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SOUS-SECTION 2 : UNE FOURNITURE VOLONTAIREMENT UNILATÉRALE DE PRESTATIONS OBJECTIVES

Dans le document Essai sur la gratuité en droit privé (Page 92-103)

136. Nous avons vu comment caractériser la gratuité d’un point de vue purement matériel. Elle consiste en la fourniture unilatérale d’une prestation objective : celui qui la fournit ne reçoit pas de contre-prestation de celui qui la reçoit. Cependant, cela n’est pas

80 suffisant pour caractériser la gratuité. En effet, il est possible qu’une personne fournisse une prestation à une autre sans cause. On se situe alors sur le terrain des quasi-contrats, plus précisément du paiement de l’indu et de l’enrichissement sans cause, ce qui justifiera des restitutions. Il faut donc recourir à la cause de la fourniture unilatérale de prestation pour distinguer l’acte gratuit et l’enrichissement sans cause. La fourniture unilatérale de prestation ne sera qualifiée de gratuite que si elle est causée. Aussi devrons-nous étudier la cause de la gratuité dans les actes juridiques (§1), avant de voir les effets de l’absence de cause de la prestation fournie (§2).

§1 : LA CAUSE DE LA FOURNITURE UNILATÉRALE DE PRESTATION OBJECTIVE

137. Nécessité d’une intention d’agir gratuitement<> Nous avons vu que la

gratuité caractérisait des actes juridiques, c’est-à-dire des « manifestations de volonté

accomplies en vue de produire des effets de droit et sans lesquelles ces effets de droit ne se produiraient pas »241. Dès lors, les libéralités et les contrats de bienfaisance présentent un autre point commun : outre le fait qu’ils permettent une fourniture unilatérale de prestation objective, ils procèdent d’une volonté d’aboutir à ce résultat. Ainsi, le donateur, le testateur, le prêteur à usage, le dépositaire gratuit, le mandataire non-salarié, etc., ont tous la volonté de fournir une prestation gratuitement, c’est-à-dire sans recevoir de contre-prestation en retour. Cette volonté, portée vers le résultat de l’acte, est, plus précisément, une intention242 de fournir une prestation gratuitement243. Cette intention semble rien de moins que nécessaire pour parler de gratuité : à défaut, le bénéficiaire de la prestation s’enrichirait au dépens du prestataire, ce qui aboutirait à une répétition pour enrichissement sans cause ou, éventuellement, à une répétition de l’indu. Ces derniers sont des quasi-contrats, c’est-à-dire des faits juridiques244

qui, dans le cas particulier de l’enrichissement sans cause, comme dans celui du paiement de l’indu, et contrairement à la gestion

241 F. TERRÉ, Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 7ème éd., 2006, n° 217. 242

L’intention, utilisée en droit pénal où elle est distinguée de la volonté et des mobiles, rend davantage compte que la seule volonté de la gratuité. En effet, le paiement peut être volontaire tout en étant indu. Dans ce cas-là, l’enrichissement procuré à l’accipiens, résultat du paiement, n’est pas intentionnel.

243 Voir infra. n°187 et s. 244

81 d’affaires, procèdent de la fourniture non-intentionnelle d’un avantage à une personne, l’enrichi dans l’enrichissement sans cause, l’accipiens dans le paiement de l’indu. Au contraire, dans la gestion d’affaires, le service rendu par le gérant au maître de l’affaire est un avantage fourni de manière parfaitement intentionnelle et gratuite : le gérant ne sera jamais rémunéré pour la gestion, il pourra seulement être indemnisé. La gestion d’affaires est donc un fait juridique gratuit, parce qu’intentionnel.

138. Intention libérale<> L’intention nécessaire à la gratuité dans les actes

juridiques est qualifiée, la plupart du temps, d’intention libérale. Ce terme est, semble-t-il, trop restrictif. Il évoque, en effet, la libéralité. Or l’acte juridique gratuit n’est pas nécessairement une libéralité : il peut s’agir d’un contrat de bienfaisance, par lequel une personne fournit un service gratuit à une autre. Il serait peut-être préférable de parler d’intention gratuite ou d’intention d’agir gratuitement. Ceci dit, le terme d’intention libérale étant également usité en matière de services, nous continuerons de l’utiliser pour tous les cas de gratuité.

