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Les modèles cognitifs et neuropsychologiques de l’insight

Dans le document tel-00869402, version 1 - 3 Oct 2013 (Page 61-68)

Niveau de conscience Critères de définition

3. Les troubles de la conscience dans la schizophrénie

3.4. Modéliser l’insight

3.4.2. Les modèles cognitifs et neuropsychologiques de l’insight

3.4.2.1. Modèle cognitif de l’insight

Garety, Kuipers, Fowler, Freeman et Bebbington (2001) proposent un nouveau modèle intégratif de la symptomatologie positive dans la psychose. Le modèle repose sur une vulnérabilité bio-psycho-sociale associée à des évènements de vie et facteurs stressants. Ces

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différents facteurs tels que l’isolement social, l’environnement instable et la consommation de substances peuvent en favoriser l’apparition symptomatique. Le principe du modèle est fondé sur l’évaluation et l’interprétation des expériences nouvelles et les processus cognitifs et émotionnels sous-tendus. Dans un premier temps, les vulnérabilités individuelles, génétiques et neurodéveloppementales, ainsi que les premières expériences infantiles négatives, induisent le développement d’une image déformée de soi, des autres et du monde. Cette vulnérabilité initiale, prédisposent le patient à l’installation progressive des troubles thymiques et au développement de la symptomatologie psychotique (Gilbert et Plaistow, 2000c). Dans un deuxième temps, le dysfonctionnement cognitif général ou très spécifique selon les études est à l’origine de l’expression symptomatique.

Selon Frith (1992), un déficit cognitif empêchant l’appropriation à soi de ses propres pensées, intentions et actions peut induire le sentiment que l’expérience vécue est imposée par autrui, ce qui pourrait expliquer une partie de la symptomatologie négative dans la schizophrénie. L’ensemble des dysfonctionnements cognitifs (attention, mémoire, fonctions exécutives) provoque des expériences inhabituelles (perceptions intenses, mouvements du sujet vécus comme involontaires, événements peu liés associés entre eux, expériences hallucinatoires d’ordre sensori-moteur) en réponse desquels des changements émotionnels s’installent progressivement. L’anxiété croissante et l’humeur en baisse s’associent aux changements dysfonctionnels des perceptions et des processus cognitifs, ce qui pourrait accentuer les expériences symptomatiques étranges.

Ce modèle cognitif de l’insight permet d’expliquer d’une part, l’évaluation subjective du patient (conscience et attribution) concernant l’expérience symptomatique et les perturbations émotionnelles, et d’autre part, il clarifie l’évaluation subjective du patient concernant les conséquences actuelles et futures de la maladie mentale (Jolley et Garety, 2004). Ce type d’approche indique l’importance pour le patient de l’appréciation positive de

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sa maladie mentale, comme facteur d’une meilleure évolution clinique. L’image négative quant à elle, associée à la maladie mentale ou aux conséquences de cette dernière apparaît comme un facteur de pronostic négatif (McEvoy et al., 1989).

3.4.2.2. Modèle neurocomportemental de l’insight

Stuss et Benson (1986) proposent une conception théorique de l’insight qui implique le rôle du lobe frontal. Le fonctionnement du lobe frontal est organisé de façon hiérarchique.

Le mécanisme du self-awareness(conscience de soi) a le rôle de gestion des activités les plus complexes. Le self-awareness se situe ainsi tout en haut de l’organisation hiérarchique de ce modèle. La structure du self-awareness assure le bon fonctionnement de l’activité cérébrale ainsi que les interactions complexes entre le fonctionnement du cerveau et de l’environnement. Stuss et Benson (1986) distinguent le self-awareness des autres structures frontales telles que le fonctionnement exécutif impliqué dans l’organisation et la planification du comportement. Les auteurs font l’hypothèse que le lobe frontal dirige des systèmes de fonctionnement cérébral basique impliquant les processus attentionnels, de mémoire, de langage et de perception (Stuss and Benson, 1986). L’insight dans ce modèle, résulterait du dysfonctionnement de l’interaction entre le système self-awareness et l’un des processus cognitifs de base.

3.4.2.3. Modèles neuropsychologiques de l’insight

Un grand nombre d’auteurs impliquent le rôle du système error monitoring (système qui permet le contrôle de l’action) dans l’appréhension du phénomène d’insight (Goldberg and Barr, 1991). D’un point de vue général le processus d’error monitoring est composé de trois parties : une représentation interne de l’action voulue, un feedback concernant l’action effectuée et la comparaison entre l’action voulue et le feedback de l’action réellement réalisée.

