• Aucun résultat trouvé

Partie 1: Fondements théoriques traductologiques

3. Les entraves à la traduction

Les difficultés qui font entrave à l’échange linguistique sont en premier lieu la barrière langagière. Au niveau de la linguistique, la traduction exige, on ne cesse de le rappeler, une connaissance approfondie de la langue d’origine et de la langue cible de même qu’une connaissance extra linguistique. Par ailleurs, la nature des textes à traduire dans le monde économique exige aussi une bonne perception du genre et de la thématique textuelle sans laquelle la traduction ne serait pas conforme à la précision du texte source.

Dans ce sens, le traducteur a certainement l’avantage de la réflexion avant de reproduire ses restitutions. En traduction, comme durant l’apprentissage d’une langue, des « sous-programmes inhibiteurs »52 sont insérés dans les structures nerveuses pour bloquer la généralisation et stopper les erreurs linguistiques53. Ainsi les programmes inhibiteurs sont d’une grande valeur au locuteur qui inconsciemment les utilise pour bloquer les erreurs linguistiques.

La spécificité de la traduction réside dans le fait qu’elle est simultanément une activité de réception et de reproduction. Pour Maurice Pergnier la traduction ne consiste

52 Appellation introduite par Claude Piron dans Et si l’on prenait les handicaps linguistiques au sérieux ?

53 Le terme farm en anglais devient farmer s’il est rattaché au monème -er. Mais pour fish la personne exerçant le métier est fisherman et non fisher.

pas à commuer des systèmes linguistiques l’un en l’autre, mais à aller au-delà des divergences des systèmes langagiers pour communiquer un dire singulier qui n’appartient plus à la langue d’origine mais à celle qui l’emprunte. L’entrave à la traduction n’est pas, par conséquent, la recherche d’équivalence dans la convergence des langues, mais dans la possibilité de trouver des formulations équivalentes aux sens de messages particuliers (Pergnier et Roberts, 1987, p. 392). Il affirme même la subjectivité de l’équivalence qui n’est pas soumise, a priori, à une analyse. « C’est que l’équivalence de traduction reste un phénomène essentiellement pragmatique, pour ne pas dire largement subjectif, en l’état actuel des connaissances : deux énoncés sont déclarés équivalents dans un texte (par le traducteur, le lecteur, le linguiste, etc.) avant toute analyse des raisons sémantiques (ou, plus largement, linguistiques) qui leur confèrent cette équivalence » (ibid., p. 392).

De ce fait, la perception et l’analyse du texte sont les phases les plus ardues pour le traducteur. Une entrave à la compréhension à ces niveaux peut révéler une déficience au niveau de la sémantique ou une incapacité à saisir les procédés stylistiques de la langue d’origine ou même à l’ambiguïté d’une syntaxe complexe. Dans un cas pareil, la traduction n’atteint pas la phase de l’aboutissement. Il en résulte soit une duplication de l’organisation lexicale du texte d’origine, d’une analogie au niveau des structures grammaticales, ou de l’incapacité de se conformer aux règles de compression et de décompression, de pertes et de gains si naturel lors de la traduction.

Une autre faille serait due à une adhérence aveugle aux spécificités du texte d’origine et à une reproduction irréfléchie de correspondances qui n’observent pas les normes de la langue cible. La traductionserait ainsi de qualité très médiocre et sans aucun agrément par rapport à la version originale. Des correspondances aveugles de mots, syntagmes, figements et formes syntaxiques ne répondent qu’aux besoins ponctuels de restitution et ne font que détériorer la qualité du rendement. Pour aboutir à un travail de qualité, il faudrait donc remédier les déficiences au niveau des spécificités grammaticales de la langue d’origine et assurer l’équivalence sémantique entre les deux textes en se conformant aux normes de la langue cible. Il faut également remédier les vides lexicaux, accepter les notions de pertes et de gains, car il n’existe pas d’égalité quantitative en traduction mais d’égalité qualitative, et reproduire les figures stylistiques et leurs portées esthétique et allusive.

Un autre problème de nature sémantique et stylistique peut surgir lorsque le sens des mots dans le texte d’origine semble si évident que le traducteur ne ressent pas le besoin d’entreprendre une analyse approfondie pour arriver au sens sous-jacent. Un autre obstacle peut se dresser aussi lors de la déverbalisation. En repoussant les signifiants pour aller au-delà de l’explicite et saisir l’implicite, le traducteur risque de s’éloigner jusqu’à rendre une version banale comparée à celle du texte original. Il lui appartient donc de rester fidèle au ressenti original du texte et de le reproduire scrupuleusement dans la langue cible.

