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§1 La participation financière des collectivités territoriales en faveur des musées

B. Le soutien financier des collectivités territoriales aux institutions privées

183. Les musées en France sont, par essence, d’origine publique, mais la loi du 4 janvier 2002

a reconnu la possibilité pour des personnes privées d’en assumer la gestion, en prévoyant des dispositions relatives à l’octroi de l’appellation « musée de France » à des musées gérés par des personnes privées491. Dans ce cadre, un peu plus de 12% des musées français labellisés sont gérés par des structures privées. Si l’on retire les structures de droit privé constituées par des personnes publiques (de type société d’économie mixte locale par exemple), on constate une forte présence des musées associatifs (plus de 11%).

184. La formule de l’association loi 1901 a historiquement un rôle important dans la

constitution des musées, les sociétés savantes ayant participé à la création de nombreuses institutions. Par ailleurs, les nombreux musées de société et écomusées qui se sont constitués depuis la fin des années 1970 sont, pour beaucoup, des musées associatifs. Ces « musées du terroir » sont chargés de mettre en valeur et de promouvoir un patrimoine local, bien souvent rural, à préserver. Ils naissent grâce à l’investissement d’amateurs, de collectionneurs et de curieux qui participent à la constitution de collections et qui s’investissent également dans le fonctionnement et le rayonnement du musée en question. L’écomusée du Perche (Orne), comme le musée de la Fraise et du Patrimoine de Plougastel (Finistère) sont deux exemples représentatifs de ce type de structure : tous deux conçus par des associations en 1972 et 1980, ils ont vocation, pour l’un à « illustrer la diversité des activités humaines sur le territoire du Perche et mettre en évidence le développement de l’agriculture » (autour de collections abordant la pomme, la vannerie paysanne, le monde du cheval…), et pour l’autre à présenter « l’histoire de la fraise du XVIIIème siècle à nos jours et tous les particularismes du Patrimoine de la presqu’île de Plougastel » (à travers les costumes, le mobilier, l’architecture et l’agriculture du terroir).

185. Les collectivités territoriales peuvent reprendre en régie ces musées, et c’est le cas

notamment du musée des vallées Cévenoles (Gard). Ce musée associatif, créé à la fin des années 1960 est chargé d’illustrer la vie quotidienne traditionnelle des Cévennes et devrait être transféré à la communauté d’agglomération du Grand Alès en Cévennes. Celle-ci souhaite d’ailleurs déménager les collections du musée et en faire un site d’envergure régionale.

491 Voir notamment l’article 4 de la loi 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France (précitée), codifié à l’article L. 442-1 du code du patrimoine.

136 Par ailleurs, sans une récupération directe de la gestion de ces musées, les collectivités territoriales participent activement à leur fonctionnement par le biais de subventions : le budget de l’écomusée du Perche est ainsi majoritairement assuré par le conseil général de l’Orne. Il arrive que les collectivités territoriales rémunèrent le personnel du musée concerné (c’est notamment le cas du personnel du musée Unterlinden à Colmar, dans le département du Haut- Rhin)ou mettent à leur disposition des locaux destinés à abriter leurs collections dans le cadre de conventions d’occupation du domaine public492. On aboutit alors parfois à des situations juridiques particulières dont la Fondation Calvet en présente une illustration.

En 1810, Esprit Calvet (1728-1810), médecin, archéologue naturaliste et collectionneur, a légué à la ville d’Avignon sa bibliothèque, son cabinet de médailles et sa collection d’histoire naturelle. En échange, la collectivité devait constituer une « fondation » dirigée par huit hommes de lettres « parmi lesquels seront constamment admis [ses] trois exécuteurs testamentaires et leurs successeurs, tandis que la ville désignera les cinq autres »493 et chargée d’ouvrir ses collections au public. Esprit Calvet avait doté cette future fondation d’une grand partie de son patrimoine mobilier et immobilier dont les revenus doivent permettre l’acquisition et la restauration des objets d’art et des collections. Cette « fondation » a été constituée par un décret impérial du 9 avril 1811, et son fonctionnement a été déterminé par deux règlements de 1823 et 1832 dressés l’un par le Conseil du Roi et l’autre par le Conseil d’État494 conformément à la volonté du testateur. La Fondation Calvet a fait l’objet de nombreuses libéralités et elle est aujourd’hui constituée d’une bibliothèque et de six musées situés à Avignon et à Cavaillon (Vaucluse)495. Elle présente une structure et un régime juridique uniques en France, impossibles à classer dans les différentes structures juridiques dédiées à la gestion de musées. Dans une décision du 19 mai 1893, le Conseil d’État a d’ailleurs considéré qu’il s’agissait « d’une fondation particulière soumise à des règles spéciales (…) », et que par conséquent elle « possède une existence indépendante »496.

