyon (OSL)244 montrait les différentes repré-

sentations et traitement du refus sur certains territoires de l’agglomération. Ainsi sur la commune de Poisat le refus était surtout interprété comme résultant d’un changement brutal de la situation fami- liale, et en cas de motif non-valide le ménage perdait des points dans l’évaluation communale du positionnement en pré-CAL. Les professionnels des communes de Pont de Claix et Sassenage eux appréciaient, parmi les critères usuels, le nombre de refus du ménage pondéré par les motifs de refus : « si des ménages ont fait des refus considérés comme mal motivés, ils peuvent passer de la

première à la deuxième position »245. Le service de Saint-Martin-d’Hères faisait quant à lui surtout

remonter le problème posé par l’augmentation du nombre de refus sur la pertinence des attributions, tandis que celui de Saint-Martin le Vinoux proposait pour y remédier d’indiquer dans la demande les quartiers non-souhaités, ainsi qu’un sur-positionnement allant entre 5 et 10 dossiers sur les im- meubles touchés par des refus d’attribution massifs, également pratiqué par Meylan, Gières et Claix. Cette dernière pratiquait par ailleurs presque systématiquement un entretien avant la CAL avec le demandeur pour éviter les refus. La ville de Saint-Egrève proposait elle une explication du refus par des demandes extrêmement ciblées qui rejoint l’explication des professionnels de Grenoble par l’exi- gence des demandeurs, et affirmait ne pas pénaliser le demandeur mais l’exclure des filières priori- taires de l’urgence. Enfin la commune de La Tronche ne re-positionnait pas de demandeur sur un quartier refusé auparavant.

On peut supposer que les représentations de ces professionnels sur la sanction à apporter à la déviance liée au refus n’a pas fait l’objet d’une évolution radicale, néanmoins 2012 est également l’année de mise en place de la CSI sur le territoire de Grenoble Alpes Métropole auquel appartiennent ces communes. Et l’observation participante réalisée justement en CSI montre qu’une harmonisation s’est effectuée sur la représentation du refus, dans le sens d’une pénalisation nécessaire du deman- deur. La démarche collective de désignation via des instances partenariales, sur des critères négociés entre partenaires, permet de croiser les appréciations subjectives des partenaires. Ce qui peut aboutir à une diffusion de représentations normatives y compris contraire à d’autres normes en vigueur dans le même système, telles que le respect du choix du demandeur.

En Isère, ce sont les communes qui semblent davantage porter la norme d’acceptation du

logement « dont la transgression constitue la déviance »246. Tandis que les bailleurs sociaux semblent

244 Observatoire Social de Lyon, Assistance à Grenoble Alpes Métropole pour réaliser un état des lieux des attributions des logements locatifs sociaux dans l'agglomération grenobloise

245 Professionnel de la commune de Sassenage, cite par l’étude de l’OSL, op. cit. 246 BECKER H S, op. cit., p. 32

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davantage intégrer la notion de choix du demandeur. S’ériger en entrepreneurs de morale n’est pas une position confortable dans un contexte où le référentiel débat sur cette déviance, ce qui pourrait expliquer le refus des communes de s’exprimer lors de l’enquête. Car la déviance est le « résultat du

processus d’interaction entre des individus ou des groupes : les uns, en poursuivant la satisfaction de leurs propres intérêts, élaborent et font appliquer les normes sous le coup desquelles tombent les autres qui, en poursuivant la satisfaction de leurs propres intérêts, ont commis des actes que l’on qualifie de déviants »247. Il s’agit donc ici de se pencher sur les intérêts des collectivités et des bailleurs

à s’accorder dans un référentiel commun associant le refus du demandeur à une déviance. Pour cela nous pouvons envisager de décrire la politique de réponse au refus dans l’attribution comme une politique de mœurs, afin de déterminer ces intérêts, qui constitueront vraisemblablement l’articulation entre les référentiels de représentations ainsi que d’action et le référentiel global.

b)

Le refus d’attribution, un cas de politiques de mœurs inclus dans les

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