Les auteurs, Goldberg et Barr (1991) stipulent qu’un dysfonctionnement à un des trois

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niveaux du processus error monitoringpeut rendre compte du déficit d’insight dans la schizophrénie. Pour définir et distinguer les mécanismes qui sous-tendent la richesse de l’expression clinique de l’insight, les auteurs soulignent la nécessité d’identifier le niveau de perturbation, les éléments perturbés, ainsi que leurs éventuelles interactions. Goldberg et Barr (1991) proposent l’implication d’un endommagement au niveau de l’hémisphère droit antérieur et droit postérieur dans le déficit d’insight, touchant plus particulièrement le domaine cognitif et le processus sensori-perceptif respectivement.

Un autre modèle neuropsychologiques de l’insight, le Conscious Awareness System (CAS), est proposé par McGlynn et Schacter (1989). Ce système de conscience est responsable de la détection d’un changement significatif en soi et notamment au niveau des perceptions, de la mémoire et du raisonnement. Les auteurs proposent une localisation cérébrale du système de conscience CAS au niveau du lobe pariétal inférieur. Un dysfonctionnement causant une rupture entre le système de conscience CAS et les différents processus cognitifs impliquent des troubles de la conscience du fonctionnement cognitif et de la perception somatosensorielle. Comme dans le modèle de Stass et Benson (1986), cette modélisation neuropsychologique de l’insight sépare le système de conscience CAS du système exécutif.

3.4.2.4. Modèle issu des neurosciences cognitives

Inspirés par le modèle clinique et multidimensionnel de l’insight d’Amador et collaborateurs (1991), Flashman et Roth (2004) font l’hypothèse que la conscience symptomatique et l’attribution causale des symptômes peuvent être assimilées entre elles. Ce type de lien forme trois types de profils de patients. Les auteurs distinguent : les patients conscients de leur symptomatologie, et l’attribuant de façon correcte à la maladie mentale (conscients, attribution correcte), les patients conscients de leurs symptômes, les attribuant cependant de façon incorrecte à des facteurs autres que psychiatriques (conscients,

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mésattribution) et les patients avec absence de conscience de leur symptomatologie (inconscient). Dans le but de faciliter l’évaluation des mécanismes cognitifs impliqués dans l’insight multidimensionnel, Flashman et Roth (2004) proposent un modèle de neuroscience cognitive (Tableau 5).

Les auteurs définissent trois groupes de patients (conscient, attribution correcte;

conscient, mésattribution; inconscient) sur la base des processus cognitifs sous-jacents.

Flashman et Roth (2004) précisent que l’identification des trois profils de conscience est une démarche limitant l’appréhension de l’insightdans sa complexité. Une telle démarche s’avère cependant nécessaire, afin d’illustrer de façon plus lisible les hypothèses et analyser les résultats. Le modèle devrait être lu comme un continuum entre les profils, au niveau de la qualité de la conscience et de l’attribution et ce sur l’ensemble de la symptomatologie concernée. Bien que les déficits sensoriels et perceptifs aient été largement documentés dans la schizophrénie (Braus et al., 2002; Salisbury et al., 2002), ce modèle souligne leur faible contribution au déficit d’insight.

Tableau 5:Modèle neuropsychologique des corrélats cognitifs entre les aspects de l’insight (Flashman et Roth, 2004)

ªMémoire de source interne : self-monitoring; + : performances efficientes; +/- : atteinte minimale;

- : performances altérées; * : performances très déficitaires.

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3.4.2.5. L’insight résultant d’un trouble métacognitif

Baron-Cohen (1995) définit la métareprésentation comme la capacité de l’individu à différencier les états mentaux de la réalité. A titre d’exemple, la phrase indiquant un fait « il fait beau aujourd’hui » peut être intégrée dans une phrase de représentation de plus haut niveau, telle que la métareprésentation « Franck pense ‘‘il fait beau aujourd’hui’’ ». La première proposition reflète la réalité, la deuxième peut induire le doute par rapport à cette même réalité.

