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3.2 – L’Avis aus roys, miroir de la société politique ?

Qu’elle se concentre sur le fond ou la forme, l’étude de l’Avis aus roys a pour l’instant montré que l’influence de Gilles de Rome – qui paraissait initialement prépondérante – n’est en réalité pas apparue trop pesante aux yeux de notre moraliste qui s’est permis de remodeler son support à sa convenance, puisant dans d’autres miroirs, remaniant la structure voire insérant un contenu original. Ainsi, le livre IV de l’Avis aus roys dédié à la didactique militaire s’inspire très largement de la partie 3 du livre III du De regimine principum. Mais deux chapitres de ce livre ont, pour l’instant, été volontairement écartés : il s’agit des chapitres IV, 31598 et IV, 32599. Il semble bien qu’il faille les considérer comme une contribution très personnelle de notre moraliste, désireux de nous faire entrevoir, dans les ultimes parties de son œuvre, les contours de la société politique de son temps. En ajoutant ces deux appendices, il désirait visiblement répondre à un besoin que ni le De regimine principum ni le Liber de

informatione principum n’étaient en mesure de satisfaire.

La table de concordance n’indique pas que le chapitre IV, 31 soit original. Il serait partiellement emprunté à Gilles de Rome. Pour en composer son début (§2-8), l’auteur s’inspire de quelques lignes situées à la fin du chapitre III, 3, 23600 traitant de la finalité de la guerre (§3), du recours nécessaire à la ruse dans ces périodes (§8) et surtout d’une métaphore médicale. Comme le corps de l’homme a besoin d’une saignée lorsqu’il a un excès d’humeur, le monde a parfois besoin de la guerre pour mettre fin aux menaces :

« […] quar tout ainsi comme corps de home tant comme il ha equalité et attrempence entre les humeurs lors il n’y ha mestier de seignie et au contraire quant aucune humeur surmonte et surhabunde contre la santé de corps il le faut saigner, ainsi tant comme ou monde ha paix, concorde et attrempance et que le bien commun est profitablement gouverné et gardé, lors il n’est mestier de bataille. Mais quant il y a aucuns qui veulent surmonter et la communité domager et troubler ou qu’il sont desobeissent a leurs souverains, lors il faut faire aucunes seignies par guerres se autres remedes convenables n’y peut estre mis601. »

Pour nos deux auteurs, la didactique militaire ne se fixe pas pour unique but !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Avis aus roys, IV, 31 : Generals enseignemens pour seigneurs qui guerres ont a commencer.

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Ibid., IV, 32 : Generals enseignemens pour ceuls qui les seigneurs en guerre doivent aidier.

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AEGIDIUS COLONNA, op. cit., III, 3, 23.

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d’apprendre à combattre ; elle encourage aussi à rechercher l’obtention de la paix602. Si l’on prend le passage au pied de la lettre, l’intérêt accru de l’anonyme pour ce domaine d’instruction signifierait qu’une guerre se déroule au moment de la rédaction de l’Avis

aus roys et que l’enseignement du moraliste n’est dispensé que dans une perspective de

pacification du royaume. Contrairement à Gilles de Rome, il n’attend d’ailleurs pas le livre IV pour faire sentir à son lecteur quel souci lui occupe l’esprit603 :

« Secondement, bons princes doit moult tendre au profit commun et la paix de ses subgez se il ne veust perdre son nom et acquerir nom de tirant604 »

« Si faut que persone qui vuet dignement et justement porter et avoir nom de roy amié et garde la paix des subgez et le bien commun605. »

Les premières lignes du chapitre IV, 31 de l’Avis aus roys légitiment la place prise par la didactique militaire dans le traité en même temps qu’elles annoncent la fin ultime de cet enseignement : conquérir la paix. La guerre est une chose trop sérieuse pour être engagée sans motivations réelles606. Toutes menaces à l’ordre social – plus spécialement la désobéissance au souverain – et à la communauté en général constituent un casus

belli. Sont visés ceux qui s’estiment lésés dans leur condition et qui, motivés par

l’envie, voudraient la rétablir par la force :

