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SOUS-SECTION 2 : LA NÉCESSITÉ DE SE RÉFÉRER À UNE CONCEPTION ABSTRAITE DE L’INTENTION LIBÉRALE

Dans le document Essai sur la gratuité en droit privé (Page 126-140)

187. Comme nous l’avons vu précédemment, la gratuité apparaît comme nécessairement causée. À défaut, le flux unilatéral de prestation objective constituerait un enrichissement sans cause. Il nous faut désormais envisager cette cause sous l’angle du rapport entre la gratuité et l’altruisme. En effet, si la gratuité ne pouvait pas être intéressée, si elle devait correspondre à l’altruisme, une étude de la cause subjective des actes juridiques la contenant serait indispensable. Au contraire, si la gratuité devait consister seulement en une absence de rémunération, seule compterait la cause objective ou causa

proxima.

188. La cause est traditionnellement envisagée, s’agissant des actes à titre gratuit, à travers l’intention libérale. Cette dernière est alors présentée comme l’un des deux éléments constitutifs des libéralités, l’élément moral, complément de l’élément matériel constitué par l’appauvrissement du disposant et l’enrichissement corrélatif du bénéficiaire. Les contours de l’intention libérale ont fait l’objet de débats aujourd’hui tranchés : sa conception abstraite l’a emporté sur une conception plus concrète et morale, témoignant de l’utilisation de la cause objective dans la qualification des actes juridiques (§1). Néanmoins, l’intention libérale n’est pas, malgré son nom, propre aux libéralités. La même intention est exigée dans les contrats de services gratuits (§2).

§1 : LE CHOIX D’UNE CONCEPTION ABSTRAITE DE L’INTENTION LIBÉRALE DANS LES LIBÉRALITÉS

189. L’intention libérale est l’élément moral des libéralités, considérées par beaucoup d’auteurs comme l’archétype des actes à titre gratuit342

. Si la gratuité devait être la traduction juridique de l’altruisme, notion morale, ce serait donc par le truchement de l’intention libérale. Un débat a donc existé pour savoir si cette dernière devait inclure les mobiles du disposant ou si une volonté abstraite, portée vers le résultat de l’acte gratuit, à

342 R. CABRILLAC, Les obligations, Cours, Dalloz, 7ème éd., 2006, n°34 ― Ph. MALAURIE et L. AYNES,

114 savoir l’enrichissement du gratifié, suffisait à caractériser l’intention libérale. L’exclusion des mobiles de l’intention libérale est aujourd’hui admise (A), ces derniers ayant tout de même un rôle probatoire (B).

A. L’exclusion des mobiles de l’intention libérale

Il nous faut revenir sur les termes du débat entre les partisans de la conception abstraite de l’intention libérale et les partisans de la conception concrète (1), avant de voir pourquoi le choix d’une conception abstraite était plus pertinent (2).

1. Les termes du débat

a) La conception concrète de l’intention libérale

190. Selon cette conception, il ne peut y avoir de libéralité que si le donateur a agi dans un but désintéressé, altruiste343. La recherche de son intérêt, qu’il soit matériel ou, dans la conception la plus radicale, morale, suffit à écarter la qualification de libéralité, et ce malgré l’existence d’une gratuité objective. Il convient alors de scruter les mobiles du donateur : pour qu’il y ait donation, ce dernier doit avoir voulu préférer autrui à lui-même. La jurisprudence a pu aller en ce sens, et formuler expressément cette condition. Ainsi, un jugement du Tribunal civil de Mamers du 2 février 1875344 avait validé la prise en charge des travaux de réfection d’une église malgré l’absence d’acte authentique, au motif que la bienfaitrice était animée par la recherche de sa propre satisfaction religieuse, le tribunal précisant que « sans doute, la demanderesse a été heureuse de servir les intérêts de la

commune ; mais son but principal a été (...) de pouvoir plus souvent faire célébrer l’office divin, et de venir, à ses heures, prier sur la tombe de son mari ; que pour qu’il y eût donation, il faudrait que la demanderesse ait préféré la commune à elle-même, mais que

343 M. GRIMALDI, Droit civil. Libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, n° 1006. 344

115

telle n’a pas été son intention ». La recherche des mobiles de la donation apparaît très

clairement, ces derniers révélant l’absence d’altruisme.

