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Partie 1: Fondements théoriques traductologiques

1. La traduction: procédé de communication

1.3. Le rôle du traducteur

La diffusion accélérée des informations et des échanges culturels caractéristiques de notre ère moderne confère à tous les êtres humains une double identité : l’une nationale et l’autre globale. Le besoin urgent de communication interculturelle met en avant l’importance du moyen de communication qu’est la langue. Les services que les traducteurs rendent à la culture et à la langue sont, à ce titre, remarquables. C’est le traducteur qui crée des situations d’interaction entre l’auteur du texte d’origine et le lecteur du texte traduit. Il peut être un médiateur qui enrichit les cultures ou un traitre qui détruit l’œuvre, la défigure et la reconstruit en provoquant une irréparable dégradation. En tant que médiateur, il reproduit le texte de la manière la plus objective. Doit-il ainsi renoncer à son propre style ? Doit-il s’effacer pour laisser la place à l’auteur original du texte ? Certains prétendent que le statut du traducteur est dérisoire face au rôle primordial de l’auteur, ce qui contredit les tenants de la perpétualité de l’œuvre grâce à la traduction. L’auteur n’est-il pas l’interprète de ses inspirations et le traducteur l’auteur de ses impressions ?

La langue étant un instrument de communication, la traduction devient ainsi la transmission interlinguistique de cette communication. Elle existe pour les lecteurs qui ne comprennent pas l’original, ces récepteurs qui attendent un message conforme à celui qu’ils auraient pu recevoir en lisant le texte original. De ce fait, croire que la traduction est inférieure au texte original ou n’en constitue qu’une pâle copie serait très restrictif. Elle établit plutôt un rapport entre la langue traduite et la langue traduisante et fait jaillir ce lien interlinguistique de parenté qui existe entre elles, soit par affinité soit par contact.

Il revient au traducteur de remplir cette tâche et d’établir ce rapport entre la langue d’origine et la langue cible. Bien sûr, un traducteur professionnel opère par un réflexe mental si naturel qu’il ne réalise même pas la décomposition que le processus entraîne, ni le fait que sa traduction révèle la parenté entre les deux langues, ce qui les sépare et ce qui les unit. Vinay et Darbelnet affirment que le traducteur doit essayer de « reconnaître les voies que suit l’esprit, consciemment ou inconsciemment, quand il passe d’une langue à une autre, et en dresser la carte » (Vinay et Darbelnet, 1977, p. 26).

Pour avoir cette influence sur les échanges culturels, le traducteur doit développer ses compétences réceptives avant de développer ses compétences productives. La

traduction exige une connaissance active tandis que l’analyse et l’évaluation de différents textes traduits exigent une connaissance passive. La traduction exige aussi que le traducteur s’efface pour que l’opération puisse s’effectuer. Selon Berman, « reconnaître la marque du traducteur dans une traduction passe pour une tare qui affecte sa fidélité et sa vérité. De là toute une psychologie du traducteur comme un être voué à l’effacement […]» (Berman, 2008, pp. 36-37). Toutefois, une certaine subjectivité résolue de la part du traducteur est-elle si mal vue ? En toute vraisemblance, le traducteur doit remplir sa tâche en bonne conscience en effectuant un transfert fidèle du sens dénotatif et connotatif. La subjectivité doit donc être transposée si elle est partie intégrante de ce sens. Ce constat que nous allons élaborer dans notre étude empirique s’est imposé en progressant dans la réalisation d’une traduction selon le modèle configuratif transmissionnel que nous proposons ultérieurement. En tout état de cause, pour réussir sa tâche, le traducteur doit cultiver ses connaissances et son intuition linguistiques et posséder une conscience socioculturelle. Ses connaissances théoriques vont l’aider à appréhender les choix linguistiques et extralinguistiques qui peuvent témoigner des relations de pouvoir entre émetteur et récepteur.

Tout d’abord, le traducteur doit maîtriser la langue source et la langue cible pour éviter un rendu maladroit de par la forme et le contenu. Une lacune au niveau de la compréhension des tournures et des intrigues linguistiques produirait inévitablement une résonance de langage de traduction et non de langage naturel. Il doit également avoir une forte connaissance de la culture cible mais aussi du domaine et du sujet traité. Autrement il serait dans l’incapacité de retransmettre un contexte général ou spécialisé à un public profane et risquerait de le détériorer d’un point de vue sémantique et allusif lors de sa transposition.

Une compétence linguistique est résolument indispensable. Elle est encore plus cruciale lorsque le texte traduit est un texte spécialisé destiné à un public profane, en l’occurrence des titres et articles de la presse économique grand public. À ce point, il revient au traducteur de manifester une bienveillance à l’égard de son public. Il doit, de ce fait, prôner un amoindrissement du niveau de la technicité et un rehaussement du niveau de la massification linguistique. De ce fait, deux choix stylistiques s’imposent au traducteur : d’une part, une interprétation qui respecte la technicité du contenu adressé à un public

averti et, d’autre part, une traduction de faible technicité ou de technicité popularisée à l’encontre du public profane.

