• Aucun résultat trouvé

SOUS-SECTION 1 : L’ELISION NECESSAIRE DE L’INTÉRET

Dans le document Essai sur la gratuité en droit privé (Page 103-126)

91 152. La distinction du titre gratuit et du titre onéreux, qui apparaît expressément en matière de contrats, est une dichotomie, une division entre deux catégories : celle des contrats de bienfaisance, visés par l’article 1105 du Code civil, et celle des contrats onéreux de l’article 1106. Nous avons vu que cette distinction reposait sur un critère technique : sont gratuits les contrats par lesquels une seule des parties fournit à l’autre une prestation objective ; sont onéreux ceux par lesquels les parties se fournissent réciproquement des prestations objectives. La question de l’intérêt de l’acteur doit-elle être prise en considération relativement à cette distinction ? Elle permettrait d’affirmer l’insuffisance du critère matériel, technique, de distinction entre le gratuit et l’onéreux. D’un point de vue logique, cette dernière proposition doit pourtant être écartée. Il n’existe, en effet, insistons-y, que deux branches à l’alternative : la gratuité et l’onérosité. Dans la mesure où cette distinction constitue une dichotomie, il ne peut y avoir qu’un seul critère distinctif. Si l’on devait utiliser deux critères de distinction (un critère technique, les flux de prestations objectives, et un « moral », l’intérêt), on devrait avoir non pas deux mais trois ou quatre catégories.

L’hypothèse de la gratuité intéressée doit donc être rattachée à l’une des deux branches de la distinction étudiée : gratuité ou onérosité. Si la qualification onéreuse a parfois pu être retenue, elle présente des inconvénients (§1), au contraire de la qualification gratuite (§2).

§1 : LES INCONVÉNIENTS DE LA QUALIFICATION ONÉREUSE DES CONTRATS GRATUITS INTÉRESSÉS

153. Les contrats par lesquels une partie fournit un avantage à l’autre sans attendre de rémunération ne sont pas forcément désintéressés. Il se peut, au contraire, que l’acteur ait intérêt à rendre service sans recevoir de rémunération. Ainsi, il arrive fréquemment que des contrats présentés comme gratuits, comme le prêt à usage275, soient utilisés dans des rapports d’affaires. Le prêt de cuve des compagnies pétrolières aux pompistes de marque en est l’exemple le plus révélateur276

; mais ce contrat est également

275 R. FABRE, Le prêt à usage en matière commerciale, RTD Com. 1977, p.193.

276 F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Précis Dalloz, n°605. Si, comme le relèvent ces auteurs, les prêts à usage accordés par des professionnels sont des contrats d’intérêt commun, intéressés, « ils sont encore des prêts ».

92 utilisé dans d’autres circonstances, comme dans le cadre du parrainage publicitaire277

ou de relations plus simples (prêt de véhicule par un garagiste à un client dont la voiture est en réparation278, prêt de chariot dans les supermarchés279, etc.). Dans toutes ces hypothèses, le prêteur a un intérêt à la conclusion du prêt. Doit-on pour autant refuser de considérer ces contrats comme gratuits et, par conséquent, les disqualifier de prêt à usage ? Que dire, par ailleurs, du dépôt de vêtements dans un restaurant280, gratuit, mais nécessairement intéressé pour le dépositaire ?

154. Il serait tentant de donner à de tels contrats une qualification onéreuse. En effet, le régime supplétif des contrats gratuits est favorable à la partie qui agit gratuitement : le régime du prêt à usage est plus favorable au prêteur que ne l’est celui du louage de chose au loueur ; le régime de la donation est plus favorable au donateur que ne l’est celui de la vente au vendeur. De la même manière, dans les contrats gratuits par nature, la responsabilité du prestataire est allégée lorsqu’il agit gratuitement. On peut légitimement penser que de telles faveurs ne sont plus méritées lorsque celui qui apparaît comme l’acteur de gratuité poursuit, en réalité, son seul intérêt, la plupart du temps commercial, et refuser, par conséquent, la qualification aboutissant à un tel régime de faveur. Il nous faut, dans un premier temps, revenir sur les faveurs accordées par le droit supplétif, à l’acteur de gratuité (A), avant de voir que, même lorsque le contrat est intéressé, la qualification onéreuse n’est pas souhaitable (B).

