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2.5 – Les conceptions pédagogiques de l’Avis aus roys

Un regard croisé porté au De regimine principum de Gilles de Rome et à l’Avis

aus roys a permis de mettre en lumière des divergences rhétoriques assez profondes

entre nos deux auteurs. Plus largement, ces antagonismes pourraient être le fruit de désaccords d’ordre pédagogique entre les deux auteurs qui verraient l’éducation des jeunes princes d’un œil discordant.

La plupart du temps, notre anonyme défend la même vision de l’éducation que Gilles de Rome, ce dernier s’inspirant largement d’Aristote. L’être humain ressent la nécessité de vivre en communauté pour subsister : il a besoin de mets préparés ; de vêtements bien confectionnés ; d’armes pour se défendre ; d’instruction pour obtenir le salut de son âme451. En somme, Gilles de Rome et notre anonyme prétendent que l’homme doit se socialiser pour surmonter ses imperfections. Si l’instinct remarquable de certaines espèces animales fait défaut chez l’homme qui doit chercher à compenser ces dernières par l’instruction452, l’origine de ces déficiences suscite en revanche les premières divergences entre nos deux auteurs : le premier les impute à la nature tandis que le second y voit l’œuvre de Dieu. Ainsi, l’Avis aus roys défend l’idée que Dieu impose aux hommes de se vêtir depuis le péché originel tandis que le De regimine

principum lie ce besoin aux impératifs climatiques.

A la suite, le chapitre III, 2 de notre anonyme s’inspire de plusieurs chapitres de l’augustin453 qui se chargent de décrire les « communitez454 » dans lesquelles l’être humain évolue : le groupe vivant dans la maison ; le rassemblement de ces maisons formant une rue ; ces dernières formant une cité ; les cités constituant un royaume455. C’est au cœur de la cellule familiale que l’enfant reçoit de ses parents l’éducation indispensable à sa survie. Une fois de plus, l’influence aristotélicienne rejaillit !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Avis aus roys, III, 1.

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Ibid., III, 1, §28-34 : « Et pour tant l’an voit que une arunde si scet faire son nid de sa nature, une yraine scet faire sa telle de sa propre nature, une mouschette qui fait le miel scet edifier sa maisonete sens nul maistre qui l’ait enseignee, mes homs ne se scet gouverner parfaitement es euvres qui li appartiennent selon raison entendent a la fin et a la vie pardurable a qui tent se il n’est enseignés et enformez d’autruy, et pour tant il est donnee parole par dessus autres creatures corporeles vivens pour ce qu’il puisse enseigner et estre enseignez, quar parole ne li seroit de nulle necessité se il vivoit touz seus senz compaignie et qu’il n’eust mestier de reveler ses conceptions a autruy ».

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Cf. annexe 4, p. 372-373.

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Avis aus roys, III, 2, §1.

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implacablement dans l’Avis aus roys, via le De regimine principum456. Cette éducation est facilitée par la nature des rapports entre les protagonistes : l’amour familial servirait l’élan pédagogique. Dans un premier temps, notre anonyme se range du côté de son modèle augustin lorsqu’il s’agit de soutenir que cette affection semble unilatérale. Les parents – et plus spécialement le père – aimeraient plus spontanément leurs enfants que l’inverse, et ceci pour trois raisons457 : l’amour du père est fort car il est ancien et débute dès la naissance de l’enfant ; la mère a porté son enfant et possède des certitudes sur ses origines ; enfin, les parents savent ce que l’enfant tient d’eux. Pourtant, un peu plus loin, notre anonyme n’hésite pas à se distinguer de Gilles de Rome et emprunte à Valère-Maxime deux exempla démontrant toute la force de la piété filiale458. En citant à la suite les exemples de Jacob459 et du sacrifice d’Abraham460, notre moraliste finit par rappeler le devoir d’obéissance qu’un fils doit à ses parents et donne au récit de Gilles de Rome, initialement dénué de toute référence aux Ecritures, une dimension religieuse faisant autorité.

