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Partie 2: La traduction des titres de presse économique : analyse empirique

1. La spécificité du langage économique

1.3. La spécificité pratique

1.3. La spécificité pratique

1.3.1. Une langue économique vivante

Le discours de presse économique de vulgarisation, qui fait l’objet de notre étude, a une typologie particulière. C’est en effet une langue technique mais aussi une langue très vivante. C’est une langue où foisonnent les collocations, les passe-partout, les termes polysémiques et les néologismes. Toutefois, la caractéristique la plus marquante reste l’humanisation du discours économique. Rappelons aussi que tout langage est un acte énonciatif illocutoire. Il comprend une proposition qui engage deux actants : le locuteur qui émet l’énonciation et le récepteur qui doit l’interpréter. La langue économique n’est pas différente de tout autre acte de parole. En s’adressant à la masse, la presse économique a une obligation de vulgarisation du contenu discursif et donc d’explicitation des termes techniques qui peuvent sembler opaques aux non-initiés.

En outre, le discours économique est aussi imprégné de caractéristiques langagières du discours de la langue générale : il détourne certains dictons. Il a recours aux métaphores et aux emprunts à d’autres registres tels que le vocabulaire martial (faire la guerre à la

dette, assujettissement aux impôts, l’Euro continue d’être attaqué), le vocabulaire médical (marché en pleine convalescence, rechute des cours de pétrole), météorologique (embellie de la conjoncture économique, avis de tempête sur les marchés d’actions), mécanique (la régulation économique internationale en panne, relancer une économie grippée), de navigation (le secteur du bâtiment prend l’eau, le secteur bancaire a le vent en poupe). En ce sens, le vocabulaire économique est chargé d’émotions. La spéculation boursière, considérée comme un jeu, fait allusion au vocabulaire spécifique du divertissement en employant couramment les expressions jouer en bourse, jouer les OPA, jouer à la hausse, jouer à la baisse, jouer le redressement... Le spéculateur est mû par les sentiments de cupidité (empocher ses bénéfices, capitaliser sur ses gains, surfer sur la hausse) et de crainte (mettre ses bénéfices à l’abri, encaisser ses pertes…). Les personnifications sont également nombreuses dans les commentaires que font les analystes financiers des graphiques montrant l’évolution des cours : la valeur se reprend, la moyenne mobile s’est retournée à la baisse, le support des 40 a été cassé, la tendance s’affaiblit, la bourse plonge, la bourse pique du nez...

Le vocabulaire financier est aussi basé sur la statistique: bénéfice en hausse/baisse/stable, accroissement/tassement des profits/marges, progression de l’activité à l’international, croissance faible/soutenue en début/fin d’exercice… taux de chômage, heures travaillées, création nette d’emplois, dépenses de consommation des ménages, taux d’épargne des ménages, revenu des ménages, ventes de détail, commandes des biens durables… Il a souvent recours aux dictons : acheter au son du canon et vendre au son du violon, comme acheter dans une conjoncture défavorable à la société qui vend et vendre dans le cas inverse. Il est doté d’une valeur visuelle qui décrit des formes et des courbes ou qui fait appel aux verbes de mouvement : un plancher est en train de se former, l’effet balançoire, un tunnel de consolidation, le cours a bondi de 15%, le secteur s’est écroulé en avril, la valeur s’est repliée de 2% à la clôture du Dow Jones, les taux longs se tendent.

D’autre part, les emprunts envahissent la langue économique du fait de la domination anglo-saxonne sur l’économie mondiale. Ces emprunts sont utilisés côte à côte avec leurs correspondants français tel que naked short ou vente à découvert ou dans les titres tels que « Ed, trop cheap et pas assez discount » pour raison de pragmatisme communicationnel plutôt que de sensibilité linguistique. En outre, la prescription de jeune

pousse ou options sur titres n’a jamais pu imposer ces termes vu la dominance que leurs équivalents anglais exercent au sein de la langue française. De ce fait, nous remarquons la grande fréquence de start-up et de stock options face à des équivalents qui s’effacent plutôt que de leur faire résistance. Le langage économique a également recours aux jeux de mots auxquels nous consacrons ultérieurement une partie extensive.

1.3.2. Une langue économique humanisée

Une caractéristique très particulière de la langue économique est son humanisation, moyennant le recours à des personnifications. En effet, la langue économique laisse libre cours à la représentation de ses actants non-humains sous des traits humains, démontrant ainsi sa nature vivante et dynamique. Ainsi, « le taux de chômage s’envole, reprend son ascension, ralentit ». Le traducteur, conscient de l’efficacité de cette manœuvre, œuvre à reproduire le même effet humanisant en transposant les figures de styles. Cette tendance à l’humanisation des actants économiques et l’effort que le traducteur exerce en vue de conserver ces figures de style sont concrétisés dans les exemples, indicatifs mais non exhaustifs, que nous avons prélevés et présentés ci-dessous.

