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Le consensualisme du prêt de consommation, facteur d’une simple coïncidence

Dans le document Essai sur la gratuité en droit privé (Page 64-67)

SOUS-SECTION 1 : UNE FOURNITURE UNILATÉRALE DE PRESTATIONS OBJECTIVES

88. Le consensualisme du prêt de consommation, facteur d’une simple coïncidence

entre ses caractères synallagmatique et onéreux<> La délivrance des fonds devient une

obligation à la charge du prêteur, et n’est plus une condition de formation du contrat, qui devient synallagmatique et qui est, en principe, onéreux. Il serait alors tentant de dire que le prêt à intérêt, contrat onéreux, était unilatéral du fait d’une anomalie : le fait qu’il s’agissait d’un contrat réel. Il est vrai que le caractère réel du contrat de simple prêt semble davantage justifié lorsque le prêt est gratuit que lorsqu’il est onéreux. En effet, dans le premier cas, il peut sembler légitime de permettre à celui qui prête sans contrepartie de revenir sur son consentement jusqu’à la délivrance de l’objet du contrat, cette protection apparaissant comme superflue dans le prêt à intérêt. Ainsi, le prêt gratuit aurait vocation à être unilatéral, parce que réel ; tandis que le prêt à intérêt aurait vocation à être synallagmatique, parce que consensuel.

89. Maintien du prêt unilatéral onéreux réel<> Peut-on considérer que la réfutation du contrat réel, lorsque le prêt est accordé par un professionnel, est fondée sur son onérosité? La réponse semble bien négative. En effet, il faut remarquer que le prêt à intérêt réel demeure la règle. En effet, seuls sont visés par la Cour de cassation les prêts accordés

137 Civ. 1ère, 28 nov. 1995, Bull. civ. I, n° 439.

138 Ph. MALAURIE, L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, Defrénois, 2ème éd. refondue, 2005, n° 957.

52 par des professionnels du crédit. Dès lors, on a là seulement une exception au principe selon lequel le prêt de consommation est un contrat réel, et non une remise en cause de ce principe. Le prêt accordé par une personne qui n’est pas un professionnel du crédit sera donc un contrat réel, même si des intérêts sont stipulés. On sera alors en présence d’un contrat réel, unilatéral et onéreux. Réciproquement, un prêt accordé sans intérêt par un professionnel du crédit devrait être considéré comme consensuel.

Si la jurisprudence avait voulu faire un lien entre contrat réel et contrat gratuit, elle aurait admis que tous les prêts à intérêt fussent consensuels. Il n’en est rien, probablement parce que la légitimité de la protection accordée au prêteur dans le contrat réel est apparue aux juges comme liée non pas à la gratuité de principe du prêt de consommation, mais à ses dangers, et, principalement à la consomptibilité de son objet. Ce dernier, destiné à être consommé, va sortir du patrimoine de l’emprunteur. La restitution ne pourra donc se faire que si l’emprunteur parvient à regagner ce qu’il a dépensé, ce qui représente un risque pour le prêteur, indépendamment de la gratuité ou de l’onérosité du prêt. Ceci justifie que le prêteur ne soit pas engagé avant la délivrance des fonds, de façon à lui permettre de préserver son capital si des doutes sur les capacités de remboursement de l’emprunteur surviennent avant la remise. Or le prêteur professionnel est bien mieux armé que le prêteur profane dans l’appréciation du risque occasionné par le crédit. Il est censé maîtriser l’analyse financière et a accès à des fichiers lui permettant de limiter ses risques139

. L’exigence de professionnalisme du banquier interdit qu’il puisse accepter d’octroyer un crédit puis revenir sur sa décision avant la remise des fonds, ce qui justifie que leur délivrance devienne une obligation.

b) l’existence de contrats synallagmatiques gratuits

90. Faux exemple : le mandat<>On pourrait tout d’abord songer à illustrer la catégorie des contrats synallagmatiques gratuits par le mandat. En effet, ce dernier est, en principe, gratuit140. Or, faisant suite à un chapitre relatif aux obligations du mandataire, un chapitre

139 Fichier des incidents de paiement institué par les article L.333-4 et L.333-5 du Code de la consommation ; registres tenus aux greffes des tribunaux de commerce, comme celui des protêts, prévu par l’article L.511-56 du Code de commerce.

