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Partie 2: La traduction des titres de presse économique : analyse empirique

2. La spécificité des titres de presse

2.3. La fonction des titres

Les titres de presse font appel à une audience plus large que celle qui consulte les articles de presse. La plupart des lecteurs ne jettent, en effet, que quelques coups d’œil rapides sur la titraille sans s’attarder sur le contenu des articles qui suivent. L’effet que les titres exercent sur les lecteurs est encore plus important d’autant plus que certaines caractéristiques linguistiques rendent les titres mémorables et efficaces, et plus adapté à atteindre l’objectif des rédacteurs : captiver le lecteur et l’amener à continuer la lecture.

Pour réaliser cet objectif, les rédacteurs usent des procédés linguistiques variés : jeu de mots, allitération, choix d’un lexique émotif et bien d’autres procédés rhétoriques. Leur impact réside aussi dans leur capacité à orienter l’interprétation qu’ont les lecteurs de certains faits.

99 La segmentation dans les exemples cités ci-dessous est verticale à double syllabes pour le français et syntaxique nominale parallèle pour l’anglais.

100 Dans les exemples cités ci-dessous, la segmentation affecte les syntagmes nominaux pour le français et l’anglais.

101 Le premier exemple cité ci-dessous fait état d’identification phonologique entre marche/marché, alors que le deuxième exemple d’une allitération phonologique paronymique entre boom/doom.

Il faut, par ailleurs, signaler que les titres sont des entités indépendantes ne jouissant d’aucun support explicatif ou définitoire. Ils revendiquent, en effet, une certaine autonomie par rapport au texte, du fait qu’ils rendent son contenu prévisible sans que le lecteur s’engage dans la lecture. Ils sont aussi une source riche d’informations culturelles. De ce fait, ils présupposent l’existence d’une connaissance extralinguistique qui est supposée aider le lecteur à identifier les jeux de mots, les références historiques et les références culturelles, ou à saisir le sens des expressions figées. En conséquent, un décodage s’impose à tout lecteur qui désire comprendre les titres.

Dans la partie qui suit, nous allons procéder à une analyse approfondie des titres au niveau de la rhétorique. Mais préalablement, il est pertinent de rappeler qu’il existe quatre catégories de titres qui remplissent des fonctions différentes :

 Les titres informatifs qui annoncent le sujet et répondent aux questions de référence : quoi, qui, quand, comment, où dans un style neutre.

Abu Dhabi, la ville la plus riche au monde (Capital) Darling warns of economic crisis (www.news.bbc.co.uk)

 Les titres interpellateurs qui ont une fonction phatique qui cherche à mettre le lecteur en situation en simulant une conversation à deux.

Développement durable

Où en est la France ?102 (Alternatives Economiques) Your money – tax and two jobs103 (bbc.co.uk)

 Les titres appellatifs (ou incitatifs) qui emploient des procédés stylistiques variés pour accrocher l’attention du lecteur.

Comment Danone transforme le yaourt en or104 (Capital) American Housing

Ticking time bomb105 (The Economist)

102 L’interrogation suscite la curiosité du lecteur et l’incite à en savoir davantage sur l’engagement de la France dans le développement durable et ses progrès dans le domaine.

103 L’adjectif possessif interpellateur met l’accent sur les taxes que le citoyen britannique doit payer du fait qu’il est obligé d’avoir un double emploi pour joindre les deux bouts.

104 La métaphore hyperbolique suggère que Danone est miraculeusement en train de transformer sa production laitière en une opération de haute rentabilité vu la demande accrue du marché chinois. En effet, c’est l’antithèse qui oppose yaourt à or qui évoque un paradoxe assez stimulant pour le lecteur.

 Les titres émotifs (ou expressifs) qui véhiculent les émotions ou points de vue de l’auteur à l’égard des sujets traités. L’accroche du lecteur est réalisée par des stratégies qui ne diffèrent pas pour autant de celles qu’on emploie dans les titres incitatifs : l’usage des allusions, analogies, métaphores, ou des détournements des titres d’œuvres artistiques, des allitérations, des comparaisons…

Bonne nouvelle, la fin du monde est pour demain (Capital) Alcatel-Lucent

Goobye and adieu (The Economist)

Toutefois, ce sont les jeux de mots qui exercent l’effet le plus marquant dans les titres. En effet, ils constituent une stratégie qui s’oppose à l’emploi référentiel des mots. Le jeu de mots comporte, en effet, deux sens : un sens exposé et un sens imposé. Cela veut dire que les mots environnants manifestent un sens contextuel, mais le contexte paradigmatique en impose un autre, d’où la spontanéité du sens dans le contexte syntagmatique et l’avancement d’un tout autre dans le contexte paradigmatique. Nous analyserons l’effet des jeux de mots dans une partie ultérieure.

Rappelons que le rôle du titre est d’accrocher le lecteur. Pour atteindre cet objectif, l’énonciateur peut faire appel à des registres à visée émotive ou intellectuelle. Afin de comprendre les différentes insinuations des titres, considérons les exemples référentiels suivants, notamment ceux qui portent des connotations culturelles :

Reebok, une épine dans le pied d’Adidas106 (Capital)

Le spectre des grandes grèves de décembre 1995 devrait adoucir Sarkozy107 (Capital) Make love – and war108 (www.economist.com)

International banking

105 Cet exemple, qui compare la crise de l’immobilier aux États-Unis à une bombe à retardement, constitue une syllepse sémantique pertinente pour l’accroche.

106 En faisant référence culturelle à Achille, héros de la mythologie grecque, réputé pour son talon vulnérable, le titre fait allusion aux ennuis créés par Reebok suite à son rachat par Adidas. L’acquisition de Reebok par Adidas, ayant été un échec, va rendre ce dernier vulnérable dans un marché compétitif.

107 Cet exemple fait référence aux grèves historiques de décembre 1995 qui avaient eu une telle ampleur dans le secteur privé et public en poussant le gouvernement à retirer les réformes qu’il avait annoncées, d’où l’allusion à des manifestations semblables à celles de 1995 si Sarkozy maintenait sa position sur les réformes qu’il voulait mener.

108 Le titre fait référence culturelle au célèbre slogan des hippies des années 70 qui postulait une idéologie de la non-violence, mais qui, dans le contexte de la titraille, se fait antithétique et laisse croire à la nécessité de la coopération en dépit de la conjoncture économique mondiale où une féroce concurrence déchirent les compagnies rivales.

Paradise lost109 (The Economist)

A tale of two bubbles110 (www.economist.com)

Par ailleurs, le journaliste peut aussi recourir aux citations. L’autorité des citations accorde plus de validité à l’énoncé, perçu par le lecteur comme étant une référence crédible et non la simple opinion du titreur. C’est pour cela que le français, de même que l’anglais, a recours à des citations à chaque fois qu’un report d’énoncé formel ou de nature péremptoire fait l’objet du titre. Les citations peuvent être directes, utilisant les guillemets doubles en français et simples en anglais ou par l’introduction des deux points en absence des guillemets111.

« Pour relancer l’Europe, fusionnons la France et l’Allemagne » 112(Capital) Buffet: We’re still in a recession 113(cnnmoney.com)