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L’absence de la sécurité des approvisionnements alimentaires dans le droit

Section II – La sécurité alimentaire, un concept ignoré de la théorie du libre échange

C. L’absence de la sécurité des approvisionnements alimentaires dans le droit

157. Dans l’ordre juridique international contemporain, l’absence habituelle

de la sécurité des approvisionnements alimentaires subsiste aussi bien dans les notions de base telles que « le commerce international » et « la liberté du commerce », que dans les principes fondamentaux qui encadrent les échanges économiques internationaux.350

158. Le terme « commerce international » fait l’objet des diverses

définitions.351 Dans un sens extensif et en opposition à la notion de l’autarcie étatique, on entend par commerce international l’ « ensemble des rapports économiques, politiques et intellectuels entre les Etats ou entre leurs ressortissants ». Dans son sens propre, le commerce international peut signifier les « opérations d’importation, d’exportation ou d’échange entre les Etats ou entre leurs ressortissants ». D’après G. Cornu, c’était exactement dans ce sens plus étroit que « le terme est entendu par le GATT et par la CNUCED ».352

159. Quant à la liberté du commerce, elle était résumée d’une manière

générale par Ch. Gouraud comme « le droit commun de produire, de vendre et d’acheter tous objets naturels ou artificiels, susceptibles d’un échange ».353

Plus

349 LAGHMANI S., Histoire du droit des gens du jus gentium impérial au jus publicum europaeum, op. cit., p. 175

350 Pour une discussion précise sur ce sujet, voir PASQUIER C., « Sécurité alimentaire et liberté du commerce

international », op. cit., pp. 634 – 638

351 Selon le Dictionnaire de la terminologie du droit international , le terme « commerce international » signifie

« l’ensemble des transactions à l’importation et à l’exportation, des rapports d’échange, d’achat, de vente, de transport, des opérations financières entre nations », et « l’ensemble des rapports économiques, politiques, intellectuels entre Etats et entre leurs ressortissants ».

Voir BASDEVANT J., Dictionnaire de la terminologie du droit international , Paris, Sirey, 1960, p. 126

Le Dictionnaire de droit international public définit « commerce international » au sens propre comme « l’ensemble des opérations d’échange à but lucratif réalisées entre opérateurs économiques de pays différents ». Dans son sens traditionnel, le commerce international « concerne essentiellement les échanges de marchandises ainsi que les services directement liés aux importations et exportations ». Avec la diversification des activités économiques, cette notion s’élargit « pour englober progressivement l’ensemble des échanges économiques internationaux, c’est-à-dire le commerce des services, les échanges liés à la propriété intellectuelle mais également les investissements et les transactions financières liées aux opérations précédentes ». Voir SALMON J. (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 197

352

CORNU G. (dir.), Vocabulaire juridique, 11ème éd., Paris, PUF, 2016, p. 198

353 GOURAUD Ch., Essai sur la liberté du commerce des nations : examen de la théorie anglaise du libre -échange, Paris, A

récemment, le Dictionnaire de droit international public la définit comme la « faculté pour un Etat et ses ressortissants d’entrer en relations commerciales au sens le plus large avec les Etats tiers ou leurs ressortissants ».354

160. On trouve également une contribution de la jurisprudence des tribunaux

internationaux à la signification du principe de la liberté du commerce. Lorsqu’elle avait statué en 1934 dans l’affaire Oscar Chinn, la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) avait eu l’occasion d’affirmer que la convention bilatérale en question visait expressément la liberté du commerce, avant de la définir comme

« la faculté, en principe illimitée, de se livrer à toute activité commerciale, que celle-ci ait pour objet le négoce proprement dit, c’est-à-dire la vente et l’achat des marchandises, ou qu’elle s’applique à l’industrie et notamment à l’industrie des transports, qu’elle s’exerce à l’intérieur ou qu’elle s’exerce avec l’extérieur par importation ou exportation ». 355

