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A l’évidence, l’auteur de l’Avis aus roys s’est donc principalement servi du De

regimine principum pour composer son traité mais a su, le cas échéant, recourir à une

autre source, probablement le Liber de informatione principum. Ces emprunts répétés ne constituent pas la seule infidélité faite au célèbre miroir de Gilles de Rome. En réalité, le degré de dissemblance entre l’Avis aus roys et son modèle paraît en effet plus aigu, la fracture plus nette.

Dans son étude sur le De regimine principum, Matthew S. Kempshall remarque l’absence de plusieurs éléments qui semblent pourtant inhérents au genre littéraire des miroirs du prince358. Ainsi, Gilles de Rome évite autant que possible de se référer aux autorités patristiques et bibliques. Son but est de définir les principes d’un bon gouvernement fondé sur la raison et la loi. Pour autant, la place de Dieu dans l’éducation du prince n’est pas occultée, de même que l’importance pour lui de s’instruire de la foi chrétienne afin de recevoir les plus grands biens. À l’opposé, l’auteur de l’Avis aus roys accorde aux Ecritures une place prépondérante avec pas moins d’une cinquantaine d’occurrences disséminées exclusivement dans les trois premiers livres. Il s’agit incontestablement de la source la plus mentionnée et la plus prisée par notre moraliste. Le tableau suivant permet de se faire une idée plus précise des livres de la Bible les plus fréquemment cités :

Provenance des citations bibliques dans l’Avis aus roys

Gen. : Genesis I, 6, §15 ; I, 20, §33 ; II, 2, §4 ; II, 16, §22 ; II, 24, §18-22 Ex. : Exodus I, 18, §19-20

Ios. : Iosue I, 18, §22 Iud. : Iudicum I, 9, §11-13

I Reg. : I Regum I, 1, 2, §1-2 ; I, 8, §12 ; I, 18, §16 ; II, 2, §13-14 ; II, 9, 13-14 II Reg. : II Regum I, 32, §7-9 ; II, 2, §5

III Reg. : III Regum I, I, 1, §7 ; I, 1, 3, §6-7 ; I, 6, §14 ; I, 18, §22 ; I, 20, §54 ; I, 20, §72-76 ; I, 29, §19-20 ; II, 9, §9-10

IV Reg. : IV Regum I, 18, §23 ; I, 18, §23 Iudith : Iudith II, 9, §11

I Par. : I Paralipomenon I, 18, §16 II Par. : II Paralipomenon I, 18, §23

Esth. : Esther II, 2, §12 ; III, 21, §42-45

Ps. : Paslmi Prol., §1 ; I, 3, §4-5 ; I, 14, §5 ; I, 20, §53 ; I, 33, §8 ; III, 21, §9 Prou. : Pouerbia I, 20, §66 ; II, 1, §5-6

Eccle. : Ecclesiastes I, 10, §18-20 ; II, 16, §10 Eccli. : Ecclesiasticus I, 1, 1, §2 ; II, 16, §15-16

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358

2.3 – Les sources mineures de l’Avis aus roys

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Ier. : Ieremias I, 14, §4 Ez. : Ezechiel I, 18, §23

Dan. : Daniel I, 18, §21 ; II, 2, §6 II Mach. II Machabaeorum I, 20, §13-14 ; II, 2, §7 Matth. : Matthaeus II, 13, §60

Marc. : Marcus I, 18, §24

Rom. : ad Romanos II, 2, §24 ; III, 30, §18 Hebr. : ad Hebraeos I, 13, §2

Apoc. : Apocalypsis II, 2, §3

A l’instar des auteurs médiévaux, notre anonyme place les sources scripturaires au premier rang des autorités citées, insufflant par la même occasion une force à son texte qui donne à ses enseignements un caractère péremptoire. Une majorité d’occurrences se distingue par leur valeur historique, exemplaire. Rien de surprenant à trouver le livre des Rois en tête des livres cités : il se trouvait dans toutes les bibliothèques de même que ses commentaires, et les princes se devaient de l’avoir lu et relu, notamment pour leur caractère anecdotique359. Le livre des Psaumes, quant à lui, était le plus connu de l’Eglise médiévale. En plus de ces citations bibliques, il convient de mentionner la présence d’écrits produits par les Pères de l’Eglise, plus spécialement saint Ambroise360, saint Jérôme361 et surtout saint Augustin362. D’autres penseurs chrétiens se retrouvent explicitement mentionnés : Boèce et son De consolatione

philosophiae363, saint Bernard et son De consideratione364.