140

53 III s’intitule « Des obligations du mandant ». Néanmoins, à y regarder de plus près, les obligations mentionnées dans ce titre ne font pas du mandat gratuit un contrat synallagmatique. En effet, le premier article de ce chapitre, l’article 1998, énonce que « le

mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ». Cela signifie que le mandant est tenu des obligations

contractées, en son nom et pour son compte, par le mandataire, auprès d’un tiers. On remarquera donc que le créancier de cette obligation n’est pas le mandataire, mais le tiers contractant, ce qui empêche de qualifier le contrat de mandat, c’est-à-dire le contrat liant le mandataire au mandant, de synallagmatique, faute d’engagements « réciproques »141

. Les articles suivants, quant à eux, sont relatifs aux remboursements des avances faites par le mandataire et à l’indemnisation des pertes occasionnées par l’exécution du contrat. Il s’agit donc bel et bien d’obligations. Néanmoins, ces créances ne sont pas nées du contrat, mais des événements survenus lors de son exécution, et elles n’ont aucun lien de causalité avec les obligations pesant sur le mandataire142. Les auteurs préfèrent alors parler de contrat synallagmatique imparfait que de véritable contrat synallagmatique.

91. Contrat d’entreprise gratuit<>Un meilleur exemple nous est fourni avec le contrat d’entreprise. En effet, ce dernier peut être gratuit143. Néanmoins, sa gratuité n’enlève rien à son caractère synallagmatique. En effet, même lorsque le maître de l’ouvrage ne doit pas

141 En réalité, les obligations du mandant ne sont pas issues du contrat de mandat mais du contrat signé par le mandataire au nom et pour le compte du mandant. L’engagement du mandant résulte davantage de la force obligatoire du mandat que d’une obligation. Sur cette distinction, voir P. ANCEL, Force obligatoire et

contenu obligationnel du contrat, RTD Civ. 1999, p. 771.

142 Voir, pour l’utilisation de ce critère de l’extériorité de la cause dan la distinction des contrats unilatéraux et synallagmatiques, F.-L. SIMON, La spécificité du contrat unilatéral, RTD Civ. 2006, p. 209.

143 P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, préf. B. Teyssié, éd. Panthéon-Assas, 2002, n° 28 et s.—Ph. LE TOURNEAU, Contrats d’assistance, J. Cl. Contrats Distribution, fasc. 2040, n° 46 : « un contrat

d’entreprise peut être gratuit ». Contra : F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Précis Dalloz, 7ème éd., 2004, n°732 : « le contrat d’entreprise est un contrat à titre

onéreux »—A. BENABENT, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, 6ème éd., Montchrestien, 2004, n°506. Voir aussi le propos plus nuancé de Ph. MALAURIE, L. AYNÈS et P.-Y. GAUTIER, Les contrats

spéciaux, Defrénois, 2003, n°765 : « le contrat d’entreprise est généralement à titre onéreux », visiblement

modifié dans la dernière édition : « Le contrat d’entreprise est nécessairement à titre onéreux (art. 1710) ;

sinon, il serait une convention d’entraide où, comme toujours, la responsabilité de celui qui agit à titre bénévole est allégée » (Ph. MALAURIE, L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, 2ème éd., 2005, n°765). L’idée selon laquelle le contrat d’entreprise est essentiellement onéreux est héritée du droit romain et de l’Ancien Droit, pour lesquels la forme gratuite du louage d’ouvrage était le mandat, dont l’objet n’était pas limité à la conclusion d’actes juridiques. Cf. P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, n° 31. En réalité, il semble plus vraisemblable que le contrat d’entreprise soit par nature onéreux : il peut être gratuit, mais il est supplétivement onéreux. En ce sens, voir Civ. 3ème, 24 septembre 2003, RDC 2004, p. 369 obs. A. Bénabent.

54 payer, il reste tenu d’autres obligations : la réception de l’ouvrage, et la prise de livraison notamment144.

92. Donation avec charge<>Mais l’exemple type du contrat synallagmatique gratuit semble être la donation avec charge dans l’intérêt du disposant. Par exemple, la donation d’un immeuble moyennant une rente viagère inférieure aux revenus procurés par l’immeuble. Il faut quand-même s’interroger sur le double caractère gratuit et synallagmatique d’un tel contrat.

93. La donation avec charge dans l’intérêt du disposant, contrat

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