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Le dispositif de location active est explicitement conçu de telle sorte que « le demandeur soit

acteur de sa demande », comme le résument la plupart des professionnels interrogés. Et ceci dans

l’idée que la jonction entre offre et demande ne fasse plus l’objet d’une temporalité à durée indéter- minée sur lequel le demandeur n’a aucune prise. Il s’agit au contraire d’encourager le demandeur à se positionner sur un logement, et donc d’obtenir un flux de demande ciblé sur un bien « logement » précis, « laisser faire les circulations » dans l’optique libérale classique donc.

En pratique la location active telle qu’expérimentée en Isère, sur le territoire du Pays Voiron- nais, prévoit qu’une portion du parc, 20% puis 25%, soit retirée des positionnements effectués par les réservataires. Ainsi 1/5 puis ¼ des logements pour lesquels un préavis de départ est reçu par les bailleurs sociaux n’est pas remis à disposition de leurs réservataires, simplement informés. Ils font alors l’objet d’annonces sur des sites internet spécialisés dans le logement et sur le site internet de l’organisme HLM concerné, qui exposent les caractéristiques du logement dont les réservataires avaient habituellement connaissance. Un flux de demandeurs s’adresse alors au bailleur pour se po- sitionner sur le logement. Ce flux est limité en volume, pour garder le caractère ciblé de la facilitation du traitement des demandes. Ce sont donc les X premières demandes arrivées qui seront prises en compte, avant que l’offre ne soit considérée comme susceptible d’être assouvie et donc temporaire- ment mise en retrait, seule forme de « contrôle des circulations » de ce système. Les professionnels contactent à ce moment-là les « prospects », qui se sont positionnés, afin de vérifier leur intérêt pour l’offre évidemment mais aussi leur connaissance du logement social et leur éligibilité. Un tri est alors fait, parmi ceux qui maintiennent leur positionnement et ceux qui retirent leur candidature, triant de

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fait « les bonnes et les mauvaises circulations ». Comme nous venons de le voir, la location active s’adapte parfaitement à la perspective libérale pure, rejoignant le leitmotiv de mobilité dans le parc locatif : « il faut que ça aille perpétuellement d’un point à un autre ». Et si la mobilité crée de la vacance conjoncturelle, elle augmente les chances de louer d’autres logements, donc « les dangers inhérents

à cette circulation en [sont] annulés »222.

Cette liberté appliquée partiellement au flux de demandeurs s’intègre dans une libéralisation de la demande dans le système d’attribution. On peut identifier les prémices de ce changement dès 2010 : un décret223 stipule alors que « toute demande, modification de demande ou renouvellement du dossier pourront être effectués dans l’un des services d’enregistrement ». Pour les professionnels

cela signifie que le suivi permanent du demandeur effectué en théorie par le « guichet référent », seul habilité à modifier à telle ou telle demande, va disparaître. Cette logique d’activation émergente res- ponsabilise le demandeur : en accédant à la possibilité de modifier n’importe-où son dossier le de- mandeur perd ce suivi théorique, qui ne représentait pas un réel accompagnement, et devient unique référent du suivi intégral de sa propre demande. En effet, sans lien de référence avec un professionnel ou une institution identifiée, le demandeur ne dispose pas de contact privilégié avec un interlocuteur en quelque sorte responsable de la qualité de cette demande dont il est gestionnaire. Le professionnel devient récipiendaire de telle ou telle information à un instant T de contact avec le demandeur. Le demandeur lui a le suivi de la demande. Et sans Etoil et son historique, le demandeur aurait été le seul à avoir la vision de l’ensemble de la vie de sa demande. La responsabilisation à l’œuvre va donc s’accroître avec la disparition d’Etoil, donc de l’historique de la demande, renforcée à présent par l’insertion d’une partie de l’offre dans une nouvelle filière d’attribution visant à rendre le demandeur

« actif » ou encore « maître de sa demande ».

Suite à la qualification, voire même à l’enregistrement, de la demande par le professionnel chargé de l’offre publicisée, ce dernier réintègre l’offre et les demandes qui ont été rapprochées dans les pratiques usuelles du système administré d’attribution propre à son organisme HLM. Pour l’orga- nisme HLM B il peut ainsi proposer la visite du logement, ou comme dans le cas de l’organisme HLM A procéder directement à une validation des demandes en CAL. S’appliquent alors les mêmes pla- fonds et critères d’attribution que pour tout demandeur de logement social, toute filière confondue. Et si les demandeurs sont davantage parties prenantes du système, c’est également le cas du profes- sionnel bailleur, qui récolte la charge de la vérification de l’adéquation entre le demandeur positionné et les règles d’attribution du logement social avant le passage en CAL.

