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Partie 2: La traduction des titres de presse économique : analyse empirique

2. La spécificité des titres de presse

2.2. La forme des titres de presse

Bien que notre intérêt soit porté vers les caractéristiques fonctionnelles des titres de la presse économique de vulgarisation (y compris les surtitres et sous-titres), il est pertinent, avant de procéder à une analyse plus élaborée, de noter les caractéristiques linguistiques suivantes au niveau de la forme des titres :

 En premier lieu, il faut signaler que les titres sont des éléments qui participent à la structuration des textes qui les suivent. Ils ont une « dimension visuelle » qui distingue leur statut de celui du texte. Selon Josette Rebeyrolle, cette différence

« est d’abord dispositionnelle puisque le titre apparaît sur une ligne indépendante du texte et ensuite typographique car le titre porte une mise en forme matérielle distincte de celle qui affecte le texte lui-même » (Rebeyrolle, 2003, p. 2).

 Les titres varient en longueur. Certains sont très concis, tandis que d’autres sont formés de phrases complètes86.

L’ellipse du S+V dans les structures impersonnelles de il y a en français et there is/are en anglais est dominante. Pour illustrer, considérons :

 De la viande en circuit court (L’Entreprise, 4 janvier 2010)

No jobs for the boys (www.economist.com)

La suppression du verbe être est très fréquente. Pour illustrer, considérons :  Zone euro : l’inflation conforme aux objectifs (Euronews, 16 août 2010)

 L’omission des articles est caractéristique de l’anglais mais inadmissible en français.

Dans un cas très précis, le français admet l’omission d’un article devant un nominal qui est l’énoncé du titre. Considérons :

 Bug de l’an 2010 : alertez les banquiers ! (L’Entreprise, 4 janvier 2010)

 Sur le plan lexical, le français comme l’anglais manifeste une désertion de certaines parties du discours telles que les adjectifs et les adverbes87. Les mots outils prennent la relève. L’anglais mise plutôt sur les particules incontournables telles que les prépositions et les participes passés. Considérons :

86 La tendance de produire des phrases complètes est plus fréquente dans la presse française que dans la presse anglaise qui manifeste une préférence pour les phrases elliptiques avec l’omission des articles, des particules, des verbes, sans entorse à la syntaxe.

87 Dans certains cas rares, les adverbes sont présents : Des déficits durablement élevés (L’Expansion, 25 août 2009).

 La méthode des couleurs pour booster vos ventes (L’Entreprise, 4 janvier 2010)

Homeowners stranded by Mortgage Mayhem (www.newsweek.com)

 Les adjectifs, lorsqu’ils sont utilisés, dénotent soit une appartenance connotative soit une imagerie affective. Considérons :

 Des financiers trop hardis88 (L’Expansion, 21 octobre 2009)

 Petit rebond américain en 201089 (L’Expansion, 21 octobre 2009)

 L’insatiable fièvre de L’ART 90(L’Expansion, 1er juillet 2009)

 Une politique industrielle encore balbutiante91 (L’Expansion, 25 août 2009)

 Outre les mots outils, les deux langues manifestent une forte propension à utiliser les unités nominales et les unités verbales. L’omniprésence des substantifs et des verbes d’action et la fréquence des ellipses, notamment en anglais, confirment la spécificité des titres, bien qu’une prépondérance des substantifs en français soit aussi à noter. Considérons :

Les stars du marché des produits dérivés (L’Expansion, 25 août 2009)

 Alléger les formalités en Bourse (L’Entreprise, 19 juin 2009)

 La ponctuation est presque absente des titres de presse économique. Elle est plus visible en français qu’en anglais. Lorsqu’elle est utilisée, elle se limite à la virgule, aux deux points, ou au point d’exclamation ou au point d’interrogation à effet affectif.