Si l’Avis aus roys diffère donc du De regimine principum en ce qu’il accorde une très large place à ce type de sources, il s’inscrit parfaitement dans la tradition des « miroirs des princes » généralement parsemés de références bibliques. À titre d’exemple, l’Eruditio regum et principum de Guibert de Tournai, le De eruditione

filiorum nobilium de Vincent de Beauvais et le De eruditione principum de Guillaume

Peyrault sont composés avec des citations provenant de l’Ecriture, des commentaires exégétiques et patristiques. Notre moraliste renie une des particularités profondes du De

regimine principum et redonne à son texte un caractère plus conventionnel, se

rapprochant d’une tradition plus ancienne de miroirs entretenant des rapports étroits avec les textes sacrés.

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359

Pierre RICHE, Guy LOBRICHON (dir.), Bible de tous les temps : le Moyen Âge et la Bible, t. 4, Paris, Editions Beauchesne, 1984, p. 390.

360

Avis aus roys, I, 1, §10-11.

361

Ibid., I, 1, §50-51 ; I, 24, §31-39.

362

New York, Pierpont Morgan Library, ms M. 456, ff. 12, 17, 49, 134.

363

Avis aus roys, I, 20, §18.

364

2.3 – Les sources mineures de l’Avis aus roys

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La table de concordance (annexe 4) nous permet également de constater qu’une quantité tout à fait notable d’exempla référencés dans l’Avis aus roys ne sont tirés ni du traité de Gilles de Rome ni du Liber de informatione principum ou d’une éventuelle source commune. Au chapitre III, 37 (§14), le moraliste met en scène l’empereur Trajan exerçant une justice exemplaire et prétend emprunter ce célèbre exemplum à un certain « Eliveut », autrement dit Hélinand de Froidmont, dont la Chronique, partiellement perdue depuis le XIIIe siècle, est depuis presque exclusivement insérée dans le Speculum

historiale de Vincent de Beauvais365. Faut-il pour autant voir dans le « Grand Miroir » de Vincent une source d’emprunt privilégiée par notre auteur ? Difficile d’outrepasser le stade des spéculations : le passage provenant initialement de la Chronique du

Pseudo-Turpin (I, 3, §7) a pu être emprunté directement au Speculum historiale366, de même que l’exemplum évoquant la grande libéralité de l’empereur Titus (I, 28, §21-24)367. Lorsqu’elles étaient identifiées explicitement par notre auteur ou même fortement pressenties, les sources d’emprunt ont été signalées dans notre édition aux côtés des sources d’origine, pas seulement dans un but informatif. Encore plus hypothétiques sont les emprunts faits aux Sermones aurei de Jacques de Voragine368 (IV, 13, §11-12) et au

Tractatus de diversis materiis praedicabilibus d’Etienne de Bourbon369 (I, 32, §13 et 14-15).

Les philosophes antiques occupent également une place privilégiée parmi les autorités citées. Aristote, nous l’avons déjà vu précédemment, contribue même majoritairement au contenu philosophique de l’Avis aus roys370. Platon y est cité à trois reprises mais par l’intermédiaire des Facta et dicta memorabilia de Valère-Maxime (I, 20, §16) et de l’Elementarium doctrinae rudimentum du lexicographe du milieu du XIe

siècle Papias371 dont la présence peut paraît inattendue (I, 20, §21-23). La dernière citation de Platon est encore non identifiée (III, 8, §5-8). Notre anonyme se réfère sept fois à Sénèque, puisant dans cinq de ses œuvres : le De clementia (I, 1, 5, §4-6)372, le De !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

365

PAULMIER-FOUCART, op. cit., p. 281-284.