A. Les faveurs du régime supplétif des contrats gratuits pour l’acteur de gratuité

155. L’acteur de gratuité est favorisé par le droit. En effet, les garanties qu’il doit au bénéficiaire, tout comme sa responsabilité, sont allégées par rapport au fournisseur de prestation onéreuse. Ces faveurs se vérifient dans les différents contrats gratuits nommés

277 J.-M. MOUSSERON et M.-E. ANDRÉ, Sponsoring et mécénat ? l’un affiche et l’autre signe, Cah. Dr. Ent. 1/1984, p. 1 ― C. LAPOYADE-DESCHAMPS, Un contrat au service de l’entreprise : le sponsoring, Mélanges offerts à J. Derrupé, Litec, 1991, p.125 ― D. ROSKIS, Les limites des méthodes traditionnelles de

qualification contractuelle : le parrainage publicitaire, D.1999, chr. p.443.

278 Civ. 1ère, 25 nov. 2003, Bull. civ. I, n°235 ; RDC 2004, p. 718, obs. A. Bénabent. 279 Rennes, 19 déc. 1972, RTD Civ. 1973, p. 587, obs. G. Cornu.

280 Ce dernier n’est pas, au contraire du dépôt hôtelier, un dépôt nécessaire : Civ. 1ère, 11 mars 1969, D.1969.492.

93 par le Code civil : la donation, le prêt à usage, le dépôt et le mandat. En revanche, ce genre de faveurs n’apparaît pas dans le prêt de consommation gratuit.

156. Donation<>Si les donations obéissent à un régime très strict quant à leurs

conditions de validité; si, par ailleurs, elles peuvent être remises en cause par les héritiers en cas d’atteinte à la réserve héréditaire, et par les créanciers, par la voie de l’action paulienne, il n’en demeure pas moins que le donateur connaît un régime de faveur. Ainsi, alors que le vendeur est tenu de garantir l’acheteur contre les vices cachés et contre l’éviction du fait des tiers et de son fait personnel, le donateur n’est tenu que de la garantie contre l’éviction de son fait personnel281. Il n’est tenu ni de la garantie des vices cachés (à

cheval donné, on ne regarde pas les dents), ni de la garantie contre l’éviction du fait des

tiers.

157. Prêt à usage<>Le sort de l’acteur de gratuité est encore plus favorable si

l’on observe le prêt à usage, et si on le compare à son homologue onéreux, le louage de chose. Une première faveur apparaît à l’article 1889 du Code civil, qui admet la résiliation du contrat avant terme pour imprévision, en énonçant que « néanmoins, si, pendant ce

délai, ou avant que le besoin de l’emprunteur ait cessé, il survient au prêteur un besoin pressant et imprévu de sa chose, le juge peut, suivant les circonstances, obliger l’emprunteur à la lui rendre ». On mesure bien le caractère exorbitant du droit commun

d’une telle disposition : malgré la stipulation d’un terme, le prêteur peut demander la résiliation anticipée du contrat, ce qui est en totale opposition avec l’article 1134 du Code civil, ainsi qu’avec le refus de la jurisprudence civile de prendre en compte l’imprévision282

pour modifier ou résilier les contrats283 ; et ne trouve pas d’équivalent dans le louage de chose, le loueur étant tenu de respecter le terme convenu, conformément à l’article 1719, 3° du Code civil. Il s’agirait, ici, de favoriser le prêteur « en cas de conflit

entre deux besoins, parce qu’il a rendu un service gratuit à l’emprunteur »284

, « d’une

dérogation au droit commun dictée par l’altruisme du prêteur »285

. Une autre disposition

281 M. GRIMALDI, Droit civil. Libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, n°1406.

282 Ph. MALAURIE, L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2ème éd. refondue, 2005, n°915.

283

Civ. 6 mars 1876, affaire du Canal de Craponne, GAJC, 11ème éd., n°163 ; DP1876.1.193 note Giboulot ; S.1876.1.161.

284 Ph. MALAURIE, L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER, op. et loc. cit.

285 A.BÉNABENT, Droit civil, les contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, coll. Domat Droit privé, 6ème éd., 2004, n°438-1.

