• Aucun résultat trouvé

« L’habitat, le chez-soi, est doté de caractéristiques symboliques et identitaires : il affirme une position sociale, un rôle à tenir, un statut »185, donc les caractéristiques du logement, son

environnement ou sa localisation sont autant de critères que les ménages sont soucieux de préserver pour des motifs de qualité de vie, de proximité avec leurs proches ou bien encore de stigmatisation. Or l’examen du Cerfa de demande de logement social nous montre que ces considérations ne peuvent être prises en compte par le système. Par conséquent lorsque les professionnels soulignent

76

la nécessité de tisser une autre relation avec le demandeur et de lui permettre de prendre place dans le système administré, ils touchent du doigt une incapacité objective du système. Cette incapacité légitime pour partie le blâme du manque d’accompagnement du demandeur et de son cantonnement dans une position passive par le système, et on ne peut que reconnaître leur réalité dans le système d’attribution tel qu’il est conçu aujourd’hui.

On peut identifier d’autres réalités des critiques du système administré dans la classification par la littérature consacrée186 des refus d’attribution en quatre catégories : parallélisme des

démarches, inadéquation de la proposition, attentisme stratégique et reformulation du projet. La première correspond aux demandeurs qui ont multiplié les démarches et ont finalement trouvé un logement avant la proposition, et pourrait justifier expliquer la critique du manque de réactivité du système. Cependant cette explication du refus concerne la partie du public du logement social non- dépendante de l’attribution, donc du système, grâce à ses ressources. Les professionnels peuvent donc déplorer leur refus, qui représente la perte d’un public au profil moins social, et par conséquent souhaiter qu’il y ait moins de freins au système. Néanmoins le grief est biaisé, puisque ces refus concernent des personnes qui, quelle que soit la temporalité de l’attribution, l’aurait mise en comparaison avec les offres de logement extérieures. Cette critique du système correspond donc à deux réalités : le besoin des professionnels d’attirer des publics au profil moins social dans le parc de logements sociaux et une évolution des représentations de ces professionnels vers une qualité de service public, cantonnée pour l’instant au discours des supérieurs hiérarchiques. La réalité systémique de cette critique est donc valable si l’on considère que le logement social est une prestation d’assurance sociale qui doit être accessible au plus grand nombre, mais pas si l’on se le représente comme une prestation d’assistance sociale dédiée à des publics en difficulté.

Les refus expliqués par l’inadéquation de la proposition correspondent au différentiel entre d’un côté ce que le demandeur pensait avoir transmis par le Cerfa comme informations sur sa demande, d’un autre côté ce que le professionnel en a compris et enfin du logement dont le professionnel a pu disposer pour satisfaire la demande. Cette explication du refus donne corps à deux critiques du système, parmi les moins précises, qui ciblent une lacune d’outils et l’objectivité de l’attribution. Pour lutter contre cette forme de refus, les professionnels estiment qu’ils manquent d’outils permettant de simplifier l’attribution, mais aussi de minoriser la part de leur jugement dans le rapprochement offre-demande. Bien que la part du refus correspondante soit importante selon les études de l’ADIL et de l’OHL, elle ne soutient pas pour autant des critiques précises du système qui seraient susceptibles d’aboutir prochainement à un référentiel d’action. On peut en déduire qu’une réalité massive de l’input n’aboutit pas nécessairement à la constitution d’un référentiel d’action.

Les refus par attentisme stratégique pour leur part désignent surtout des ménages qui ne sont pas en situation d’urgence sociale ou financière. Sur un marché détendu, ces ménages se positionnent au cas où une opportunité se présenterait. Sur un marché tendu, ils anticipent les délais

77

d’attente pour pouvoir accéder à un type de bien spécifique. Dans l’intervalle, ils se montrent particulièrement enclins à refuser les propositions qui peuvent leur être faites. Leur capacité à refuser admise dans les représentations souligne en contrepoint l’incompréhension des professionnels face au refus d’un demandeur en situation d’urgence. Et cette explication entretient la critique de la passivité systémique des demandeurs, car un ménage attentiste est porteur d’une stratégie de choix résidentiel, et par conséquent dans les représentations des professionnels il doit être associé au choix de son logement. En revanche il est possible que cette explication soit surévaluée par l’étude, et ne soit en réalité qu’une catégorie marginale du refus, du moins pour le territoire de l’Isère.

Enfin les refus par « reformulation du projet », consistent en une modification du contenu de leur demande par les ménages après avoir pris conscience des possibilités qui leur sont offertes. Cette dernière catégorie de refus établie par la littérature consacrée vient encore une fois en renfort de la critique du manque d’information et d’accompagnement des demandeurs dans le système d’attribution. En effet modifier le système dans ce sens permettrait d’éviter ce que les professionnels ont désigné comme l’immaturité d’une demande, car informer et accompagner le demandeur permettrait de lui donner des outils de maturation de son projet.

