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Importance clinique de l’insight au sein de la schizophrénie

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Niveau de conscience Critères de définition

3. Les troubles de la conscience dans la schizophrénie

3.6. Importance clinique de l’insight au sein de la schizophrénie

Le phénomène d’insight, bien que non spécifique à la schizophrénie, présente un trouble d’importance primordiale dans le tableau clinique de cette dernière. Le déficit d’insightfait partie intégrante de nombreux troubles psychiatriques, parmi lesquels, au sein de la dépression ou du trouble bipolaire, il s’exprime en tant qu’un état passager accompagnant les périodes aiguës de la maladie. Au sein de la schizophrénie, le déficit d’insight prend une

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place tout à fait différente accompagnant la phase prodromique, les phases de stabilisation clinique ou encore les périodes de rechutes. Le phénomène d’insight dans la schizophrénie est ainsi considéré non plus comme un état passager, mais comme un trait de la maladie mentale.

L’importance du phénomène insight dans la schizophrénie, sa fréquence, son intensité, sa complexité et sa permanence imposent un intérêt particulier, dont témoigne la quantité d’études scientifiques parues au cours de ces vingt dernières années.

Dans une étude de 1994, l’insightest touché de façon modérée ou sévère chez 57 % de 221 sujets schizophrènes évalués ; 31 % n’ont pas conscience des conséquences sociales de leur maladie, 22 % n’ont aucune conscience des effets des médicaments, en ce qui concerne l’absence de conscience des symptômes ; 28 % ne sont pas conscients de leur retrait social et 58% de leurs idées délirantes (Amador et al., 1994). Au niveau des répercussions cliniques liées à l’insight, la mauvaise compliance au traitement est certainement liée au trouble de la conscience (MacPherson et al., 1996; Mutsatsa et al., 2003), ainsi qu’à un nombre plus élevé de ré-hospitalisations (McEvoy et al., 1989; Heinrichs et al., 1985). Le fonctionnement relationnel et social, ainsi que la qualité de vie semblent être plus altérés chez des personnes ayant une faible conscience de la maladie mentale par rapport aux patients possédant un bon niveau d’insight (Larøi et al., 2000; White et al., 2000, Francis & Penn, 2001; Goldberg et al., 2001).

L’intérêt spécifique porté à l’insight dans ce travail de thèse est dû à son importance pour une meilleure évolution et pronostic du trouble (Schwartz et al., 1997 ; Amador &

Strauss, 1993; David, 1998). Le bon niveau d’insightest prédicteur de l’alliance thérapeutique et de l’observance du traitement (Allilaire, 2005). Bien que la thérapeutique médicamenteuse de la schizophrénie offre des résultats très prometteurs, comme la stabilisation clinique et la diminution du risque de rechutes, l’observance dans la schizophrénie reste faible.

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En France dans les années 1950 la découverte du premier neuroleptique (Largactil) par Laborit et collaborateurs (1952) permettait de penser à la diminution symptomatique, à l’ouverture des asiles et à la réinsertion sociale. Très rapidement dans la prise en charge de la psychose et notamment dans la schizophrénie, l’utilisation des antipsychotiques de première génération s’est imposée comme démarche de soins nécessaire. Par son efficacité et par l’accès qu’elle offre à un contact amélioré avec les patients, cette démarche devient primordiale pour le psychiatre.

Pour le patient, le traitement médicamenteux de première génération induit, avant tout, une diminution de l’intensité symptomatique et un nombre important d’effets secondaires.

On aurait pu incriminer les effets indésirables des neuroleptiques comme facteurs prédictifs de la non-observance et cela aurait pu être justifié. Cependant, en 1990 avec la découverte des neuroleptiques atypiques, ou de seconde génération, le phénomène d’observance apparaît plus complexe qu’une simple conséquence aux effets indésirables. Contrairement aux neuroleptiques de première génération, les antipsychotiques de seconde génération, induisent peu d’effets extrapyramidaux, moins de risque de dyskinésie tardive ou de dépression et améliorent les performances cognitives. La mauvaise observance médicamenteuse reste, malgré ces faits, une réalité clinique d’intensité et d’importance majeure et de ce fait, très handicapante dans la schizophrénie. Parmi les causes de la non-observance dans la schizophrénie, la faible conscience du trouble (Kemp et David, 1996 ; Smith et al., 1999) et l’absence de conscience concernant le bénéfice du traitement médicamenteux (McEvoy et al., 1993) sont fréquemment rencontrées. Pour certains auteurs cependant la corrélation entre l’insight et l’observance médicamenteuse est faible (Van Putten et al., 1976) ou absente (Taylor et Perkins, 1991).