94 est favorable au prêteur, celle, prévue par l’article 1891, qui limite sa « responsabilité » pour vices cachés au cas dans lequel le prêteur connaissait les vices. Cette garantie est moins sévère, « gratuité du prêt oblige »286, que celle qui pèse sur le bailleur, posée par l’article 1721, et qui prévoit expressément qu’elle vaut pour tous les vices, même inconnus du bailleur. Enfin, il est une dernière disposition favorable au prêteur : celle, figurant à l’article 1885 du Code civil, qui interdit à l’emprunteur de retenir la chose par compensation de ce que le prêteur lui doit, qui, là encore, est justifiée par le fait que le prêteur rend un service à l’emprunteur287

.

158. Dépôt gratuit<>De son côté, la faveur faite au dépositaire gratuit se mesure

surtout au niveau de sa responsabilité. En effet, l’article 1927 du Code civil énonce que « le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il

apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent ». Sa responsabilité est donc

appréciée in concreto, le déposant ne pouvant pas se plaindre d’avoir confié sa chose à une personne négligente avec ses propres affaires288, ce qui constitue une faveur par rapport au droit commun289. Néanmoins, cette faveur est limitée au dépôt gratuit, car l’article 1928 énonce que « la disposition de l’article précédent doit être appliquée avec plus de rigueur

(...) s’il a été stipulé un salaire pour la garde du dépôt ». Dans ce cas-là, on reviendrait à

l’appréciation in abstracto de la faute du dépositaire, « à l’aune du fameux bon père de

famille qui tend à devenir le bon professionnel »290. Le dépositaire gratuit est donc avantagé par rapport au dépositaire salarié, le régime de responsabilité semblant fondé sur la présence ou non d’une rémunération291

.

159. Mandat gratuit<>La responsabilité du mandataire est également appréciée

différemment selon qu’il reçoit ou non une rémunération. L’article 1992 du Code civil énonce à cet effet que « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des

fautes qu’il commet dans sa gestion. Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un

286 P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil, contrats spéciaux, Litec, 4ème éd., 2004, n°345. 287 Ph. MALAURIE, L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2ème éd. refondue, 2005, n°912.

288 J. HUET, Traité de droit civil, Les principaux contrats spéciaux, LGDJ, 2ème éd., 2001, n° 33145. 289 A. BÉNABENT, Les contrats spéciaux civils et comerciaux, 7ème éd., 2006, n°737.

290 P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, n°505. 291

95

salaire ». Il s’agit seulement d’une différence d’appréciation de la faute du mandataire, et

non du montant du préjudice à indemniser292.

160. Exception : prêt de consommation gratuit<>En revanche, une exception à

ce régime de faveur supplétif des contrats gratuits : le prêt de consommation, contrat gratuit par nature, n’est pas plus favorable au prêteur gratuit qu’au prêteur à intérêt. Les règles relatives aux obligations du prêteur figurent dans une section applicable tant au prêt gratuit qu’au prêt à intérêt. Leur comparaison avec le prêt à usage est intéressante. En effet, contrairement à ce qui est prévu en matière de prêt à usage, le prêteur doit attendre le terme pour demander la restitution, indépendamment du caractère gratuit ou onéreux du prêt293. En revanche, comme en matière de prêt à usage, la responsabilité du prêteur pour les vices de la chose prêtée n’est engagée que s’il en avait connaissance294

, et ce, sans distinction entre prêt gratuit et prêt onéreux.

161. Un silence favorable à l’acteur<> À l’exception du prêt de consommation,

les dispositions supplétives régissant les contrats gratuits sont donc favorables à l’acteur de gratuité. Ces faveurs auront vocation à s’appliquer chaque fois que le contrat ne contiendra pas de stipulation contraire. Fondées sur l’idée selon laquelle l’acteur de gratuité ne gagnerait rien au contrat, leur application serait injustifiée dans l’hypothèse où l’acteur trouverait un intérêt au contrat gratuit, le contrat relevant alors « d’une intention souvent

plus intéressée que libérale »295. Dans cette situation, il peut sembler préférable d’écarter ce régime protecteur de l’acteur de gratuité, et, pour cela, de donner au contrat une qualification onéreuse.