366

VINCENTIUS BELLOVACENSIS, Speculum historiale, XXV, 22.

367

Ibid., XI, 47.

368

JACOBUS DE VORAGINE, Sermones aurei, t. 2, De sanctis, p. 14a (De sancto Thomas apostolo, sermo

II).

369

Avis aus roys, I, 32, §13 et 14-15.

370

Cf. supra, p. 127-128.

371

Violetta DE ANGELIS, Papiae Elementarium. Littera A, n°58-1, Milan, Cisalpino-Goliardica, 1977, p. 30, §5-6.

372

2.3 – Les sources mineures de l’Avis aus roys

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brevitate vitae (I, 20, §28-29)373, le De providentia (I, 23, §9)374, le De beneficiis (I, 28, §28-30 et 31 ; II, 1, §12-13)375, l’Epistularum moralium ad Lucilium (II, 1, §7)376. Les œuvres de Sénèque étaient autant perçues comme des références morales qu’appréciées pour leur caractère « évangélique ». À l’instar de la plupart des moralistes chrétiens du Moyen Âge, notre auteur emprunte également à Cicéron, plus particulièrement à son De

officiis (I, 37, §15)377, son De senectute (I, 37, §14)378 et ses Tusculanae disputationes (I, 10, §23-29)379. Dans une habile synthèse, ces textes antiques se retrouvent « absorbés » et revus par le système de représentation chrétien. Ils y gagnent en autorités, en poids. Du reste, Cicéron et Sénèque étaient déjà reconnus des Pères de l’Eglise380.

S’il n’est plus nécessaire d’insister sur l’importance que revêtent les Facta et

dicta memorabilia de Valère-Maxime dans l’Avis aus roys, il convient en revanche de

souligner avec quelle constance notre moraliste use de sources à vocation historique pour servir un discours exemplaire, sans jamais, du reste, les citer nommément. Aux auteurs provenant directement du De regimine principum de Gilles de Rome (Homère381, Justin382), ajoutons les présences supposées de Flavius Josèphe (II, 2, §8)383, de Suétone et sa De vita duodecim Caesarum libri VIII (I, 28, §21-23 ; II, 7, §10-11)384, de Quinte-Curce (I, 29, §15-18) et peut-être même d’Eutrope et son Breviarum

ab urbe condita (I, 34, §13-16)385. Si la figure d’Alexandre semble être particulièrement estimée de notre moraliste avec six exempla la mettant en scène386, Charlemagne et saint Louis font aussi l’objet d’une réelle attention avec deux occurrences chacun !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

373

SENEQUE, De la vie heureuse : de la brièveté de la vie, Paris, Les Belles Lettres, 1923.

374

SENEQUE, La vie heureuse ; la Providence, Paris, Les Belles Lettres, 1997.

375

SENEQUE, Des bienfaits, 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1961.

376

SENEQUE, Lettres à Lucilius, t. 1, Paris, Les Belles Lettres, 1959.

377

CICERON, Les devoirs : tome I, Paris, Les Belles Lettres, 1965 et CICERON, Les devoirs : tome II, Paris, Les Belles Lettres, 1970. Notre auteur a peut-être emprunté au De officiis l’exemplum du médecin trahissant son maître, sans toutefois citer Cicéron (I, 34, §13-16).

378

CICERON, De la vieillesse, Paris, Les Belles Lettres, 2003.

379

CICERON, Tusculanes, t. II : livre III-V, Paris, Les Belles Lettres, 1931.

380

Michel SOT, Jean-Patrice BOUDET, Anita GUERREAU-JALABERT, Le Moyen Âge : Histoire culturelle de

la France, t. 1, Jean Pierre Rioux, Jean-François Sirinelli (dir.), Editions du Seuil, Paris, 2005, p. 167.

381

HOMERE, Iliade, t. III, Paris, Les Belles Lettres, 1961.

382

JUSTIN, Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, 2 vol., Paris, Garnier Frères, 1936.

383

FLAVIUS JOSEPHE, Guerre des Juifs, Paris, Les Belles Lettres, 1975.

