• Aucun résultat trouvé

La plus visible des ruptures est structurelle. Notre anonyme ajoute un livre entier à l’organisation tripartite proposée par Gilles de Rome dans son De regimine principum. Dans sa lettre adressée à Jacques-Joseph Techener vers 1838, Paulin Paris identifie l’Avis aus roys comme étant une traduction du miroir de l’augustin mais avoue être perplexe devant cette quatrième partie qu’il ne retrouve pas chez Henri de Gauchi504. Effectivement, le Livres du gouvernement des rois propose bien le même nombre de livres que son modèle. En réalité, l’auteur anonyme de l’Avis aus roys choisi de briser la structure traditionnelle de Gilles de Rome pour la reconstruire à sa convenance : il choisit de faire de la partie 3 du livre III du De regimine principum un livre autonome et supplémentaire consacré à l’art militaire.

Dès le prologue, notre moraliste fait part de ses intentions concernant l’enseignement militaire, inspirées par le souffle de David :

« Vous qui avez gouvernement – reges –, appliquez vostre entendement – intelligite – a recevoir enseignement – erudimini – pour faire a touz bon jugement – qui judicatis

terram. Et pour tant est faiz cils presenz tractiers pour donner aucun avis aus roys et aus

princes en leur gouvernement, liquels tractiers parle de deus choses : premierement comment bons princes ou temps de paix se doit contenir et avoir ; secondement comment il se doit porter quant il doit guerroier. Et ceste matiere sera devisee en quatre parties505. »

Contrairement à Gilles de Rome qui ne prend jamais des initiatives aussi explicites, l’auteur de l’Avis aus roys annonce que son traité se divise en deux temps distincts : d’abord viendra l’enseignement sur le gouvernement en temps de paix suivi de l’enseignement sur le gouvernement en temps de guerre506. À l’évidence, notre anonyme marque son attachement à la nécessité d’instruire militairement un jeune prince. La tendance est d’autant plus frappante qu’aucun chapitre du Liber de

informatione principum n’est consacré à la didactique militaire.

La pratique qui consiste pour un auteur à remanier la structure de son modèle n’est pas unique. Un procédé similaire se retrouve dans un autre miroir d’origine !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

504

Cf. supra, p. 22-23.

505

Avis aus roys, Prologue, §15-19.

506

Gilles de Rome attend le début de son livre III pour dissocier l’état ordinaire de l’état de guerre : …videlicet de regimine regni et civitatis tempore pacis, et de huiusmodi regimine tempore belli (AEGIDIUS COLONNA, De regimine principum libri III, III, 2, 1, p. 451).

3.1 – La didactique militaire

! "%<!

suédoise, longtemps considéré comme une simple traduction du De regimine principum de Gilles de Rome daté des années 1340. Il s’agit du traité Um styrilsi Konunga ok

höfpinga étudié par Corinne Peneau507. Comme notre moraliste, l’auteur suédois a repris le plan de l’œuvre de l’augustin en y ajoutant une quatrième partie consacrée à la supériorité du principe héréditaire sur le principe électif en matière de désignation du souverain. Lui aussi n’hésite pas à repenser la structure du traité qui lui sert de modèle.

D’une manière plus générale, cette volonté de valoriser la didactique militaire dans l’Avis aus roys se fait à plusieurs niveaux, à plusieurs échelles. La partie 3 du livre III du De regimine principum contient 24 chapitres contre 32 dans le livre IV de l’Avis

aus roys. De prime abord, le contenu de ce dernier livre pourrait sensiblement différer

de son modèle. Pourtant, la table de concordance permet de remarquer, qu’à l’évidence, le texte ne se démarque pas autant que le laissent présager les apparences508. Si l’on excepte les deux derniers chapitres sur lesquels nous reviendrons plus tard, le livre IV de l’Avis aus roys comporte en réalité moins de particularités que ses prédécesseurs. Son originalité se situe dans son existence même qui témoigne d’une grande sensibilité à la didactique militaire devenue centrale au moment où l’auteur rédige son traité.

D’un point de vue quantitatif, ce thème occupe des proportions notablement différentes dans les deux traités509. Notre anonyme y consacre 19% de son œuvre tandis que Gilles de Rome voue 11% de son traité au même thème. Le contenu est similaire et notre anonyme a fort peu réduit ce qu’il reprenait de la partie 3 du livre III du De

regimine principum. En comparaison, le propos du livre II dédié au gouvernement de la

maison semble bien plus diminué.