Les guillemets, quant à eux, sont utilisés pour présenter des citations et rendre un effet d’authenticité. Également utilisés pour mettre l’accent sur le thème ou sur le locuteur d’une déclaration ou simplement à des fins elliptiques, les surtitres peuvent être préférés aux deux points. Quant à leur fonction syntaxique, les deux points peuvent indiquer soit un complément circonstanciel, soit une relation de cause à effet, soit une déclaration directe. Notons les différentes fonctions de la ponctuation dans ces différents exemples :

88 La connotation de l’adjectif hardis est suggestive de l’excès des risques que les financiers prennent en dépit de la conjoncture économique difficile.

89 La connotation de l’adjectif petit est suggestive de la faiblesse de la reprise économique américaine.

90 La connotation de l’adjectif insatiable est affective vu la ferveur que manifeste la société française envers le domaine de l’art. Le chapeau cite : « Les expos ne désemplissent pas, les ventes aux enchères résistent mieux que les Bourses au krach et, partout, des musées sortent de terre. Et si le beau était l’antidote à la crise? »

91 La connotation de l’adjectif balbutiante fait référence à la défaillance de la politique industrielle développée par le gouvernement.

– L’utilisation de la virgule pour mettre les noms propres en apposition explicative :

Georges Frêche, despote bien-aimé (L’Expansion, 25 février 2010)

– L’utilisation de la virgule pour démarquer l’introductif circonstanciel de lieu : À Belfast, Titanic veut dire espoir (L’Expansion, 25 février 2010)

– L’utilisation de la virgule pour introduire une nouvelle idée et les deux points pour mettre en relief le nominal thématique et le rattacher à son rhème :

Laurence Parisot : son bilan, et ce qu’elle en dit (L’Expansion, 25 février 2010) – L’utilisation des deux points pour rattacher un thème et un rhème qui

dénotent un sens réversible :

Solaire : gare aux arnaques (L’Expansion, 25 février 2010)

– L’utilisation du point d’interrogation pour inciter à considérer les raisons du propos :

Faut-il bannir le thon de sa table ? (L’Expansion, 25 février 2010)

– L’utilisation des guillemets pour démarquer un terme dont la dénotation est réduite au contexte où il apparaît.

Des « monovilles » frappées par la crise92 (L’Expansion, 25 février 2010)

– L’utilisation des deux points pour complémenter le sens et des guillemets pour signaler l’adoption d’une expression étrangère :

Développement durable : Cap sur la « Green attitude » (L’Expansion, 21 octobre 2009)

– L’utilisation des guillemets pour rapporter un énoncé dont le locuteur est identifié à posteriori :

« La France, c’est l’avenir » : le patron de Cisco déclare sa flamme aux start-up françaises (lexpansion.lexpress.fr)

– L’utilisation des deux points pour introduire un appositif circonstanciel au substantif :

Letter from China: where the consumer is queen (cnnmoney.com, 19 août 2010) – L’utilisation des guillemets pour signaler la double signification d’un terme:

“Smart” solar panels relay data (cnnmoney.com, 19 août 2010)

– L’utilisation du point d’exclamation pour marquer un énoncé alarmiste :

92 Les « monovilles » sont des villes Russes à activité industrielle unique.

Scam alert! Investment cons to watch out for now (cnnmoney.com, 19 août 2010)

– L’utilisation du point d’exclamation pour marquer la surprise : American Airlines adds another fee! (cnnmoney.com, 19 août 2010)

– L’utilisation des guillemets pour se distancer du qualificatif et marquer un effet d’imprévisibilité :

“Reclusive” North Korea launches on Twitter (bbc.co.uk, 19 août 2010)

En faisant le point sur les caractéristiques linguistiques des titres de la presse économique, la première interrogation qui nous vient à l’esprit est la possibilité d’avoir les mêmes caractéristiques dans les titres des deux langues, en l’occurrence le français et l’anglais.

Il ressort de tout ce qui précède que les titres de la presse économique destinée à la vulgarisation, constitués de segments plus ou moins courts, projettent des entités sémantiques complètes. Cependant, en dépit de leur intégralité sémantique, leurs configurations montrent certaines variations dans les deux langues. Les titres français, par exemple, renferment des syntaxes plus développées que celles des rubriques anglaises.

