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Partie 1: Fondements théoriques traductologiques

4. La théorie d’équivalence

Toute traduction repose sur une théorie de l’équivalence, d’une langue source à une langue cible. La plus directe est l’équivalence linguistique, ou équivalence formelle, qui consiste à traduire mot à mot. La traduction dans ce cas est une traduction par correspondance telle qu’elle est pratiquée pour les unités linguistiques hors contexte. En outre, différentes approches ont été utilisées pour étudier la théorie d’équivalence en vue de mieux comprendre le processus de traduction et de faciliter le passage d’une langue à une autre.

La théorie d’équivalence préconisée par Mona Baker joint l’approche linguistique et l’approche communicative en discernant la notion d’équivalence à différents niveaux56. Baker juge même de la commodité de l’équivalence57. Elle fait état des distinctions suivantes:

55 discompteur spécialisé, casseur de prix : un magasin spécialisé dans une catégorie de produits, dont l’objectif est d’éliminer la concurrence en pratiquant des marges très faibles ; équivalent étranger : category killer, category buster (Vocabulaire des affaires, Journal officiel 12 mai 2000,).

56 En effet, Baker reconnaît que la traduction est un comportement humain qui ne se limite pas à des choix entre des stratégies bien déterminées. Elle choisit de ne pas nier les hypothèses et les classifications déjà achevées mais de s’engager sur des chemins innovants à la recherche d’une orientation prospective de la traduction.

57 « The term equivalence is used for the sake of convenience – because most translators are used to it rather than because it has many theoretical status » (Baker, 1992, pp. 5-6).

 L’équivalence du mot (ou l’équivalence linguistique), prioritaire dans l’approche

« bottom-up »58, qui préconise l’analyse des mots en tant qu’unités simples ou indépendantes. Baker insiste sur la notion de mot pour rappeler que le mot peut être affecté de plusieurs sens. En analysant les mots, Baker leur rattache, comme le fait Alan Cruse, plusieurs niveaux de sémantique : propositionnel, expressif, présupposé et évoqué59. Une traduction erronée des mots serait celle qui ne renvoie pas au sens décrit par le mot et à sa subjectivité ou expressivité60, qui ne reflète pas son association naturelle (présupposée) avec d’autres mots61 ou qui ne reproduit pas le registre évoqué dans la langue de départ.

 L’équivalence grammaticale (ou paradigmatique). Baker signale que les différents systèmes grammaticaux des langues mettent en évidence les variations qui peuvent exister lors de l’expression des expériences culturelles62 et qui peuvent constituer une entrave à une équivalence directe. Ainsi afin de permettre une interprétation précise du message, le traducteur est amené à ajouter ou à omettre des informations – manœuvre due à un manque de certains dispositifs grammaticaux : nombre, temps, voix, genre… dans la langue cible.

 L’équivalence textuelle (ou fonctionnelle) entre la langue source et la langue cible en matière d’information et de cohésion. La compréhension du texte dans un contexte particulier est essentielle pour reproduire un message cohérent dans la langue cible.

58 Dans l’introduction, Baker introduit les termes “equivalence at word level” et “equivalence above word level” (Baker, 1992, p. 5).

59 « The propositional meaning […] arises from the relation between it and what it refers to or describes in a real or imaginary world, as conceived by the speakers of a particular language to which the word or utterance belongs. It is this type of meaning which provides the basis on which we can judge an utterance as true or false […]. Expressive meaning relates to the speaker’s feelings or attitude rather than to what words or utterances refer to […]. Presupposed meaning arises from co-occurrence restrictions, i.e.

restrictions on what other words or expressions we expect to see before or after a lexical unit […]. Evoked meaning arises from dialect or register variation » (Baker, 1992, pp. 13-15).

60 On est là sur le plan du métadiscours qui reproduit les sentiments ou émotions de l’énonciateur.

61 Il s’agit ici des associations présupposées sur l’axe paradigmatique liées aux contraintes sémantiques et des associations présupposées sur l’axe syntagmatique liées aux contraintes de collocations.

62 « There is no uniform or objective way of reporting events in all their detail, exactly as they happen in the real world ; the structure of each language highlights, and to a large extent preselects, certain areas which are deemed to be fundamental to the reporting of any experience » (Baker, 1992, pp. 82-83).

 L’équivalence pragmatique (ou sémantique) qui vise à communiquer le sens suggéré.

Les implications au niveau de la sémantique doivent être saisies afin de communiquer avec précision le message du texte source.

Vinay et Darbelnet, quant à eux, proposent une autre définition de l’équivalence.