191. Un objectif de validation de l’acte<> Cette conception très restrictive de

l’intention libérale ne doit pas surprendre : la jurisprudence a toujours eu à cœur de limiter la portée de l’article 931 du Code civil345

, exigeant, à titre de validité, que les donations soient dressées par acte notarié. L’exclusion de la notion de donation de ces actes qui ne sont pas, à proprement parler, désintéressés permettait alors, à une époque où les juges avaient encore quelques scrupules à l’égard de l’article 931 du Code civil, de maintenir la validité des actes qui n’avaient pas été dressés en la forme notariée. La « désolennisation » des libéralités, largement admise au XXème siècle, devait avoir raison de cette conception concrète de l’intention libérale.

b) la conception abstraite de l’intention libérale

192. Distinction avec le consentement<> Selon une conception plus abstraite et

moins affective, l’intention libérale serait seulement « la conscience et l’intention de

s’appauvrir au bénéfice d’autrui »346, l’intention de parvenir à l’élément matériel des libéralités. On a alors pu estimer que l’intention libérale n’était rien de plus que le consentement à la libéralité, et que son utilisation en tant que cause dans les actes à titre gratuit procédait d’ « une pure tautologie, une symétrie de façade avec la cause de

l’obligation onéreuse »347

. Une telle position ne saurait cependant être admise. En effet, l’intention n’est pas, à proprement parler, synonyme du consentement. Comme le dit le Professeur GRIMALDI, « le consentement n’est que l’acceptation (qui peut être résignée)

du sacrifice, alors que l’intention libérale postule sa recherche ; le consentement n’est qu’une volonté appliquée au sacrifice, alors que l’intention libérale est une volonté tendue vers lui ». Le droit pénal, plus enclin à la recherche des mobiles que le droit civil, distingue

345 J.-F. MONTREDON, La désolennisation des libéralités, préf. B. Teyssié, LGDJ, Bibl. Dr. Privé, t. 209, 1989, n° 7 : « Les solennités rigoureuses entourant donations et testaments ont toujours été édulcorées ou

supprimées sous la pression de nécessités pratiques ».

346 M. GRIMALDI, Droit civil. Libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, n°1006.

347 J.-J. DUPEYROUX, Contribution à la théorie générale de l’acte à titre gratuit, préf. J. Maury, LGDJ, 1955, n° 163—F.TERRÉ, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., 2005, n°349.

116 bien, à cet effet, les mobiles de l’intention, et cette dernière de la volonté. L’intention est portée vers le résultat de l’infraction. C’est ainsi que l’infraction de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, énoncée à l’article 222-7 du Code pénal, est une infraction volontaire, quant aux coups donnés, mais non intentionnelle : le résultat, c’est-à-dire la mort de la victime, n’étant pas recherché.

On pourrait alors très bien concevoir que le consentement soit, en droit civil, et dans la formation de l’acte juridique, l’équivalent de ce qu’est la volonté dans la commission des infractions, ce qui permettrait de le distinguer de l’intention348

. Une telle position peut, de prime abord, sembler bien artificielle. En effet, le consentement à un acte juridique englobe, la plupart du temps, la recherche de ses effets. Dès lors, le consentement à une donation contient nécessairement l’intention libérale, au moins dans sa conception abstraite, puisque la donation aboutit nécessairement à un transfert de bien sans contre-prestation. Du reste, en matière contractuelle, on estime que le juge doit rechercher la commune intention des parties, et non leur volonté commune. Le consentement semble donc, comme le disait Jean-Jacques DUPEYROUX dans sa thèse349, correspondre à l’intention.

193. Une distinction nécessaire pour appréhender les donations non notariées<> Néanmoins, cette synonymie entre consentement à la donation et intention

libérale n’est qu’apparente. Elle ne vaut que lorsque les parties ont exprimé leur intention de procéder à une donation, autrement dit, lorsqu’on est en présence d’un acte causé, la cause et l’intention désignant, finalement, la même chose. Autrement dit, s’il y a une parfaite concordance entre le consentement et l’intention libérale en matière de donation notariée, les deux notions doivent en revanche être distinguées en matière de don manuel et de donation indirecte. Ainsi, dans le don manuel, la remise de la chose donnée est volontaire. Néanmoins, le seul transfert de valeur, fût-il volontaire, ne permet pas d’établir qu’il y a eu donation. Encore faut-il que son auteur ait eu l’intention de donner sans rien recevoir en retour, et, surtout, sans vouloir être remboursé. Le contentieux portant sur la qualification de donation ou de prêt à usage témoigne de la nécessité d’établir l’intention

348 M.-A. FRISON-ROCHE, Remarques sur la distinction de la volonté et du consentement en droit des

contrats, RTD Civ. 1995.573.