Peu de chapitres de la partie 3 du livre III de Gilles de Rome ont été laissés de côté au moment de la composition de l’Avis aus roys par son auteur510 : le chapitre III, 3, 1 qui se charge de définir la chevalerie511 puis le chapitre III, 3, 7 traitant des divers

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

507

Corinne PENEAU, « Um styrilsi Konunga ok höfpinga, un miroir inspiré de Gilles de Rome dans la Suède de la première moitié du XVe siècle », dans Le Prince au miroir de la littérature politique de

l’Antiquité aux Lumières, F. LACHAUD et L. SCORDIA (dir.), Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2007, p. 191-216.

508 Cf. annexe 4, p. 386-397. 509 Cf. annexe 8, p. 418. 510 Cf. annexe 9, p. 421. 511

AEGIDIUS COLONNA, De regimine principum libri III, III, 3, 1 : Quid est militia, et ad quae est

3.1 – La didactique militaire

! "%=!

exercices à intégrer dans la formation militaire d’un jeune garçon512. Seuls les chapitres IV, 18513 et IV, 19514 ont été les cibles de coupes importantes de la part de notre auteur alors que cette pratique est bien plus répandue dans les livres précédents. La table de concordance nous informe que ces deux chapitres se retrouvent fondus dans le chapitre IV, 24 de l’Avis aus roys. À l’inverse, certains passages du De regimine principum ont bénéficié d’un traitement beaucoup plus valorisant dans l’Avis aus roys. Ainsi, les chapitres 10, 15 et 22 de la partie 3 du livre III du traité de Gilles de Rome connaissent une véritable mise en valeur : chacun d’entre eux génère trois nouveaux chapitres dans l’Avis aus roys. Dans son chapitre III, 3, 10515, Gilles de Rome évoque successivement l’importance des bannières en combat, la nécessité de choisir de bons sergents puis brosse un portrait du porteur de bannière idéal. Ces trois thèmes se retrouvent respectivement dans les chapitres IV, 11, IV, 13 et IV, 12 de l’Avis aus roys. Le chapitre III, 3, 15 du De regimine principum516 reproduit le même principe. Il y est question de la bonne position à adopter pour un combattant lorsqu’il veut frapper son adversaire, de la façon d’encercler les troupes ennemies et enfin des circonstances qui poussent à refuser un affrontement direct. L’anonyme reprend ces thèmes dans ses chapitres IV, 18, IV, 19 et IV, 20. Le contenu du chapitre III, 3, 22 du De regimine principum517 se retrouve à son tour disséminé dans les chapitres IV, 27, IV, 28 et IV, 29 de l’Avis aus

roys. Le moraliste y reprend successivement les thèmes de la prévention contre les

sapeurs, évoque les moyens de détruire les machines de guerre ennemies puis ceux visant à se prémunir contre les « moutons ».

Plusieurs autres chapitres tirés de la partie 3 du livre III du De regimine

principum subissent un traitement similaire mais ne se fragmentent qu’en deux parties.

Le chapitre 2 qui aborde à la fois le thème de la provenance des meilleurs combattants

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

512

Id., III, 3, 7 : Quod non sufficit ad incedendum serio et gradatim, et ad cursum et saltum exercitare

bellantes, sed sunt plura alia ad quae exercitandi sunt homines bellicosi.

513

Ibid., III, 3, 18 : Quae et quot sunt genera machinarum eiicientium lapides ; per quae impugnari

possunt munitiones obsessae, et devinci possunt civitates et castra.

514

Ibid., III, 3, 19 : Quomodo per aedificia lignea impulsa ad muros civitatis, et castri impugnari possint

muntiones obsessae.

515

Ibid., III, 3, 10 : Quod utile est in bello ferre vexilla, et constituere duces et praepositos : et quales

esse debeant qui in exercitu vexilla portant, et qui equitibus, et pedibus praeponuntur.

516

Ibid., III, 3, 15 : Quomodo homines bellatores stare debeant, si velint hostes percutere, et quomodo

debeant eos circundare, et quomodo debeant se declinare a pugna, si non sit bonum pugnam committere.