En vue de ces résultats, Markova (2009) nous alerte sur la confusion terminologique et l’amalgame théorique qui existent entre la qualité de l’observance médicamenteuse et le bon

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niveau d’insight. En effet, dans la littérature, la bonne observance médicamenteuse exprimée de façon verbale est souvent confondue avec l’observance médicamenteuse sur le plan comportemental. Un patient conscient de la nécessité du traitement médicamenteux, peut aussi bien être observant que non-observant ; à l’inverse, un patient peu conscient du bénéfice médicamenteux peut lui aussi être observant ou non-observant. C’est ainsi que la conscience du bénéfice du traitement, l’observance verbale et la réelle observance comportementale sont des phénomènes interdépendants, qui sous-tendent certainement des mécanismes explicatifs différents.

Dans son ouvrage « L’Insight en psychiatrie », Markova (2009) souligne la difficulté rencontrée dans les études empiriques à évaluer, à définir et de ce fait à déterminer les corrélats cliniques, cognitifs ou sociodémographiques de l’insight. Au niveau des corrélats sociodémographiques de l’insight, nous noterons que la plupart des études soulignent une absence de lien entre ces variables. Les facteurs âge, sexe ou statut socio-économique (David et al., 1992 ; Amador et al., 1994 ; Peralta et Cuesta, 1994 ; Larøi et al., 2000) ne semblent pas influencer le niveau d’insight. Selon certaines études, l’insight reste indépendant de l’âge de début de la maladie, de la chronicité et de la durée de la maladie (Lysaker et Bell, 1994 ; McEvoy et., 1994; Almeida et al., 1994; Arduini et al., 2003). Il est important de noter que quelques études rapportent des résultats spécifiant le lien entre l’âge de la première hospitalisation et la qualité d’insight. La précocité du trouble semble être un facteur favorable à l’amélioration de l’insight (Kim et al., 1997 ; Weiler et al., 2000). Selon quelques études la durée de la maladie apparaît corrélée au déficit d’insight(Marks et al., 2000).

Markovਓ (2009) met en lien ces résultats contradictoires avec les biais méthodologiques des études précédentes n’ayant pas pour but spécifique l’évaluation des variables démographiques et leurs liens avec l’insight. La fréquence des hospitalisations semble contribuer à l’amélioration de la qualité d’insight pour certaines études (Peralta et

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Cuesta, 1994; Ghaemi et al., 1995) alors que pour la majorité des auteurs ces deux variables ne sont pas corrélées (Larøi et al., 2000). Une étude (Thomson et al., 2001) apporte quelques éléments de réponse concernant la divergence de ces résultats. Cette étude compare le niveau d’insight chez des patients souffrant de schizophrénie lors d’un premier épisode psychotique, à ceux ayant présenté de multiples épisodes psychotiques. Le constat des auteurs indique que les patients ayant vécu plusieurs épisodes psychotiques sont, pour une grande partie, conscients de leur maladie et des effets bénéfiques du traitement, alors que, les patients ayant vécu un épisode unique, semblent peu conscients de leur état. L’insight pourrait être ainsi conçu comme un apprentissage progressif acquis au cours des expériences passées. L’insight apparait ainsi, non plus comme un phénomène évoluant de façon linéaire, mais comme un phénomène binaire, où un profil spécifique et une population définie peuvent éclairer sa complexité.

La conscience du trouble mental peut donc intervenir comme prédicteur de la qualité de l’observance médicamenteuse, mais intervient-t-elle aussi dans l’amélioration du pronostic ? La question du pronostic apparaît essentielle dans la schizophrénie. Les études portant sur les liens entre insight et pronostic sont peu nombreuses et leurs comparaisons restent difficilement objectivables. Ces difficultés s’expliquent par la notion même de pronostic. Pour certains auteurs, le critère de jugement sera le nombre d’hospitalisations pour une période donnée, pour d’autres la durée d’hospitalisation, la réponse aux traitements ou encore la possibilité de réinsertion sociale peuvent être prises en compte (Markovਓ, 2009).

Malgré les difficultés méthodologiques évoquées, quelques études portant sur le sujet soulignent le rôle de l’insight comme facteur de meilleur pronostic (Amador et al., 2003) ; pour d’autres, le bon niveau d’insight apparaît corrélé aux mauvais résultats cliniques (Kahn et Fink, 1959), alors que Eisen et al., (2001) soulignent l’absence d’association entre ces deux variables. Ces résultats très variables ne permettent pas de réaliser des conclusions

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définitives ; ils offrent cependant quelques éléments à prendre en compte lors des prochaines investigations cliniques.