139. L’intention libérale, cause de la fourniture de la prestation à titre gratuit<> La cause de la fourniture de prestation dans les actes gratuits est alors l’intention

du prestataire de procurer un avantage à autrui sans en recevoir en retour. Si une telle conception de la cause dans les actes à titre gratuit a pu être contestée245, au motif que l’intention libérale n’était rien d’autre que la volonté inhérente à tout acte juridique, elle est pourtant nécessaire pour éviter la qualification d’enrichissement sans cause. En effet, la notion d’enrichissement y est tellement large, incluant à la fois l’enrichissement au sens strict, c’est-à-dire l’obtention d’un bien, que l’obtention de services, qu’elle pourrait concerner tous les actes à titre gratuit. Recourir à la cause des actes gratuits permet alors de paralyser toute action en restitution intentée par l’acteur de gratuité.

140. Ensembles contractuels<> Par ailleurs, le recours à la cause permet de

mieux cerner la question de l’appréhension de la gratuité dans les ensembles contractuels. En effet, il est fort possible que, dans un contrat donné, une partie fournisse une prestation à une autre sans recevoir de contre-prestation dans ce même acte. Une approche un peu rapide nous conduirait alors à conclure à la gratuité d’un tel contrat. Ceci dit, il est fort possible que la cause objective de la fourniture de la prestation réside dans l’obtention

245 J.-J. DUPEYROUX, Contribution à la théorie générale de l’acte à titre gratuit, préf. J. Maury, th. Toulouse, LGDJ, 1955.

82 d’une contre-prestation dont la fourniture est prévue par un autre contrat, inscrit dans le même ensemble. Dans ce cas-là, la cause de la fourniture de la prestation n’étant pas l’intention libérale de l’apparent acteur de gratuité, mais la fourniture d’une contre-prestation par l’apparent bénéficiaire, grâce à un autre contrat, il conviendra de conclure à son onérosité.

L’exemple le plus révélateur de cette démarche est celui du cautionnement. En effet, dans le contrat de cautionnement, la caution fournit une prestation objective au créancier. Ce dernier ne fournit aucune prestation à la caution. On pourrait donc, dans un premier temps, conclure à la gratuité de ce contrat. Ceci dit, le cautionnement s’inscrit, la plupart du temps, dans un ensemble contractuel incluant le contrat générateur de la créance garantie. La jurisprudence le reconnaît volontiers, puisqu’elle estime que « la cause de l’obligation

de la caution est la considération du crédit accordé par le créancier au débiteur principal »246. Or ce crédit accordé au débiteur principal, qui constitue la contre-prestation fournie par le créancier, est nécessairement accordé dans un acte autre que le contrat de cautionnement. L’ensemble contractuel est donc pris en considération, sans pour autant remettre en cause le caractère ponctuel du champ d’observation de la gratuité. En effet, si un contrat extérieur à celui dont la qualification est en cause est pris en considération, c’est uniquement parce qu’il constitue la cause objective de la prestation fournie dans le cadre du contrat observé.

Envisageons désormais le cas dans lequel la prestation fournie est dépourvue de cause.

§2 : L’ABSENCE DE CAUSE DE LA FOURNITURE UNILATERALE DE PRESTATION OBJECTIVE

141. « L’action de in rem verso n’ayant pas fait l’objet d’une réglementation

législative et dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui, il s’ensuit que son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée et que, pour sa recevabilité, il suffit que la partie qui l’intente allègue l’existence d’un avantage qu’elle aurait, par sacrifice ou par un fait personnel, procuré à celui contre lequel elle agit ». Ces

246

83 motifs, restés célèbres, de l’arrêt Patureau247

, insistent sur le caractère anormal de l’enrichissement au détriment d’autrui. Sans autre précision, ils permettent à quiconque a fourni un avantage à autrui d’être indemnisé, donnant ainsi à l’action de in rem verso un champ d’application très large, et aux justiciables la possibilité de remettre en cause toutes les situations dans lesquelles existe un déséquilibre entre deux parties. Heureusement, par la suite, la Cour de cassation a considérablement limité l’exercice de cette action en posant deux conditions à son acceptation : l’absence de cause de l’enrichissement et la subsidiarité de l’action248

.