L’anglais qui se veut concis ne cherche pas à dérouler des syntagmes longs, d’où des titres formés de segments plutôt courts mais qui renfermeraient néanmoins un sens aussi complet que celui des titres français. Pour ne citer que quelques exemples de phrases complètes dans les titres français, considérons les suivants :

 Enoncés indépendants juxtaposés :

La famille Halley se déchire, Bernard Arnault en profite (Capital)

 Structure bipartie : titre introductif suivi d’interrogatif explicatif : Commerce en ligne : Comment livrer et à quel prix ? (L’Entreprise)

 Citation d’un énoncé introductif d’un terme amplifié :

L’entreprise et l’artiste ont un point commun : la passion (L’Entreprise)

 Enoncé à modalité interrogative :

La méthode Sarkozy fera-t-elle plier les syndicats ? (Capital)

 Enoncé attributif mettant l’emphase sur le sujet moyennant le pronom démonstratif :

Devenir patron, cela s’apprend (L’Entreprise)

 Enoncé simple à introduction anaphorique :

Ses avions biplaces en carbone ont déjà séduits 20 clients (Capital)

 Enoncé complexe conditionnel / impératif :

Pour que votre entreprise vogue vite et bien fixer un vrai cap pour l’année 2007 (L’Entreprise)

 Enoncé impératif incitatif :

Mettez-vous à table chez les vignerons (Capital)

Toutes ces structures syntaxiques forment des syntagmes complets. Ceci est rarement le cas en anglais qui préfère des structures plus concises mais qui se distinguent par une bisegmentation verticale. Pour ne citer que quelques-uns, considérons les exemples anglais suivants :

 Attributs sur axe syntagmatique nominal : German business

Unfair and amateurish (The Economist)

 Syntagme prépositionnel sur axe syntagmatique nominal : Brazilian airlines

In the driving seat (The Economist)

 Syntagme participial sur axe syntagmatique nominal : General motors

Rising in the East (The Economist)

 Syntagme nominal au modifiant nominal : Cash Cow (Time)

 Syntagme prépositionnel elliptique : The euro zone’s economies

Strength to strength (The Economist)

 Syntagme nominal à résonance homophonique : The pain in Spain (The Economist)

 Enoncé à modalité impérative :

Don’t call it vanity press (The Economist)

 Enoncé à modalité interrogative : Has Sony got game? (Time)

La typologie des titres cités ci-dessus et repérés dans des rubriques économiques anglaises n’est ni restrictive ni exhaustive. La syntagmatique nominale est bien sûr plus fréquente dans les titres anglais. En effet, Hoek précise la stylistique elliptique et nominale

du titre. « Les éléments verbaux sont en général supprimés au profit quantitatif des éléments nominaux » (Hoek, 1981, p. 54). Toutefois, cette particularité existe aussi dans des rubriques françaises où les titres peuvent être plus ou moins concis et similaires dans leur composition syntaxique aux titres des rubriques anglaises qu’on vient d’examiner. Pour illustrer, considérons :

Les noces de plomb de Pronuptia (Capital) Reebok, une épine dans le pied d’Adidas (Capital) Petits bonbons, gros business (Capital)

Les vols à La Poste, un secret bien gardé (Capital)

De par leur particularité linguistique, les titres de presse économique se distinguent par des spécificités inaltérables. Leur typologie sur le plan syntaxique et syntagmatique témoigne de cette particularité. Une conséquence évidente de leurs caractéristiques serait une économie syntagmatique, et de là des structures grammaticales émoussées, dépourvues d’unités sémantiques sans substance qui ne seraient déployées que pour éviter l’ambiguïté. Les syntagmes verbaux et nominaux des titres sont aussi des caractéristiques qui les distinguent des phrases complètes. En effet, ce sont les exigences fonctionnelles des titres qui dictent la syntaxe et syntagme à adopter. Examinons les exemples suivants qui reflètent les caractéristiques des syntagmes verbaux :

 L’omission de la copule verbale, en l’occurrence l’auxiliaire être, dans les phrases actives ou passives est fréquente aussi bien en français qu’en anglais93.

