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Notre auteur anonyme et Gilles de Rome utilisent conjointement les Facta et

dicta memorabilia de Valère-Maxime, cet historien de l’antiquité païenne surtout connu

pour son recueil de récits historiques à caractère didactique qui rencontra un grand succès à la fin du Moyen Âge auprès des prédicateurs notamment308. Charles F. Briggs relève que Gilles de Rome fait six fois référence à l’auteur des Facta et dicta

memorabilia dans son De regimine principum. De son côté, notre moraliste le cite

quatorze fois309 et l’utilise peut-être à quatorze autres reprises sans mentionner son nom310. La plupart de ces citations correspondent à des emprunts directs chez Valère-Maxime ; seuls deux passages tirés des Facta et dicta memorabilia sont communs aux deux miroirs311. Notre anonyme le désigne plus fréquemment par « Valerian »312 mais on le trouve aussi sous les formes « Valerius »313, « Valeres »314, « Valerians »315, « Valerius Maximus »316, « Valerien »317 et « Valieres »318.

L’étude de l’organisation et du contenu des deux œuvres fait ressortir une filiation incontestable : les structures des deux traités – bien qu’apparemment inégales – tournent autour de mêmes axes qui se succèdent dans le même ordre d’apparition ; les sources fondamentales cimentant la structure du De regimine principum occupent la même place essentielle dans l’Avis aus roys. Pour autant, les premiers désirs d’émancipation se font rapidement sentir sous la plume de notre anonyme. Notre moraliste prend le miroir de Gilles de Rome comme modèle sans pour autant aliéner ses !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

308

Bernard GUENEE, Histoire et culture politique dans l’Occident médiéval, Pairs, Aubier Montaigne, 1980, p. 257 : « Il reste plus de quatre cent manuscrits de l’œuvre de Valère-Maxime, mais près de deux cent cinquante manuscrits en renferment aussi des extraits, des abrégés, des traductions. » Selon Bernard Guenée, Valère-Maxime a connu un engouement en Occident de manière tardive. Les Faits et dits mémorables offraient aux enfants et aux adultes un arsenal d’anecdotes inépuisable. Voir également H. MARTIN, Le métier de prédicateur en France septentrionale à la fin du Moyen Âge (1350-1520), Paris, Les Editions du Cerf, 1988, 720 p.

309

Avis aus roys, I, 21, §35-37 ; I, 33, §10-12 ; I, 34, §10-12 ; II, 5, §7 ; II, 24, §5-16 et 17 ; III, 10, §12-15 ; III, 26, §18-19 ; III, 29, §14-16 ; III, 33, §5-11 ; III, 37, §10-11 ; IV, 4, §11-12, 29-31 et 39-41.

310

Ibid., I, 7, §8 et 9-11 ; I, 20, §16 ; I, 21, §32 ; I, 35, §18-20 ; II, 3, §16-19 ; II, 7, §4 ; IV, 9, §14-17.

311

Ibid., II, 7, §4 ; III, 26, §18-19.

312

Ibid., II, 24, §5 ; III, 10, §12 ; III, 33, §5 ; III, 37, §10 ; IV, 4, §11 et 29.

313 Ibid., I, 21, §35 ; I, 33, §10 ; I, 34, §10 ; II, 1, §8. 314 Ibid., II, 5, §7. 315 Ibid., II, 24, §17. 316 Ibid., III, 26, §18. 317 Ibid., IV, 4, §39. 318 Ibid., III, 29, §14.

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appétences. Une source qui n’occupait qu’une place secondaire chez Gilles de Rome – les Facta et dicta memorabilia de Valère-Maxime – se voit offrir l’un des premiers rôles dans le traité de notre anonyme. Le goût plus prononcé de ce dernier pour ce type de récit annonce peut-être les prémices d’une divergence profonde d’ordre rhétorique avec Gilles de Rome. Cette hypothétique fracture pourrait se matérialiser si l’on parvenait à déceler dans le choix des sources d’autres marques de désaccord.

Les rapports entre l’Avis aus roys et son modèle apparaissent donc plus complexes qu’on ne pourrait le croire de prime abord. De fait, un bon nombre de chapitres ne trouvent pas leurs origines dans le De regimine principum de Gilles de Rome. En toute logique, c’est dans la foisonnante tradition littéraire des « miroirs des princes » que ces derniers pourraient être recherchés.

Bien qu’ayant indéniablement influencé le genre, les miroirs carolingiens n’ont très probablement pas servi de supports à l’auteur de l’Avis aus roys : le De virtutibus et

vitiis ad Widonem comitem d’Alcuin (achevé entre 801-804)319, la Paraenesis ad

iudices de Théodulphe (mort en 821)320 et le De institutione regia de Jonas d’Orléans (831)321 insistent déjà sur les vertus morales du gouvernant mais ne s’attachent pas à l’art de gouverner d’un point de vue technique. Jacques Krynen résume l’idée centrale articulant ces traités : « le prince qui veut régir les autres doit se discipliner lui-même »322. C’est également le cas dans le De via regia de Smaragde (813-816)323 et le

De regis persona et regio ministerio d’Hincmar de Reims (806-882)324.