Par ailleurs, la trahison du sens constitue une violation sérieuse de la pratique traductionnelle. Afin de respecter le texte source et lui rester fidèle, le traducteur doit visualiser la situation, connaître la réalité situationnelle, prendre conscience de la fonction symbolique des expressions, des locutions figées et du registre d’expression. Considérons l’illustration suivante d’un titre paru dans L’Expansion le 20 novembre 2009 au sujet d’un jeune PDG français qui parvient à surmonter la crise économique grâce à son ingéniosité.

Comme un bon élève récite un poème bien appris, il s’efforce d’y mettre le ton.

Traduction proposée: Like a student who has learned his lesson well, he tries to get it right54.

En dernier lieu, faisons part d’une situation qui induit souvent en erreur un traducteur non avisé lors de l’exercice de traduction : la dépendance aveugle aux lexiques bilingues et à la traduction automatique. Ce genre de traduction ne répond presque jamais aux critères de l’équivalence fonctionnelle ou dynamique. Considérons l’exemple suivant :

L’Allemagne acculée

Le rétablissement des finances publiques attendra : l’Allemagne a choisi de baisser les impôts de 20 milliards d’euros l’an prochain et de 24 milliards par an à partir de 2011.

 Traduction automatique (Altavista) Driven back Germany

The re-establishment of public finances will wait: Germany chose to lower the taxes of 20 billion euros the next year and 24 billion per annum as from 2011.

54 L’expression bon élève dénote une réalité symbolique sur la performance de la personne. Elle suggère la maîtrise du sujet appris et le désir d’en faire la preuve. Une traduction adaptée à cette symbolique a été livrée. En outre, pour l’expression figée mettre le ton, la traduction ne se limite pas à produire une correspondance en anglais set the tone, mais plutôt aux connotations qu’elle dénote en français (bien faire, ou faire ce qu’il faut, en l’occurrence bien dire).

 Exemple proposé de traduction par correspondance Germany driven back

The re-establishment of public finances will wait: Germany has chosen to lower taxes by 20 billion euros next year and 24 billion per annum as from 2011.

 Exemple proposé de traduction par équivalence Germany pinned down

An upturn in public finances will have to wait as Germany decides to bring down tax revenues by 20 billion euros next year and by 24 billion euros starting 2011.

Nous remarquons que la traduction automatique ou par correspondance pourrait être fiable au niveau des mots ou termes isolés mais jamais au niveau des textes. Seul un traducteur humain peut saisir les subtilités linguistiques et user de son intuition afin de relier les configurations morphologiques aux tournures sémantiques des deux langues. C’est là où la traduction automatique est défaillante et les lexiques d’aucun recours valable. C’est l’engagement du traducteur aux niveaux de la réception et de l’interprétation qui rend l’assimilation du sens possible.

Toutefois les compétences du traducteur ne peuvent être sans faille face à une déficience ou ambiguïté au niveau de la langue source qui peut déformer le message. Ainsi une opacité ou ambivalence textuelle due à des références culturelles singulières ou à une stylistique embrouillée peut rendre une traduction accablante. Dans des conditions normales, le traducteur doit analyser les sous-entendus ou les allusions, lire entre les lignes et déchiffrer le vouloir dire. Le passage de la réception à l’interprétation, puis à la reproduction et la transmission est un processus intimement attaché à l’intellect du traducteur et à ses capacités linguistiques et cognitives. Il est susceptible de souffrir de discordances contextuelles, d’irrégularités syntaxiques, structurelles, grammaticales, aux niveaux de l’interprétation et de la transmission si ces capacités font défaut. Pour illustrer, considérons l’expression casseur de prix qui serait restituée littéralement en breaker of prices en traduction automatique. En effet, une connaissance du monde du commerce jugera de l’absurdité de la traductionde ce terme dont la signification recèle un tout autre

concept. L’association sera plutôt faite avec discompteur spécialisé qui est contextuellement appropriée55.

La théorie d’équivalence admet que « la traduction n’est pas un travail sur la langue, sur les mots, c’est un travail sur le message, sur le sens » (Herbulot, 2004, p. 307). Si la traduction était simplement un remplacement d’un mot par son correspondant en langue étrangère, l’ordinateur aurait pu remplacer l’homme dans sa tâche mais l’ordinateur n’est qu’un instrument aux fonctions irréfléchies. Seul le traducteur humain peut déployer ses compétences et sa créativité afin de former correctement des entités lexicales et structurales et livrer un résultat irréprochable.