B. Les problèmes induits d’une qualification onéreuse du contrat gratuit intéressé

162. Indétermination du prix<> Peut-on donner une qualification onéreuse à un

contrat ne prévoyant aucune rémunération pour le prestataire, dès l’instant où il y trouve

292

Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, n°567. 293 Art. 1899 c.civ.

294 Art. 1898 c.civ. : « Dans le prêt de consommation, le prêteur est tenu de la responsabilité édictée par

l’article 1891 pour le prêt à usage ».

295

96 son intérêt ? La jurisprudence a pu répondre implicitement à cette question par l’affirmative. Ainsi, dans un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 janvier 1976, on peut lire : « Attendu (…) que l’arrêt attaqué, qui a retenu la

circonstance que la Société Croix de Lorraine avait intérêt, pour la vente de ses produits, à ce que son concessionnaire disposât d’une presse, a par-là même écarté l’existence d’un prêt à usage de la machine »296. La seule existence d’un intérêt suffirait donc à écarter la

qualification de prêt à usage. Une telle position soulève immédiatement un autre problème : une fois écartée la qualification de prêt à usage, comment qualifier une mise à disposition de choses non-consomptibles sans rémunération ? La qualification de louage de chose semble difficilement admissible. En effet, cette dernière requiert, conformément à l’article 1709 du Code civil, qu’un loyer ait été stipulé297

. De plus, elle aboutirait assurément à la nullité du contrat. En effet, le louage de chose est nul si le loyer n’est pas déterminé ou déterminable298. On voit bien, alors, l’inconvénient de requalifier un commodat en louage de chose, et ce même dans le but de soumettre le prêteur au régime de garantie des vices cachés de l’article 1721 : faute de loyer, ce dernier pourra demander l’annulation du contrat, et, par voie de conséquence, échapper à toute garantie. Par ailleurs, l’intérêt poursuivi par le prestataire ne suffit pas à reconnaître l’existence d’un loyer, ce dernier étant par définition l’objet d’une obligation reposant sur le locataire, totalement indépendante de l’intérêt poursuivi par le bailleur299

. La qualification de louage de chose étant impossible, faute de loyer300, on pourrait songer à donner au contrat une qualification

sui generis. Là encore, une telle solution serait inopportune, dans la mesure où son régime

296 Civ. 1ère, 15 janvier 1976, JCP 1977.II.18516, obs. G. GOUBEAUX. 297

P.-H ANTONMATTEI et J. RAYNARD, n° 261. 298 P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, n° 295.

299 Voir cependant Com. 23 mars 1999, D. 2000, somm. p. 19, obs. Reygrobellet, Urssaf du Gard c./ Cheval

Blanc et SENIM. Cet arrêt reproche à la Cour d’appel de Nîmes d’avoir refusé de qualifier la mise à

disposition d’un fonds de commerce de location-gérance, faute de loyer, alors que le fonds avait été concédé par son propriétaire dans un intérêt économique commun. Cette décision peut surprendre, puisque le louage de chose est un contrat essentiellement onéreux, qui suppose donc l’existence d’un loyer. Peut-on alors considérer que l’intérêt de la SENIM, propriétaire du fonds, permet de retenir l’onérosité du contrat, et donc de le qualifier de location-gérance ? Ce serait considérer l’intérêt comme une rémunération, et admettre que les contrats gratuits intéressés doivent recevoir une qualification onéreuse, solution pour le moins originale. M. Reygrobellet a une explication plus fine de cet arrêt. Selon lui, cette décision permettrait de conclure que la location-gérance n’est pas un louage de chose, ce qui justifie l’obligation à laquelle est tenu le locataire-gérant d’exploiter le fonds. Cette exploitation, parce qu’elle entretient la clientèle, et donc la valeur du fonds, est la contre-prestation de la mise à disposition, ce qui justifie que, même sans loyer, la qualification de location-gérance s’impose.

300 Civ. 3ème, 27 avril 1976, Bull. civ. III, n° 176 : « L’existence d’un bail, quelle qu’en soit la durée, implique

97 serait, en grande partie, calqué sur celui du prêt à usage301. De la même manière, il serait impossible de qualifier une donation intéressée de vente. Faute de détermination du prix, cette dernière serait nulle, ce qui serait encore plus avantageux pour le « donateur/vendeur », puisqu’il pourrait obtenir la restitution du bien donné.

