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L’insight conceptualisé en psychiatrie

Dans le document tel-00869402, version 1 - 3 Oct 2013 (Page 55-60)

Niveau de conscience Critères de définition

3. Les troubles de la conscience dans la schizophrénie

3.3. L’insight conceptualisé en psychiatrie

Le concept d’insight très largement utilisé en psychiatrie française et anglo-saxonne, fait l’objet de définitions multiples et obscures. Bien que l’exploration de l’insight dans la pratique clinique soit habituellement recommandée, sa définition reste incertaine. La difficulté à appréhender ce concept pourrait être en relation étroite avec les interprétations psychologiques multiples auxquelles il a donné lieu : mécanismes de défense psychologique, attributions environnementales, mécanismes de croyance, manque d’information par rapport à la maladie et déficits cognitifs. La confusion conceptuelle de l’insight trouve son origine au

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sein des considérations contradictoires de la fin du 19ème siècle (Markovà, 2009). Deux conceptions opposées de l’insight le définissent à cette époque. Le phénomène désigne ainsi la prise de conscience des opérations mentales (Despine, 1875 ; Maudsley, 1895) ou la capacité de jugement et d’introspection complexe sur les conséquences de la maladie mentale (Parant, 1888).

Au début du 20ème siècle, les efforts de définition et de compréhension des mécanismes sous-jacents au déficit d’insight se poursuivent par un nombre de travaux considérable. Parmi d’autres, Lewis (1934) propose l’étude comparative du phénomène de l’insight entre les sujets souffrant de troubles psychiques et les sujets sains : il souligne ainsi la nécessité d’harmoniser le point de vue du clinicien et celui du patient. Les travaux sur l’insight ont été considérablement réduits avec la Seconde Guerre mondiale et la période d’après-guerre. En 1980, l’intérêt sur la question de l’insighta repris progressivement place et anime actuellement de vifs débats théoriques autour de trois grands axes de recherches scientifiques : l’étiologie de l’insight, les corrélats cliniques et cognitifs de l’insightet sa prise en charge. Dans une revue récente de la littérature, Jaafari et Markovà (2011), proposent d’explorer le concept d’insight par l’intermédiaire de trois notions : l’insight clinique, l’insight cognitif et l’insight somato-sensoriel. Ce type d’approche offre une exploration complexe du phénomène multidimensionnel que représente l’insight.

3.3.1 L’insight clinique

L’insight clinique ainsi conçu embrasse des domaines aussi différents que l’évolution, le pronostic du trouble, l’alliance thérapeutique ou encore l’observance du traitement.

L’insight mis en pratique représente la reconnaissance d’une maladie mentale, la capacité à identifier des événements mentaux inhabituels comme pathologiques, ou encore la solidité de

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la croyance. Avec le développement du concept deux types d’approches ont été retenus : catégorielle et dimensionnelle.

3.3.1.1. L’approche catégorielle

Les premières évaluations de l’insight clinique étaient dichotomiques. L’absence ou la présence de la conscience du trouble mental étaient recherchées : l’insightpouvait être plus ou moins présent ou plus ou moins absent. Ce type d’approche offre une mesure de l’insight rapide et prend en compte uniquement le point de vue de l’observateur. Les hétéro-évaluations par l’intermédiaire d’un seul item ont été et sont actuellement très utilisées dans des recherches scientifiques où la conscience du trouble mental n’est pas l’objectif principal de l’étude. Les études comparatives entre sujets utilisent les approches catégorielles comme une mesure plus large et peu spécifique afin de comparer des pathologies différentes. L’approche catégorielle, bien que facile d’accès et rapide d’administration, comporte des inconvénients portant des préjudices méthodologiques. Il est ainsi difficile, de distinguer des catégories (insightpartiellement présent / insightpartiellement absent), comme il est difficile de déduire des conclusions avec ce type d’outils.

3.3.1.2. L’approche dimensionnelle

L’approche de l’insight dimensionnel a pris place dans la clinique en psychiatrie, afin d’offrir une mesure qualitative et quantitative proche de la réalité du phénomène. L’approche dimensionnelle a tout d’abord permis de différencier l’évaluation subjective de l’insight perçue par le patient de l’évaluation plus objective fournie par le professionnel de santé. Dans un deuxième temps, l’insight dimensionnel distingue la conscience et les connaissances qu’a le patient de son trouble mental. La différenciation conscience et connaissance pourrait être justifiée cliniquement par ces patients qui se disent malades, mais ne sont pas observant vis-à-vis de leur traitement et par ceux qui au contraire tout en prenant régulièrement leur traitement

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se disent en bonne santé. Dans un troisième temps, l’insight dimensionnel a permis de différencier le vrai-insight du faux-insight. Le ‘‘vrai’’, refléterait une réelle prise de conscience de son état morbide, alors que le ‘‘faux’’ correspondrait à une information acquise et répétée sans véritable appropriation psychique, ni prise de conscience.

