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Souvenirs autobiographiques et self-defining memories et leurs spécificités dans la schizophrénie

Dans le document tel-00869402, version 1 - 3 Oct 2013 (Page 115-119)

Registre visuo-spatial

5. La mémoire autobiographique et sa spécificité dans la schizophrénie

5.2. Souvenirs autobiographiques et self-defining memories et leurs spécificités dans la schizophrénie

La notion de self-defining memories est introduite pour la première fois par Singer et Moffitt (1991-1992). Ils désignent, ainsi, un ensemble de souvenirs qui définissent le self ou qui ont un sens pour le self. Ces souvenirs se réfèrent aux événements importants de la vie de tout un chacun, et aident à la construction de l’identité. Leur importance est majeure pour l’élaboration de la personnalité (manière d’agir, de penser, d’interagir avec les autres) et de l’image de soi (physique, morale, sociale ou personnelle). Le rappel de ces évènements est généralement caractérisé par des sentiments vifs, accompagné de fortes émotions, et leur contenu peut représenter des situations familières rencontrées dans plusieurs domaines de la vie.

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« Le soir où j’ai compris, que le masque symbolique que je portais, freinait mon élan vital et handicapait mes relations sociales. »

« Ce jour particulier où j’ai pris conscience que l’acharnement sur le passé et l’anticipation du futur m’empêchait de vivre pleinement l’instant présent. »

Le processus de meaning makingest une étape particulière et nécessaire à l’intégration de ces souvenirs spécifiques (self-defining memories) au sein du self (Blagov et Singer, 2004).

Le meaning makingest cette capacité que présente le sujet à attribuer un sens à un souvenir, un sens qu’il pourra retrouver à tout moment de sa vie et l’intégrer dans une situation donnée.

Ce souvenir pourra être rappelé avec une certaine prise de distance, comme une leçon de vie ou un guide personnel.

« J’avais 22 ans, j’étais encore très jeune. C’était un matin, je m’étais réveillé plus tôt que d’habitude, j’avais un sentiment de mal être, oui, j’étais très anxieux. Ma copine de l’époque s’est approchée de moi me regardant droit dans les yeux, je me souviendrai toujours de ce regard froid, me disant ‘‘je te quitte, tu ne changeras jamais, j’ai besoin d’un homme stable, responsable et mature…’’. Cette phrase est gravée dans ma mémoire à tout jamais. Cette histoire m’a permis de grandir et développer toutes ces qualités, qui à présent font partie intégrante de ma vie. C’était un choc, maintenant je le prends avec beaucoup de philosophie. »

Dans ce souvenir autobiographique peuvent être retrouvées les qualités épisodiques : souvenir unique, durée inférieure à 24 heures, situé dans le temps, plus ou moins dans l’espace, détails spécifiques et détails phénoménologiques (émotions, pensées, états). Dans la deuxième partie du souvenir, le sujet évoque spontanément le lien entre cet évènement et le

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développement futur de sa vie, ainsi que le lien entre ce dernier et ses traits de personnalité actuels. Cet exemple permet de concevoir que l’intégration au sein du self d’un souvenir épisodique, n’est pas systématique et sous-tend des processus complexes, qui seront développés au cours de ce travail.

L’étude des self-defining memories dans la schizophrénie est un phénomène relativement récent, qui a débuté avec les travaux de Raffard et collaborateurs en 2009. Les auteurs mettent en évidence dans leur premier article (Raffard et al., 2009) que la spécificité des souvenirs rappelés par les patients et les sujets sains ne diffèrent pas significativement. Ce type de résultat est inattendu et contredit la littérature précédemment décrite. Il pourrait, cependant, refléter l’utilisation des outils de mesure différents entre cette dernière étude et les études précédemment abordées. La faible spécificité de l’outil utilisé par Raffard et collaborateurs (2009), prenant en compte qu’une partie de la richesse du souvenir épisodique rappelé, pourrait expliquer la normalisation des performances des sujets souffrant de schizophrénie. Par ailleurs, les patients rapportent moins de souvenirs qualitativement et quantitativement reliés au self, ce qui démontre une capacité réduite d’attribuer un sens à leurs souvenirs. Le contenu de leurs souvenirs est significativement différent de celui des sujets sains. En effet, les patients rappellent plus de souvenirs en lien avec la maladie, les hospitalisations et le vécu de stigmatisation que des expériences personnellement vécues avant l’apparition du trouble.