161. Cette formulation a été reprise par la Cour internationale de Justice (CIJ)

lorsqu’elle devait se prononcer sur la question de savoir si les Etats-Unis avaient commis une violation de la liberté de commerce garantie par le traité bilatéral d’amitié, de commerce et des droits consulaires conclu avec l’Iran, suite à deux attaques des forces armées américaines contre des plates-formes pétrolières appartenant à la National Iranian Oil Company. Ensuite, la cour est allée plus loin en concluant que le terme « commerce » tel qui a été prévu dans le traité en question incluait « des activités commerciales en général – non seulement les activités mêmes d’achat et de vente, mais également les activités accessoires qui sont intrinsèquement liées au commerce ». Pour la cour, la liberté du commerce « pourrait être effectivement entravée du fait d’actes qui emporteraient destruction de biens destinés

354

SALMON J. (dir.), Dictionnaire de droit international public, op. cit., p. 659

Selon J. Salmon, « le principe de la liberté du commerce a été affirmé depuis longtemps tant par la doctrine que par la pratique et par la jurisprudence. Cependant son contenu juridique est problématique car, à la question de savoir si ce droit entraînerait, selon le droit international général, une obligation corrélative pour chaque Etat d’entrer en relation commerci ale avec tout autre Etat qui le souhaiterait, la jurisprudence a clairement répondu par la négative ».

355 CPJI, Oscar Chinn, arrêt du 12 décembre 1934, série A/B, n°63, pp. 83 – 84

Dansl’affaire Oscar Chinn, la cour de justice devait statuer sur la question de savoir comment réparer les pertes et dommages que le sujet anglais Oscar Chinee avait subi, à cause de certaines mesures prises et appliquées en 1931 par le Gouvernement colonial du Congo belge à l’égard de la Société Unatra pour favoriser le transport fluvial sur les voies d’eau du Congo belge à prix réduit de produits coloniaux atteints par la crise.

QIN Quan| Thèse de doctorat |Novembre 2017 à être exportés, ou qui seraient susceptibles d’en affecter le transport et le stockage en vue de l’exportation ».356

162. En ce qui concerne les principes fondamentaux ayant pour but de rendre

effectif la liberté du commerce, on note très fréquemment dans les traités de commerce le principe de non-discrimination, ainsi que la clause de la nation la plus favorisée (NPF) et celle du traitement national. Selon la Commission du droit international,

« une clause NPF est une disposition conventionnelle par laquelle un Etat accepte d’accorder à l’autre partie contractante un traitement non moins favorable que celui qu’il concède à d’autres Etats ou à des Etats tiers. Il s’agit d’une forme précoce et particulière de clause de non-discrimination dont les origines remontent aux premiers traités d’amitié, de commerce et de navigation (« Traités ACN ») ».357

163. Particulièrement, dans le régime commercial multilatéral tel que celui du

GATT de 1947, les Etats acceptent, en vertu de la clause NPF, « de s’octroyer mutuellement le bénéfice des avantages commerciaux supplémentaires qu’ils viendraient à accorder unilatéralement à des pays tiers soit de manière inconditionnelle soit sous condition de réciprocité ».358

164. En tant que complément naturel du traitement NPF, le principe de

traitement national a pour but d’assurer que les étrangers peuvent au minimum

356 CIJ, Plates - formes pétrolière (Iran - Etats Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt du 12 décembre 1996, para.

