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La cotation telle que nous l’avons décrite est un input correctif destiné pour les professionnels à canaliser le phénomène de refus sans forcément y remédier. Bien qu’il dissuade certains refus par l’établissement d’une relation de confiance entre les demandeurs et le système d’attribution, grâce à un effort de transparence et d’objectivité qui leur montre que la proposition est la meilleure possible et donc est acceptable. Et qu’il permette de favoriser une forme de réalisme des demandes en four- nissant au demandeur les informations nécessaires pour évaluer de lui-même l’adéquation entre sa demande et l’offre potentielle.

Cependant l’atout majeur pour les professionnels est l’impact de cet outil sur l’aspect quanti- tatif de la charge de travail liée à la massivité du refus. Car l’automaticité permise par l’outil de cotation leur permet de surmonter la surcharge sans mobiliser de ressources humaines supplémentaires, coû- teuses. Ils peuvent également se dégager d’un certain affect lié au sentiment de sélection dans un stock massif de demandeurs, qui lorsqu’elle aboutit au refus remet en question leur choix initial. Cet affect est lié à leur « solitude déconcertante » face à « l’énorme fichier des demandes » alors que la cotation permet de les « aider à la prise de décision en sortant 20 dossiers » 226. C’est à l’outil de

dégager une sélection moins massive, qui permettra dans le même temps au professionnel de dispo- ser d’une meilleure connaissance de l’ensemble de la demande sélectionnée, et donc de positionner et prioriser en toute connaissance de cause. Tout en subissant néanmoins le sentiment que l’outil cotation pourrait entraver l’équité de l’accès au logement social que leur travail permettait.

Et les critiques de cet input sont d’ores et déjà partagées par les professionnels, qui en règle générale sont conscients que « la limite c'est les candidats qui auront pas accès à l'information, il y a

tout un pan des demandeurs qui peut nous échapper: il faut savoir lire, écrire, gérer cette complexité, déjà t'as pas d'info, internet, téléphone, pas assez rapide... »227. Car si la fracture numérique est le

premier aspect qui vient à l’esprit quand on envisage une diffusion uniquement numérique des offres, qui permet de contrôler l’afflux de demande rattachée à cette offre, d’autres facteurs peuvent handi- caper le demandeur dans son accès à l’offre. Et les professionnels communaux, gestionnaires de la demande, sont particulièrement conscients de leur rôle de médiateur en la matière entre des deman- deurs souvent en précarité financière et/ou sociale, et une offre aux conditions d’accès complexes. D’autre part, les professionnels sont conscients de l’imperfection de la sélection réalisée par l’outil de cotation, même automatisée, qu’ils peuvent désigner comme un « outil de brassage de la pile » qui

226 Entretien réalisé avec le directeur du service Gestion locative de l'organisme HLM A, en date du 18 février 2015 227 Entretien réalisé avec le professionnel communal 1, en date du 19 mai 2015

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« essaye de sortir des priorités. »228. En effet cette sélection peut être arbitraire, aléatoire en langage

informatique, entre des demandes qui présenteront le même nombre de points. Si l’aléatoire est fon- dement suprême de l’égalité, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas nécessairement cette égalité entre les demandeurs qui est le but poursuivi par le logement social.

Ce qui explique que le consensus sur l’utilisation de cet outil ne semble pas être d’actualité. Pourtant dès 2011, l’étude de S. GAUME montrait que les représentations de la nécessité de trans- parence du système et de l’objectivation de l’attribution étaient identifiées comme réponses poten- tielles au refus. Mais la mise en application bute sur la transition entre référentiel de représentations et référentiel d’action. En effet en 2015 les entretiens montrent un désaccord entre professionnels communaux, qui souhaitent voir la cotation s’appliquer au rapprochement offre-demande et des pro- fessionnels bailleurs pour qui la cotation « en amont au sein d'un grand fichier […] serait une dé-

marche administrative »229 pour un outil « fait pour prioriser et traiter à égalité les demandeurs. »229.

L’intérêt des bailleurs en Isère semble alors se limiter à l’allègement du contrôle des attribu- tions, puisque dans leurs discours l’outil amoindrirait les potentialités de remise en question de l’attri- bution effectuée, mais aussi restreindrait les tâches de traitement des dossiers puisqu’il aurait déjà effectué certaines vérifications telles que l’adéquation avec les plafonds de ressources. Tandis que l’intérêt des collectivités serait comme nous le soulignions de simplifier le rapprochement offre-de- mande en cotant les deux membres de l’équation. Et ce tout en objectivant la sélection pour le posi- tionnement et la priorisation qui s’ensuit, désamorçant certaines critiques portées à leur fonctionne- ment propre. D’autant que la cotation, telle que l’applique la ville de Paris, peut être couplée avec leur connaissance des dossiers et donc leurs intérêts de gestion de l’urgence et de proximité, avec un outil de cotation qui ressortirait les 20 dossiers correspondant le plus au logement et parmi lesquels ils pourraient distinguer l’urgence, mieux que dans la masse des milliers de dossiers en Isère.

Et cette divergence dans le référentiel d’action est renforcée par le fait qu’agir dans le cadre du système administré est moins porteur politiquement. L’efficacité de l’outil et son adéquation avec le système en font un instrument de politique publique efficace, qui s’inscrit dans une relative moder- nité du service public. Il peut aussi être amendé dans le sens souhaité par les partenaires locaux, via une modification de l’équation de cotation, qui permet d’intégrer les priorités réactualisées du territoire. Cependant la mise en place d’un tel outil est moins visible, moins novateur parce qu’il est compromis avec le système administré, il ne renverse pas les rapports de force du système et intègre le deman- deur comme partie prenante de l’offre sans lui donner une place de sujet véritable de la demande. Dans les représentations, appliquer un système de cotation revient pour les parties prenantes institu- tionnelles à admettre les critiques portées au système d’attribution et à faire amende honorable en introduisant les modifications réclamées. C’est un input réformiste du système. Tandis que renverser les référentiels véhicule une image, sinon révolutionnaire du moins novatrice, bien plus porteuse.

228 Entretien réalisé avec le responsable des attributions de l'organisme HLM B, en date du 13 mai 2015

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En conséquence, aucune institution n’a suffisamment d’intérêt à prendre le risque d’imposer sa dominance sur le système pour mettre en place la cotation, et donc celle-ci est dépendante des capacités des partenaires à sublimer le référentiel de représentations en référentiel d’action. Et les intérêts partagés à ce consensus étaient trop minces en Isère au moment de l’enquête. Néanmoins l’expérimentation permise par l’article 97 de la loi Alur peut être un facteur déclencheur pour aboutir à un référentiel d’action partagée, puisqu’il va amener les PPGDID à définir les conditions d’expéri- mentations, et donc peut-être amener le support de réflexion adéquat. Néanmoins, si Grenoble Alpes Métropole envisage de lancer une telle expérimentation dans le cadre de son PPGDID, le volonta- risme politique territorial est davantage tourné vers le dispositif de location active.

d) Location active, renversement incontournable du système administré

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