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§1 Aperçu de l’histoire des musées territoriau

A. Les premiers musées : de l’origine au développement des musées territoriau

69. L’éloignement géographique par rapport à la capitale et la volonté de mettre en avant le

territoire local et les artistes locaux ont conduit au développement, dans certaines communes, d’initiatives novatrices, préfigurant le développement de musées (1). Ces initiatives ont été rattrapées, après la Révolution, par un véritable « désir de musées »237, à l’origine d’un essor important de l’institution sur tout le territoire durant le XIXème siècle (2).

1. Des initiatives locales novatrices et préfigurant la notion de musée

70. Les collectivités territoriales ont été les premières personnes publiques à constituer des

musées en France. Très tôt en effet, certains collectionneurs ont pris la mesure de l’importance de leurs collections et ont souhaité les mettre à la disposition du public. L’exemple le plus ancien serait le legs de l’abbé Jean-Baptiste Boisot au couvent bénédictin de Besançon en 1694. Celui-ci aurait reconstitué en partie et à ses frais la collection de peintures et de sculptures de Nicolas Perrenot de Granvelle et de son fils, tous deux hommes politiques et grands passionnés d’art. Jean-Baptiste Boisot a assortie son legs de la condition expresse que le couvent en organise la maintenance et l’accès libre et gratuit au public au moins deux fois par semaine. On peut également mentionner le legs des collections Lafaille et Séguiers aux Académies de La Rochelle et de Nîmes en 1770 et 1785, et qui ont tous deux donné lieu à l’ouverture d’un « muséum »238.

La pratique du don ou du legs est importante dans l’histoire des musées, et nombreux sont ceux qui ont été constitués à partir de telles donations : c’est une procédure courante, qui a connu un fort développement jusqu’à devenir, au XIXème siècle, une « tradition »239. Constituant parfois les premières pièces de la collection d’un musée (legs du cabinet de curiosité de l’Abbé Favre à

237 GEORGEL Chantal, « Collection privées/collections publiques : un dialogue permanent », in VALDELORGE Loïc (dir.), Les musées de province dans leur environnement, Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 1996, p. 29. 238 Contrôleur des guerres, Clément Lafaille (1718-1782) a vécu à La Rochelle. Naturaliste et membre de diverses sociétés savantes, il a légué l’ensemble de son cabinet d’histoire naturelle et de sa bibliothèque à l’Académie des belles lettres et des sciences et arts de la ville, à condition que celles-ci soient consultables. Jean-François Séguier (1703-1784) était le fils d’un conseiller du présidial de Nîmes. Juriste, botaniste et épigraphiste, il a légué ses collections d’histoire naturelle et de numismatique à la ville avec également comme condition expresse que celles- ci soient présentées au public.

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60 la Ville d’Annecy en 1840), une donation a pu également permettre la dynamisation d’un dépôt révolutionnaire tombé lentement dans l’oubli (comme à Quimper, Nantes, Villars, ou Aix-en- Provence), ou contribuer à l’enrichissement et à la dynamisation d’un noyau de collection existant. Le musée Fabre de Montpellier est un exemple assez représentatif de cette dernière théorie240. Sa collection est issue d’un fonds révolutionnaire et d’un noyau d’envois de l’État. Elle a été enrichie par les legs du peintre François-Xavier Fabre (1766-1837) et du collectionneur Antoine Valedeau (1792-1856), qui ont tous deux pourvu le musée d’un ensemble de peintures italiennes des XVIème et XVIIème siècles, de peintures françaises du XVIIIème siècle et de nombreuses œuvres flamandes et hollandaises241. Par la suite, Alfred Bruyas (1821-1876), amateur, collectionneur et mécène, a constitué une importante collection d’œuvres d’artistes contemporains (il a ainsi soutenu Alexandre Cabanel, Thomas Couture, et surtout Gustave Courbet dont il fut le mécène) a donné, en 1868, une partie de sa collection au musée Fabre. Il lui a légué le reste à sa mort, l’ensemble représentant environ 148 tableaux, 158 dessins et 18 bronzes.

Selon Chantal Georgel, environ deux musées sur cinq fondés en province avant 1914 ont fait intervenir des collections privées : l’idée retenue étant qu’il existait (et qu’il existe toujours) une forte interaction entre les collections privées et les collections publiques. Cela peut s’expliquer par au moins deux raisons. D’une part, le fait de confier la gestion d’une collection privée à une personne publique est assez symbolique : l’autorité publique, souvent considérée comme plus apte à gérer des collections, prend le relai sur des propriétaires privés. D’autre part, les dons et legs sont des gages de pérennité, le musée étant alors investi d’une obligation morale de les conserver et de les présenter au public242.