384

SUETONE, Vies des douze Césars, t. I, Paris, Les Belles lettres, 1996 et SUETONE, Vies des douze

Césars, t. III, Paris, Les Belles lettres, 1980.

385

EUTROPE, Abrégé d’Histoire romaine, Paris, Les Belles Lettres.

386

Avis aus roys, I, 10, §13-14 ; I, 28, §28-30 ; I, 29, §15-18 ; II, 1, §12-13 ; II, 3, §16-19 ; III, 26 ; §26 ; IV, 13, §7-10.

2.3 – Les sources mineures de l’Avis aus roys

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(respectivement I, 13, §10-17 ; I, 29, §21 et I, 3, §7 ; I, 29, §22). Les sources d’origine pourraient être les Grandes Chroniques de France, offertes par Primat à Philippe III en 1274, ou la Chronique du Pseudo-Turpin dans le cas de Charlemagne, le Speculum

historiale de Vincent de Beauvais ayant peut-être joué le rôle de source d’emprunt.

Toutefois, la préférence de notre anonyme se porte nettement sur la vie des empereurs de Rome et l’histoire de leur peuple. Ainsi, il semble utiliser à trois reprises au moins les Faits des Romains387, œuvre historique à succès composée en prose française entre 1211 et 1214. Son auteur, resté anonyme, avait pour objectif initial de raconter la vie des douze premiers empereurs de Rome, de César à Domitien. Il se limita en fait à narrer la vie de Jules César. Bernard Guenée a démontré que cet auteur était probablement « un clerc nourri de la culture historique qu’offraient les écoles en général et celle d’Orléans en particulier »388. Sans chercher à plaire à des laïques de la cour ou à des monastères, il aura composé une œuvre au caractère universitaire389. Cette dernière rencontra un grand succès en France et en Italie jusqu’à la première moitié du XIVe

siècle, à la fois dans les milieux nobiliaires et les milieux cultivés. La dernière mention connue des Faits des Romains pendant cette période est à mettre sur le compte d’un clerc de Troyes, auteur du poème Renart le Contrefait390 dont la seconde rédaction se situe entre 1328 et 1342. À partir de 1370, l’œuvre connut une deuxième période de succès après avoir été délaissée pendant quelques décennies. Le public avait changé : il était essentiellement devenu princier et parisien. Globalement, les Faits des Romains ne se sont jamais véritablement imposés dans la France méridionale, dans la péninsule ibérique, l’Angleterre ou l’Empire. Bernard Guenée souligne que ce texte fut le plus souvent utilisé par des pédagogues pour ses valeurs éducatives, morales et exemplaires391. L’emploi de cette source par notre anonyme n’aurait donc en soi rien d’étonnant, si deux des trois passages prétendument tirés des Faits des Romains ne mettaient pas les empereurs Titus (I, 28, §21-23) et Trajan (I, 21, §21-23) en scène. Or,

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387

Voir Id., I, 8, §14-16 ; I, 28, §21-23 ; I, 21, §21-23.

388

Bernard GUENEE, « La culture historique des nobles : le succès des Faits des Romains (XIIIe-XVe

siècles) », dans La noblesse au Moyen Âge. Essais à la mémoire de Robert Boutruche, réunis par Ph.

Contamine, Paris, Presses universitaires de France, 1976, p. 267.

389

Ibid., p. 269.

390

Gaston RAYNAUD, Henri LEMAITRE (éd.), Le roman de Renart le Contrefait, Genève, Stalkine reprints, 1975.

391

2.3 – Les sources mineures de l’Avis aus roys

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comme nous l’avons déjà montré, le récit d’origine ne dépasse pas la mort de Jules César.