Dans le cadre de ces dispositions spéciales, la Fondation Calvet est propriétaire des collections et est chargée de leur gestion et de leur entretien. Elle est gérée par un conseil d’administration

492 La ville de Paris a longtemps abrité le musée du Vieux Montmartre, et la communauté de Brest Métropole océane met les locaux du musée de la Fraise et du Patrimoine à la disposition de l’association gestionnaire. 493 Extrait du testament olographe d’Esprit Calvet (accessible sur http://www.fondation-calvet.org/avignon/fr/

detail-document/11032 ).

494 Règlement pour le Muséum-Calvet pris en Conseil du roi en 1832 et Règlement pour le Muséum-Calvet pris par le Conseil d'État par délibérations des 19 mars 1823, 26 août 1831 et 7 mars 1832, Rec., p. 111 (reproduit en Annexe 1).

495 À Avignon se trouvent la bibliothèque Calvet, le musée Calvet, le musée Lapidaire, le musée du moyen-âge et de la renaissance italienne et le Muséum Requien (musée d’histoire naturelle et sa bibliothèque). La ville de Cavaillon abrite un musée archéologique et le musée Jouve et Juif Comtadin.

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137 composée de huit personnes : trois descendants des exécuteurs testamentaires d’Esprit Calvet et cinq représentants de la commune. Parmi ceux-ci, le maire d’Avignon est institué président de droit du conseil d’administration. La Fondation Calvet dispose, pour assurer la gestion de ses collections, du produits des dons et legs dont elle a fait l’objet, et du mécénat d’entreprises, à hauteur de 1 million d’euros par an. Les bâtiments qui abritent les musées appartiennent aux villes d’Avignon et de Castres, qui gèrent leur entretien. Celles-ci sont également chargées du recrutement et de la rémunération du personnel des musées : ces charges pèsent sur le budget annuel de la ville d’Avignon à hauteur de 1,5 million d’euros de charges de personnel et de 100 000 euros de frais de fonctionnement. Les collections des musées sont payantes (à l’exception du musée d’histoire naturelle) et les droits d’entrée sont perçus par la ville d’Avignon.497.

186. Les participations des collectivités locales au fonctionnement des musées privés sont

nécessaires, voire indispensables, car elles concernent le plus souvent de petits musées, recevant en général « peu » de visiteurs (25 000 par an environ pour l’écomusée du Perche). Alors même que le musée n’est pas, par essence, rentable, et que les musées publics eux- mêmes ne sont pas en mesure de s’autofinancer, on voit mal comment un petit musée privé pourrait atteindre l’équilibre budgétaire grâce aux droits d’entrée qu’il perçoit. On peut néanmoins se poser la question de savoir sur quel fondement une collectivité territoriale peut intervenir et soutenir une association gestionnaire d’un musée. Le durcissement des règles relatives au droit de la concurrence peut conduire à s’interroger sur la distinction entre une subvention et une délégation de service public ou un marché public et sur le risque de requalification des subventions498, d’autant que celles-ci doivent aujourd’hui parfois faire l’objet d’une convention499.

497 Source : entretien avec Monsieur Bertrand Lapeyre, vice-président de la Fondation Calvet.

498 La question se pose alors qu’il n’existe pas de définition légale des subventions. En 2007, le ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative a publié un guide de la subvention publique, du marché public et de la délégation de service public, dans lequel il propose une définition de la subvention : « La subvention constitue une

contribution financière de la personne publique à une opération justifiée par l’intérêt général, mais qui est initiée et menée par un tiers. Il s’agira d’une subvention si l’initiative du projet vient de l’organisme bénéficiaire et si aucune contrepartie directe n’est attendue par la personne publique du versement de la contribution financière (…) La notion d’initiative Recouvre non seulement l’impulsion du projet mais aussi sa conception et sa définition » (Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative, La subvention publique, le marché public et la délégation de service public, mode d’emploi, DVAEF, 2007, p. 21).