71. En dehors des dons et legs de collections, la volonté de mettre en avant l’héritage

historique du territoire s’est développée notamment dans les villes marquées par la présence de vestiges des civilisations antiques. Elle a pu favoriser le développement de « musées ». Ainsi, dès la fin du XVIIème siècle, la commune d’Arles et le pouvoir religieux se sont préoccupés de la conservation des nombreux vestiges gallo-romains qui parsèment son territoire. Ils ont fini par créer, en 1784, un dépôt de ces vestiges dans la cour du couvent Saint Honoras (dépôt qui prend le nom de « Museum Arelatense »). Cette idée de musée comme vecteur de l’identité du

240 GEORGEL Chantal, « La donation Bruyas au musée Fabre de Montpellier : une tradition et une exception », in GEORGEL Chantal (dir.), La jeunesse des musées, Catalogue d’exposition, Paris, RMN, 1994, pp. 247-252. 241

Ibidem, p. 248.

61 territoire local a perduré, et reste aujourd’hui l’un des facteurs de la création des écomusées ou musées de société.

72. Un autre facteur important du développement des musées de régions consiste en la

création d’écoles d’art. Le XVIIIème

siècle a en effet été marqué par une nouvelle conception de l’enseignement et de la pédagogie, qui a particulièrement concerné les arts et les techniques : « C’est bien dans ce domaine de l’enseignement en effet que l’action concertée du pouvoir politique (intendants, parlements, États provinciaux) et du pouvoir culturel (Académies) donne à la Province un rôle prioritaire, qui devait rapidement se révéler décisif pour l’idée du musée » 243 .

Dès 1740, les Académies se sont intéressées à l’enseignement du dessin, devenu essentiel à la formation des artistes, mais pas seulement : les métiers de l’artisanat et de la manufacture étaient aussi concernés par « l’éducation de la main et du regard »244. Deux textes ont développé et diffusé ces théories, respectivement écrits par Antoine Ferrand de Monthelon245 et Jean-Baptiste Descamps246 ; ils sont tous deux à l’origine de la constitution d’une école de dessin à Rouen et à Reims. Ces écoles se sont multipliées sur le territoire, notamment à Lyon, Marseille, Dijon, Orléans, et ont préfiguré le musée : l’éducation passant par l’observation des œuvres, elle impliquait la constitution d’un fonds de modèles (peintures, dessins, sculptures, qui pouvaient être des copies ou des moulages). Les productions des élèves étaient conservées, et portaient principalement sur des sujets relatant l’histoire locale. Elles sont, dans bien des cas, à l’origine de la constitution des collections d’un musée (la ville de Dijon avait mis en place un Prix de Rome, et les envois des élèves s’intégraient dans les collections muséales). Par ailleurs, elles étaient à la base d’un lien avec le public, les productions des élèves et leurs modèles faisant en effet l’objet d’expositions.

A la veille de la Révolution, les principaux arguments en faveur de la création de musées sont donc posés, et la province y a joué un rôle non négligeable.

243 POMMIER Edouard, « La naissance des musées de province », précité, p. 455. 244

Ibidem, p. 455.

245DE MONTHELON Antoine Ferrand, Projet pour l’établissement d’écoles gratuites de dessin, publié à Paris en 1746.

246 DESCAMPS Jean-Baptiste Sur l’utilité des établissements des écoles gratuites de dessin en faveur des métiers, publié à Paris en 1767.

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2. La Révolution française à l’origine d’un véritable « désir de musée » des

collectivités territoriales

73. La Révolution française, avec la nationalisation des biens du Clergé (1789), des émigrés

(1791), de la Couronne (1792) et des Académies (1793) a marqué une étape nouvelle dans le processus de création des musées en général. Entre la volonté de détruire tout ce qui pouvait rappeler l’Ancien Régime monarchique honni et celle de conserver les oeuvres d’art qui font partie d’un héritage que la France « régénérée ne saurait répudier sans honte » 247, les révolutionnaires ont fini par trancher. La question de la répartition des biens sur le territoire s’est alors posée dès 1790. Le 2 décembre de cette année, Louis Georges de Bréquigny présentait à la commission des monuments248 un rapport proposant une répartition équitable du patrimoine. Cette répartition devait conduire à la création, dans les 83 départements nouvellement créés, d’un dépôt « aussi complet qu’il se pourra ». En effet, les biens du Clergé, de la Noblesse et de la Couronne ayant été nationalisés, la constitution de ces dépôts en province devenait une prérogative régalienne. Le principe d’une répartition des œuvres sur le territoire national a donc été posé par un décret du 16 septembre 1792.

74. En parallèle, la création, par le pouvoir central, du Muséum central des arts (futur musée

du Louvre) a fait naître un débat qui a perduré tout au long du XIXème siècle : comment assurer à la fois une répartition équilibrée des œuvres dans les dépôts de province et conforter le Louvre dans sa vocation de « musée universel » ? Il a finalement été décidé de garder au Louvre les œuvres de « première classe », et d’envoyer les autres en province. Les communes se sont insurgées et ont revendiqué leur part des confiscations révolutionnaires au nom de la Liberté et de l’Égalité. Des lettres et des pétitions ont circulé à destination du Gouvernement (à Grenoble par exemple en 1798), et les communes se sont mises à créer, pour ne pas trop contrarier le pouvoir central, des musées « provisoires »249. En réponse, le Gouvernement n’avait pas de politique claire et précise, et agissait vis-à-vis des collectivités de manière assez opportuniste, récompensant ici ou là le patriotisme d’une municipalité, ou la punissant, au contraire, pour sa déloyauté. Ainsi en 1793, le soulèvement de la ville de Lyon contre la

247 Décret du 16 septembre 1792.

248 Créée par l’Assemblée nationale en 1790, la Commission des monuments avait pour mission d’assurer l’inventaire des richesses du patrimoine. Composée d’historiens et d’érudits, elle était présidée par Louis Georges de Bréquigny, historien et paléographe français (1714-1795).

