• Aucun résultat trouvé

La spécificité du commerce agricole

Section I – La spécificité du secteur agricole

Paragraphe 2 La spécificité du commerce agricole

181. Contrairement aux règles générales de l’économie de marché, les

échanges agricoles sont traditionnellement soumis à l’intervention gouvernementale.382 Cette spécificité du commerce agricole est justifiée par la nécessité de remédier, au profit des agriculteurs, à la variabilité du prix sur les marchés internationaux et d’assurer aux consommateurs un prix stable et équitable sur les marchés internes.383 Certaines interventions sont réalisées par la mise en place

380 Ibid. 381

Ibid., p. 477

382 L’intervention des pouvoirs publics dans le secteur agricole a été également justifiée par les rédacteurs du GATT de 1947.

Il a été réaffirmé que

« l’agriculture et la pêche ont à tenir compte des caprices de la nature. On peut avoir une bo nne ou une mauvaise récolte, une bonne ou une mauvaise pêche, voire une pêche miraculeuse, ce qui fait descendre les prix au plus bas. L’une et l’autre de ces industries comprennent une multitude de petits producteurs qui n’ont pas les moyens de s’organiser, ce qui oblige souvent les gouvernements à intervenir. »

Pour le texte original, voir GATT Doc. EPCT/A/PV/19, cité dans Japon – Restrictions à l’importation de certains produits agricoles, adopté le 2 février 1988, L/6253 – 35S/180, para. 5.1.2

A travers un examen attentif de l’histoire des politiques agricoles des civilisations anciennes et de celle des temps moderne s, E. Adam a montré que « jamais, sauf en cas de rare période – terminée en catastrophe – l’agriculture a été laissée au marché. L’histoire des politiques agricoles est celle de l’impossible quête du libéralisme agricole ». Pour une analyse approfondie sur ce thème, voir ADAM E., La politique agricole face aux enjeux internationaux : la libéralisation conventionnelle du commerce international des produits agricoles, Thèse de l’Université Paris I, 2006, pp. 15 – 31

383 Citons comme exemple l’article 33 du Traité instituant la Communauté européenne. Dans son paragraphe 1 b), cet article

de mesures à la frontière ayant effet de restreindre l’importation des produits agricoles en concurrence avec les produits locaux, alors que d’autres prennent la forme de politiques agricoles ou sociales afin d’encourager la production interne.

182. Variant en fonction des pays donnés et des produits particuliers, les

interventions agricoles internes pratiquées postérieurement à la Seconde guerre mondiale conduisent le marché agricole international à un état paradoxal dans le contexte de la libéralisation mondiale du commerce.384 Au contraire de ce qui se passe à l’ouverture substantielle des échanges des produits manufacturés, le marché agricole international demeure toujours « un marché résiduel » séparé des marchés internes bien protégés, notamment ceux des pays développés (A).385 Au lieu de fonctionner comme solution principale à la réalisation de l’autosubsistance alimentaire, ce marché subit des distorsions sévères et porte atteinte à la capacité financière de la population rurale dans la plupart de pays en développement pour lutter contre la pauvreté et la faim (B).

A. Un marché résiduel

183. Dans le but d’éviter les effets néfastes imposés aux approvisionnements

agricoles internes par la fluctuation du marché international, les pays développés s’appuient sur diverses formes de mesures aux frontières, telles que droits de douane, contingents d’importation, licence d’importation, prélèvements variables, ou bien normes techniques et quarantaines, etc.386 Peu importe quelle forme est adoptée, ces mesures aux frontières ont pour effet de restreindre l’accès aux marchés internes au détriment des agriculteurs étrangers, en neutralisant leurs avantages comparatifs par

« a) d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de produ ction, notamment de la main- d’œuvre ; b) d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture ; c) de stabiliser les marchés ; d) de garantir la sécurité des approvisionnements ; e) d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs. »

384 DESTA M. G., The Law of International Trade in Agricultural Products: From GATT 1947 to the WTO Agreement on

Agriculture, op. cit., pp. 7 – 8

385

SEEVERS G. L., « Food Market and Their Regulation », International Organisation, Vol. 32, n°3, The Global Political Economy of Food, 1978, p. 726

386

QIN Quan| Thèse de doctorat |Novembre 2017 rapport aux producteurs locaux.387 Les agriculteurs des pays développés et leurs marchés internes sont ainsi isolés de la concurrence internationale. Pour certains auteurs, une telle mise à l’abri des marchés internes assure que la production alimentaire et sa consommation demeurent au niveau local, et diminuent ainsi la quantité de l’ensemble de la demande sur le marché mondial.388

184. A ce propos, on a pu observer que, alors que la libéralisation du

commerce après-guerre a connu des succès remarquables dans le secteur industriel, la moyenne générale des droits de douane était passée de plus de 40% à moins de 4%, l’accès aux marchés internes des produits agricoles lui n’a pas cessé d’être limité. Cela a engendré la diminution sur une grande échelle de la part des produits agricoles dans les marchandises mises sur le marché mondial.389 Selon les études de l’OMC, la proportion de l’exportation des produits manufacturés dans l’ensemble de marchandises commercialisés se montait à 38% en 1950 à 77% en 1996, tandis que celle de l’exportation agricole a baissé de 47% à 12% pendant la même période.390