La pédagogie défendue par nos deux auteurs suit l’âge de l’enfant et se divise en trois périodes de sept ans, suivant d’anciennes conceptions461 :

« […] l’an doit moult considerer touz les aages des enfanz aus princes, en tel maniere que en chascun aage en leur doint information selon l’aage ou il sont462. »

Avant sept ans, l’enfant, qui doit recevoir le baptême, est un être de constitution fragile qu’il faut chercher à renforcer par la pratique de « jeus honestes ou en dires, ou en faiz463 ». Notre anonyme précise seul que leurs jambes et leurs pieds doivent être maintenus droit autant que possible464. Son très jeune âge l’empêche d’être instruit et de disposer des sciences et des mœurs :

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Platon, au contraire, considérait que l’éducation des enfants devait être confiée aux autorités publiques (Cf. PERRET, op. cit., p. 234).

457 Ibid., II, 12, §5-6. 458 Ibid., II, 24, §5-16 et 17. 459 Ibid., II, 24, §21-22. 460 Ibid., II, 24, §19-20. 461

Si ce schéma trouve ses origines dans la culture grecque, il se rencontre plus tard dans les Etymologiae d’Isidore de Séville (ISIDORIO DI SIVIGLIA, Etimologie. Libro XI : De homine et portentis, Fabio Gasti (ed.), Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 107-131). Les trois premières périodes de la vie correspondent à l’infantia (0-7ans), la pueritia (7-14 ans) et l’adulescentia (14-21 ans).

462 Ibid., II, 18, §2-3. 463 Ibid., II, 16, §26. 464 Ibid., II, 18, §5.

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[…] en tel aage on ne les peut mie disposer ne enfourmer en meurs ne en sciences pour ce qu’il n’ont mie usage de raison465.

En dépit de son état incomplet et déraisonnable, le très jeune enfant doit être soumis à l’instruction religieuse et aux mystères de la foi aussitôt que possible pour faire de lui un adulte ferme dans sa foi466. Si Gilles de Rome demeure assez peu prolixe dans son traité sur cet aspect de l’éducation d’un enfant467, l’auteur anonyme de l’Avis aus roys s’étale longuement sur l’enseignement du dogme chrétien à dispenser à un jeune prince. Il en fait même une priorité absolue :

« […] bons princes doit estre devant toutes choses en la verité de la foy catholique fermes et fondez, quar, selon l’Escripture, senz foy l’en ne peut plaire a Dieu. Et de tant comme li princes ha son estat plus noble et plus haut, de tant faut il qu’il soit miels fondez ou fondement de la foy468. »

Le moraliste justifie l’apprentissage de la loi divine dans des termes assez proches de ceux employés par Gilles de Rome. Il convient d’indiquer au lecteur la voie du salut de son âme, de lui offrir la connaissance de la Vérité (Cognitio veritatis) :

« […] nous attendons tuit un finable bien qui est dessus la faculté et le povoir de nostre entendement naturel et ne povons par la simple vertus de nostre naturel condition atteindre ledit bien souverain. Si faut que nous soiens aidé par dessus nature a avoir cognoissance dudit bien finable qui est Diex et la vie pardurable, et ceste cognoiscence nous avons par la loy divine, laquele nous aprent a Dieu cognoistre et tout ce qui a Dieu apartient469. »

« […] la cognoiscence que nous avons par invention naturele est plaine d’erreurs et de defaus quar une chose dit li uns et une autre li autres. Si fut necessitez que nous eussiens cognoiscence de nostre bien souverain, c’est asavoir de nostre sauvement par vraie meniere et certaine ou nulles ne peut estre decehus, et ce fut par revelation de loy divine en laquele ne peut avoir erreur ne decevence470. »

L’annexe 7471 nous informe qu’avec ses 226 lignes, le chapitre 13 du livre II consacré à l’enseignement de la foi chrétienne est le deuxième plus long du traité juste derrière celui consacré à la vertu de prudence472. Il est environ quatre fois plus long que la moyenne des autres chapitres. Le moraliste entend y exposer « les conclusions de la foy !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 465 Id., II, 18, §6. 466 Ibid., II, 13, §2-6. 467

AEGIDIUS COLONNA, De regimine principum, II, 2, 5.

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Avis aus roys, I, 13, §2-3.