Elle se caractérise comme étant un procédé répliquant la même situation que celle qui apparaît dans l’original en utilisant un lexique complètement différent. L’équivalence recherchée est donc celle qui « intéresse la totalité du message » (Vinay et Darbelnet, 1977, p. 52). Dans ce cadre, l’expression idéale de l’équivalence est dans la traduction des proverbes, des idiomes, des clichés, ou d’autres phraséologies. C’est là où la traduction maintient l’impact de la stylistique de la langue source dans la langue cible. Ainsi l’équivalence des expressions est acceptable si elle est intégrée dans les dictionnaires bilingues comme des équivalences complètes, par opposition aux équivalences partielles, bien que les glossaires, dans ce cas, ne soient jamais exhaustifs. Toutefois, c’est dans la situation de la langue source qu’il faut chercher les solutions d’équivalence. En effet, une équivalence retrouvée dans les glossaires bilingues ne garantit pas la précision de la traduction. Un exemple réversible de « Prenez-en un », cité par Vinay et Daberlnet, dont l’équivalent est « Take one » dans une situation neutre, ou « Echantillon gratuit » dans une situation promotionnelle d’un produit de consommation, est très éclairant.

En introduisant la notion de l’équivalence dans la différence, Roman Jakobson a donné une certaine vigueur à l’analyse théorique de la traduction. Selon Jakobson, la traduction implique deux messages équivalents dans deux codes différents. Toutefois, il n’existe pas d’équivalence complète entre les unités codées. Jakobson admet que l’équivalence est le problème du langage et l’objet de la linguistique car en comparant deux langues se pose la question de la traduction de l’une des deux langues dans l’autre et réciproquement63.

63 Ces précisions ont été énoncées dans un article intitulé On Linguistic Aspects of Translation. « Translation involves two equivalent messages in two different codes. Equivalence in difference is the cardinal problem of language and the pivotal concern of linguistics. Like any receiver of verbal messages, the linguist acts as their interpreter. No linguistic specimen may be interpreted by the science of language without a translation of its signs into other signs of the same system or into signs of another system. Any comparison of two languages implies an examination of their mutual translatability » (Jakobson, 1959, pp. 233-234)

Jakobson propose trois types de traduction64 :

 La traduction intralinguale (la paraphrase ou la reformulation), qui consiste à interpréter des signes linguistiques par d’autres signes de la même langue, le cas des définitions des dictionnaires qui fait appel à des synonymes ou paraphrases.

 La traduction interlinguale ou traduction proprement dite, qui consiste à interpréter des signes linguistiques par d’autres signes d’une autre langue, le cas des dictionnaires bilingues.

 La traduction intersémiotique, ou la traduction de transmutation, qui consiste à interpréter des signes linguistiques par des signes non verbaux ou non linguistique tel que l’adaptation d’un texte à la cinématographie, au ballet ou à l’opéra.

Dans la traduction intralinguale, les deux unités (terme et définition) ne sont pas totalement équivalentes. Elles ont le même poids sémantique mais un poids analytique différent. Selon la théorie de Jakobson, un terme spécialisé sera donc affecté d’un degré d’analyse conforme aux connaissances communes des spécialistes, et son énoncé définitionnel sera doté d’un degré d’analyse évolutif relatif aux connaissances des utilisateurs du terme. Il existe une similarité entre la théorie de Jakobson et les procédés de traduction de Vinay et Darbelnet. Cette ressemblance réside dans la liberté accordée au traducteur de recourir à des moyens appropriés pour communiquer le sens. La théorie selon laquelle les termes sont décodés et encodés dans une même langue ou d’une langue à une autre soutient le fait qu’une traduction est toujours possible.

Aux théories comparative et interprétative de Jakobson et de Vinay et Darbelnet s’ajoute la théorie de Nida et Taber sur l’équivalence formelle et l’équivalence dynamique65. Eugene Nida avance que « la traduction consiste à produire dans la langue d’arrivée l’équivalent naturel le plus proche du message de la langue de départ, d’abord quant à la signification, puis quant au style »66. Pour lui, la dichotomie est claire. Il s’agit de la forme ou

64 Ces distinctions figurent dans Aspects linguistiques de la traduction, dans Essais de linguistique générale, 1963, p. 79-80.

65 Il s’agit des théories sourcière et cibliste. La première laisse une empreinte de la langue source dans le texte traduit alors que la deuxième recherche l’équivalent le plus naturel au texte cible aux niveaux de la sémantique et de la stylistique. Le texte traduit serait ainsi sémantiquement précis, grammaticalement correcte et stylistiquement agissant.

66 Mounin citant Nida dans Les problèmes théoriques de la traduction, 1963, reproduction 2008, p. 278.

du sens, de la lettre ou de l’esprit, de l’art ou de la science, de la pratique ou de la théorie.