B. Un marché subissant des distorsions

185. A part des restrictions à la frontière, les pays développés interviennent

dans leurs marchés internes en s’appuyant principalement sur des programmes de soutien financier à l’agriculture, dans le but de maintenir le prix de produits agricoles à un niveau rémunérateur au profit des agriculteurs locaux.391 De tel soutien financier peut être accordé sous la forme, par exemple, de paiement direct pour compenser la différence entre le prix du marché international et celui du marché interne, ou bien sous la forme d’assurance récolte, qui couvre les pertes de récoltes attribuables à des conditions climatiques adverses ou à des phénomènes naturels incontrôlables.392

387 Ibid., p. 104

388 CARLSON J., « Hunger, Agricultural Trade Liberalization, and Soft International Law : Addressing the Legal Dimensions

of a Political Problem », op. cit., pp. 1211 – 1212

389 DESTA M. G., The Law of International Trade in Agricultural Products: From GATT 1947 to the WTO Agreement on

Agriculture, op. cit., pp. 7 – 8

390

OMC, Rapport annuel 1998, Chapitre IV : Mondialisation et commerce international, Genève, 1998, p. 40

391

CARLSON J., « Hunger, Agricultural Trade Liberalization, and Soft International Law : Addressing the Legal Dimensions of a Political Problem », op. cit., pp. 1209 – 1213

392

186. En plus, les programmes de soutien au prix des produits agricoles

s’accompagnent très souvent de l’attribution de subventions à l’exportation encourageant l’écoulement sur le marché mondial des excédents agricoles en résultant. Il s’agit des subventions favorisant la production pour l’exportation, les subventions à l’exportation commerciale, et les subventions à la vente à des conditions concessionnelles au nom d’aide alimentaire. Dans ses études officielles sur les problèmes du commerce agricole, l’OCDE a reconnu explicitement que ces subventions avaient pour but principal d’encourager l’exportation et de conquérir le marché étranger, en garantissant aux agriculteurs locaux un prix de vente à l’étranger équivalant à celui de vente sur les marchés internes.393

187. Il est vrai que la mise en place des politiques agricoles et sociales par les

pays développés dans l’après-guerre pouvait être justifiée, à un certain niveau, par l’impératif d’assurer une vie convenable aux populations rurales en maintenant leurs revenus stables, dans le but final d’arriver à l’autosuffisance agricole et à la sécurité alimentaire nationale.394 Néanmoins, ces diverses formes de soutien financier à l’agriculture imposent inévitablement des répercussions sur le marché agricole mondial qui est déjà bien affecté par les mesures aux frontières.

188. Précisément, sans mesures appropriées de contrôle de la production

nationale et en ignorant la demande réelle sur l’ensemble des marchés, les programmes de soutien au prix des produits agricoles stimulent la production nationale, découragent la demande potentielle, et conduisent ainsi à la surproduction des produits bénéficiaires. 395 Par l’intermédiaire de diverses subventions à l’exportation, ces excédents nationaux sont écoulés à grand échelle sur les marchés étrangers et abaissent considérablement le prix des produits agricoles qui est déjà modeste. La situation peut être encore pire dans les pays en développement dont les

393 OCDE, Problems of Agricultural Trade, op. cit., p. 100

C’est également le cas pour les Etats-Unis, dont l’Agriculture Trade Development and Assistance Act de 1954 énonce explicitement que le Programme de l’aide alimentaire a pour but d’écouler les excédents, de développer les marchés d’exportation, et de lutter contre la propagande anti -américaine. Cité par CARLSON J., « Hunger, Agricultural Trade Liberalization, and Soft International Law : Addressing the Legal Dimensions of a Political Problem », op. cit., p. 1212, note de bas de page n°97

394

PARENT G., « La reconnaissance de caractère spécifique du commerce agricole à travers la prise en compte des considérations liées à la sécurité alimentaire dans l’Accord sur l’agriculture », op. cit., p. 482

395

QIN Quan| Thèse de doctorat |Novembre 2017 marchés internes sont envahis par les denrées alimentaires subventionnées au nom de l’aide alimentaire.

189. Ainsi, les subventions agricoles, quelles qu’elles soient afin de stimuler

la production nationale ou encourager l’exportation, sont considérées comme les interventions les plus néfastes pour le commerce agricole international. Elles faussent gravement le fonctionnement normal du marché mondial en mettant les agriculteurs des pays en développement, qui sont les contribuables des impôts agricoles nationaux, en concurrence directe avec ceux des pays développés, qui reçoivent, en revanche, des soutiens financiers importants de l’Etat.396

Section II – La prise en compte exceptionnelle des échanges de produits