142. Absence de cause, absence d’intention libérale<> Que faut-il entendre par

absence de cause ? Cette question se pose redoutablement, comme à chaque fois qu’il est question de cause249. Selon CARBONNIER, « il faut entendre : une cause juridique. Le

mot peut être pris dans un sens assez voisin de celui de l’article 1131, ce qui n’est pas sans réintroduire dans la théorie quelque élément psychologique. La cause sera l’intention libérale de l’appauvri, s’il a voulu faire une donation, rendre un service gratuit à l’enrichi. Ce peut être aussi la contre-prestation qui a été fournie à l’appauvri par l’enrichi ou l’espérance d’une telle contre-prestation »250

. Ce serait donc la cause au sens de cause de l’obligation qui devrait être retenue ici, c’est-à-dire la contre-prestation attendue dans les contrats onéreux, l’intention libérale dans les contrats gratuits.

Cette intention libérale serait, en réalité, la volonté d’agir gratuitement. Ainsi, la gratuité passe nécessairement par une volonté de ne pas recevoir de contre-prestation. À défaut d’une telle volonté, l’action de in rem verso sera admise, et le prestataire devra obtenir la restitution de l’avantage fourni à l’enrichi.

143. Charge de la preuve de l’intention libérale<>La question se pose alors de

la charge de la preuve de l’intention libérale. En principe, il appartient au demandeur, conformément à l’article 1315 du Code civil, d’apporter la preuve de l’enrichissement sans cause, et, par conséquent, de l’absence de cause. Il devra donc prouver l’absence

247 Req. 15 juin 1892, D.P. 1892.1.596 ; S.1893.1.281 note Labbé ; Les Grands arrêts de la jurisprudence

civile, Dalloz, 11ème éd., 2000, t.2, n° 227. 248

Civ. 2 mars 1915, D.P. 1920.1.102 ; GAJC, t. 2, n° 228; Civ. 28 février 1939, D.P. 1940.1.5 note Ripert ; GAJC, t. 2, n°229.

249 On rapporte souvent une remarque faite par le Professeur Jean-Marc Mousseron à ses étudiants : « si vous

avez compris ce qu’est la cause, c’est qu’on vous l’a mal expliquée ».

250

84 d’intention libérale. La jurisprudence est d’ailleurs majoritairement dans ce sens251

. Malgré tout, certains arrêts ont pu admettre qu’il appartenait aux défendeurs de prouver l’intention libérale252. La preuve de cette dernière est évidemment difficile à rapporter. S’agissant d’un fait juridique, l’intention libérale sera prouvée par tous moyens, et notamment par présomption. Ainsi a-t-on pu débouter un locataire qui avait réalisé des travaux dans la maison qu’il louait en se fondant sur ses liens d’amitié avec les propriétaires253

, suffisant à établir que l’enrichissement avait été recherché. Plus étrange est la solution qui déboute un concubin, qui avait effectué des travaux dans la maison de sa concubine, de son action de

in rem verso aux motifs que l’appauvrissement « avait une cause constituée par son hébergement pendant dix-huit ans dans la maison de sa concubine »254. Cette solution est

contestable dans ses motifs. En effet, faute de pouvoir démontrer l’existence d’un lien d’interdépendance entre les deux prestations, il semble difficile de pouvoir dire qu’elles se servissent mutuellement de cause. En revanche, le dispositif ne nous semble pas contestable. Il appartient en effet au demandeur à l’action de in rem verso de démontrer l’absence de cause, ce qui était difficile en l’espèce : le concubin vivant dans la maison, il avait certainement l’intention de faire ces travaux gratuitement. Là encore, les liens entre le demandeur et le défendeur permettent de présumer l’intention libérale255. L’intention libérale permet donc de distinguer l’acte gratuit de l’enrichissement sans cause. Elle est donc bien la cause objective des actes à titre gratuit.

