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c) Le professionnalisme de la proposition, stratégie de prestation de services Le passage en CAL aboutit donc à la formulation ou l’officialisation de la proposition au

demandeur du logement social sur lequel il avait été positionné et qui lui a été attribué. Cette proposition donne lieu à une acceptation ou un refus par le demandeur, motivé ou par non-réponse.

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Pour la plupart des bailleurs, qui fonctionnent comme l’organisme HLM A, c’est là qu’ont lieu la plupart des refus. Pour ceux qui, comme l’organisme HLM B, font visiter le logement systématiquement avant la CAL, la proposition post-CAL donne lieu à un nombre plus restreint de refus.

A ce stade, afin de pouvoir examiner par la suite la place et le rôle du demandeur dans le système d’attribution, il s’agit de caractériser ce que nous avons appelé les « stratégies entrepreneuriales » des bailleurs sociaux. Car les bailleurs semblent développer une forme avancée de culture d’entreprise, avec une distinction flagrante entre les SLB qui parlent de « demandeur », de « gens », de « personnes »et les responsables hiérarchiques qui ont tendance à parler de demandeurs mais aussi de « clients » ou de « prospects »76. Et ce professionnalisme à orientation

commerciale semble relever de stratégies établies pour répondre au phénomène de refus.

En cas de refus du ménage, le bailleur le notifie sur Etoil. L’idée de partager des informations objectives et « professionnelles » dans le fichier départemental est très présente dans le discours des bailleurs. Ce qui relève d’une volonté partagée avec les professionnels communaux de disposer d’une information complète sur la demande. Déjà en 2011, l’analyse de S. GAUME77 montrait que les

représentations des bailleurs vis-à-vis du refus les conduisaient à chercher les moyens de qualifier plus en détail la demande afin d’être en mesure de mieux rapprocher l’offre de la demande. Cette démarche professionnelle semblait alors liée à l’existence de l’outil Etoil, permettant justement la récolte et le partage de cette masse d’information, qui n’est pas automatique. Il arrive d’ailleurs que réservataires ou bailleurs ne s’aperçoivent d’une attribution, ou d’un refus de la part du ménage, que lorsqu’elles cherchent un candidat pour un nouveau logement78.

Ce qui explique qu’en 2015, l’enquête montre que les bailleurs souhaitent davantage agir sur la demande pour la rapprocher de l’offre. En parallèle, ils ont contribué à l’abandon de l’outil Etoil, et la loi a abondé dans le sens de l’action sur la demande par l’accueil et l’information des demandeurs et non plus sur l’offre par un développement quantitatif du parc. L’évolution des représentations stratégiques semble ainsi concomitante avec l’évolution des outils. Le contexte local isérois a, d’une manière ou d’une autre, influé sur les évolutions données à Etoil, mais aussi à la loi puisque les partenaires locaux ont été amplement consultés en vue de la préparation de la loi Alur. Mais on ne peut assurer à ce stade que ce contexte a totalement déterminé ces évolutions. On peut néanmoins supputer un lien réciproque de cause à effet entre les transformations des stratégies de réponse au refus des demandeurs, dépendantes évidemment des représentations de ce refus, et les modifications des outils à disposition des parties prenantes institutionnelles du logement social.

Au-delà de cette corrélation entre stratégies et outils disponibles, il semble que l’optique commerciale était une piste de réponse au phénomène de refus dans les représentations des bailleurs dès 2011. La responsable du service des attributions de l’organisme HLM B expliquait alors que

76 Cf. Annexe 4 aperçu du champ sémantique utilisé par les professionnels lors des entretiens (la fréquence d’utilisation croît

avec la taille relative du mot par rapport aux autres)

77 Op. cit. p. 21

78 Observatoire Social de Lyon, Assistance à Grenoble Alpes Métropole pour réaliser un état des lieux des attributions des logements locatifs sociaux dans l’agglomération grenobloise

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« c’est un point que nous avions laissé de côté parce que, forcément, nous n’en avions pas besoin »79. Bien que les représentations s’inscrivent dans le temps long, nous pouvons observer qu’en

l’espace de quatre ans, la perspective commerciale s’est rapidement concrétisée, du moins pour ce bailleur social. En effet, peu après la réalisation de l’entretien cité cet organisme entamait une démarche de prospection via des petites annonces sur internet pour commercialiser des logements vacants de longue durée. Deux ans plus tard, en 2013, a été créée au sein de cet organisme HLM la « Direction de la commercialisation », et un an plus tard il participait à l’expérimentation du dispositif de location active sur le territoire de la Communauté d’Agglomération du Pays Voironnais. Ainsi que le souligne en 2015 le responsable des attributions de cet organisme, « l’accélération du mécanisme » de manière exponentielle correspond à une intégration particulièrement rapide de la stratégie de commercialisation comme solution apportée au refus des demandeurs et à la vacance.