517

Ibid., III, 3, 22 : Quomodo resistendum est munitioni factae per cuniculos, et qualiter machinis

3.1 – La didactique militaire

! "%#!

et celui de leurs activités professionnelles518 se retrouve segmenté dans les chapitres 1 et 2 du livre IV de l’Avis aus roys. Le chapitre III, 3, 6 qui soulignait chez Gilles de Rome la nécessité de s’exercer continuellement aux armes puis d’être discipliné au combat est également victime du même traitement519. L’anonyme isole ces deux sujets pour en faire les chapitres 6 et 7 de son livre IV. Le même sort est réservé au chapitre III, 3, 9 du

De regimine principum qui traite des six caractéristiques qu’un prince doit rechercher

chez ses combattants et des six informations qu’il doit posséder sur les troupes adverses520. Cette disposition originale était une nouvelle fois propice à un scindement permettant au moraliste de donner naissance aux chapitres IV, 9 et IV, 10 de l’Avis aus

roys. Le même constat vaut pour le chapitre III, 3, 16 du De regimine principum

recensant quatre méthodes pour prendre une place assiégée521. Ces dernières se trouvent également réparties par notre anonyme dans les chapitres 21 et 22 de son livre IV. Enfin, le chapitre III, 3, 23 du De regimine principum traitant des combats navals et des circonstances qui poussent à la guerre522 constitue la source principale d’inspiration du chapitre IV, 30 de l’Avis aus roys, ainsi que le début du chapitre IV, 31. À la différence de ceux précédemment cités, le chapitre III, 3, 17 consacré à la défense des assiégeants523 voit son contenu partiellement restitué au chapitre IV, 23 de l’Avis aus

roys, le restant se trouve amalgamé par notre anonyme aux chapitres 18 et 19 du livre

III du De regimine principum dans le but de constituer son chapitre IV, 24.

Ces quelques observations menées à partir de la table des concordances confirment que le nombre plus élevé de chapitres dédiés à la didactique militaire dans l’Avis aus roys ne correspond pas à une plus grande originalité de leur contenu mais plutôt à une prise de liberté vis-à-vis du De regimine principum d’un point de vue structurel. Ce constat pousse alors à s’interroger sur les motivations réelles de l’auteur. Gêné par l’hétérogénéité du contenu de certains chapitres du miroir de Gilles de Rome, notre anonyme a peut-être cru bon de les fragmenter, de les morceler en plusieurs !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

518

Id., III, 3, 2 : Quae sunt regiones illae in quibus meliores sunt bellatores, et ex quibus artibus eligendi

sunt homines bellicosi.

519

Ibid., III, 3, 6 : Quod in opere bellico, nimium valet exercitatio armorum, et quod ad incendum

gradatim et passim, et ad cursum et saltum exercitandi sunt bellatores.

520

Ibid., III, 3, 9 : Quae et quot sunt consideranda in bello si debeat publica pugna committi.

521

Ibid., III, 3, 16 : Quo sunt genera bellorum, et quot modis devincendae sunt munitiones et urbanitates,

et quo tempore melius est obsidere civitates et castra.

522

Ibid., III, 3, 23 : Qualiter construenda est navis, et qualiter committendum navale bellum, et ad quae

bella singula ordinantur.

523

Ibid., III, 3, 17 : Quomodo debent munitiones obsideri, et quomodo pericolosius impugnari possunt

3.1 – La didactique militaire

! "%$!

chapitres pour rendre son texte plus cohérent et compréhensible. Ce procédé de clarification, qui pourrait être dicté par un choix pédagogique assumé, n’a en réalité rien de systématique524 : l’anonyme n’hésite pas à compiler au sein d’un seul chapitre des thèmes que Gilles de Rome avait de son côté fractionné525. Ces remaniements structurels laissent penser que notre anonyme a plutôt choisi de valoriser les thèmes susnommés en les isolant dans des chapitres propres. À travers ses choix structurels forts, il fait part de ses inquiétudes du moment et tente de répondre à un besoin.