163. Onérosité par accessoire<> Une autre solution pourrait alors être proposée :

il s’agirait, lorsque le contrat gratuit est l’accessoire d’un contrat onéreux, de lui donner la qualification du contrat onéreux. Une illustration de cette méthode nous est donnée par un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 26 mai 1983302. En l’espèce, une personne avait commandé à un vendeur de voitures de sport une Jaguar neuve. Dans l’attente de son arrivée, le vendeur lui prêta une Maserati. L’acheteur partit avec pour l’Alpe d’Huez, et, dans un virage, la voiture sortit de la route pour aller s’écraser en contrebas, tuant la passagère et blessant le conducteur. L’expertise imputa l’accident à un défaut du système de freinage. Le problème se posait donc de l’application ou non de la garantie des vices cachés à l’apparent prêt de la Maserati. Les juges raisonnèrent de la manière suivante : ou bien l’on qualifie le contrat de prêt à usage et, dans ce cas, il appartient à l’emprunteur de prouver que le prêteur connaissait les vices pour obtenir réparation, conformément aux exigences de l’article 1891 du Code civil ou, pour rendre le garagiste responsable des vices qu’il ignorait, on qualifie le contrat d’accessoire à la vente. L’accessoire suivant le principal, le régime de la vente serait alors applicable, et avec lui la présomption de connaissance des vices du vendeur professionnel. Cette solution,

« proprement héroïque » aux yeux du Professeur Philippe RÉMY303, fut retenue. Son artifice est évident. La garantie des vices cachés, dans la vente, a pour fonction première de préserver le prix : celui qui a payé un bien doit pouvoir être remboursé si le bien est vicié304. Cette fonction apparaît très clairement à l’article 1644 du Code civil, qui prévoit les deux solutions que sont l’action estimatoire et l’action rédhibitoire. L’indemnisation du préjudice subi par l’acheteur n’est, au regard des textes, qu’une fonction secondaire, qui apparaît à l’article 1645, lorsque le vendeur est de mauvaise foi, comme une sanction spécifique de la connaissance des vices. L’extension de cet aspect indemnitaire de la garantie des vices cachés par l’assimilation du vendeur professionnel au vendeur de

301 G. GOUBEAUX, obs. sous Civ. 1ère, 15 janv. 1976, préc.

302 TGI Paris, 26 mai 1983, GP 9-10 novembre 1983, p. 16 ; RTD Civ. 1984, p. 121, obs. Ph. RÉMY. 303 obs. préc.

304

98 mauvaise foi305 ne doit pas occulter l’aspect essentiel de protection de la valeur investie dans le bien. Or cette dernière ne peut s’appliquer qu’à la chose vendue, et non à la chose prêtée en attente de la vente. Cette opinion est renforcée par une lecture de l’article 1641 du Code civil, qui énonce que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts

cachés de la chose vendue », et non pas à une autre chose306. La qualification de contrat onéreux par accessoire est donc très contestable.

164. Conclusion : rejet des qualifications onéreuses<>On le voit, dans les

hypothèses où la qualification du contrat varie selon que la prestation est fournie à titre gratuit ou à titre onéreux, il est impossible de donner une qualification onéreuse à un contrat dans lequel une partie fournit une prestation sans être rémunérée, et ce même si elle est intéressée. En réalité, cette impossibilité technique n’est pas un handicap si important qu’il y paraît parce que la qualification gratuite ne présente pas de réel inconvénient.

§2 : L’ABSENCE D’INCONVÉNIENTS DE LA QUALIFICATION GRATUITE

165. Maintenir la qualification gratuite en présence d’un intérêt poursuivi par l’acteur ne présente aucun inconvénient. En effet, rien ne s’oppose à ce que les qualifications gratuites englobent ce genre de situations, la distinction des contrats gratuits et onéreux, telle qu’elle apparaît dans les contrats spéciaux, semblant seulement fondée sur

Dans le document Essai sur la gratuité en droit privé (Page 103-126)