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§2 Les interventions des collectivités territoriales en faveur de la gestion des collections des musées

Section 1. Le contrôle de l’État sur les musées territoriaux : la loi relative aux musées de France

B. Le respect de contraintes scientifiques et techniques

2. Le respect de certains impératifs de gestion des collections

253. La « valeur » scientifique d’un musée, et particulièrement celle d’un « musée de

France », s’apprécie en très grande partie au regard de la qualité de la gestion de ses collections. Outre leur présentation au public, le musée a pour mission essentielle d’assurer leur conservation et leur préservation pour les générations futures. La conservation des collections entraîne alors la gestion de contraintes de température, de luminosité ou d’humidité qui, gérées ensemble, permettent de maintenir les œuvres dans un climat stable656. La loi relative aux musées de France mentionne cette obligation de conservation de manière assez incidente, en rappelant que si la pérennité ou la sécurité d’un bien appartenant, par exemple aux collections d’un musée de France placé sous la responsabilité d’une collectivité territoriale est menacée, l’État peut, après mise en demeure de cette collectivité territoriale restée infructueuse, prendre toute mesure utile à la sauvegarde de l’objet657. Ces dispositions se rapprochent très fortement des dispositions relatives à la protection des monuments historiques, aussi n’ont-elles rien de spécialement novateur, d’autant que la fonction première du musée est de « conserver ».

254. Les missions de conservation du musée sont cependant rappelées dans la circulaire du

ministre de la Culture et de la Communication du 26 avril 2007 portant charte de déontologie des conservateurs du patrimoine658 : le conservateur a ainsi pour mission de « veiller aux règles de conservation matérielle et de sécurité adaptées », de « signaler les collections en péril », et de « respecter les restes humains ». La circulaire rappelle aussi les obligations d’inventaire et de récolement qui incombent au conservateur : la conservation nécessite une parfaite connaissance des objets de la collection du musée et un travail minutieux, souterrain et invisible du grand public, mais néanmoins obligatoire. Ce travail fonde la responsabilité des professionnels des musées vis-à-vis des collections dont ils ont la garde659. Le législateur en 2002 l’a bien compris puisqu’il a donné un fondement législatif à ces opérations : la loi relative aux musées de France propose en effet aux musées de disposer d’un inventaire de leurs

656 On retrouve ces impératifs de conservation dans la circulaire du ministre de la Culture et de la Communication 2007/007 du 26 avril 2007 portant charte de déontologie des conservateurs du patrimoine (fonction publique

d’État et territoriale) et autres responsables scientifiques des musée de France pour l’application de l’article L. 442-8 du Code du patrimoine, précitée.

657 Article 16 de la loi 2002-6 du 4 janvier 2002 relative aux musée de France, codifié aux articles L. 4521-2 et suivants du code du patrimoine.

658

Circulaire 2007/007 du 26 avril 2007 portant charte de déontologie des conservateurs du patrimoine (fonction

publique d’État et territoriale) et autres responsables scientifiques des musée de France pour l’application de l’article L. 442-8 du Code du patrimoine, précitée.

659 COLLINET Jean-François, Éthique de la conservation et de l’enrichissement du patrimoine culturel, précité, p. 9.

188 collections à jour et de procéder à leur récolement (a). Par ailleurs, elle souligne que le souci de préservation des collections et du maintien d’une forme de cohérence dans leur gestion passe par le respect de certaines procédures en matière de restauration et d’acquisition (b).

a. L’inventaire et le récolement des collections des musées de France

255. L’article 12 de la loi « musées » codifié à l’article L. 451-2 du code du patrimoine

dispose que « les collections des musées de France font l’objet d’une inscription sur un inventaire (α). Il est procédé à leur récolement tous les dix ans » (β).

α. L’obligation d’inventaire

256. L’inventaire consiste en « un document administratif, justifiant à un moment donné la

présence, l’état des collections et leur provenance » 660 . De ce fait, l’inventaire a deux fonctions : une fonction scientifique et une fonction juridique.

Dans sa fonction scientifique, l’inventaire « se doit d’être la véritable synthèse de la description et de la documentation scientifique de l’ensemble de la collection »661. Il constitue une fiche d’identité d’une œuvre. Lorsqu’une œuvre entre dans une collection, on lui attribue un numéro (identifiable sur l’objet et inscrit dans le respect de son intégrité : c’est le marquage), auquel correspond une ligne sur un registre d’inventaire, qui rappelle la date d’entrée de l’œuvre dans la collection, sa description, éventuellement une datation et tous les éléments correspondant à la vie propre de l’œuvre au sein du musée : déplacements, prêts ou restaurations par exemple. L’inventaire constitue donc une base documentaire essentielle pour la gestion administrative des collections.

