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L’élaboration d’un objet de connaissance partagée est fondée sur une caractérisation du phé- nomène. Selon J-Y. AUTHIER145, on dispose de deux postulats sociologiques concernant les choix

qui pourraient conduire au refus du demandeur. Tout d’abord, sauf exception, un individu ne se limite pas à une seule caractéristique du logement pour arrêter son choix : il tend plutôt à mettre en balance plusieurs critères. Parmi ces critères ressortent la taille du logement, la typologie, sa localisation, dont l’inadéquation avec la proposition ressortent par le motif de refus. La sociologie postule également que les modalités de sélection, comparaison, hiérarchisation et combinaison de ces critères varient selon l’individu, sont socialement différenciés et ne peuvent être connus que par l’observation. Ce postulat corrobore le fait que l’interprétation du refus ne peut être déduite que dans un contexte par- ticulier prenant en compte l’individualité de l’ensemble des membres du ménage demandeur.

L’individualité du choix d’acceptation ou de refus de la proposition est liée au fait que « le

logement n’est pas un bien ordinaire : il est l’objet d’attentes très personnelles, et parfois aussi d’in- quiétudes, de la part de tout demandeur. » et ce « quelles que soient les réalités de l’offre en logement social »146. Cela responsabilise les demandeurs dans le refus en soulignant la vacuité d’une réponse

par un travail sur l’offre. L’axe stratégique pertinent semble alors être le demandeur. Mais cela con- fronte les professionnels au problème soulevé précédemment : l’individualité du phénomène des refus entrave la construction d’une réaction systématique et commune sans avoir construit un référentiel partagé de représentations des refus, donnant lieu à un référentiel d’action. C’est ce travail de cons- truction d’un imaginaire collectif à partir des représentations de chacun que l’on voit s’esquisser à travers l’étude de l’OHL dès 2010. Si elle est peu citée par les professionnels interrogés, la directrice d’agence de l’organisme HLM B explique qu’elle « a permis de dédramatiser pour les professionnels

144 Intervention auprès d’une communauté de communes relatée par un responsable de l’organisme HLM « B »

145 AUTHIER J-Y. (dir.), BONVALET C. (dir.), LEVY J-P. (dir.), CORNUEL D., GRAFMEYER Y., BOTTAI M., SALVATI N., op. cit., p.40

146 Comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable. L’An II du DALO : priorité à la bataille de l’offre. Mobiliser les logements existants. Planifier des objectifs territorialisés de production. 3e rapport annuel, octobre 2009, cité

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le fait que les logements restent vacants alors qu'on parlait tellement de la pression de la demande. […] Ca a aussi permis de rebondir en se disant "comment s'y prendre autrement?" ».

D’ailleurs on peut voir que certaines explications du refus mises en valeur par l’étude ont été réappropriées par les professionnels. Par exemple la temporalité courte de la prise de décision de l’acceptation ou du refus, par rapport à la temporalité indéterminée et souvent indéfinie de l’attente de la proposition. En 2015 les professionnels parlent, eux, d’une temporalité de maturation de la de- mande dans les mentalités des demandeurs, de projet logement suffisamment abouti ou assumé pour aboutir à l’acceptation de la proposition. Avec en contrepoint des demandes « trop », ciblées ou gé- néralistes, ambitieuses ou irréalistes, qui elles aboutiraient à des refus. On constate donc que l’outil de connaissance du phénomène sur le territoire apporté par l’étude de l’OHL n’a pas été adopté tel quel, mais a accompagné et a fourni un cadre à l’évolution de l’appréhension du refus par les profes- sionnels. Et surtout l’étude a fait admettre le phénomène de refus aux professionnels, qui n’est plus dans leurs représentations une remise en cause de leur pratique. Elle leur a permis de se représenter le refus comme relevant d’une inadéquation du système d’attribution avec les nouvelles représenta- tions et pratiques de la demande de logement sociale portées par les demandeurs eux-mêmes.

Les entretiens menés avec les professionnels en 2015 nous permettent, en parallèle des dimensions de l’imaginaire appliquées à la ville par C. TIANO dans sa thèse en 2007147, d’identifier

une dimension idéologique de la représentation du refus. En effet, dans les représentations, le refus est lié à l’état du système logement social, est une critique de ce système. Ce qui revient à extrapoler une volonté collective à partir d’un agrégat de décisions individuelles, afin de pouvoir donner un sens à la massivité de l’input dans le système. Ce processus relève d’une idéologisation du phénomène de refus par 80% des entretiens, qui font une critique du système du logement social en lien avec la question du refus. Cette statistique doit être relativisée car le thème de l’entretien était le phénomène de refus dans le système d’attribution, il paraît donc logique que des critiques émises aient le refus comme support. Mais ces mentions sont spécifiquement orientées sur le système d’attribution, et symptomatiques d’une remise en cause idéologique du système pour lutter contre le refus.

En second lieu, on relève une dimension sémantique du refus, qui correspond à un champ lexical spécifique utilisé par les professionnels pour désigner ou qualifier le refus. Ce champ sémantique comprend le mot « choix » notamment, l’une des occurrences les plus fréquentes dans les entretiens réalisés. Il se réfère au champ lexical du commerce, de l’entreprise, avec des buts et des objectifs. La compilation des mots les plus récurrents de chaque entretien, placée en annexe 4, est particulièrement révélatrice de cette représentation du refus. Et cette dimension sémantique explicite la subjectivité de l’appréhension du refus par les professionnels, animée par une forme de réciprocité ou de catharsis : le professionnel se projette, en tant qu’acteur rationnel maîtrisant le système, sur ce refus et le demandeur.