Comme souligné précédemment dans ce travail la question de l’insight en tant que symptôme de la maladie à part entière est tout à fait intéressante. Les auteurs d’Amato et Saoud (2006) dans leur ouvrage « La schizophrénie de l’adulte » proposent de considérer l’insight au même titre que les symptômes productifs ou déficitaires de la maladie. Bien que cette question est d’actualité, le flou théorique autour du concept d’insight et son interdépendance avec un ou plusieurs symptômes de la maladie freinent les conclusions et laissent de ce fait cette question ouverte.

Dans certaines études, l’insight en tant que symptôme, apparaît indépendant de la sévérité de la symptomatologie positive et négative ou de la psychopathologie générale (Lysaker et Bell, 1994 ; O'Leary et al., 2000). Il se rapporte cependant de manière exclusive à un ou plusieurs symptômes de la maladie. L’insight seul ne peut exister, il est évalué en rapport aux symptômes de la maladie ; par exemple, « le patient est-il conscient de ses idées délirantes ? » ; « si oui, est-il conscient du critère pathologique de ses idées délirantes ? » ;

« finalement, est-il conscient des conséquences psychologiques et sociales en lien avec ses idées délirantes ? ». Face à cette ambivalence, qu’impose la notion même d’insight et son rapport systématique à la symptomatologie préexistante, certains auteurs proposent d’évaluer les liens entre le niveau d’insight et l’intensité symptomatique (positive, négative, générale).

Nous l’avons vu précédemment, pour certains auteurs, le lien entre insight et intensité symptomatique est inexistant, pour d’autres, le faible niveau d’insight serait lié à la sévérité de la maladie mentale (Rossell et al., 2003 ; Eisen et al., 2004). Un autre groupe d’études souligne un lien entre faible insight et symptomatologie positive (Carroll et al., 1999) ou faible insight et symptomatologie négative (Larøi et al., 2000 ; McCabe et al., 2002).

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Au vu de la variabilité de ces résultats, il est évident que les conclusions ne peuvent être explicites. Pour mieux répondre à ce type de questionnement dans un premier temps il est important d’utiliser des investigations plus précises avec des critères de jugement mieux définis. Dans un deuxième temps les outils de mesure de l’insight doivent être adaptés en fonction des objectifs de l’étude et permettre la définition des profils cognitifs et cliniques de l’insight.

En conclusion, l’étiologie de l’insight semble multiple et complexe, les corrélats sociodémographiques, cliniques et neuropsychologiques toujours exploratoires, alors que l’importance du phénomène et ses conséquences restent relativement floues.

Plusieurs études actuelles portent sur le rapport entre insight et qualité de vie, insight et fonctionnement social et finalement insight et dépression. Nous pouvons de nouveau souligner la grande variabilité entre les études concernant ces corrélats. Pour certains auteurs, l’insight et les variables, adaptation prémorbide (David et al., 1995) et fonctionnement psychosocial (Schwartz, 2001; Markova et al., 2003), ne sont pas liés. Pour d’autres, le faible insight est corrélé au mauvais fonctionnement psychosocial ou à une qualité de vie insatisfaisante (Larøi et al., 2000; Pini et al., 2001). Pour une troisième lignée de recherches, bien que le fonctionnement social déficitaire soit associé au mauvais insight, la qualité de vie de ces patients serait intacte (Smith et al., 1999). Enfin, pour White et al. (2000), le bon insight semble étroitement lié aux meilleures relations sociales et familiales, mais aussi à l’insatisfaction concernant ces mêmes relations.

Concernant les liens entre dépression et niveau d’insight,la variabilité des résultats et des outils de mesure, et la confusion entre symptômes négatifs et dépression dans la schizophrénie semblent rendre les conclusions une fois de plus, difficiles. De manière générale, dépression et insight sont associés par l’intermédiaire d’une corrélation aussi bien positive (Pyne et al., 2001; Schwartz, 2001) que négative (Buckley et al., 2001; Sevy et al.,

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2004) (meilleur vs mauvais insight /dépression vs absence de dépression). Quelques études récentes ont pu ammener des nuances dans ces résultats, à savoir que quand la corrélation entre dépression et insight apparaît positive elle est liée avant tout au niveau de stigmatisation que représente la maladie pour le patient, et pour son entourage proche. De même, un insight élevé associé à une dépression croissante serait valable en début de la prise en charge lors de l’annonce du diagnostic et aurait tendance à diminuer voire ne plus être présent à 6 semaines (Kemp et Lambert, 1995), 12 mois (Mintz et al., 2004) ou 18 mois (Drake et al., 2004) du suivi.

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