Dans sa fonction juridique, il a également une fonction essentielle : c’est en principe un acte légal qui justifie et institutionnalise l’entrée d’un bien dans une collection, et donc sa propriété par la collectivité territoriale responsable du musée. Il sert de preuve en cas de vol et de demande de restitution. C’est dans ce sens que l’entend le législateur et à ce titre il est « un document unique, infalsifiable, titré, daté et paraphé par le professionnel responsable des

660GUILLOT-CHENE Gérard, in DE BARY Marie-Odile et TOBELEM Jean-Michel (dir.), Manuel de

muséographie, petit guide à l’usage des responsables de musées, Biarritz, Option culture, 1998, p. 181.

661

189 collections, répertoriant tous les biens par ordre d’entrée dans les collections. L’inventaire est conservé dans les locaux du musée. Une copie de l’inventaire est déposée dans le service d’archives compétent ; elle est mise à jour une fois par an »662. Il peut être informatisé, et de nombreux logiciels sont utilisés par les musées à cette fin (GCOLL, Vidéomuseum, Micro musée ou Actimuséo). Néanmoins, l’inventaire doit obligatoirement prendre également une forme papier663.

Il doit, en principe, être doublé d’un enregistrement comptable au titre des immobilisations de la collectivité locale responsable du musée et des collections. Cette obligation est notamment posée par l’instruction comptable M14 applicable aux communes et à leurs établissements publics : les œuvres culturelles doivent apparaître aux états de l’actif tenus par le comptable public (Comptes de classe 2, « immobilisations », chapitre 21, « immobilisations corporelles », article 2161 réservé aux acquisitions d’oeuvres et d’objets d’art)664.

257. Il semble que le juge administratif ait eu l’occasion de relativiser l’importance de

l’inventaire : dans l’affaire des têtes maories précitée, le tribunal administratif de Rouen a jugé que la non-inscription de la tête maorie sur l’inventaire du musée n’était pas une condition suffisante pour déroger à la procédure de déclassement prévue par la loi relative aux musées de France665. Par conséquent, si l’inventaire est une preuve de la propriété des collections, il ne semble pas constituer aux yeux du juge administratif un acte nécessaire à l’application des principes liés à la domanialité publique des « musées de France ». Pour cela, la simple présence du bien dans la collection suffit.

Le juge administratif a sans doute pris la mesure des lacunes constatées en matière d’inventaire dans les musées nationaux comme dans les musées territoriaux : pendant longtemps en effet la Direction des musées de France ne s’est pas intéressée à la question de l’inventaire, « considérant que la fixation des règles de gestion des collections est une mesure technique qui

662 Article D. 451-17 du code du patrimoine.

663 Article 1,d, de l’annexe I de l’arrêté du ministère de la Culture et de la Communication du 25 mai 2004 fixant

les normes techniques relatives à la tenue de l’inventaire, du registre des biens déposé dans un Musée de France et au récolement, JORF du 12 juin 2004, p. 10483 : « Si la gestion des collections du musée est informatisée, l’inventaire peut être constitué par une édition sélective sur papier de la base informatisée. (…). Chaque registre ainsi édité est relié, titré, daté, paginé et paraphé. Il est complété chaque année par l’impression de la liste des acquisitions de l’année précédente ajoutée à la reliure. (…). Une copie de sécurité de l’édition réalisée par extraction de la base informatisée est déposée dans le service d’archives compétent et mise à jour une fois par an, comme les copies de tous les registres de l’inventaire et des éventuels sous inventaires du musée ».

664 C’est notamment ce qu’a souligné la chambre régionale des comptes de Franche-Comté dans son Rapport

d’observations définitives sur la gestion de la commune d’Ornans de 2007, à propos des collections du musée

Gustave Courbet. Elle soulignait l’absence de document d’inventaire pour le musée, et le défaut d’inscription des œuvres au niveau des actifs de la commune, ce qui pourrait conduire à des difficultés juridiques sérieuses concernant la preuve de la propriété des collections, et à « une menace pour l’intégrité du patrimoine » (p. 12). 665

190 fait partie intégrante de la formation des conservateurs et doit donc relever de leur responsabilité »666. Les seules préconisations connues en matière d’inventaire dataient de 1957, époque à laquelle Georges-Henri Rivière avait établi un document à destination des musées classés et contrôlés. Celui-ci énonçait les principes nécessaires à la mise en place d’un inventaire. Cependant cette directive ne concernait que les musées territoriaux et ne posait que des préconisations, sans obligation particulière.