147 TIANO C., Les fauteurs d’imaginaire. Construction d’un imaginaire et jeu d’acteurs dans les opérations de requalification urbaine Euralille, Euroméditerranée et Neptune

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Les représentations sont issues d’une compilation subjective d’expériences vécues directement ou indirectement, prolongée par une réflexion individuelle et partagée des professionnels. C’est donc une interprétation du refus selon le rapport entre professionnel et demandeur, selon les débats au sujet de sa demande, la motivation du refus au sein du reste du discours du demandeur, etc. Elle donne lieu à un jugement en légitimation, caractérisé par un seuil hétérogène de tolérance au refus. Ce jugement semble reposer sur la projection du professionnel sur le demandeur et sa représentation du logement social « on sait que c'est difficile »148, « des refus de familles en grande difficulté qui ont refusé des logements dans des immeubles où vivaient des salariés de [notre organisme HLM], ces derniers ne comprennent pas le refus car eux y habitent. Ils savent donc que c'est bien, d'où un refus jugé incompréhensible. » 149

Les deux variables de l’appréhension du refus que l’on peut identifier chez les professionnels qui impactent sur la représentation de chaque refus individuel, reposent sur ce jugement en légitimation et sur la disponibilité d’une offre similaire :

Tableau 1 Traitement différencié de la demande

Légitimité du motif de refus Illégitimité du motif de refus Disponibilité d’une offre

correspondant mieux à la demande

Proposition immédiate (réorientation commerciale, vision du prospect)

Proposition relative (le refus pondèrera la priorité face à d’autres demandes)

Indisponibilité d’une offre correspondant mieux à la demande

Liste d’attente (de demandeurs pour lesquels le professionnel travaille à

une proposition)

Pénalisation de la demande (exclusion temporaire de la filière du système

d’attribution)

L’impératif gestionnaire pondère donc la prise en compte du refus, « le but c’est qu’ils

louent »150. Mais surtout, les professionnels bailleurs renvoient quasi-systématiquement la prise en compte du refus aux réservataires « nous on gère une pile de logements, pas de demandeurs ». Donc les professionnels bailleurs interagissent avec le refus, mais le comprennent comme un phénomène qui touche le réservataire. Et c’est cette dynamique qui sous-tend la stratégie commerciale : en re- portant cette responsabilité sur les réservataires, les bailleurs sociaux s’inscrivent dans une logique de gestionnaires de logement quand les réservataires sont associés au traitement de la demande. C’est cette même logique de subsidiarité que l’on retrouve dans le discours des professionnels com- munaux, qui rejettent la responsabilité de la qualité de l’offre sur les bailleurs. Cette subsidiarité dans les représentations est pourtant moins évidente dans la répartition des compétences au sein du sys- tème global du logement social. Pour mémoire, l’enregistrement de la demande revient légalement aux bailleurs sociaux, tandis que le contingent de réservation est fondé sur une participation des titulaires à la construction du groupe de logements, lesquels peuvent également agir sur l’environne- ment des logements sociaux, par le développement de services, de réseaux de transport etc…

148 Entretien réalisé avec la responsable des attributions de l'organisme HLM A, en date du 30 mars 2015 149 Entretien réalisé avec le directeur du service Gestion locative de l'organisme HLM B, en date du 4 février 2015 150 Entretien réalisé avec la chargée de commercialisation de l'organisme HLM A, en date du 6 mars 2015

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Et comme ce sont les bailleurs sociaux qui détiennent l’information systématique du refus, les professionnels communaux ne peuvent être tenus pour seuls responsables du traitement du refus. C’est pourquoi 67% des entretiens font mention de l’importance de la trace partagée du refus, alors qu’en 2011151 les bailleurs faisaient part du poids de la saisine du refus, bien que d’ores et déjà les

chargées de commercialisation s’étaient emparées de l’outil que représente la traçabilité du refus. Le progrès dans la qualification du refus et le partage de cette information par les bailleurs, initialement venu des chargées de commercialisation, est aujourd’hui indispensable dans les représentations. Mais les professionnels communaux, en contact de proximité avec le demandeur, sont en position de recueillir un discours différent du demandeur sur le refus, notamment de demandeurs qui soutiennent avoir notifié et motivé un refus que le bailleur affirme avoir été fait par non-réponse152. Ils ont donc un

regard complémentaire sur la qualification du refus, qui constitue un atout dans leur traitement de la demande. On peut supposer que pour des raisons stratégiques, ou grâce à des liens de proximité, les communes recueillent une information plus fidèle sur le refus, bien que moins systématique.

En l’absence d’outil permettant de comprendre et catégoriser le refus dans sa globalité, le traitement individualisé des refus, dans une approche compréhensive mais par conséquent subjective, demeure la pratique majoritaire sur le territoire. En l’absence de règles collectives, un cadre d’interprétation partagé semble tout de même avoir commencé à émerger, favorisant une prise en compte moins affective du refus par les professionnels dans leurs pratiques, et une tolérance accrue au refus des demandeurs. Ils semblent avoir appris à travailler avec le refus, et construit des catégories de refusants de plus en plus similaires. La maturation du référentiel de représentations reste cependant à examiner pour déterminer son potentiel en termes de référentiel d’action.

c) Les institutions du logement social face au refus, confluences et

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