48 – 50

357

ONU, Assemblée générale, Clause de la nation la plus favorisée, Rapport du Groupe de travail, A/CN.4/L.719, adopté le 20 juillet 2007 par la 59ème session de la Commission du droit international, Genève, Annexe, para. 3

En effet, la Commission du droit international a réalisé en 1978 une étude consacrée spécifiquement au thème des clauses NPF. A l’issue de cette étude, un projet d’articles sur les clauses NPF a été adopté par la Commission, dont les articles 4 et 5 traient du contenu substantiel de ce type de clauses. L’article 4 définit la clause NPF comme « une disposition conventionnelle par laquelle un Etat assume à l’égard d’un autre Etat l’obligation d’accorder le traitement de la nation la plus favorisée dans un domaine convenu de relations », alors que l’article 5 prévoit le traitement NPF comme « le traitement accordé par l’Etat concédant à l’Etat bénéficiaire…non moins favorable que le traitement conféré par l’Etat concédant à un Etat tiers… ».

Pour le texte original, voir Commission du droit international, Projet d’articles sur les clauses de la nation la plus favorisée, adopté en 1978 lors de la 30ème session de la Commission du droit international, soumis à l’Assemblée générale de l’ONU dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session, et reproduit dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 1978, Vol. II, 2ème partie, 10p.

358

s’attendre à recevoir un traitement égal à celui des nationaux.359

Inséré à l’article III du GATT de 1947, ce principe « assure une assimilation quant au régime juridique et fiscal applicable aux produits importés par rapport aux produits nationaux et interdit, d’une façon générale, les discriminations de traitement à raison de l’origine des produits ».360

165. Les objectifs du présent travail nécessitent de mentionner brièvement, en

dehors du principe de non-discrimination, les autres grands principes sur lesquels repose le régime commercial multilatéral tel qu’il était incorporé autrefois dans le GATT de 1947 et aujourd’hui dans les règles de l’OMC. Il s’agit du principe de tarification et de réduction réciproque des droits de douane et du principe d’élimination substantielle des obstacles au commerce. En vertu du premier, les Etats contractants ne peuvent limiter l’accès à leurs marchés intérieurs que par l’intermédiaire des droits de douane, qui devraient d’ailleurs être consolidés.361

Les Etats contractants doivent envisager en outre d’organiser des négociations périodiques visant, « sur une base de réciprocité et d’avantage mutuels, à la réduction substantielle du niveau général des droits de douane et des autres impositions perçues à l’importation et à l’exportation… ».362

En allant plus loin, le deuxième principe vise l’élimination générale des restrictions quantitatives et des contingentements. Il interdit aux Etats contractants d’instituer ou de maintenir les prohibitions ou restrictions aux échanges « autres que droits de douane, taxes ou autres impositions »,363 et limite strictement la mise en place d’autres obstacles non tarifaires au commerce, tel que les mesures sanitaires et phytosanitaires et les obstacles techniques.364

359 OCDE, La norme du traitement juste et équitable dans le droit international des investissements , Paris, 2004, p. 9, note de

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360

ADAM E., Droit international de l’agriculture : sécuriser le commerce des produits agricoles , Paris, L.G.D.J., 2012, p. 91. Pour une étude approfondie sur les clauses NPF, voir CREPET DAIGREMONT C., La clause de la nation la plus favorisée, Paris, Editions A. Pedone, 2015, 506p.

361

ADAM E., Droit international de l’agriculture : sécuriser le commerce des produits agricoles , op. cit., pp. 91 – 92

362

Article XXVIII bis, paragraphe 1 du GATT de 1947

363 Article XI, paragraphe 1 du GATT de 1947 364

QIN Quan| Thèse de doctorat |Novembre 2017

166. En conclusion, le modèle historique des politiques agricoles et du

commerce international relève que la sécurité des approvisionnements alimentaires trouve ses bases plutôt dans les politiques interventionnistes et protectionnistes que dans le libre-échange, même si la sécurité alimentaire n’était pas et n’est toujours pas, en réalité, le véritable objectif que les pays développés cherchent à atteindre par les politiques de protection agricole.365 Sur ce point, il suffit de mentionner le fait que les pays qui accordent les subventions importantes au secteur agricole à nos jours sont les pays exportateurs nets des produits vivriers.

Paragraphe 2 – La sécurité sanitaire des aliments – enjeu perçu au