Mais c’est sur la dichotomie en équivalence qu’il s’attarde le plus. Selon Nida, l’équivalence est soit formelle, soit dynamique. L’équivalence formelle est une correspondance entre les unités linguistiques au niveau de la structure syntaxique – par opposition à l’équivalence dynamique qui est l’équivalence la plus proche du message de la langue source. Dans toute traduction, il y aurait donc une perte, un gain, ou même une déformation de l’information et le sens est soit référentiel, soit linguistique, soit émotif. Nida et Taber dénoncent l’utilisation des équivalents formels qui pour eux présentent le risque de défigurer la stylistique de la langue cible et, en conséquence, d’altérer le sens67. En outre, Nida et Taber affirment que la validité de la traduction réside dans sa capacité à préserver le message. Il s’agit là de la recherche d’une équivalence dynamique.

L’approche de John Catford sur l’équivalence en traduction est différente de celle de Nida et Taber vu sa préférence pour l’approche linguistique de Firth et Halliday et le concept de variation ou « translation shift ». En effet, Carford établit un point de départ pour des études en traduction comme étant une branche de la linguistique comparative68. Il propose des types de traduction suivant les trois critères suivants :

 L’étendue de la traduction : traduction intégrale par opposition à la traduction partielle.

 Le niveau grammatical suivant lequel l’équivalence est établie (traduction réduite par opposition à traduction libre).

 Le niveau de langue nécessaire (traduction totale par opposition à traduction réduite).

Dans la traduction réduite, le matériel textuel de la langue source est substitué uniquement au niveau graphologique ou phonologique. Par contraste, la définition de la traduction totale est le remplacement de la grammaire et des lexiques de la langue source

67 « Typically, formal correspondence distorts the grammatical and stylistic patterns of the receptor language, and hence distorts the message, so as to cause the receptor to misunderstand or to labor unduly hard » (Nida et Taber, 2003, p. 201).

68 « The theory of translation […] is consequently a branch of comparative linguistics. From the point of view of translation theory the distinction between synchronic and diachronic comparison is irrelevant. Translation equivalences may be set up and translations performed between any pair of languages or dialects, related or unrelated and with any kind of spatial, temporal, social or other relationship between them » (Cartford, 1965, p. 20).

par des équivalents dans la langue cible, par conséquent le remplacement de la phonologie/graphologie de la langue source par une phonologie/graphologie qui ne lui est pas équivalente dans la langue cible.

Malgré son efficacité en matière de linguistique comparative, l’équivalence par correspondance ou l’équivalence formelle demeure incapable d’établir une équivalence réelle entre la langue source et la langue cible. C’est l’équivalence textuelle ou fonctionnelle qui s’avère intéressante dans l’étude des équivalences.

Les variations évoquées par Cartford sont des variations structurales au niveau de la grammaire des deux langues; des variations de classes grammaticales, telles que les changements de parties de discours; des variations unitaires, qui résident dans le changement de niveau; et des variations intrasystématiques, où des changements sont imposés malgré la correspondance des systèmes constitutionnels des deux langues.

Considérons l’exemple suivant de source française (France 24) traduit en anglais : Toyota arrête la production dans son usine en Californie

 Toyota to pull plug on California factory

Suite à une étude comparative, nous pouvons noter les variations suivantes :

 Les variations structurales au niveau de la grammaire sont marquées au niveau de la phrase complète en langue source et le syntagme verbal en langue cible.

Les variations de classe grammaticale transforme le verbe arrête en expression idiomatique infinitive to pull the plug on.

La variation unitaire suggérée par l’infinitif to pull qui indique le futur en titres de presse dans la langue anglaise.

Les variations intrasystématiques dans la composition structurale dans son usine en Californie, une phrase nominale prépositionnelle, transformée en une unité structurée en MOD+N, on California factory, malgré la justesse d’une traduction littérale : on its factory in California.

Plutôt critique, Mary Snell-Hornby considère comme illusoire toute théorie d’équivalence. Les équivalences seraient toujours des quasi-symétries et non des symétries

parfaites, exception faite des équivalences terminologiques69. Selon Hornby, la traduction n’est pas un simple exercice linguistique mais un évènement interculturel (« cross-cultural event ») car les éléments culturels sont de taille et les traductions diffèrent d’une situation ou culture à une autre70.