L’un des thèmes les plus concernés par ce « cloisonnement » est la poliorcétique. L’anonyme lui consacre les chapitres 21 à 29 du livre IV de l’Avis aus

roys, soit un de plus que dans le De regimine principum. Six de ces neuf chapitres sont

générés par la fragmentation526. Si la poliorcétique est le seul thème abrégé par l’auteur dans le livre IV, il semble incontestable qu’il ait tout de même voulu la mettre plus en avant que Gilles de Rome. Les circonstances pourraient expliquer ces préoccupations. Tout indique que les plus anciens témoins connus de l’Avis aus roys datent du milieu du

XIVe siècle. Or, les premières années de la guerre de Cent Ans sont le théâtre de nombreux sièges d’envergure diverse. D’une manière générale, les Français piétinent en la matière : Philippe VI est contraint d’engager des professionnels étrangers527 mais ne peut reprendre Bordeaux en 1345 ; la tentative avortée de reprendre Aiguillon en 1346 immobilisa vainement Jean, duc de Normandie, pendant des mois, alors qu’il avait prêté publiquement serment de ne repartir qu’une fois la place libérée528 ; en 1347, Calais est pris par Edouard III qui considère la ville comme une idéale tête de pont pour ses prochaines expéditions. Pendant les quelques mois que dure le siège, Philippe VI n’intervient pas et préfère panser les plaies de Crécy529. Les exemples mettant en scène des opérations de siège similaires se multiplient dans la première partie de la guerre de Cent Ans. Par l’intermédiaire de son livre IV, notre moraliste semble répondre à ce type !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

524

D’après l’annexe 4, les autres chapitres du De regimine principum qui ont subi une fragmentation similaire sont le I, 1, 11 ; le I, 2, 13 ; le I, 2, 15 et le II, 1, 20.

525

Les cas de chapitres de l’Avis aus roys constitués de plusieurs chapitres du De regimine principum sont multiples si l’on en croit la table des concordances (annexe 4) : I, 12 ; I, 16 ; I, 19 ; I, 20 ; I, 28 ; I, 29 ; I, 30 ; I, 35 ; II, 5 ; II, 7 ; II, 11 ; II, 12 ; II, 16 ; II, 18 ; III, 2 ; III, 3 ; III, 6 ; III, 28 ; III, 30 ; IV, 4 ; IV, 24.

526

Il s’agit des chapitres IV, 21, 22-23, 27, 28 et 29 de l’Avis aus roys (cf. annexe 4, p. 392-394).

527

Il engage par exemple les Savoyards Pierre de la Palu et Le Galois de la Baume, un corps de mineurs allemands, et a recours pour la première fois à quelques bombardes.

528

Raymond CAZELLES, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, Librairie d’Argences, 1958, p. 178.

529

3.1 – La didactique militaire

! "%%!

de préoccupations mais le caractère trop général de son propos ne permet pas de dépasser le stade des hypothèses en matière de chronologie.

D’autres passages bien moins visibles fournissent des indications plus précises. Ainsi, le chapitre IV, 7 de l’Avis aus roys, intitulé « Comment tout l’ost doit estre rengé et ordené », renvoie à l’un des thèmes sensiblement plus valorisés sous la plume de notre moraliste. Il y explique que les « gent de guerre » doivent prendre garde à leur position au moment d’affronter l’ennemi et s’entraîner à n’être ni trop près ni trop éloignés de leurs voisins530. Il s’agit d’empêcher l’ennemi de diviser sa « bataille » et de lui concéder une brèche irrémédiable. Au chapitre IV, 11531, l’anonyme développe ce même sujet en établissant une comparaison entre les vertus et les « escheles de l’ost532 » : une fois divisées, elles s’affaiblissent. L’ost ne doit ni se troubler ni s’émouvoir. Le rôle du maintien de la discipline est dévolu au chef, voire au porteur de la bannière. Selon la table de concordance, le contenu de ces chapitres n’a rien d’original et se retrouve respectivement aux chapitres III, 3, 6 et III, 3, 10 du De

regimine principum533. Pour autant, l’isolement structurel dont ce thème est l’objet lui confère une dimension toute particulière renforcée par la présence dans le livre IV de multiples mentions originales renvoyant également à la discipline des combattants. Ainsi, le chef de guerre exemplaire doit savoir mettre de l’ordre dans les rangs de sa « bataille » pour leur permettre de mieux soutenir les assauts adverses, « en maniere que il ne puissent estre envahi despourvehuement534 ». Plus tôt, le moraliste exhorte les jeunes hommes à « estre souverainnement determinés a non fuir, mais de perseverer vaillemment535 ». Afin de souligner le caractère ignominieux de la fuite d’un combattant, l’auteur de l’Avis aus roys choisit d’insérer dans ce même chapitre un célèbre exemplum absent du De regimine principum faisant d’un soldat boiteux un modèle de détermination en dépit de son infirmité536.