469 Ibid., III, 35, §11-14. 470 Ibid., III, 35, §15-18. 471 Cf. annexe 7, p 411-417. 472

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crestienne »473. Le programme commence avec le dogme de la Trinité (§19-21) et se poursuit avec un passage sur la Création (§22-29) et le déroulement du Jugement Dernier (§30-35). L’anonyme consacre ensuite quelques lignes à l’affirmation de l’autorité de « la sainte Eglise de Rome, […] veray chief de toute sainte Eglise » et à son enseignement (§36-37). Ce discours de légitimation de l’Eglise et de sa hiérarchie est également défendu par ailleurs dans le traité :

« […] et convertissoient les grans clers et les grans philosophes et autres petiz et granz dessous un chief, c’est asavoir le saint Pere, lequel Jhesu Crist instituit chief de sainte Eglise quant il lit dit : « Tu es Pierre et sus ceste pierre je edifieray m’Eglise », et dés lors li successeur de saint Pierre ont esté chief de l’Eglise474. »

« […] et la saincte loy crehue, tenue et gardee souls un chief, c’est a dire le saint pere de Rome, liquels fait par li et par ses menistres enseigner, tenir et prescher la veraie doctrine de la foy en toute unité et si grant uniformité que ladicte doctrine ne se mue, ne ne change, ne jamais ne changera jusques a la fin dou monde475. »

Dans son article consacré à la rhétorique de Gilles de Rome, Matthew S. Kempshall fait remarquer le manque d’importance accordée à ces questions dans le De regimine

principum476. Les enseignements du chapitre II, 13 se poursuivent avec la double nature du Christ, la conception virginale et la Nativité (§38-40). Le moraliste enchaîne ensuite avec la Passion du Christ, la Crucifixion (§41) et la descente aux Enfers pour sauver l’âme des anciens pères (§42-46). Après avoir rappelé les sept sacrements (§47-48), l’anonyme relate la Résurrection du Christ (§49) et évoque les quatre douaires (§50-53), l’Ascension (§54), la Pentecôte (§55), le rôle des Apôtres dans la propagation de la foi (§56-60). Enfin, il revient sur le Jugement Dernier (§65) et sa mise en scène si caractéristique :

« Les bons Jhesu Crist mettra a sa destre, c’est a dire en felicité et prosperité pardurable !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 473 Id., II, 13, §17. 474 Ibid., II, 13, §58-60. 475 Ibid., I, 17, §9-10. 476

KEMPSHALL, op. cit., p. 185. Il convient aussi de relever, dans l’Avis aus roys, l’association fréquente de la fonction de pape à la ville dans laquelle la charge doit être exercée : Rome (cf. I, 13, §7 : « li saint pere pape de Rome » ; I, 17, §9 : « le saint pere de Rome »). A l’image de Pétrarque, notre moraliste paraît désirer la réinstallation de la papauté à Rome à l’inverse de la royauté française qui ne le souhaite pas. Ses arguments ressemblent à ceux avancés plus tard par le clerc du Songe du Vergier : l’établissement de la papauté à Rome respecte le commandement de Dieu et s’inscrit dans la tradition de prédécesseurs qui y ont toujours résidé (EVRART DE TREMAUGON, Le songe du vergier édité d'après le

manuscrit Royal 19 C IV de la British Library, t. 1, Marion Schnerb-Lièvre (éd.), Paris, Éditions du

Centre national de la recherche scientifique, 1982, p. 318-323 (CLV, 7-27), d’après Jeannine QUILLET,

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et les mauvais a senestre, en misere et calimité pardurable477. »

Un long passage sur le Décalogue (§66-88), occupant plusieurs folios consécutifs du manuscrit M. 456 de la Pierpont Morgan Library, vient conclure ce chapitre de catéchèse absent à la fois du De regimine principum et du Liber de informatione

principum. Si le Pater et l’Ave Maria sont absents, les éléments du Credo et bien

d’autres y sont évoqués pour permettre aux lecteurs de disposer d’un « minimum de foi explicite », pour reprendre les termes d’Anne-Françoise Leurquin-Labie dans son introduction à la Somme le roi de Frère Laurent478. Si l’on tient compte du chapitre 3 du livre II consacré à l’énumération des sept péchés capitaux et de la multitude de citations et d’exempla bibliques émaillant le miroir, on comprendra que l’anonyme avait également pour objectif de procurer à son traité une vocation catéchétique, d’instruire son lecteur laïc du dogme chrétien élémentaire.

Relevons toutefois l’absence, dans l’Avis aus roys, de mentions faisant des princes de véritables demi-dieux : Decet ergo reges et principes, quos competit esse

quasi semideos, et esse intellectum sine concupiscentia479… Au contraire de Gilles de Rome et de la plupart de ses traducteurs, il n’est pas question pour notre moraliste de reconnaître dans le roi une part de divinité.