499 Article 10 de la loi 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les

administrations, JORF du 13 avril 2000, p. 5646 : « (…) l’autorité administrative qui attribue une subvention doit, lorsque cette subvention dépasse un seuil défini par décret, conclure une convention avec l’organisme de droit privé qui en bénéficie, définissant l’objet, le montant et les conditions d’utilisation de la subvention attribuée (…). Lorsque la subvention est affectée à une dépense déterminée, l’organisme de droit privé bénéficiaire doit produire un compte rendu financier qui atteste de la conformité des dépenses effectuées à l’objet de la subvention.

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187. Dans un arrêt du 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence500, le Conseil d’État a justifié la possibilité pour une personne publique de contribuer au fonctionnement d’une association sans recourir à la mise en place d’une délégation de service public. Cette décision ne concerne pas directement les musées, mais elle légitime néanmoins l’octroi de subvention à des associations chargées de la gestion d’un service public culturel, et donc, par extension, d’un musée.

En l’espèce, une commune avait attribué deux subventions à une association chargée de l’organisation d’un festival international d’art lyrique. La question qui était posée au juge était de savoir si cette subvention ne devait pas être requalifiée en délégation de service public (ce qu’avait fait le juge d’appel501). Le Conseil d’État a utilisé la théorie des prestations intégrées pour casser la décision de la cour administrative d’appel de Marseille et rejeter la requalification en délégation de service public. Il a ainsi pris en compte les modalités de création de l’association, son objet et son mode de financement et de contrôle. Mais le véritable intérêt de la décision, pour ce qui concerne les subventions aux associations, n’est pas là. Le Conseil d’État, dans cet arrêt, présente un véritable « catalogue » des modes de gestion des services publics locaux, de la régie directe à la gestion déléguée qui doit être précédée d’une mise en concurrence sauf si « eu égard à la nature de l’activité en cause et aux conditions particulières dans lequel il l’exerce, le tiers ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel ». Le commissaire du Gouvernement a insisté pour que le Conseil d’État rappelle également la possibilité qu’une activité gérée par une personne privée et sur son initiative puisse « se voir reconnaître un caractère de service public, alors même qu’elle n’a fait l’objet d’aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l’intérêt général qui s’y attache et de l’importance qu’elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu’aucune règle ni aucun principe n’y font obstacle, des financements ». L’activité en cause se voit alors appliquer le « label service public », par le simple constat de son existence

Le compte rendu financier est déposé auprès de l’autorité administrative qui a versé la subvention dans les six mois suivant la fin de l’exercice pour lequel elle a été attribuée (…) ». L’article 1er du décret 2001-495 du 6 juin

2001 pris pour l’application de l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et relatif à la transparence financière des aides octroyées par les personnes publiques (JORF du 10 juillet 2001, p. 9248) a fixé le seuil des

subvention au-delà duquel une convention doit être conclue à 23 000 euros. 500

Conseil d’État, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, Rec., p. 155, conclusions F. SENERS, RFDA 2007, pp. 812-820 ; note F. LENICA et J. BOUCHER, AJDA 2007 p. 1020-1026, F. LINDITCH Florian, JCP A, 2007, n° 21 pp. 21-25 ; J-M. PONTIER, JCP A, 2007, n° 21 p. 21 p. 35 et J-C. DOUENCE, RFDA 2007, pp. 821-827. 501 Cour administrative d’appel de Marseille, 4 juillet 2005, Monsieur et Madame Jean-Louis Armand, req. 00MA02343, inédit au Recueil Lebon.

139 par une personne publique. Dans une telle hypothèse finalement, l’activité privée « pallie » l’absence d’intervention de la personne publique.

Dans ce cas, et dès lors que l’activité relève bien de l’initiative de la personne privée, que la personne publique n’intervient pas sur son contenu, un contrat de délégation de service public n’a pas lieu d’être (à moins que la personne publique ne décide de confier la gestion de cette activité à une autre personne privée). Cette théorie, déjà dégagée par le Conseil d’État dans un avis du 18 mai 2004, Cinémathèque française502, légitime l’octroi de subventions aux personnes privées et notamment aux associations chargées de la gestion d’un service public culturel (et donc d’un musée) dont l’initiative ne relève pas d’une collectivité territoriale, dès lors que celle-ci considère que l’objet du musée entre dans le cadre de ses objectifs culturels.

§2. Les interventions des collectivités territoriales en faveur de la

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