Ce système d’attribution est également issu de modèles exogènes au territoire isérois. S’il ne se trouve pas d’exemple d’expérimentations en France sur lesquelles on ait une visibilité, la location active trouve ses racines dans le Choice Based Lettings system, appliqué en Grande-Bretagne, dans lequel il est couplé avec un outil de cotation. Ce système repose sur l’inscription du demandeur de

222 Citations extraites des cours au Collège de France de M. FOUCAULT en 2004, cités par DESJARDINS X., op. cit. 223 Décret n°2010-431 du 29 avril 2010 relatif à la procédure d’enregistrement des demandes de logement social

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logement social dans un fichier partagé. A partir de cette inscription, le demandeur reçoit régulière- ment une information sur les logements qui se libèrent, et il se positionne sur le logement qui l’inté- resse. Avec la particularité que la plupart des logements sont en fait réservés, mais pas par une institution comme dans le système français hérité de l’initiative patronale. Les logements sont réser- vés selon leurs caractéristiques pour un public ciblé, avec des logements destinés aux personnes âgées, aux jeunes, aux personnes à faible revenus. Le demandeur ne peut donc pas se positionner sur n’importe quelle offre. A partir de son positionnement, une sélection est effectuée par un système de cotation, qui attribue le logement au demandeur disposant du maximum de points. Si ce deman- deur refuse le logement, il est attribué à la personne récoltant le plus de points après lui sur la liste.

Le système de location active testé en Isère présente donc des différences avec son modèle, qui peuvent constituer des failles de fonctionnement. Même si ces différences permettent à l’input de s’intégrer dans le système d’attribution français, en s’appuyant sur des éléments de référentiel d’ac- tion propres à ce dernier. En effet la location active dans son fonctionnement est proche des pratiques de commercialisation déjà opérationnelles des bailleurs sociaux appliquées au stock de logements vacants de longue durée. La location active revient essentiellement à appliquer les mêmes pratiques au flux de logement, bien qu’un professionnel souligne qu’il ne faut « pas confondre location active et

location par prospection active. Cette dernière est interne et se cumule avec la location active sans l'être tout à fait. Ces deux systèmes peuvent vivre l'un sans l'autre mais ce serait intéressant qu'il y ait plus d'interaction. »224. C’est pourquoi la location active s’intègre dans le référentiel d’action bien

qu’elle bouleverse de manière évidente le référentiel de représentations de l’attribution.

Car la location active inscrit la dimension de commercialisation du logement, jusqu’alors ré- servée aux logements pour lesquels les professionnels estiment « la personne à qui ce logement

convient est rare. »224, à des attributions sur le flux pour lesquelles on aurait pu aisément trouver un

demandeur. Et ce sont autant de logements qui ne sont plus à disposition des professionnels, notam- ment des réservataires, pour assouvir les demandes urgentes. L’inadéquation avec le référentiel des professionnels communaux paraît plus évidente « Nous on adapte notre fonctionnement à une autre

vision plus simple pour nous, le réservataire c'est lui qui morfle le plus. » 225, mais le même profes-

sionnel bailleur confesse également que « déjà sur les équipes pour ceux qui ont beaucoup d'ancien-

neté et d'expérience c'est du changement. ». Mais dans le même temps, l’outil répond à la probléma-

tique de rivalité inter-bailleurs dans l’attribution. Car libérer la demande leur permet de rivaliser dans la captation de l’offre, en choisissant leurs canaux de diffusion, en mettant en valeur l’annonce dans leurs réseaux ou en adoptant toute stratégie professionnelle leur permettant de séduire le demandeur au détriment d’une offre proche et simultanée d’un autre bailleur social du territoire.

Ces différents facteurs contribuent à expliquer une mise en œuvre quasiment effective du dispositif sur le territoire, avec une multiplication des expérimentations, d’abord limitées au Pays Voi- ronnais et élargies au territoire de la Ville de Grenoble au moment de la fin de l’enquête. Et cette mise

224 Entretien réalisé avec un responsable de l’organisme HLM B, en date du 16 avril 2015

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en œuvre est facilitée par le fait que les réservataires ont peu de moyens de s’opposer réellement à une mise en œuvre sur leur territoire, étant donné qu’empiriquement le bailleur contrôle l’offre, bien que légalement il soit contraint de la remettre à disposition du réservataire.

c) Cotation de la demande, intérêts limités et compromission avec le

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