La conséquence de cette absence de dispositions relatives à l’inventaire est la généralisation de pratiques particulières et propres à chaque établissement. Ainsi, si la question de l’inventaire a fini par s’imposer d’elle-même aux multiples musées de France667, de nombreuses lacunes ont été soulevées. Les collections du musée du Louvre ont fait l’objet de quelques critiques du fait du manque d’inventaire de certains lots ou ensembles d’œuvres acquis par legs et dispersés ensuite dans divers musées668. Le rapport de Monsieur Philippe Richert sur la gestion des collections des musées mentionne également le cas du musée des beaux-arts de Dijon, qui ne se serait doté d’un inventaire qu’à partir de 1874, « soit près d’un siècle après sa création, période pendant laquelle seuls des catalogues des œuvres exposées furent publiés. Les inventaires successifs obéissent à des règles très différentes. Ainsi, les documents couvrant la période 1874-1931 ne concernent pas seulement les œuvres d’art ; y figurent également les acquisitions de matériels muséographiques ou encore d’ouvrages pour la bibliothèque du musée. Ce n’est seulement que depuis 1980 qu’est tenu un registre conforme aux normes de Georges-Henri Rivière »669.

258. La loi relative aux musées de France pose donc un fondement législatif à la question de

l’inventaire. Son décret d’application du 2 mai 2002670 et l’arrêté du 25 mai 2004671 fixent les

666 Cours des comptes, Les musées nationaux et les collections nationales d’oeuvres d’art, rapport public particulier précité, p. 55.

667 Dans une décision du 19 mai 1989, le Conseil d’État a considéré qu’en « méconnaissant gravement les règles

de la comptabilité publique et en négligeant, malgré les observations qui lui avaient été faites, de tenir les livres d’inventaire des collections du musée, [le conservateur du musée des beaux-arts de la ville de Chartres] a commis des fautes d’une gravité » justifiant sa révocation : Conseil d’État, 19 mai 1989, Ville de Chartres, Rec., Tables,

pp. 467 et 757.

668 RICHERT Philippe, La gestion des collections des musées, Doc. Sénat, session ordinaire 2002-2003, n° 379, p. 42.

669 Ibidem, p. 44.

670 Décret 2002-852 du 2 mai 2002 pris en application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées

de France, précité et codifié, pour ses dispositions relatives à l’inventaire, aux articles D. 451-15 et suivants du

code du patrimoine.

671 Arrêté du ministère de la Culture et de la Communication du 25 mai 2004 fixant les normes techniques relatives

à la tenue de l’inventaire, du registre des biens déposé dans un musée de France et au récolement, JORF du 12

191 règles et normes techniques relatives à l’inventaire des biens des collections des musées de France.

L’arrêté du 25 mai 2004 propose une méthodologie d’inventaire qui correspond à tout type d’objet conservé dans les collections d’un « musée de France ». En effet, « est inventorié tout bien acquis à titre gratuit ou onéreux affecté aux collections du musée de France par un acte émanant de la personne morale propriétaire du bien » 672 : cette disposition sous-entend qu’on inventorie les objets de toute nature, tableaux, sculptures, objets d’art, objets archéologiques, etc. Il y a cependant un registre d’inventaire pour les œuvres appartenant au musée et un registre pour les œuvres mises en dépôt dans le musée.

L’inventaire est prospectif, mais aussi rétrospectif : chaque objet qui entre au musée est inventorié. Mais l’obligation d’inventorier étant récente, de nombreux biens ne sont toujours pas inscrits sur le registre d’inventaire. C’est ce que souligne le jugement du Tribunal administratif de Rouen.

Certains musées disposent de collections très importantes en nombre, parfois invisibles du public car difficilement présentables sur une longue période. Le musée Carnavalet de la ville de Paris, par exemple, est constitué d’un fonds de plus de 400 000 oeuvres, réparties dans des collections d’objets archéologiques, de mobilier, de numismatique, de dessins, d’objets d’art, de peintures, de sculptures et estampes, dont le nombre s’élève approximativement à 230 000. L’inventaire est commencé, c’est un travail long et minutieux qui, bien que cela ne soit pas précisé par les textes, ne doit être effectué que par un conservateur ou une personne de niveau de qualification équivalent. C’est une tâche qui requiert de la rigueur et une bonne maîtrise du vocabulaire scientifique pour une meilleure description des objets. Par ailleurs, l’inventaire étant un document administratif de portée juridique, il engage également la responsabilité de celui qui le rédige673 : on ne peut en principe pas radier un bien de l’inventaire d’un musée, à moins qu’il y ait destruction ou inscription indue, déclassement ou transfert de propriété674.

672 Article D. 451-18 du code du patrimoine. 673 Article D. 451-16 du code du patrimoine. 674

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