Plutôt que d’avoir puisé dans les Faits des Romains, notre moraliste emprunta sûrement ses trois extraits à l’un des nombreux continuateurs de cette œuvre inachevée. De nombreux manuscrits font suivre les Faits d’autres œuvres traitant des mêmes sujets et s’appuyant sur les mêmes sources que celles utilisées par l’auteur anonyme des Faits. C’est vraisemblablement à l’un de ces manuscrits que notre moraliste s’est référé. Néanmoins, d’autres pistes doivent être envisagées. La première conduit aux Gesta

romanorum, que notre anonyme aurait pu citer tout en les traduisant, mais ces « recueils

d’exempla préparés par quelques religieux anonymes des ordres mendiants et prêcheurs en Angleterre et en Allemagne »392 datent de 1342 et surtout aucun de nos trois extraits ne se retrouve dans ceux-ci. Il reste également envisageable que notre auteur ne désigne pas réellement les Faits des Romains en tant qu’œuvre mais cherche simplement à signifier que son exemplum va traiter des « actions des Romains ». L’hypothèse ne semble pas si naïve : l’anonyme introduit trois autres exempla par « en l’istoyre des Romains » (I, 34, §13 ; III, 10, §12 ; III, 37, §14), deux d’entre eux étant explicitement attribués à Valère-Maxime et Hélinand de Froidmont.

D’autres sérieuses incertitudes planent sur deux passages de l’Avis aus roys attribués par l’anonyme au Livre des proverbes aus philosophes (I, 34, §21-24 ; III, 15, §11-18). Le premier évoque Plutarque (« Plutaire ») infligeant une correction à l’un de ses ministres393 ; le second met en scène un chevalier requérant la défense de son seigneur pour lequel il a combattu et souffert. Il n’est pas aisé d’identifier précisément cette œuvre. La piste la plus sérieuse nous mène aux Proverbes as philosophes, également connus sous le nom de Diz et proverbes des sages394. La trentaine de manuscrits subsistants encore aujourd’hui témoigne du succès important qu’a rencontré ce texte à la fin du Moyen Âge. Constitués de sentences attribuées à un poète ou un philosophe de l’Antiquité, un personnage biblique ou même un penseur du Moyen Âge, les Proverbes as Philosophes sont une série de quatrains dont le nombre varie selon le manuscrit. Il semble que la forme originelle de l’œuvre n’en ait compté que 50, tandis !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

392

Geoffroy HOPE, Le Violier des histoires rommaines, Genève, Droz, 2002, p. XI.

393

L’empereur Trajan n’est ici mentionné que dans sa qualité d’élève de Plutarque, tradition accréditée au Moyen Âge mais qui paraît hautement improbable aujourd’hui.

394

Joseph MORAWSKI, Les diz et proverbes des sages, Paris, Presses universitaires de France, 1924, p. XII-LXII.

2.3 – Les sources mineures de l’Avis aus roys

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que les ajouts ultérieurs de quatrains apocryphes ont pu porter leur nombre jusqu’à 260. Mais la forme et le propos des Proverbes as philosophes ne paraissent guère compatibles avec le caractère très « narratif » de nos deux exempla. De plus, aucun de ces quatrains, même apocryphe, n’est attribué à Plutarque dans les manuscrits rassemblés et étudiés par Joseph Morawski dans son édition. Le même constat vaut pour le Dicta et gesta philosophorum, texte latin descendant d’une source arabe, le Livre des

Sentences des sages (Mokhtar al hikam wamahasin al kalim), écrit en 1053 par l’émir

égyptien Aboul Wafa Mobachchir ben Fatik et lui-même inspiré par les apophtegmes du traducteur arabe Honeïn ben Ishak, mort à Bagdad en 873395.

Il est donc difficile de découvrir quelle œuvre se cache derrière le titre de Livre

des proverbes aus philosophes. Probablement s’agit-il d’un recueil de sentences dont

nous n’avons pu – à ce jour – retrouver la trace. Les exempla se retrouvent néanmoins dans plusieurs autres sources. Ainsi, le récit évoquant le châtiment de Plutarque nous est parvenu à travers les Nuits attiques d’Aulu-Gelle396 ou la Chronique d’Hélinand de Froidmont (via le Speculum historiale de Vincent de Beauvais)397. L’autre passage exprimant la requête du chevalier apparaît, dans des versions plus ou moins proches, dans les Saturnalia de Macrobe398, le Policraticus de Jean de Salisbury399, l’Historia

scolastica de Pierre le Mangeur400, les Sermones aurei de Jacques de Voragine401 ou encore le De dono timoris de Humbert de Romans402.