« Item, bons princes se doit garder que envie ne regne en li, en meniere que li biens et la prosperité d’autruy ne li desplaise et que il ne s’efforce de faire oppressions sur autres princes, ses voisins, pour avoir bonnes cités ou fors chatiaus se il les ont, ou pour euls humilier et abaissier de la grant hautesce et noblesce ou il sont607 »

L’allusion aux velléités d’Edouard III semble à peine voilée, lui qui réclame la couronne de son homologue français. En somme, il semble que l’on doive toujours engager la guerre en réponse à une agression extérieure qui vient troubler la sérénité et la prospérité de la communauté ou atteindre les biens de l’Eglise608.

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Id., IV, 31, §2 : « l’an n’enseigne mie l’art de combatre pour bateiller principalment et finablement mais pour paix avoir. »

603

Le souci de paix se fait plus vivement sentir au chapitre I, 4 tandis qu’il ne figure pas au rang des préoccupations du bon roi dans le chapitre concordant du De regimine principum (III, 2, 6 ; cf. annexe 4, p. 348-349). 604 Ibid., I, 4, §2. 605 Ibid., I, 4, §6. 606 Ibid., IV, 31, §5. 607 Ibid., II, 2, §10-12. 608

Ibid., I, 24, §24-27 : « La septime meniere de force ont cil qui pour l’onneur de Dieu, la deffension de la tuition de saincte Yglise ou pour la promotion dou profit commun, non mie par les conditions vaines

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Si ces critères peuvent effectivement motiver une entrée en guerre, ils ne suffisent pas à rendre sa cause juste. S’inspirant des préceptes de Thomas d’Aquin (1224-1274) en la matière609, notre anonyme juge que la réunion de trois ingrédients est nécessaire :

« Premierement est requise auctorité, quar il n’apartient mie a chascun de mouvoir guerre se il n’en ha auctorité de li ou licence du souverain. Secondement est requise droite entencion, que se ne soit mie par ire ne par vengence mais seulement pour l’amour de justice et du bien commun ou du sien propre deffendre et garder. Tiercement que la cause soit raisonable et juste610. »

La guerre n’est juste que lorsqu’elle est entreprise à des fins légitimes par un prince possédant l’autorité suffisante, voire la permission du souverain. Par opposition, elle devient injuste lorsqu’elle n’est qu’une affaire privée qui échappe à l’autorité du prince et qu’elle n’est déclarée que par goût du lucre. Peut-être notre auteur fait-il ici référence aux compagnies de routiers qui parcouraient puis ravageaient les campagnes de France – et plus particulièrement la France méridionale, profitant de l’insécurité générale qui régnait au début de la guerre de Cent Ans611. Une fois les conditions réunies, tous les coups sont permis, ou presque612 : « Et tout soit ce que l’an puisse en fait de guerre user d’agaiz et de cautelles, toute voie l’an n’y doit mie mentir, ne faire contre ce que l’an ha promis613. » Dans un chapitre traitant de la guerre juste, les prescriptions morales de notre anonyme ne pouvaient décemment s’effacer devant le mensonge et les fausses promesses. Cette permanence ne desserre jamais vraiment son étreinte et s’incarne en la figure de Marcus Regulus dont la loyauté inspira opportunément notre anonyme. Nous nous situons peut-être aux confins des principes chevaleresques et religieux. Comme le fait remarquer Raymond Cazelles dans son inestimable étude de la société politique du premier Valois, Philippe VI et son fils Jean ne firent la guerre que parce qu’ils y étaient !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

devant dictes, entreprennent les guerres par le jugement de raison et perseverer virtueusement, quar a l’encommencer il entreprennent par si bone deliberation a si bone et juste fin et par meniere si convenable qu’il ne se doubtent ne de mort ne de vie et c’est une chose qui mout fait bien perseverer que sagement encommencier. »

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THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, 4 vol., Paris, Éd. du Cerf, 1984-1986, II-II, quest. 40 :

auctoritas principis, causa juste, intentio recta…

610

Avis aus roys, IV, 31, §10-12.