Entre sept et quatorze ans, Gilles de Rome et notre anonyme soulignent conjointement l’importance pour l’enfant de se renforcer physiquement. Parce qu’il commence à être excessif en tout, il doit être instruit des bonnes mœurs et vertus qui conviennent à sa condition480. Noëlle-Laetitia Perret souligne que Gilles de Rome leur recommande de s’initier « aux domaines des sept arts libéraux en commençant par la grammaire, […] la logique […] et la musique »481. L’auteur de l’Avis aus roys conseille lui aussi les jeunes gens s’approchant de la catégorie d’âge suivante – « dés quatorze

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Avis aus roys, II, 13, §65.

478

Edith BRAYER, Anne-Françoise LEURQUIN-LABIE (éd.), op. cit., p. 51. Au sujet du Credo, voir J.-C. SCHMITT, « Du bon usage du Credo », dans Faire croire : modalités de la diffusion et de la réception des

messages religieux du XIIe au XVe siècle, Collection de l’Ecole française de Rome, Rome, 1981, p.

337-361.

479

AEGIDIUS COLONNA, De regimine principum, III, 2, 30, p. 537. La traduction de ce passage par Henri de Gauchi est encore plus explicite : « Et porc en li roi et li prince qui doivent estre si comme demi dieu et mult semblanz a dieu et doivent estre essamplere de vivre a lor pueple et droite reule des euvres humaines » (Samuel Paul MOLENAER (éd.), Li livres du Gouvernement des Rois, III, 2, 28, p. 357).

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Avis aus roys, II, 18, §7-10.

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ans en amont482 » – de débuter l’instruction des sciences, spécialement des sciences morales, lorsqu’ils commencent à « avoir plus cler entendement »483.

Après quatorze ans, l’éducation physique occupe une place centrale dans le programme pédagogique destiné aux jeunes princes, notamment dans le cadre de leurs activités militaires. Notre anonyme décrit plus précisément que Gilles de Rome les exercices à pratiquer en prévision d’un affrontement armé :

« […] on leur doit accoustumer en tel aage a avoir aucuns plus grans travails de corps, especialment les travails qui miels disposent le corps a estre convenable a fait de guerre, si comme est courir, saillir, luiter et movoir bien franchement et legerement piez et mains484. »

Le jeune homme doit se consacrer autant à l’éducation physique qu’à l’apprentissage des « sept sciences liberals485 » : grammaire, logique, rhétorique, musique, arithmétique, géométrie et astronomie. Le jugement de l'anonyme sur cette dernière semble beaucoup plus sévère que celui de Gilles de Rome. Pour lui, il semble vain et de peu de profits de chercher l'avenir dans les étoiles. L’astronomie fait figure d’occupation vaine pour un prince, ce qui fait pencher la position de notre moraliste du côté de Jean de Salisbury486 ou encore d’Oresme, ce dernier menant à partir de 1360 « une véritable campagne contre la divination astrale et ses défenseurs, trop proches à son goût, du pouvoir royal487 ». Il faut dire que les astrologues, à partir du milieu du XIVe siècle, étaient dénoncés à la fois par les juristes, les philosophes et les théologiens, peut-être parce qu’ils pouvaient se substituer aux conseillers traditionnels488. S’il reprend dans ses grandes largeurs le programme d’études soumis par Gilles de Rome, l’anonyme écarte néanmoins les sciences « morales » que sont l’économie domestique (Economica), la politique (Politica) et l’éthique (Ethica)489. À la fin de son chapitre II, 19, il insiste en revanche sur l’importance de la théologie qu’il décrit comme étant « la plus excellent, la

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482

Avis aus roys, II, 18, §11.

483

Ibid., II, 18, §11.

484

Ibid., Avis aus roys, II, 18, §14-16.

485

Ibid., II, 19, §2.

486

Dans son Policraticus (1159), Jean de Salisbury dénonce les « superstitions » et leur effet néfaste en matière de gouvernement (Julien VERONESE, « Contre la divination et la magie à la cour : trois traités adressés à des grands aux XIVe et XVe siècles », dans Knowledge at the Courts, Micrologus, XVI, Florence, SISMEL, 2008, p. 406).