349

117 libérale, et, surtout, de ne pas se contenter du consentement à la remise de la chose, ou, plus largement, au transfert de valeur.

194. Donations indirectes – exemple du cautionnement-libéralité<> Ceci est

encore plus évident s’agissant des donations indirectes350. Dans cette hypothèse, l’exemple du cautionnement est révélateur de la nécessité de distinguer le consentement et l’intention libérale. S’agissant d’un contrat, ce dernier requiert le consentement de la caution, qui est reçu dans les liens l’unissant au créancier. Malgré tout, il convient également d’étudier le lien entre la caution et le débiteur principal. Ce dernier peut être onéreux si la caution se fait rémunérer son service de couverture351. Il peut également être gratuit si la caution n’entend pas se faire rémunérer le service qu’elle rend au débiteur principal. Mais il se peut, également, que la caution entende conférer une libéralité au débiteur. Dans ce cas-là, outre le fait que la caution n’attend aucune rémunération, elle renonce à ses recours après paiement contre le débiteur. Pour caractériser le cautionnement-libéralité, il faudra alors constater l’intention libérale de la caution, sa volonté de s’appauvrir au bénéfice du débiteur principal en assumant définitivement le paiement de la dette352.

195. Exemple des renonciations<> La nécessité de distinguer le consentement et

l’intention libérale apparaît de manière encore plus nette à propos des renonciations. Acte juridique unilatéral, la renonciation à un droit est toujours volontaire de la part de son auteur. Son consentement a pour objet la renonciation en elle-même. Néanmoins, il convient de distinguer les renonciations in rem et les renonciations in favorem. En effet, la renonciation, notamment à une succession, peut avoir différents objectifs. Elle peut résulter de l’intention de rejeter sa famille ou de l’intention de favoriser un cohéritier dans le besoin. D’apparence neutre, la renonciation peut donc constituer une libéralité si elle a pour cause l’intention libérale de son auteur353. À l’inverse, si elle n’est pas faite dans une intention libérale, la renonciation ne sera pas qualifiée de libéralité354.

L’intention libérale, fût-ce dans sa conception abstraite, n’est donc pas synonyme du consentement, et doit donc bien être appréhendée comme la cause objective de la libéralité.

350

R. LIBCHABER, Pour une redéfinition de la donation indirecte, Defr. 2000, art. 37273, p. 1409. 351 Voir supra, n°125

352 F.-X. TESTU, Le cautionnement-libéralité, JCP 1989.I.3377. 353 Civ. 1ère, 27 mai 1961, D.1962, p. 657, note J. Boulanger. 354

118 2. L’adoption de la conception abstraite de l’intention libérale

196. Dons aux associations cultuelles<> Si la jurisprudence n’est pas toujours

unanime355, elle semble opter pour la conception abstraite de l’intention libérale. Pour qu’il y ait libéralité, il faut et il suffit que le gratifiant ait entendu s’appauvrir au bénéfice du gratifié ; peu importent ses mobiles. Ainsi, alors que les tenants de la conception subjective estimaient que la recherche d’un intérêt, fût-il seulement moral, interdisait de qualifier un acte de libéralité, la Cour de cassation opte aujourd’hui résolument pour la solution inverse. Alors qu’au XIXème

siècle, on estimait que le fait de donner des fonds à une église pour pratiquer son culte n’était pas désintéressé, et, partant, ne constituait pas une libéralité, il en va différemment au XXIème siècle. Autres temps, autres « cultes », la Cour de cassation a eu à statuer sur les dons faits par des fidèles à l’Association « Les Témoins