611

Henri DENIFLE, La désolation des Eglises, Monastères et Hôpitaux en France pendant la guerre de

Cent Ans. Tome II. La guerre de Cent Ans jusqu’à la mort de Charles V (première moitié), Paris, Editions

Alphonse Picard et Fils, 1899, 528 p.

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Avis aus roys, IV, 31, §8 : « l’an se peut combatre seurement et user de tout art et de toute subtiveté et cautelle que l’an peut selon raison ».

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contraints. Certes, ce ne fut pas leur domaine de prédilection mais jamais ils ne rompirent une trêve, contrairement à Edouard III et Charles V614. Il ne fait guère de doute que l’Avis aus roys fut rédigé durant leur règne. Faut-il pour autant voir dans le début du chapitre IV, 31 l’esquisse d’un portrait moral de l’un des deux monarques ? Ou bien, à l’inverse, n’est-ce qu’une simple manifestation de l’exigence morale de l’opinion envers un roi en guerre ?

Les moralistes ne sont pas seuls à vouloir fixer les principes de la guerre juste puis à exiger de les faire appliquer. Dans son Arbre des batailles composé entre 1386 et 1389615, Honoré Bovet fustige également avec force les dérives guerrières. Son traité est l’aboutissement d’une réflexion à laquelle l’auteur de l’Avis aus roys a participé quelques décennies plus tôt : leur objectif commun était de se soucier de la paix que pouvait rétablir une guerre juste. Le bénédictin jeta sur la question un regard juridique616 qui n’avait probablement rien de neuf en la matière : il semble que nombre de monarques se soient fait aider dans leur démarche de justification. Dans un manifeste destiné à toutes les églises du royaume, Philippe de Valois ne déclare-t-il pas que « jaçoit ce que nous ayons bon droit et juste cause, selon le jugement de nostre conseil617 » ? L’auteur de l’Avis aus roys s’en fait d’ailleurs l’écho auprès de ses lecteurs, dans un passage de nouveau original :

« Item, vehu par le conseil des sages et des amis principals du prince, liquel ami doivent mettre la main a la besoigne, que la cause et l’occasion de la guerre soit suffisent et juste, il faut aprés avoir deliberation de meniere convenable de faire entreprendre et maintenir ladicte guerre, quar tout fust la cause juste d’entreprendre guerre si pourroit estre la meniere si desconvenable que tout le fait seroit desconvenus et non juste618. » S’il semble difficile de cerner la nature des conseils dispensés par ces « sages » et « amis principals du prince », ce passage témoigne clairement de l’importance capitale que revêt la réflexion collective sur la justesse d’un conflit puis son affirmation publique afin de contenir les foyers de violence éparses. Du reste, les références à la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Raymond CAZELLES, La société politique et le crise de la royauté…, op. cit., p. 436 et Philippe

CONTAMINE, Guerre, Etat et société…, op. cit., p. 71-74.

615

Ernest NYS (éd.), L’Arbre des batailles d’Honoré Bonet, Paris, Durand et Pedone-Lauriel, 1883, 256 p. et Hélène MILLET, Michael HANLY, « Les Batailles d'Honorat Bovet. Essai de biographie », dans

Romania, t. CXIV, 1996, p. 135-181.

616

Il est fait docteur en décret de l'université d'Avignon en 1386.

617

Voir Philippe CONTAMINE, « L’idée de guerre à la fin du Moyen Âge : aspects juridiques et éthiques », dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 123e année, n°1, 1979, p. 80 n. 32 citant G. du Fresne de Beaucourt, Histoire de Charles VII, t. I, Paris, 1881, p. 93.