487

Julien VERONESE, op. cit., p. 412.

488

Ibid., p. 430.

489

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plus veritable et la plus necessaire de toutes autres sciences490 ». Gilles de Rome, de son côté, n’évoquait cet apprentissage qu’en des termes succincts491. Les mœurs des jeunes hommes sont plus largement décrites dans les chapitres suivants où ils apparaissent tour à tour comme courtois, généreux, optimistes, courageux, imprudents, influençables, instables, menteurs, passionnés… Le rôle du prince est d’enseigner à ses enfants à parler « vouluntiers de Dieu, des bonnes meurs, de matiere honeste et ne se lachent mie a dire dissolutions ne de jurer, ne de haut ou trop parler, mais de parler arreement et veritablement sens trop blasmer ne trop loer autruy492 ». Par ailleurs, il n’est jamais question que des garçons dans les chapitres précédemment cités, l’anonyme et Gilles de Rome considérant que les quelques admonestations livrées aux chapitres 9, 10 et 11 du livre II sur les femmes en général suffisent à éduquer des jeunes filles. L’Avis aus roys n’est manifestement pas destiné à ces dernières.

Les choix rhétoriques et pédagogiques de notre auteur anonyme tranchent avec son modèle. Ils laissent entrevoir le profil d’un individu exposant une culture ecclésiastique assez vaste, sûrement celle d’un frère mendiant soucieux de propager la foi, de dénoncer les vices, les péchés et les dérives morales de la société en frappant les imaginations par le biais d’exemples frappants, d’images persistantes. Il n’hésite pas à simplifier, à transformer ses sources d’inspiration pour servir son propos et permettre à son lecteur de plaire à Dieu afin de lui trouver une place à la droite du Christ. Loin d’être un traité impersonnel comme pouvait l’être le De regimine principum, l’Avis aus

roys se destinait à de jeunes princes français si l’on en croit les références appuyées au

royaume de France. À partir de 1300, les miroirs se personnalisent fortement493 et l’Avis

aus roys, suivant le phénomène de sécularisation de l’argumentation, regorge bien de

références à l’histoire nationale citant par exemple deux de ses plus illustres souverains, Charlemagne494 et saint Louis495. Dés le prologue, notre anonyme se pose comme un enseignant :

« Et pour tant est faiz cils presenz tractiers pour donner aucun avis aus roys et aus !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

490

Avis aus roys, II, 19, §16.

491

AEGIDIUS COLONNA, De regimine principum, II, 2, 8, p. 309 : Nam primo honorandi sunt divini et

scientes theologiam ; quia sicut Deus ipse, est Deus omnium entium ; sic theologia, quae principaliter est de deo, est dea omnium, et domina humanarum scientiarum.

492

Avis aus roys, II, 15, §7-8.

493

KRYNEN, op. cit., p. 188.

494

Avis aus roys, I, 3, §7 et I, 29, §21.

495

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princes en leur gouvernement496. »

Le moraliste se propose d’aider les rois et les princes en leur dispensant ses « avis », autrement dit ses conseils, ses réflexions. À mesure que la fonction royale se codifiait et s’affirmait au tournant des XIIIe et XIVe siècles jusqu’à devenir un « art » selon Oresme, l’instruction des princes se complexifiait en même temps que leurs responsabilités s’alourdissaient. À l’image de Gilles de Rome, les auteurs de miroirs des princes s’adaptèrent à cette évolution du métier de roi. Notre anonyme parvient à réaliser la synthèse entre cette nouvelle tradition et des concepts antérieurs qui attachent une attention presque exclusive au savoir, à la vertu et à la sagesse.

Les caractéristiques pédagogiques de l’Avis aus roys peuvent aussi nous permettre de mieux cerner la fonction occupée par notre moraliste auprès de jeunes princes français. Leur éducation est habituellement dévolue à un précepteur, tandis que le confesseur se réserve l’instruction morale et religieuse. Comme les prédicateurs, les confesseurs aiment inculquer la connaissance des péchés capitaux, des vertus théologales et des paroles du Décalogue. Bien que cette répartition n’ait rien de systématique 497, certains d’entre eux sont les auteurs d’œuvres théologiques remarquables qui avaient pour but d’aider les grands laïcs dans la compréhension de points doctrinaux en utilisant un langage accessible498. Au XIVe comme au XIIIe siècle, la