Si l’on part des critiques elles-mêmes pour déterminer leur réalité, un certain nombre d’entre elles, comme la critique des freins administratifs, de la répartition des compétences entre réservataires et bailleurs ou encore de la rigidité des critères d’attribution, se comprennent dans une logique d’amélioration des conditions et de la qualité de travail de ces mêmes professionnels. Et ce dans l’optique que les externalités positives de la réduction des freins administratifs ou de la rigidité des critères d’attribution sur le système permettraient une amélioration de la prise en compte au cas par cas des attributions, donc un traitement préventif du refus par une autonomie du professionnel dans l’utilisation de la prestation « logement social ». Ce qui impliquerait une amélioration de leurs conditions de traitement quotidien du refus. La critique portant sur la répartition des compétences est néanmoins particulière, elle relève des spécificités du fonctionnement partenarial du système d’attribution en Isère. Elle est extrêmement corrélée au phénomène de refus puisque c’est la massivité de l’input « refus » dans le système qui amène les parties prenantes à remettre en cause leurs pratiques mutuelles. Mais faire évoluer la répartition des compétences entre les parties prenantes n’influerait en rien sur le phénomène de refus à court ou moyen terme, sans intégrer la troisième partie prenante du système d’attribution qu’est le demandeur. Agir dans ce sens sur le système revient à faire évoluer le rapport de forces au sein du référentiel, tout en restant inscrit dans le référentiel d’action du système d’attribution en vigueur. C’est-à-dire que la place et le sens donnés aux actions seraient différents, mais les outils et pratiques mobilisés ne pourraient que rester les mêmes.

Cette critique se réfère d’ailleurs à une réalité du refus qui échappe au champ des motifs et explications du refus pour toucher le domaine des intérêts respectifs de chaque partie prenante. A commencer par le fait que le refus entraîne une vacance frictionnelle accrue des logements. Dans les discours des professionnels, à la question des conséquences du refus sur le demandeur et sur le logement, on observe que la responsabilité du refus sera davantage portée sur la qualité du logement

78

ou du travail de positionnement quand « on arrive à 30 propositions ». On a donc une distinction entre un refus « isolé » du logement, dont la responsabilité est attribuée au ménage demandeur et donc doit être géré par l’institution responsable de la demande, et un refus « multiplié » du logement qui peut être lié à une mauvaise gestion du patrimoine, imputable au bailleur, ou à une mauvaise gestion des positionnements, imputable aux réservataires. Or un refus « multiplié » du logement est synonyme de vacance frictionnelle prolongée. Modifier l’articulation des compétences est vu comme une amélioration dans la lutte contre les refus car les professionnels communaux, acteurs de la demande, ont moins d’intérêt que les professionnels bailleurs, acteurs de l’offre, à limiter le prolongement de cette vacance frictionnelle. D’autant que le refus implique la réintroduction du logement dans le circuit d’attribution, or le système de positionnement et d’attribution est composé en Isère d’instances collégiales, dont les délais de traitement des dossiers s’additionnent. Ce qui occasionne un temps supplémentaire entre les différentes propositions, aggravant par conséquent le temps de vacance frictionnelle. Et ce phénomène systémique peut se révéler problématique en cas de refus réitéré du logement. Agir sur la répartition des compétences dans le système est donc un moyen pour les professionnels d’alléger le mécanisme d’attribution en cas de refus, pour que les conséquences de ce dernier ne soient pas trop lourdes sur les plans organisationnel et financier.

Ainsi la réalité du phénomène de refus correspond dans une plus ou moins grande mesure aux critiques portées au système d’attribution. Et les évolutions constatées dans les représentations des professionnels sur le refus du demandeur ont accompagné une intégration de ce phénomène dans la construction des pistes d’évolution du système d’attribution. Mais lutter contre le refus des propositions d’attribution par les demandeurs n’est pas une fin en soi du système d’attribution, y compris dans les représentations des professionnels, davantage tournés vers la lutte contre la vacance ou la résorption de la surcharge de travail occasionnée par le refus. Cette absence de politisation du refus explique que nous n’ayons pu déceler de représentation véritablement partagée de ce que devrait être le système d’attribution d’un logement social.

En revanche les critiques des professionnels en matière d’adéquation du système avec phénomène massif de refus, impactant fortement les pratiques, sont particulièrement instructives. Ne serait-ce que parce que ces critiques indiquent que le phénomène de refus d’attribution n’est plus vu comme un input déstabilisateur dans le système, alors qu’en 2011 il remettait les professionnels profondément en question. Il est dorénavant vu comme un input perturbateur dans le système, auquel les parties prenantes vont pouvoir tenter d’adapter ledit système. Prises une par une, les critiques montrent ensuite que les professionnels souhaiteraient pouvoir adapter le système dans le sens d’un travail sur le demandeur pour prévenir le refus. En effet ils estiment agir sous la contrainte d’une pénurie de ressources, aspirent à une adaptation de leurs conditions de travail impactées par un refus massif afin qu’il les pénalise moins dans leur pratique et n’entraîne pas une réaction en chaîne nuisible à la qualité globale des attributions. L’évolution vers un nouveau référentiel d’action doit permettre cette double évolution du système pour les professionnels.

79

Notons qu’un point majeur est laissé de côté dans les critiques portées au système : les conséquences du refus pour le demandeur. Il semble que les professionnels souhaitent contracter une assurance contre le refus, sans se préoccuper de leur manière de traiter le refus. Les axes d’évolution qu’ils souhaitent dans le référentiel d’action et que nous venons d’identifier concernent pour le premier la prévention du refus et pour le second une protection contre les conséquences du refus. Cette logique assurantielle ne cherche pas nécessairement à interagir avec le refus, car ce dernier ne peut être compris qu’individuellement et aucun message ne lui a été attribué en tant que phénomène de masse. On peut donc supposer que le référentiel d’action en émergence qui découle de ce référentiel de représentations comprendra des inputs correctifs du système mais pas de modification structurelle visant à traiter individuellement les refus apportés par les demandeurs.

Outline

Documents relatifs