Dans la seconde étude de Raffard et collaborateurs (2010), les résultats soulignent que le lien entre les souvenirs et le self est significativement réduit pour les catégories : relations intimes et sociales, valeurs, perspectives, estime de soi, intérêt et développement personnel, alors que, pour les catégories personnalité et comportement, les performances sont comparables au groupe témoin (un lien peu fréquent dans le groupe témoin). Les résultats indiquent que la cohérence des souvenirs est diminuée chez les patients, ce qui contribue,

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selon Raffard et al., (2010), à la perturbation de leur sentiment d’identité et de continuité personnelle. De manière générale, les auteurs rapportent une baisse de la spécificité des souvenirs chez les patients par rapport aux sujets sains. Ces souvenirs sont caractérisés par une faible contextualisation, peu de détails spécifiques, une chronologie perturbée, une cohérence réduite et des thématiques propres à la schizophrénie. En effet, les thèmes rappelés à une fréquence significativement plus importante chez les patients en comparaison au groupe témoin sont des évènements : menaçants la vie, des échecs et ruptures personnels (Raffard et al., 2010), des hospitalisations et stigmatisations (Raffard et al., 2009).

Dans la continuité de ces travaux et dans le but d’évaluer la manière dont les expériences des patients souffrant de schizophrénie sont intégrées au self, les auteurs Berna et collaborateurs (Berna et al., 2011a ; Berna et al., 2011b) ont effectués deux études consécutives qui explorent les caractéristiques des self-defining memories, et plus particulièrement, la possibilité des patients à leur donner un sens (meaning making). De manière générale, les résultats de la première étude confirment ceux précédemment rapportés (Raffard et al., 2009 ; Raffard et al., 2010), soulignant une capacité réduite chez les patients en comparaison aux sujets sains à donner un sens aux self-defining memories. Ces résultats sont confirmés, malgré la prise de nouvelles précautions méthodologiques qui auront pu rendre compte de ce déficit lors des études précédentes. Le déficit de meaning makingobservé chez les patients n’est donc pas dépendants des phénomènes suivants : niveau intellectuel, symptomatologie dépressive, spontanéité réduite de la mention du sens des évènements, erreurs de choix d’évènements (faiblement significatifs), fréquence d’évènements traumatiques, ou difficulté de partage de l’évènement avec un tiers. Par ailleurs, les résultats soulignent une corrélation forte entre la diminution du meaning making, le déficit exécutif et l’intensité de la symptomatologie négative.

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Les résultats précédents ont amené les auteurs à mener leur deuxième étude (Berna et al., 2011b) basée sur l’exploration des liens entre les self-defining memorieset les souvenirs liés à la maladie mentale. Les résultats obtenus mettent en évidence que 2/3 des patients rappellent spontanément un self-defining memoriesou davantage liés à la maladie mentale sur 5 souvenirs demandés. Un résultat fort intéressant à noter est que la capacité des patients à donner un sens auxself-defining memoriesest comparable que le souvenir soit lié ou non à la maladie mentale. En comparaison au groupe témoin, le processus de meaning making (le sens) est donc réduit, et l’intégration des souvenirs liés à la maladie s’avère différente de celle dont bénéficie les autres souvenirs. En effet, bien que l’intégration cognitive (meaning making) des souvenirs liés à la maladie est réduite, leur intégration émotionnelle semble préservée. Ces souvenirs bénéficient d’un processus de rédemption fréquent, et sont caractérisés par un rappel émotionnel positif plus important que pour les autres self-defining memories.

5.3. Organisation de la mémoire autobiographique et troubles de

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