249 Edouard Pommier mentionne ainsi l’existence d’une quinzaine de musées de fait, à Rouen, Dijon, Grenoble, Angers, au Mans notamment (GEORGEL Chantal, « L’État et « ses » musées de province ou comment concilier la liberté d’initiative des villes et les devoirs de l’État », Le mouvement social, 160, 1992, p. 65).

63 Convention a conduit, en guise de répression, les représentants de la Convention à envoyer à Paris toutes les œuvres qui leur paraissaient intéressantes. Ce n’est que suite à une lettre anonyme, puis à l’intervention d’un député auprès du ministre de l’Intérieur en 1798 que les œuvres confisquées ont été restituées, l’envoi ayant même été complété par d’autres œuvres du musée du Louvre250.

L’arrêté pris par le ministre Chaptal le 1er septembre 1801 qui institue quinze musées de province dans les grandes villes de la République n’est donc que l’aboutissement des multiples transactions qui ont eu lieu entre l’État et les communes. Il est également une réponse à la question posée par l’arrivée, en 1798, des chefs d’œuvres confisqués lors des campagnes d’Italie et à la nécessité d’assurer rapidement leur conservation. Les tractations entre l’État et les communes se sont poursuivies tout au long du XIXème siècle, ces dernières continuant à créer des musées, à tel point qu’il a été écrit que « peu importent finalement les collections, pourvu qu’il y ait un musée » 251.

75. Les raisons qui motivent la constitution d’un musée sont nombreuses, mais la volonté de

mettre en avant l’histoire du territoire et de lutter ainsi contre le « jacobinisme centralisateur » est peut-être la principale.

Le musée au XIXème siècle s’inscrit comme un lieu d’identité, un lieu d’ancrage du territoire local. On met en avant les hommes illustres (comme à Bar-le-Duc, Châlons-sur-Marne, ou Toulouse), mais aussi les artistes (la ville de Lyon ouvre en 1851 une galerie des peintres Lyonnais). Ce discours a perduré jusqu’au tournant du XXème siècle, encouragé par les sociétés savantes, et notamment le Comité scientifique des beaux-arts : « Les dieux sont au Louvre, ouvrez vos portes aux maîtres provinciaux ! » 252.

Par ailleurs, ce refus du centralisme étatique contribue à l’enrichissement des collections des musées, sous l’impulsion des sociétés savantes (c’est notamment grâce à l’une d’elles que la ville de Bordeaux a acheté La Grèce sur les ruines de Missolonghi de Delacroix en 1851) ou des élus locaux, qui souhaitent mettre leurs musées « à la page » et exposer des œuvres modernes, et qui envoient régulièrement leur personnel au Salon pour acquérir des œuvres.

250GEORGEL Chantal, « L’État et « ses » musées de province ou comment concilier la liberté d’initiative des villes et les devoirs de l’État », précité, p. 65.

251

GEORGEL Chantal, « Le musée lieu d’identité », in GEORGEL Chantal (dir.) La jeunesse des musées, Catalogue d’exposition, Paris, RMN, 1994, p. 109.

252 JOUIN Henry, « L’art et la province », Le comité des sciences de beaux-arts, les sessions annuelles des

délégués des départements, Orléans, 1901, cité par GEORGEL Chantal, « le musée lieu d’identité », précité,

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76. Enfin, les progrès de l’industrialisation, l’exode rural, la volonté de laisser des traces de

l’histoire du territoire se sont ajoutés comme autant d’arguments en faveur de la création de musées. La thématique des beaux-arts est alors passée en second plan derrière l’archéologie, l’ethnologie, ou l’histoire, les musées développant ainsi une nouvelle fonction éducative. De même, « un important mouvement de création d’écoles et de musées « d’art industriel », d’art et d’Industrie » ou « d’arts décoratifs » accompagne l’épanouissement de l’industrie et des métiers d’art depuis le début du XIXème siècle, tout en donnant à voir une véritable préoccupation de « moraliser » la société française, dans un climat de concurrence avec l’Angleterre »253.

77. Le XIXème siècle est donc considéré comme le siècle des musées : on lui doit en effet l’invention progressive du musée en tant qu’institution ouverte au public, et sa multiplication. On compte ainsi près de 600 musées dans toute la France à l’aube du XXème siècle, contre une quinzaine en 1800254.

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