La théorie d’équivalence est perçue dans une toute autre perspective par Antoine Berman, pour qui la traduction « n’est point recherche d’équivalences, mais mouvement vers la parenté des langues » (Berman, 2008, p. 53). Il explique la nature du schisme qui existe au niveau de l’œuvre originale et sa traduction. « L’œuvre est liée à sa langue sur un double mode, contradictoire : celui de l’enracinement et celui du dépassement, de l’écart […]. Par l’enracinement, l’œuvre s’enfouit dans l’épaisseur de la langue natale ; par l’écart, elle s’arrache à elle en produisant une autre langue, étrangère dès lors à la langue commune.

Enracinée, l’œuvre est intraduisible […]. (La traduction) a pour fin de déporter l’œuvre toujours plus loin de sa langue. Mais plus une œuvre est traduite, plus s’accroît pour elle la possibilité de s’enraciner dans sa langue en apparaissant comme intraduisible » (ibid., p. 53).

Pour Berman, la traduction est faite pour ceux qui peuvent lire l’originale. Serait-elle donc un objet d’intérêt pour le traducteur et les communautés bilingues exclusivement ? Selon lui, c’est à travers le va-et-vient entre le texte original et sa traduction que se réalise le rapport du lecteur à l’œuvre étrangère. Il considère le texte traduit comme une forme métamorphosée de l’original. Ce dernier doit surgir intact derrière la traduction tout en étant prêt à d’autres traductions. Toutefois, l’œuvre peut résister à la traduction, initialement du fait même de la diversité des langues. De ce fait, si l’œuvre résiste à la traduction, cette intraduisibilité est considérée comme « sa plus intime fierté » (Berman, 2008, p. 68). À travers cette intraduisibilité, l’œuvre affirme son essence inaccessible et intouchable. En pénétrant les couches intraduisables, le traducteur parvient à percer cette résistance de l’œuvre.

69 « The term equivalence, apart from being imprecise and ill-defined (even after a heated debate of over twenty years), presents an illusion of symmetry between languages that hardly exists beyond the level of vague approximations and which distorts the basic problem of translation» (Snell-Hornby, 1995, p. 22).

70 « Language is not seen as an isolated phenomenon suspended in a vacuum but as an integral part of culture » (Snell-Hornby, 1995, p. 39).

La théorie d’équivalence de Juliane House vise à préserver le sens. House identifie trois aspects du sens : sémantique, pragmatique et textuel. L’équivalence pragmatique doit correspondre à la fonction du texte source et à ses dimensions situationnelles. Cette équivalence est surtout l’équivalence perlocutoire, à travers laquelle le lecteur est sensé ressentir dans le texte traduit les mêmes effets que le texte original a produit sur le lecteur du texte d’origine. Bien entendu le sens pragmatique l’emporte sur la portée purement sémantique comme l’explique House71. Le traducteur doit donc détecter et saisir l’intention subjective de l’auteur du texte d’origine avant de la transmettre dans le discours restitué. La force argumentative d’un texte doit être sauvegardée quelles que soient les techniques utilisées lors de la traduction, et le lecteur doit sentir l’impact du texte d’une façon spontanée sans se soucier du fait qu’il est traduit. Nous admettons que la fonctionnalité de l’équivalence dans un texte à connotation culturelle est difficile à maintenir. Toutefois, le traducteur peut réussir à reproduire l’effet du texte à travers le choix du lexique et un maintien de l’équilibre et de l’atmosphère de la situation.

Il résulte de l’analyse de ces différentes théories que la théorie d’équivalence reste controversée. Cependant, la qualité d’un texte traduit dépend de la rigueur manifestée par le traducteur dans l’application des critères indispensables de conformité à la langue cible.

Gouadec insiste sur le caractère absolu de ces critères. Selon lui, ces critères absolus sont ceux de « convergence » traductive, de « qualité linguistique-stylistique-rédactionnelle », de

« qualité technique-sémantique-factuelle », de « qualité fonctionnelle et d’ergonomie »72. Autrement dit, le traducteur doit restituer toutes les évidences extralinguistiques présentes dans le texte original, préserver le registre de la langue et son extension de même que les dimensions socioculturelles, d’où le besoin de procéder à l’établissement d’équivalences connotatives. Finalement, il doit adapter le texte aux connaissances et aux besoins des lecteurs, d’où la nécessité de procéder à des équivalences pragmatiques dotées d’un habillage stylistique qui transmet l’effet esthétique et fonctionnel que l’autochtone ressent à la lecture de la version originale.

71 « In translation we do not operate with sentences at all but with utterances, i.e. units of discourse characterized by their use-value in communication. In certain types of translation then, it is both possible and necessary to aim at an equivalence of pragmatic meaning at the expense of semantic meaning » (House, 1997, p. 31).

72 Gouadec lance ces critères dans un article intitulé Le bagage spécifique du localiseur/localisateur : le vrai

“nouveau profil” requis, 2003.