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notion de juste guerre dans la littérature politique ou juridique ne manquent pas : les princes étaient tout à fait conscients « de la nécessité morale où ils se trouvaient de n’entreprendre que des guerres justes619 ». Or, dans ce domaine, la seule considération morale devait peser bien moins lourd dans la balance qu’une armée de juristes prête à défendre les intérêts d’une dynastie contestée620. Défendre les droits des Valois au trône revenait à rendre juste leur guerre contre Edouard III. Philippe Contamine souligne d’ailleurs que ce dernier fit des démarches similaires à celles de Philippe VI pour justifier ses prétentions au trône de France621.

Au chapitre IV, 32 se pose la question de la responsabilité morale des combattants volontaires engagés dans une guerre. Honoré Bovet avance qu’un chevalier soutenant une injuste querelle risque la damnation s’il périt sur le champ de bataille ; dans le cas d’une guerre légitime – et légitimée –, le chevalier mortellement blessé peut prétendre aller en Paradis, de surcroît s’il s’est confessé avant sa mort. Notre anonyme semble gêné par le sujet et préfère éluder la question :

« Et se on leur dit que telle guerre n’est mie juste ne raisonnable, il n’en doivent mie trop enquerir ne trop parler, quar il n’ont mie a juger du fait leur souverain mais doivent supposer que tout est fait par raison et a juste cause622. »

Que la guerre soit juste ou non, le moraliste conseille au chevalier en proie au doute d’obéir à son prince et de lui confier aveuglément son âme. Comme l’affirmaient déjà en substance saint Augustin et Gratien, un soldat n’est pas « responsable si son prince entreprend une guerre injuste623 ». En somme, la responsabilité morale des combattants est inexistante et échoit au prince.

Notre anonyme pouvait-il ignorer qu’il jouait sur un terrain plus juridique que moral ? Assurément non. D’autant que le moraliste avait bien saisi la portée de l’enjeu : justifier la guerre, c’est aussi justifier l’impôt qui la finance. Figurant au rang des obligations féodales, la levée de cette aide financière est presque toujours provoquée par !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Philippe CONTAMINE, « L’idée de guerre à la fin du Moyen Âge… », op. cit., p. 80. Voir également

Ibid., La guerre au Moyen Âge, op. cit., p. 449-452.

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D’après Lydwine Scordia, « le roi de France peuple son conseil de légistes dés avant le règne de Philippe le Bel, et surtout à partir de Philippe VI : on citera par exemple les noms d’Evrart de Trémaugon ou de Jean Juvénal des Ursins. » (Lydwine SCORDIA, « Le roi doit vivre du sien » : la théorie de l’impôt

en France (XIIIe-XVe siècles), Paris, Institut d’études augustiniennes, 2005, p. 36).

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Philippe CONTAMINE, « L’idée de guerre… », op. cit., p. 80.

622

Avis aus roys, IV, 32, §5-6.

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la guerre624. Son discours moral se met au service d’une politique juridique et fiscale. En la matière, la critique du moraliste se fait plus dure et précise :

« Quar sa guerre il doit maintenir au sien propre ou l’aide de ses subgés et de leur biens prins par raison et par mesure, et il est chose juste et raisonable que le prince qui garde et deffent la communité soit aydés d’icelle, mais ce doit estre fait attrempeement et par mesure, et moult se doit garder le prince que les grans rentes et revenues que il tient il ne dispense ne despende en supperfluités et en vains usages quar il se doit tous jours estudier a grans garnisons faire de tresor, armeures, chevaus, vivres et autres choses necessaires a la communité gouverner et au besoign garder625. »

La phase de préparation au combat revient au souverain qui doit trouver le moyen de payer les hommes d’armes convoqués et leur procurer du matériel. Il est légitime que le roi, en plus de ses revenus propres, demande une contribution financière à ses sujets au nom de la préservation de la communauté. Même si le roi idéal est censé vivre exclusivement des revenus de son domaine, les Écritures admettaient déjà que lever l’impôt en réaction à une conjoncture défavorable pouvait s’avérer nécessaire626. Sans surprises, la position de notre anonyme se rapproche de celle exposée dans le

Policraticus de Jean de Salisbury (1159) : le domaine royal constitue sa source

principale de revenus. Pour défendre son royaume, le prince peut exiger une contribution de ses sujets627. Bien que, dans ces circonstances d’utilité publique, le consentement de ceux-ci ne soit pas requis, notre anonyme défend le principe de la modération fiscale628 et implore le souverain que la charge ne soit pas trop pesante pour eux, qu’elle soit prélevée « attrempeement et par mesure ». La guerre y ajoute un poids non négligeable et autorise les souverains à prélever davantage.