Outre la compétence linguistique et extralinguistique, le traducteur doit parcourir le processus traductionnel simultanément en état de conscience et d’inconscience. Douglas Robinson l’avait bien précisé : la traduction est une activité intelligente qui fait appel à un processus d’apprentissage du conscient et de l’inconscient qui vise la résolution créative des problèmes dans des conditions textuelles, sociales et culturelles (Robinson, 2003, p. 49-50).

Le traducteur doit aussi être conscient que la traduction est une activité d’apprentissage. Elle fait appel aux stratégies directes et indirectes relatives à l’apprentissage des langues. Les stratégies directes utilisent la mémoire, le cognitif, et la compensation, tandis que les stratégies indirectes ont recours aux méthodes métacognitives, affectives, et sociales. Durant le processus, le traducteur est conscient que la traduction et la rédaction ont des caractéristiques communes. Les phases de rédaction consistent à définir le contenu, l’objectif, les récepteurs et leur réaction, le processus organisationnel, les concepts qui sont exprimés par la force du langage, et ceux qui sont exprimés par d’autres moyens.

Ainsi des compétences linguistiques et rédactionnelles sont essentielles au traducteur. Elles constituent des valeurs partagées par les apprentis d’une langue. En effet, nous remarquons que les méthodes directes et indirectes employées lors de l’apprentissage d’une langue sont aussi présentes lors du passage d’une langue à une autre34.

Méthodes directes Méthodes indirectes

1. Stratégie mémorielle a. Créer des liens mentaux

(regroupement, association, élaboration).

b. Utiliser l’arborescence sémantique.

c. Effectuer une révision complète et structurée.

1. Stratégie métacognitive

a. Associer avec une connaissance antérieure et extérieure.

b. Organiser et planifier (déterminer les objectifs, identifier la

problématique).

c. Effectuer une évaluation personnelle.

34 Le tableau qui suit récapitule les stratégies de bases élaborées par Rebecca Oxford dans son inventaire SILL (Strategy Inventory for Language Learning), 1990.

2. Stratégies cognitives

a. Mettre en pratique les connaissances stockées (reconnaître et utiliser les

b. Dépasser les limites de l’écrit (utiliser tous les procédés qui favorisent le

a. Poser des questions (demander des clarifications, effectuer des

Le traducteur a besoin de compétences pour traduire. Sa tâche est plus ardue encore lorsqu’il s’agit de traduire des titres de presse à la fois concis et riches dans leur suggestivité et leur effet stylistique. Il doit s’imprégner dans l’implicite du texte, se mettre en contexte, comprendre, combler les lacunes et mobiliser le bagage linguistique et notionnel lors de la reformulation. Il doit donc posséder des compétences d’écriture et aussi de lecture textuelle. En effet, le traducteur pratique la lecture critique à deux niveaux, celui du sens et celui de la textualité. La première dégage ce que le texte veut dire et ce que l’auteur a voulu dire. Le deuxième oriente le traducteur vers le mode de fonctionnement du texte, les substances qu’il utilise et les significations qu’il révèle. Freddie Plassard affirme l’importance de la lecture lors de la traduction. La lecture est une médiation effectuée par le traducteur à l’intention du lecteur du texte traduit. De ce fait, la traduction est une ré-énonciation effective. Ce changement de position énonciative entre le traducteur et son propre lecteur l’amène à « l’anticiper et à le projeter, à discriminer connaissances légitimement présupposées et connaissances à expliciter » (Plassard, 2007, p 270).

L’analyse approfondie est partie intégrante du processus de la lecture. C’est à travers l’analyse et le recours à la métacognition que la compréhension est atteinte. En traduction, la métacognition désigne la composante du savoir du traducteur qui concerne sa mémoire

(stock de connaissances cognitives)35, sa perception (compréhension des activités en cours) et sa capacité à résoudre les problèmes36. En ce sens, le traducteur est une personne métacognitive qui coïncide, par les procédés référentiels qu’il utilise, au penseur critique.

Traducteur métacognitif Penseur critique

1. Reconnaître, sélectionner et utiliser les procédés.

2. Expliquer, comparer et confronter sa démarche à celle des autres.

3. Analyser et évaluer son propre processus mental et les démarches qui ont été suivies.

1. Exprimer des réflexions dans des énoncés élaborés.

2. Justifier ses réflexions.

3. Analyser ses réflexions et les mettre en relation l’une avec l’autre.

Nous pouvons conclure de ce qui précède que la traduction est un processus de réflexion. Mais ceci n’exclut pas la part de l’inventivité ou créativité dans le processus. Le traducteur est, en effet, un créateur d’un nouveau texte explicitement absorbé et implicitement procréé. Il se substitue à l’auteur du texte de la langue source et s’applique à utiliser sa créativité linguistique pour « agir sur le texte, participer à sa métamorphose » (Israël, 1998, p. 259). Nous dirons même que c’est le traducteur qui effectue la métamorphose car en dehors de son acte, elle n’existerait pas. Plassard explique le

« parcours génétique » suivi par le traducteur qui s’approprie les « représentations véhiculées par le dire de l’auteur » et les intègre à son « propre espace mental » avant de les

« redéployer dans son propre langage » (Plassard, 2007, p. 169).