144. Conclusion de la Sous-Section 2<> La fourniture unilatérale de prestation

objective, qui caractérise la gratuité, doit donc être voulue pour que l’on puisse reconnaître la gratuité. À défaut, il sera possible d’y voir un enrichissement sans cause, donnant lieu à l’indemnisation de l’auteur. Cette condition est évidente, dans la mesure où la gratuité apparaît, pour le moment, dans des actes juridiques. Elle doit donc, par définition, résulter de la volonté de(s) l’auteur(s) de l’acte. Cependant, pour prouver l’existence d’un acte

251 Voir entre autres Civ. 1ère, 6 févr. 2001, n°99-10745. 252 Civ. 1ère, 16 déc. 1997, n°96-10246

253

Civ. 3ème, 1er mars 1989, Bull. civ. III, n°49 ; RTD Civ. 1990. 76 obs. J. Mestre. 254 Civ. 1ère, 12 nov. 1998, Dr. Fam. 1999, n° 12, obs. H. Lécuyer.

255 Voir aussi Civ. 1ère, 25 mai 2004, n°01-00959 : cassation d’un arrêt ayant condamné une concubine à indemniser son concubin qui avait construit une maison sur son terrain sans constater l’absence de cause. Plus explicite enfin, Civ. 1ère, 17 février 2004, n°99-18057 : le demandeur ne rapportait pas la preuve d’un appauvrissement corrélatif à un enrichissement dont sa concubine aurait bénéficié, alors que sa participation à l’aménagement de l’immeuble, qui constituait le logement du couple et de l’enfant de la concubine se justifiait par leur relation de concubinage stable. Là encore, la situation familiale est utilisée pour présumer une volonté d’agir gratuitement, cause de l’enrichissement.

85 juridique gratuit, il conviendra de se poser la question de l’intention libérale du prestataire, étant entendu que le contentieux de l’enrichissement sans cause aboutit, la plupart du temps, à s’interroger sur l’existence d’un acte juridique organisant les prestations fournies. Il est alors utile de savoir qu’il appartient au prestataire, demandeur à l’action de in rem

verso, de prouver l’absence de cause, et donc d’intention libérale.

145. Conclusion de la Section<> La gratuité peut donc être définie comme la

fourniture volontairement unilatérale d’une prestation objective par une personne à une autre. L’acte juridique gratuit apparaît donc comme celui par lequel une personne, dénommée acteur, fournit une prestation objective à une autre personne, le bénéficiaire, sans que, par ce même acte, ce dernier ne fournisse de contre-prestation.

146. Conclusion du chapitre<> La gratuité apparaît, en l’état actuel de nos

observations, comme une caractéristique des actes juridiques. Elle s’inscrit donc dans le même cadre d’analyse que ces derniers, c’est-à-dire dans un cadre bilatéral (les effets des actes étant, indépendamment du nombre de participants, mesurés entre deux catégories de personnes) et ponctuel (chaque acte est analysé séparément, indépendamment des autres et de son environnement juridique). Dans ce cadre-là, la définition de la gratuité est aisée à fournir : un acte juridique sera gratuit si son auteur, dans les actes unilatéraux, ou l’une des parties, dans les conventions, fournit une prestation à une autre personne, le bénéficiaire, sans recevoir de contre-prestation, et ce de façon intentionnelle. La gratuité apparaît donc comme devant être appréhendée de façon purement technique.

Cependant, l’explication traditionnellement donnée à ces actes gratuits est qu’ils procèdent de l’altruisme de l’acteur de gratuité, qui, sciemment, voudrait agir dans l’intérêt d’autrui, sans rechercher son propre intérêt. De cette explication découlerait la nécessité, pour qualifier un acte de gratuit, de caractériser l’altruisme de son auteur, qui serait une condition supplémentaire à celles déjà étudiées de la gratuité. Nous verrons qu’il n’en est rien, et que l’appréhension technique de la gratuité, nécessaire, est également suffisante.

87

Chapitre 2

nd

: UNE APPRÉHENSION TECHNIQUE

SUFFISANTE

147. « Le titre gratuit nous apparaît (...) comme une vaste raison juridique

abritant tout un monde d’actes et de services marqués au coin du désintéressement »

énonçait JOSSERAND256. Cet éminent auteur, qui constatait, à son époque, un « déclin du

titre gratuit »257, voyait dans ce dernier « l’affirmation juridique du désintéressement »,

une manifestation de « la générosité, [de] l’altruisme »258. S’il se félicitait de son déclin,

c’est parce qu’il voyait dans le titre onéreux l’expression de l’égalité entre les hommes, l’ « égoïsme individuel aiguillé vers l’utilité sociale »259