de Jéhovah »356. Suite à une vérification comptable, l’Administration fiscale a constaté que ladite association avait recueilli des sommes d’argent enregistrées dans sa comptabilité sous le nom d’ « offrandes ». Pour le fisc, il s’agissait, plus prosaïquement, de dons manuels, qui n’avaient pas été déclarés. Après mise en demeure restée infructueuse, l’administration fiscale recourut à la procédure de taxation d’office et redressa l’association. Contestant le redressement fiscal, l’association fut déboutée par les juges du fond et forma un pourvoi en cassation. Plusieurs moyens étaient développés par les conseils des Témoins de Jéhovah, dont un nous intéresse tout particulièrement ici. L’association considérait en effet « qu’un avantage quelconque direct ou indirect, y

compris une simple satisfaction morale, est de nature à exclure toute intention libérale ».

La Cour de cassation, pour sa part, approuve la Cour d’appel d’avoir « relevé que les

sommes enregistrées par l’association dans sa comptabilité étaient des dons manuels dont les auteurs étaient animés à son égard d’une intention libérale que l’exercice d’un culte auquel ceux-ci entendraient contribuer ne pouvait suffire à exclure ». Il s’agit donc ici,

clairement, de rejeter la conception subjective de l’intention libérale, selon laquelle l’existence d’une satisfaction morale interdirait de retenir l’existence d’une donation.

355 M. GRIMALDI, Droit civil. Libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, n° 1007.

356 Com. 5 oct. 2004, Defr. 2005, p. 132, art. 38086, note Chappert ― L. MARTIN, Le régime fiscal des dons

119 197. Donation destinée à maintenir ou à « rémunérer » une relation adultère<>L’adoption d’une conception abstraite de l’intention libérale est encore plus

explicite en matière de libéralités consenties entre concubins adultères. Dans un arrêt de principe du 3 février 1999357, la première chambre civile de la Cour de cassation a affirmé que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause d’une libéralité dont l’auteur entend

maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire ». Jusqu’alors, la

donation entre concubins adultères n’était pas, en tant que telle, nulle pour cause immorale. Seule était considérée comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la donation destinée à former, continuer ou reprendre des relations adultères358, c’est-à-dire, précisément, la donation accomplie dans le but d’obtenir les faveurs du (de la) donataire, donation éminemment intéressée. Allant semble-t-il encore plus loin, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a récemment affirmé que « n’est pas nulle comme ayant une cause

contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère »359. Si une lecture de la seule solution peut laisser penser qu’elle est classique, en ce qu’elle n’annule pas une libéralité sur le seul motif qu’elle a été accordée à une concubine adultère, la lecture de l’ensemble de l’arrêt permet d’y voir une très grande et nouvelle permissivité de la part de la Cour de cassation360. En effet, l’Assemblée plénière casse un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait annulé le legs au motif qu’il avait pour but de « rémunérer » les faveurs de la concubine. La détermination des mobiles relevant du pouvoir souverain des juges du fond, il faut donc en déduire que la rémunération des relations adultères ne constitue pas une cause immorale. Il eût été, en l’espèce, impossible de qualifier le legs de paiement d’une quelconque obligation, dont l’objet aurait assurément été en dehors du commerce juridique. La disposition est donc bel et bien gratuite. Peu nous importe ici le bien fondé ou non de la solution : nous pouvons

357 Civ. 1ère, 3 févr. 1999, JCP 1999.II.10083, note Billiau et Loiseau ; GP 2000.1, p.70, note S. Piédelièvre ; GP 2000.1, p. 646, note Chabas ; D.1999, p. 267, rapp. X. Savatier et notre Langlade-O’Sughrue ; D. 1999, somm. p. 307, obs. Grimaldi ; ibid. somm. p. 377, obs. Lemouland ; JCP 1999.I.160, obs. Bosse-Platière ; JCP 1999.1.189, obs. Le Guidec ; JCP N 1999, p. 1430, note Sauvage ; Dr. Fam. 1999, comm. 54, note Beignier ; RJPF 1999-2/27, obs. Casey ; Defr. 1999, p. 680, obs. Massip ; ibid p. 738, obs. D. Mazeaud ; ibid p. 814, obs. G. Champenois ; Contrats Conc. Consom. 1999, comm. 105, note L. Leveneur ; RTD Civ. 1999, p. 364 et 817, obs. Hauser ; ibid p. 892, obs. Patarin ; PA 27 nov. 1999, p. 10, note Mestrot ; JCP 1999.I.143, obs. Labarthe.