Le traitement particulièrement valorisant réservé au thème de la discipline militaire pourrait bien correspondre à une réalité tangible : celle du déroulement et de l’issue de la bataille de Crécy. La rencontre a lieu le samedi 26 août 1346. La veille, les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

530

Avis aus roys, IV, 7.

531

Ibid., IV, 11, §1 : « Comment l’an se doit garder que l’ost ne soit parti ne devisé ».

532 Ibid., IV, 11, §2-3. 533 Cf. annexe 4, p 388-389. 534 Ibid., IV, 14, §15. 535 Ibid., IV, 4, §15. 536

3.1 – La didactique militaire

! "%&!

Anglais ont choisi de se déployer sur un terrain très favorable près de Crécy-en-Ponthieu. Étirés sur une vingtaine de kilomètres, les Français arrivent sur les lieux après avoir marché depuis plusieurs jours. Le roi donne l’ordre d’arrêter l’armée fatiguée mais les chevaliers bannerets refusent de s’immobiliser car l’honneur, au détriment de la discipline, leur commande d’en découdre avec les Anglais désormais à portée. Le début des hostilités est rapidement lancé, sans attendre le reste des troupes massées derrière. Malgré cela, la supériorité numérique reste française. De 1337 à 1348, la royauté française est en pleine possession de ses moyens militaires et ses possibilités de recrutement sont très satisfaisantes537. Du reste, à l’image des chroniqueurs de son temps, l’auteur de l’Avis aus roys n’évoque jamais de problèmes de sous-effectifs. Il traite en revanche de manière originale de la nécessité de récolter des informations sur le lieu de combat, la constitution et la disposition des ennemis538

Au milieu de la désorganisation et pour répondre aux archers anglais, les combattants disponibles sont disposés à la hâte, les arbalétriers génois occupant le front de l’attaque. La cavalerie française, constatant la fuite de ces derniers, charge sans attendre les ordres et piétine volontairement la masse de fuyards venant à sa rencontre539. Leur élan s’en trouve brisé. Les archers anglais n’ont plus qu’à profiter du désordre général. Pendant que Philippe VI « quitte » à son tour le champ de bataille540, la cavalerie anglaise met un terme définitif à ce qui deviendra une des plus marquantes débâcles françaises de l’histoire541. Taxant les combattants français d’« amateurs », Philippe Contamine déplore le manque d’expérience de l’armée française et sa totale indiscipline qui conduisirent à la défaite. La nature même de la semonce ne pouvait qu’aboutir « à un rassemblement de forces mal organisées, disparates, dénuées d’expériences542 ». Les mandements proclamés par Philippe VI en 1340 menaçant de mettre en prison ceux qui abandonneraient leur ost puis de confisquer leurs biens ne !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

537

Philippe CONTAMINE, Guerre, Etat et société à la fin du Moyen Âge : études sur les armées des rois de

France (1337-1494), Paris, Éd. de l’EHESS, 2004, p. 71.

538

Avis aus roys, IV, 8, §2-3 et annexe 4, p. 388-389.

539

Jean FAVIER, op. cit., p. 110-114.

540

Moins pudique, Jean Favier précise que « Philippe VI prend le parti d’abandonner le combat en laissant dans la tourmente ceux qu’aucun signal n’en tirera plus. Quelques barons sont autour de lui : Hainaut, Montmorency, Beaujeu. Il seront la piteuse escorte d’un roi qui chevauche maintenant droit devant lui, pendant que ses fidèles achèvent de mourir, et qui s’en vient frapper au pont levis du château de Labroye » (Ibid., p. 119).

541

Ibid., p. 117-120.

542

3.1 – La didactique militaire

! "%'!

valent plus guère au cœur de la mêlée543.

À ces condamnations militaire et morale de l’indiscipline sur le champ de bataille s’ajoute la désapprobation divine qui fait du fuyard un mauvais chrétien :