La distinction entre la métareprésentation et la « métacognition » est délicate, celle-ci semble cependant nécessaire dans la comparaison des profils neuropsychologiques entre certaines pathologies, telles que l’autisme et la schizophrénie. Dans l’autisme, les troubles qui handicapent lourdement la communication proviennent en partie du déficit de la métareprésentation aussi nommé le ‘‘mindblindness’’. Ce type de déficit peut être considéré comme peu commun à la schizophrénie, où une métareprésentation développé, alimente et entretient le processus des idées délirantes. La métacognition se définit comme la capacité de penser sur ses propres pensées (Koren et al., 2004) : « comment mieux comprendre ce qui se passe dans mon esprit ?».

Langdon et Ward (2009) proposent un nouveau modèle explicatif du déficit d’insight dans la schizophrénie. Ce modèle peut expliquer la faible conscience du trouble mental, non plus comme résultant d’un déficit cognitif ou conséquent à un mécanisme de défense adaptatif, mais reflétant une difficulté au niveau de la métacognition. Langdon et Ward (2009), proposent toute fois de concevoir et d’intégrer les deux modèles précédents dans leur modèle alternatif, où les difficultés métacognitives à l’origine du faible insight peuvent être dues, soit aux difficultés cognitives (déficit cognitif), soit à une stratégie de coping (défense psychologique). Considérer le faible niveau d’insight comme déficit métacognitif, reflète la difficulté que présentent les patients à réfléchir sur eux-mêmes tout en intégrant les

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perspectives des autres (Lysaker et al., 2008 ; Stanghellini et Lysaker, 2007). Cette capacité métacognitive implique les capacités de mentalisation aussi connues sous le nom de théorie de l’esprit.

La théorie de l’esprit exprime la capacité d’un individu à prendre conscience de l’existence d’autrui. La théorie de l’esprit permet à la personne d’inférer les états mentaux et de prévoir les comportements et actions des autres. La nature dichotomique des contenus des états mentaux, tels que les pensées et les émotions a conduit certains auteurs à distinguer deux types de TOM (froide, relative aux pensées et chaude, relative aux émotions ;Coricelli, 2005).

Actuellement les termes utilisé respectif se rapporte à la TOM cognitive et à la TOM affective respectivement (Shamay-Tsoory & Aharon-Peretz, 2007 ; Kalbe et al., 2010). La première se définit comme la capacité à comprendre, à inférer ou raisonner sur les pensées, les croyances ou les intentions d’autrui. La TOM affective se réfère à la capacité à se représenter les états affectifs, mais aussi à comprndre et déduire leurs émotions et sentiments.

Langdon et collaborateurs (2009) proposent de concevoir le déficit d’insightcomme la difficulté chez ses patients à porter un jugement sur eux-mêmes, à se percevoir comme les autres les perçoivent. Dans leur étude, ils obtiennent des résultats spécifiant un lien étroit entre les capacités de théorie de l’esprit et le niveau d’insight. Le niveau de mentalisation (ToM), ne semble pas complètement expliqué par les capacités intellectuelles, la mémoire verbale ou le contrôle inhibiteur. Parmi les trois dimensions de l’insight multidimensionnel évaluées, deux seulement semble corrélées aux capacités de mentalisation. La conscience symptomatique et la conscience d’avoir un trouble mental apparaissent liées à la théorie de l’esprit, alors que la conscience de la nécessité d’un traitement est relativement indépendante.

Ces résultats peuvent être expliqués par le paradoxe observé chez certains patients qui prennent régulièrement leur traitement tout en refusant d’admettre la présence d’un trouble

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psychique, ou chez ceux qui refusent de prendre un traitement, d’être suivis en thérapie tout en se disant souffrant de schizophrénie.

Les auteurs apportent une précision importante concernant les tâches utilisées évaluant la théorie de l’esprit. Le type de présentation (verbale/non-verbale) ainsi que le type de récupération de l’information (verbale/non-verbale), peuvent expliquer les résultats contradictoires précédemment observés dans la littérature. Leurs travaux indiquent que les consignes des tâches présentées verbalement et récupérées de façon verbale ou non verbale présentent un bon prédicteur du niveau d’insight. La tâche entièrement verbale (présentation /réponse) prédit peu le faible niveau de la conscience du trouble mental. Ceci pourrait refléter que les scores des tâches évaluant la théorie de l’esprit reposant sur un matériel entièrement verbale sont d’avantages dépendants des troubles langagier que des capacités de mentalisation. Sachant que les tâches non verbales permettent de diminuer la charge cognitive impliquée lors du traitement de l’information métacognitive, les liens observés entre ces tâches et l’insightreflètent un lien plus pur entre ces deux entités.

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