358 Req. 8 juin 1926, DP 1927.1. 113 note R. Savatier.

359 Ass. Plén. 29 oct. 2004, JCP 2005.II.10011, note crit. F. Chabas. Voir aussi F. TERRÉ, L’occasion rêvée, JCP 2005, actualités, 223.

360

120 simplement constater qu’il y a bien libéralité malgré la recherche évidente d’un intérêt de la part du donateur, qui n’agit pas par pur altruisme361

.

198. Choix explicite de la conception abstraite de l’intention libérale<> Plus

positivement, la jurisprudence retient très clairement la conception abstraite de l’intention libérale. Ainsi, dans une affaire où elle avait à connaître de la donation d’un portefeuille de courtage en assurances, la Première chambre civile de la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir estimé « que l’intention libérale (...) résultait suffisamment de la

déclaration faite à l’expert judiciaire selon laquelle [le donateur] avait décidé de ne pas demander paiement de la valeur de son portefeuille de courtage »362. Peu importent les

mobiles, seule compte donc la volonté de ne pas obtenir de contre-prestation.

199. Un choix à approuver<> Une telle conception doit être encouragée. En

effet, les mobiles sont, la plupart du temps, impossibles à établir. De plus, même s’ils sont parfois dévoilés par les parties, rien ne permet de dire qu’ils sont tous connus363

. Par ailleurs, une conception trop stricte de l’intention libérale sera souvent trop réductrice, ce qui rendra trop rares les libéralités, l’intérêt moral du disposant étant souvent recherché. Au-delà, vouloir à tout prix débusquer l’altruisme derrière l’intention libérale est sûrement contraire aux intentions des codificateurs de 1804. En effet, ces derniers envisageaient les donations comme un outil permettant aux parents de récompenser leurs enfants, ce qui a justifié l’octroi d’une quotité disponible364

. De la même manière, la révocabilité des

361 Voir déjà, illustrant par les donations entre concubins la possibilité de concilier la gratuité et la recherche d’un intérêt moral, J.-J. DUPEYROUX, Contribution à la théorie générale de l’acte à titre gratuit, préf. J. Maury, LGDJ, 1955, n° 76 et 77.

362

Civ. 1ère, 3 févr. 2004, n° 02-14102.

363 En ce sens, M. GRIMALDI, Droit civil. Libéralités, partages d’ascendants, Litec, 2000, n°1006.

364 Voir en ce sens MALEVILLE, Discussion devant le Conseil d’État, 30 nivôse an XI : « Les peines et les

récompenses sont le ressort le plus puissant des actions de l’homme ; et le législateur ne serait pas sage, qui croirait pouvoir les diriger uniquement par l’amour de leurs devoirs. Il faut donc mettre de grands moyens dans la main des pères si l’on veut compter sur l’obéissance et la moralité des enfans.(…) Ce serait toujours un avantage de ramener au devoir par l’espérance et par la crainte ceux sur qui l’amour du devoir serait impuissant. Eh ! que serait la société, si les hommes s’y montraient avec tous les vices que l’intérêt les engage à voiler ? Bien souvent, l’apparence de la vertu a l’effet de la vertu même », FENET, Recueil

complet des travaux préparatoires du Code civil, Videcoq, Paris, 1836, t. XII, p. 254—TRONCHET, même séance : «Il semble donc que la totalité du patrimoine paternel devrait passer aux descendants en ligne

directe, et que le pouvoir du père devrait être réduit à faire quelques legs rémunératoires d’une valeur modique. Cependant, l’intérêt public exige qu’on lui donne un peu plus de latitude, afin qu’il puisse distribuer des récompenses parmi ses enfans même », op.cit. p. 258—PORTALIS, même séance, « Il n’est donc pas question d’examiner ce qui est le plus conforme au droit naturel, mais ce qui est le plus utile à la société. Sous ce point de vue, le droit de disposer est, dans la main du père, non, comme on l’a dit, un moyen entièrement pénal, mais aussi un moyen de récompense. Il place les enfans entre l’espérance et la crainte,

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