, préférable à la charité qui caractérise les sociétés dans lesquelles une classe domine les autres. Le « déclin du titre

gratuit » auquel assistait JOSSERAND était-il le premier mouvement d’un balancier

aujourd’hui en retour, si bien que l’on assisterait désormais au « déclin du titre onéreux » ? S’il est impossible de savoir ce qu’en penserait l’illustre auteur, il est possible, à la lecture de ses écrits, d’envisager une réponse négative : la gratuité dont il parle n’est pas celle qui se développe aujourd’hui sur le marché260. D’aucuns diraient que JOSSERAND parle d’une vraie gratuité que l’on peine à identifier dans la vague de gratuité intéressée actuelle, tant il est vrai que l’idée selon laquelle la gratuité serait la traduction juridique de l’altruisme figure toujours, en ce début de XXIème

siècle, en bonne place dans notre littérature juridique261.

256 L. JOSSERAND, Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, Dalloz, 1928, n°257.

257 L. JOSSERAND, Le déclin du titre gratuit et sa transformation, in Évolutions et Actualités, conférences

de droit civil, Sirey, 1936, p.135 et s.

258 L. JOSSERAND, art. préc. p. 154. 259 Art. préc. p. 156.

260 Sur l’ensemble de la question, voir Rev. Conc. Consom. avril, mai, juin 2005, Consommation et Gratuité, (Actes de l’atelier de la consommation, tenu à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, le 3 décembre 2004).

261 Voir ainsi A. REYGROBELLET, obs. ss. Com. 23 mars 1999, D. 2000, somm. 19 : « Au fond, la gratuité

existe-t-elle vraiment dans les rapports juridiques ? La donation, celle-là même qui est visée par les art. 893 et s. c.civ. ne poursuit-elle pas souvent - toujours – un objectif intéressé ? ».

88 148. Récemment encore, à propos d’un arrêt énonçant qu’à défaut de terme convenu, le prêt à usage pouvait être résilié à tout moment par le prêteur, un auteur énonçait que « le droit des contrats peut s’appréhender comme un système cohérent au

sein duquel serpente une ligne qui sépare les contrats à titre onéreux et les contrats à titre gratuit. C’est que celui qui procure un avantage purement gratuit mérite davantage d’indulgence et de sollicitude que celui qui donne pour recevoir en échange »262

. Cette idée se retrouve clairement énoncée dans un ouvrage célèbre263, à propos de la distinction des contrats gratuits et onéreux : « On rencontre deux catégories de contractants : certains

recherchent un avantage, font des affaires ; d’autres sont mus par un but désintéressé, ne poursuivant aucun avantage personnel ». Ne recevant rien en échange de ce qu’il donne,

l’acteur de gratuité mérite un régime de faveur, car il n’a « aucun intérêt au contrat »264

. Plus encore, « le caractère gratuit d’un contrat entraîne un régime protecteur de celui qui

se dépouille »265. Cette solution est justifiée par le caractère supposé désintéressé de l’acte

à titre gratuit, qui exclurait de facto sa présence de la vie des affaires266, la gratuité étant « entendue au sens de non rémunération et d’altruisme »267. En effet, la recherche d’un intérêt économique serait caractéristique du titre onéreux, tandis que le fait de « [négliger]

son intérêt pour celui de l’autre partie »268

serait la marque de la gratuité. C’est ainsi que le choix de l’ordre de responsabilité en matière de transport bénévole serait fondé sur « la

nécessité de protéger spécialement celui qui, en fournissant une aide gratuite, a été victime de sa générosité, ce qui justifierait l’application des principes de la responsabilité

262 C. NOBLOT, note ss. Civ. 1ère, 3 févr. 2004, D. 2004.903. Voir aussi L. LEVENEUR, note sous Civ. 3ème, 19 janv. 2005, Contr. Conc. Consom. juin 2005, n° 103 : « la solution qui triomphe en définitive, non

seulement est conforme au droit commun des contrats à durée indéterminée, auxquels chaque partie est en principe en droit de mettre fin à tout moment sauf à respecter un délai de préavis, mais évite aussi de sacrifier injustement les intérêts du prêteur dont le geste gratuit mérite bien quelque considération ».

263 H., L. et J. MAZEAUD, F. CHABAS, Leçons de droit civil, t. II, Obligations, théorie générale, 9ème éd.

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