Les États-Unis sur le fil du rasoir (L’Expansion)

Bernanke: Financial storm not yet over (cnnmoney.com)

 L’omission de l’agent dans la phrase passive dans les deux langues94 : Des réseaux tissés au fil des postes (L’Expansion)

Passengers stranded after Zoom planes grounded (cnnmoney.com)

 L’omission de l’auxiliaire dans l’emploi des temps progressifs en anglais : General Motors rising in the East95 (The Economist)

93 En effet, l’omission des copules verbales allège le titre. Furet l’admet en déclarant, « Mieux vaut un titre sans verbe qu’un titre alourdi d’un verbe faible voire inexistant » (Furet, 1995, p. 55).

94 Dans le titre français, l’agent est identifié après la lecture de l’article comme étant Nicolas Bazire qui a tissé des réseaux de relations publiques grâce aux postes variés qu’il a occupés au fil des années. Le titre anglais suggère que les voyageurs se sont trouvés bloqués suite à la décision prise par la direction de Zoom Airlines d’arrêter tous ses vols.

 L’emploi de l’impératif dans les deux langues pour inciter le lecteur à s’allier à la proposition du titreur ou rédacteur96 :

« Déléguez, Monsieur le Maire ! » (L’Expansion) Buy out and pay up (The Economist)

Quant à la référence temporelle, elle est plus marquée par l’utilisation du présent et du passé dans les titres anglais alors que les titres français utilisent plus le futur. Dans les titres anglais, le présent qui est de nature multifonctionnelle est utilisé pour exprimer le présent et le passé, notamment le passé récent. Dans certains cas, tenant compte du temps réel de la rédaction ou même de la diffusion de l’article, le présent peut annoncer un futur proche. Pour illustrer, considérons :

Internet bouscule les marchés97 (Alternatives Economiques) Economy gets big stimulus boost98 (cnnmoney.com)

La référence temporelle du présent indique, dans les titres anglais, le déroulement de l’acte dans le passé et l’infinitif exprime le futur proche dans les titres anglais à l’instar de : Boeing to send final proposal to union (www.cnnmoney.com).

La brièveté des titres et la concentration de l’information exigent aussi une certaine compression syntagmatique nominale. En effet, la prépondérance nominale compense l’absence des syntagmes verbaux. Notons que ces éléments nominaux sont souvent dépouillés de particules grammaticales nécessaires à une syntaxe complète. L’omission d’articles définis et non-définis et la formation de longs syntagmes nominaux notamment en anglais peut constituer une surcharge syntaxique au niveau de la formation des titres.

Considérons:

The dial-high club (The Economist)

95 L’auxiliaire être est omis pour alléger la structure. Le titre complet serait: General Motors is rising in the East.

96 Le titre français exprime une interpellation directe au Maire de Toulouse à rendre le réseau du bus plus efficace en le confiant au privé. Le ton de l’interpellation pourrait suggérer un souhait vivement exprimé, d’où l’intonation apostrophale. Dans le titre anglais une interpellation directe est adressée aux investisseurs du groupe AXA par la directrice du groupe. Le ton est autoritaire malgré le contenu préconisant du message.

97 L’effet d’Internet sur les marchés s’est fortement fait ressentir au cours de ces dernières années. Ainsi l’action ne peut être placée dans le contexte temporel du présent mais dans une continuité du passé dans le présent.

98 Le boost économique s’est produit au cours du deuxième semestre de l’année selon l’article.

Detroit’s race against time (The Economist)

Finalement, signalons qu’outre la nature transformationnelle de leur syntaxe, les titres se caractérisent aussi par une structure à segmentation parallèle aux niveaux suivants :

 Niveau nominal99 Poissons

Business (Capital) Pharmaceuticals

Convergence or conflict? (www.economist.com)

 Niveau syntagmatique100

EADS-Airbus : Peaux de bananes et coup de poignards (Capital) High seas, high prices (Capital)

 Niveau phonologique101

La longue marche de l’économie du marché (Alternatives Economiques) Boom and doom (The Economist)