Le référencement des sources utilisées pour composer l’Avis aus roys démontre toute la capacité du moraliste à rompre avec le De regimine principum lorsque le besoin s’en fait sentir. Visiblement, le modèle de Gilles de Rome n’a pas été perçu par l’anonyme comme un carcan le privant de liberté. Il s’en distingue en usant volontiers de sources originales et rompt même avec le désir de l’augustin d’avoir le moins possible recours aux Ecritures et textes patristiques. Mieux, il leur accorde une place prédominante, se servant de leur force, de leur vertu sacrée pour soutenir son propos. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

395

C. BRUNEL, « Une traduction provençale des Dits des philosophes de Guillaume de Tignonville », dans BEC, n° 100, 1939, p. 309-328.

396

AULU-GELLE, Les Nuits attiques, t. I, Paris, Les Belles Lettres, I, 26.

397

VINCENT DE BEAUVAIS, Speculum historiale, XI, 47.

398

MACROBE, Les Saturnalia, t. I, Paris, Les Belles Lettres, 1997, II, 4, 27.

399

Cf. Charles BRUCKER (éd.), Le Policratique de Jean de Salisbury (1372) : livre I-III, Genève, Droz, 1994, p. 245 : III, 14, §88-92.

400

PETRUS COMESTOR, Historia scolastica, Historia evangelica, 192 (PL, 198, 1640).

401

JACOBUS DE VORAGINE, Sermones aurei, t. I, De tempore [ed. Clutius, 1760], p. 115b.

402

HUMBERT DE ROMANS, Le don de crainte ou l’abondance des exemples, Christine Boyer, Jacques Berlioz (éd.), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2003, 151, 159.

2.3 – Les sources mineures de l’Avis aus roys

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Du reste, la plupart des auteurs de traités à caractère didactique et les prédicateurs composant des sermons ne sont-ils pas les consommateurs les plus réguliers de ce procédé rhétorique ? En agissant de la sorte, notre moraliste ne fait que rapprocher son

Avis aus roys de la longue tradition des « miroirs des princes » antérieurs au De regimine principum. Faut-il en déduire que son public différait de celui visé par Gilles

de Rome ? Notre moraliste n’ignorait pas qu’user d’autorités reconnues et respectées permet d’asseoir son argumentation et de la rendre forte aux yeux du plus grand nombre, même si celle-ci n’est pas nécessairement fondée. À l’inverse, Aristote reconnaissait lui-même dans sa Rhétorique qu’il semblait difficile, même pour un orateur cultivé, de persuader une foule en s’exprimant de manière abstraite403. Citer l’Ecriture, les textes patristiques, exégétiques et philosophiques, c’est convaincre son auditoire, attester du bien-fondé et de la véracité de son message. D’ailleurs, pour les rendre plus visibles et les valoriser, l’auteur de l’Avis aus roys va jusqu’à retranscrire certaines de ces sentences ad verbum que les copistes soulignent ostensiblement. Comme l’a écrit Geneviève Hasenohr, il s’agit de « mettre en relief l’autorité, dans l’intention de marquer la dépendance du discours vernaculaire et son authenticité corrélative »404. Si le public visé par notre moraliste n’était vraisemblablement pas à ranger dans le camp des ignorants, il est tout à fait envisageable que de jeunes princes se soient montrés particulièrement réceptifs à de telles pratiques rhétoriques. Pourvu d’enseignements philosophiques, politiques et agrémenté de nombreux récits historiques aux vertus morales et exemplaires, l’Avis aus roys tente de mettre en place – avec plusieurs décennies d’avance – un programme éducatif semblable à celui du précepteur royal Jean Gerson pour le dauphin Charles.

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403

ARISTOTE, Rhétorique : livre II, Paris, Les Belles Lettres, cap. 22, 1395 b30.

404

Geneviève HASENOHR, « Discours vernaculaire et autorités latines », dans Mise en page et mise en