À l’image de la majorité des auteurs de miroirs, notre anonyme met en garde le prince sur l’utilité de certaines dépenses qu’il juge superflues : l’impôt ne doit être utilisé que pour gagner la guerre. Comme le feront plus tard Philippe de Mézières et Jean de Montreuil, il ne dénonce pas le principe même de l’impôt mais plutôt l’usage qui en est fait. Entre l’accusation de dépenser les subsides de manière inconsidérée et !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Lydwine SCORDIA, « Le roi doit vivre du sien »…, op. cit., p. 134.

625

Avis aus roys, IV, 31, §28-31.

626

Gn. 41 (voir à ce sujet L. SCORDIA, « Le roi doit vivre du sien »…, op. cit., p. 55-56).

627

Cf. Charles BRUCKER (éd.), Le Policratique de Jean de Salisbury (1372) : livre I-III, Genève, Droz, 1994, IV, 4, p. 30 : « chascun prend en son tresor pour sa necessité. Mais le prince si puet et doit prendre du tresor commun et des biens du pays. Et se par aucune aventure le tresor publique faut, l’en recuert aux facultez et possessions des singulieres personnes. » (cité par L. SCORDIA, « Le roi doit vivre du sien »…,

op. cit., p. 401).

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celle de les détourner délibérément il n’y a qu’un pas, que le moraliste refuse de franchir. Pourtant, les exemples de prélèvements sous des prétextes fallacieux ne manquent pas629. Dans une moindre mesure, Raymond Cazelles remarque que « la perspective d’opérations militaires permet d’obtenir, pour le bien commun, des sommes considérables qui ne sont pas nécessairement toutes affectées à l’équipement et à l’entretien de l’ost630 ». Il faut dire que, face à l’augmentation des dépenses structurelles du royaume de France depuis le XIIIe siècle, la tentation devait être grande pour des souverains confrontés à la réalité du pouvoir d’accroître leurs revenus par tous les moyens. Bien que jugée scandaleuse par les Français631, l’imposition permanente faisait figure de solution tangible. D’ailleurs, le moraliste, sur le point de justifier ces prélèvements réguliers, n’affirme-t-il pas que le prince doit faire preuve de prévoyance en amassant de l’or, des armes, des vivres et bien d’autres choses nécessaires à la préservation de la communauté632 ?

Bien qu’occupant une place relativement modeste dans l’Avis aus roys, ces récriminations pourraient correspondre à l’alourdissement général de la fiscalité constaté de 1292 à 1360633. La politique fiscale de Philippe VI fut particulièrement impopulaire aux yeux de tous les Français, surtout dans les dernières années de son règne. Les impôts continuaient à être perçus en période de trêve et au mois de mars 1343, le conseil royal, au lieu d’abolir la gabelle du sel, en renforce l’organisation. Le roi affirme son monopole sur la vente de sel dans tout le royaume, fixant le prix à travers des ordonnances. La même année, le premier roi Valois et ses conseillers tentent de revaloriser la monnaie par paliers mais leur tentative se heurte au stockage des marchandises dans l’attente du dernier renforcement et par la même au renchérissement des produits de première nécessité634. Les Grandes chroniques de France s’en font d’ailleurs l’écho : « le roy aquist l’indignacion et le male grace tant des grans comme des petiz et de tout le peuple635 ».

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Lydwine SCORDIA, « Le roi doit vivre du sien »…, op. cit., p. 153-157.

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Raymond CAZELLES, Société politique, noblesse et couronne sous Jean le Bon et Charles V, Genève,