Plus spécifiquement, la clinique de la schizophrénie a mis en évidence la nécessité de définir et de différencier l’insightactuel de l’insight rétrospectif en lien étroit avec les phases aiguës de la maladie et les phases de stabilisation clinique. Cette distinction entre l’insight actuel et rétrospectif s’est imposée et se justifie par les corrélats observés entre les schizophrénies débutantes et les rechutes psychotiques. Les phases aiguës se caractérisent par un niveau d’insightfaible. Au cours des périodes de stabilisation symptomatique l’insightpeut devenir partiel ou total concernant l’épisode passé et rester cependant absent concernant la période actuelle de la maladie. Avec le développement du concept, certaines dimensions comme la conscience de la maladie, de la symptomatologie ou encore l’attribution symptomatique causale, se sont inévitablement imposées dans l’évaluation du phénomène d’insighdans la schizophrénie.

3.3.1.3. L’insight cognitif

L’insight cognitif est une conception tout à fait nouvelle du déficit de la conscience du trouble mental dans la schizophrénie (Beck et al., 2004). Beck et collaborateurs (2004) proposent de distinguer l’insight cliniquede l’insight cognitif. Si l’insight cliniquese rapporte à la conscience de la maladie et de la symptomatologie causale, l’insight cognitif lui reflète plus la capacité qu’a le patient à remettre en question ses propres croyances. Le concept d’insightcognitif permet ainsi la prise en compte de deux problèmes majeurs rencontrés dans la psychose. Le premier, est la difficulté que présente le patient à se distancier des distorsions cognitives dont il est victime. Le deuxième est son incapacité à prendre en compte lefeedback correcte de l’examinateur (Moritz et Woodward, 2006). Beck et Warman (2004) indiquent que

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cette incapacité à prendre distance avec ses propres croyances, ainsi que cette difficulté de concevoir le point de vue d’autrui, alimentent aussi bien les troubles de l’insightclinique que l’apparition progressive de la symptomatique délirante dans la schizophrénie.

3.3.1.4. L’insight somatosensoriel

Belin et collaborateurs (2011) proposent un nouveau cadre théorique et conceptuel de l’insight (Figure 3). Appliqué aux troubles obsessionnels compulsifs et aux addictions, cette théorisation de l’insight joue un rôle dans leur étiologie et dans leur expression symptomatique. Selon ces auteurs, l’insight résulterait de la coordination de deux processus symétriques, intégrant une composante somatosensorielle (insight S) et une composante psychique (insight P). Les deux composantes sont organisées en couches successives d’intégration sur l’homéostasie pour l’insight S et sur l’homéostasie psychique pour l’insight P. Dans ce modèle de l’insight, la mémoire épisodique autobiographique présente un rôle important, elle offre notamment la capacité introspective et de jugement par l’expérience passée. Chacun des deux processus, l’insightS et l’insightP, contrôle l’autre de façon étroite.

Les deux sont intimement liés de sorte qu’une anomalie intervenue au niveau d’une des boucles d’intégration se répercute de manière immédiate sur un dysfonctionnement au niveau de l’insight clinique. Les troubles de l’insight perçus à un niveau clinique pourraient ainsi provenir d’une perturbation au niveau de l’insightS. En d’autres termes le trouble de l’insight clinique peut être dû à une lecture dysfonctionnelle de l’insight P, alors que l’insight S à un niveau sematosensoriel serait intact.

Belin et al. (2011) proposent de concevoir dans la schizophrénie le trouble de l’insight ou les hallucinations auditives comme conséquents à un déficit au niveau de l’insight somatosensoriel, et plus spécifiquement au niveau de l’intégration de la représentation somatosensorielle. Les autres symptômes positifs seraient liés à un déficit de l’insightP.

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Figure 3:Modèle conceptuel de l’insight (Belin et al. 2011)

Légende: à gauche le modèle intégrant les différentes fonctions, à droite les interactions complexes entres les fonctions.

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