(Capital, 24 décembre 2008)

Le taux de chômage s’envole → Unemployment rate flies

La croissance est affectée par le repli des matières premières → Growth affected by raw material fallback

L’inflation s’emballe et pénalise la consommation → Inflation lashing at consumer’s power CAC 40 : sursaut de la bourse → CAC 40 shivers

Rebond de l’Euro → The Euro bounces L’once départ à la hausse → Gold takes off

Cuivre : dégringolade des cours → Copper collapses

Le chômage a repris son ascension → Unemployment resumes its hike La consommation a piqué du nez → Nose dip for consumption

La production industrielle s’est tassée → A shrinking industry (Capital, 1er février 2010)

Les revenus des agriculteurs s’effondrent en Europe→ Farmers’ revenues collapse in Europe Les prix au détail grimpent → Retail prices climb

L’emploi recule à nouveau → A further step back for unemployment La production redémarre → Production starts up

Les exportations décollent → Exports take off Euro-dollar: l’euro reflue → Euro steps back

CAC 40: début d’année en fanfare → CAC 40 starting the year with a bang Pétrole: nouvelle surchauffe → Oil overheating again

Aluminium: fort rebond→ Aluminum strong rebound

La hausse du chômage a ralenti → Unemployment slows down Les prix au détail ont stagné → Sluggish retail prices

Le solde commercial s’est encore dégradé → A further decline for trade balance L’Euro s’enfonce → A sinking Euro

CAC 40 : l’indice piétine → A struggling CAC 40 Pétrole : le baril hésite → A reluctant oil barril

Or : l’once retrouve les sommets → Gold recovers its peaks Cacao : la fève casse la baraque → Cocoa, the bean makes a hit

Le secteur industriel plonge dans les abysses → Industry takes a deep dip La consommation s’est rétractée → Consumption pulls back

(Capital, 24 janvier 2009)

Le chômage monte en flèche → Unemployment shoots up Le secteur industriel est en berne → Industry in mourning

Le recul des exportations freine la croissance → Export decline freezes growth La production industrielle est en train de flancher → Industry losing heart Les prix au détail ont encore reculé → A further decline for retail prices La consommation fait de la résistance → Consumption stands firm L’autofinancement a encore diminué → Cash flow receding further (L’Expansion, 17 janvier 2010)

Un marché élitiste et exigeant → A selective and demanding market

10ème arrondissement, un changement de visage qui séduit → 10th district, an appealing facelift

Le marché déboussolé → A disoriented market

Charenton-le-pont : Redémarrage en trombe → Charenton-le-pont starting up in haste (Capital, 1er octobre 2009)

L’emploi reste très déprimé → Depression over employment L’économie sort enfin de la récession → Economy out of the woods Le dollar dévisse → The dollar loosens up

L’once bat des records → Gold breaking all records Pétrole : fléchissement du baril → A sagging oil barril

CAC 40 : le rebond se confirme → CAC 40, a confirmed rebound Les prix au détail ont joué au yo-yo → Retail prices playing yo-yo La production industrielle a stagné → Sluggish industry

(L’Expansion, 23 septembre 2009)

Caoutchouc: à l’eau → Rubber takes a dip

Habillement cuir : à l’agonie → Leatherwear in agony Réveil des exportations → The rise of exports

Rebond de l’épargne → Savings rebound

La spéculation profite à l’or → Speculation benefits gold L’euro résiste → Euro stands firm

CAC 40 : toujours optimiste → CAC 40 ever buoyant Or: de record en record → Gold building up records Cuivre : une santé de fer → Copper made of iron

1.3.3. Une langue économique vulgarisée

La vulgarisation est la production d’énoncés paraphrastiques, donc d’énoncés affectés métalinguistiquement. De ce fait, le discours de vulgarisation s’oppose au discours

technique, scientifique ou pédagogique. Marie-Françoise Mortureux fait référence au discours de vulgarisation scientifique en mettant l’accent sur les processus discursifs engagés notamment au niveau de la sémantique. « L’observation de la relation sémantique qui unit les segments mis en relation de paraphrase dans le discours caractérise l’activité discursive de la vulgarisation, en faisant apparaître les glissements qu’elle introduit ; car les

“équivalents” proposés aux termes scientifiques ne peuvent, par définition, leur être sémantiquement identiques à tous points de vue » (Mortureux, 1982, p. 48). Toutefois, le discours économique qui fait l’objet de notre étude se vulgarise au niveau linguistique, structurel et non au niveau de la sémiotique. C’est par l’explicitation des termes impénétrables aux non-initiés que la langue économique devient accessible autant que par son dynamisme et sa vitalité.

En évoquant la diffusion de connaissances par un discours second, Jacqueline Authier considère la vulgarisation comme une « activité de diffusion, vers l’extérieur, de connaissances scientifiques déjà produites et circulant à l’intérieur d’une communauté plus restreinte » (Authier, 1982, p. 34). Cette diffusion de la connaissance a pour objectif d’empêcher une « rupture culturelle » entre les élites initiées et la communauté des non-initiés. Cette vulgarisation s’effectue par le biais d’une reformulation, de contraction ou d’adaptation. Il s’agit bien entendu de certaines substitutions, additions ou même suppressions de notions trop opaques. Au niveau linguistique, il s’agit aussi de l’intégration de questions, de l’utilisation des adverbes et d’un langage imagé. Explicitement, c’est un processus de « rapprochement ou d’unification des deux discours par l’abaissement de l’un ou l’enrichissement de l’autre » (ibid., p. 42).

En tout état de cause, comme notre étude ne fait pas état d’analyse comparative entre un texte de haute technicité et sa reproduction vulgarisée mais plutôt des procédés de traduction d’un texte rédigé à l’origine pour les non-initiés, nous avons jugé inutile de dresser des tableaux comparatifs des deux discours. Il s’agit pour nous de reproduire une vulgarisation par une autre, de même qu’une paraphrastique et un métalangage par leurs équivalents dans une autre langue. La technicité est préservée car elle s’extériorise dans la terminologie économique des textes de départ que nous conservons par des correspondances adéquates dans la version traduite. Ainsi, il ne s’agirait pas de réduire le sémantisme ni l’effet de la stylistique – objet de notre étude – mais de communiquer le

message linguistique et métalinguistique dans une entité sémantiquement et stylistiquement équivalente à celle du discours initial84.