Pourtant les processus liés aux représentations s’inscrivent usuellement dans le long terme, et non sur un moyen terme aussi rapide. Il peut être intéressant de faire un rapprochement entre cette intégration rapide et certaines données concernant les métiers des bailleurs. Par métier nous entendons « personnes exerçant au sein de l’organisme des tâches spécifiques similaires ». Il s’agit ici de la présence au sein des bailleurs de « chargés/assistants de commercialisation ». Ces personnes effectuent des tâches identiques chez les deux bailleurs et occupent des positions proches dans la structure fonctionnelle de chacun. Il s’agit pour ces professionnels d’effectuer un travail de prospection et d’attraction de nouveaux « clients » en publiant des offres de logement vacants de longue durée ou difficile à commercialiser sur internet. Ces offres attirent des candidats, qu’elles informent de manière générale sur le logement social et l’offre proposée, avant d’instruire leur demande et de la soumettre à la CAL. Dans l’organisme HLM A des « chargées de commercialisation » travaillent en équipe avec les chargées de clientèle, qui font le travail de collecte de la demande et d’instruction des dossiers pour le système administré, et ont un portefeuille territorial peu défini. Tandis que dans l’organisme HLM B un assistant de commercialisation est rattaché à chaque agence pour opérer ce travail d’équipe avec les chargées de clientèle et leur apporter ce soutien de proximité, et quatre personnes relèvent du service « Relations clients », basé au siège alors que l’organisme fonctionne par agences territorialisées, et réalisent une prospection plus proche du travail d’une agence immobilière en tant qu’équipe dédiée, à la recherche de partenariats locaux pour collecter des candidats hors des circuits du système administré : « le plus souvent auprès des

entreprises. On souhaite leur proposer d'être les portevoix de [notre offre] auprès de leurs salariés. Libre à eux de faire les portevoix comme ils l'entendent […]. Ce qui est important c'est que nous ayons des retombées en termes de demande derrière »80.

Les métiers sont différents, mais l’approche stratégique reste la même, et ces missions pré- existaient au sein des organismes HLM avant l’orientation stratégique vers la commercialisation. Et la gestion des logements vacants de longue durée est proche de la question du refus dans les

79 Entretien de mars 2011, utilisé par S. GAUME, op.cit., p.32

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représentations des bailleurs, puisque la vacance est un des critères utilisés pour quantifier le refus. Il semble que leur pré-existence en interne et le parallélisme entre leur mission originelle et les axes de développement stratégiques mis en place par les bailleurs a pu favoriser l’émergence rapide de métiers et d’actions dédiées à la réponse au refus des demandeurs par la commercialisation. Cela expliquerait donc l’évolution des représentations sur le moyen terme et non sur le long terme.

On peut en conclure que les bailleurs sociaux ont développé des pratiques qui s’appuient sur les métiers internes et les outils disponibles dans une perspective commerciale tout en cherchant à améliorer leurs outils de travail par la qualification de la demande et le partage des informations. C’est une optique de service aux usagers qui se distingue du fonctionnement du système administré tel qu’on a pu le décrire à propos des représentations et pratiques des professionnels communaux. Ils cherchent par-là à mettre en place un panel d'offres de service lié à la nécessité de valoriser et louer le patrimoine social dans l’optique de « la qualité de service qu'on nous demande de rendre »81

Cet axe stratégique de qualité de service n’est pas tout à fait détaché du fonctionnement du système administré de gestion de la demande. Il induit une perspective d’évolution vers une stratégie de service rendu aux usagers, mais cette dimension n’est pas encore tout à fait concrète. Dans les représentations des professionnels bailleurs et leurs pratiques on a pu constater que le demandeur/client/prospect reste l’objet d’un service. L’optique de qualité de service est davantage destinée à alléger le travail des professionnels bailleurs dans le traitement de la demande, en optimisant la qualité des outils à leur disposition pour pratiquer l’attribution, ainsi qu’à soutenir l’articulation entre leur travail et celui de leurs partenaires réservataires.

On peut cependant d’ores et déjà distinguer entre les professionnels communaux et les pro- fessionnels bailleurs deux représentations et deux pratiques de ce que peut être le système adminis- tré d’attribution du logement social. Les bailleurs développent des logiques « commerciales » de pres- tation de service de logement social. De leur côté les communes mènent une stratégie de service public du logement social, avec un seul cœur de métier focalisé sur la relation au citoyen-électeur. D’autre part les communes favorisent une gestion du système d’attribution qui se veut « partenariale » quand les bailleurs ont des stratégies de lobbying pour développer les outils locaux leur permettant de poursuivre leurs intérêts.

Cependant aucun des deux ne semblent prendre de manière conséquente la place du deman- deur dans l’enjeu de gestion du rapprochement offre-demande et de l’attribution. Le demandeur est presque une composante du flux d’attribution, un comburant dépendant de la présence du combus- tible « logement » pour déclencher un flux appelé attribution.

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1.3) La place des demandeurs dans l'attribution d'un logement social en

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