Du Xe au XIIIe siècles, une multitude de nouveaux miroirs naissent sous la plume de leurs auteurs : citons principalement le De ministerio regis d’Abbon de Fleury (mort en 1004) inspiré du traité de Jonas d’Orléans325, la Philippide de Guillaume le Breton (c. 1214-1224) ou encore le De bono regimine principis d’Hélinand de Froidmont (1210) basé sur le Policraticus de Jean de Salisbury (1159). Réalisé à la demande de Saint Louis, l’Eruditio regum et principum du franciscain Guibert de Tournai (1259) est proche du septième livre du Speculum doctrinale de Vincent de Beauvais dédié à la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

319

Alain DUBREUCQ, « Autour du De virtutibus et vitiis d’Alcuin », dans Annales de Bretagne et des

Pays de l’Ouest, tome 111, numéro 3, 2004, p. 269-288.

320

VINCENT DE BEAUVAIS, De l’institution du prince, Charles MUNIER (éd.), Paris, Les éditions du Cerf, 2010, p. 30.

321

JONAS D’ORLEANS, Le métier de roi, Alain DUBREUCQ (éd.), Paris, Cerf, 1995, 304 p.

322

KRYNEN, op. cit., p. 168.

323

VINCENT DE BEAUVAIS, De l’institution du prince, p. 30.

324

Ibid., p. 30-31.

325

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scientia politica, lui-même inspiré du De bono regimine d’Hélinand et donc du Policraticus. Ce même Vincent de Beauvais composa deux miroirs, le De eruditione filiorum nobilium (1246-1249) et le De morali principis institutione (1261-1263), qui

devaient en fait être intégrés au Speculum morale jamais achevé par son auteur. Contemporain de Vincent, Guillaume Peyraut a utilisé le De morali principis

institutione pour composer son De eruditione principum (c. 1261-1265). Cependant, à la

différence de son modèle, ce traité s’adresse plus volontiers à la société féodale qu’à Louis IX326. À l’intention de son fils Philippe, le saint roi composa lui-même ses

Enseignements (c. 1267-1270) très inspirés des miroirs de frères mendiants et constitués

d’un ensemble de trente trois préceptes insistant sur les devoirs religieux et politiques du bon souverain327. Enfin, Thomas d’Aquin composa son De regno ad regem Cypri (1267) pour Huges III de Chypre328 et, même s’il inspira Gilles de Rome et son De

regimine principum, aucun passage de l’Avis aus roys ne semble directement en

provenir. En plus de chercher à répondre aux préoccupations de leur temps, les auteurs de ces miroirs attendent de leurs lecteurs exerçant des responsabilités politiques qu’ils possèdent des vertus chrétiennes et fassent preuve d’une certaine éthique au moment précis où la fonction royale se codifie et devient technique. Si la plupart sont des témoins de ce siècle de transition, aucun d’entre eux n’a directement servi de supports à l’auteur anonyme de l’Avis aus roys.

A partir de la fin du XIIIe siècle, le De regimine principum de Gilles de Rome va influencer durablement les auteurs de miroirs ultérieurs ; il est « le point d’orgue d’une évolution amorcée depuis un siècle »329. Aux côtés des habituelles vertus nécessaires au bon gouvernement du prince apparaissent les thèmes de la défense du bien commun, de l’obéissance que le peuple porte à son souverain. Toutes mentions au système féodal disparaissent, l’augustin accordant au prince un rôle suréminent, celui de semideus330. Il n’est pas encore temps de déterminer si l’Avis aus roys reprend ces caractéristiques. En revanche, la plupart des miroirs valois vont s’inspirer du traité de Gilles de Rome, témoignant également de la complexité croissante du métier de roi. Avant l’avènement !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

326

KRYNEN, op. cit., p. 179.

327

Jacques LE GOFF, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 418-431 et KRYNEN, op. cit., p. 225-227. Voir aussiVINCENT DE BEAUVAIS, De l’institution du prince, p. 303-311.

328

Le De regno ad regem Cypri a été complété par Ptolémée de Lucques, vers 1305, à partir du livre II, chapitre 5 (PERRET, op. cit., p. 12 n. 45).

329

KRYNEN, op. cit., p. 187 et suiv.

330

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du premier Valois, un dominicain anonyme rédige pour le jeune Louis X le Liber de

informatione principum (vers 1300-1315), lui aussi longtemps confondu avec le De regimine principum de Gilles de Rome331. Partiellement inspiré de ce dernier, le Liber est structuré en quatre livres : un premier traitant des vertus du prince ; un deuxième consacré à la famille et au personnel de l’Hôtel ; un troisième dédié à la vertu de sagesse ; un dernier voué à la justice. Le plan et les thèmes qu’il valorise suggèrent un rapprochement possible avec les chapitres de l’Avis aus roys qui ne se retrouvent pas dans le De regimine principum de Gilles de Rome. D’ailleurs, la proximité structurelle du De regimine principum et du Liber aurait pu faciliter le travail de compilateur de notre anonyme et renforcer la cohérence de son propre projet.

Ainsi, le premier chapitre de l’Avis aus roys consacré à la dignité royale (I, 1) se retrouve aussi au début du Liber de informatione (I, 1). Les deux anonymes partagent également deux groupes de chapitres dédiés respectivement aux rapports du prince à Dieu (I, 3, 13-14, 17-18) et aux officiers de l’Hôtel (III, 17-21). En dépit de similitudes évidentes, une question demeure : le Liber de informatione principum doit-il être considéré comme une source directe de notre moraliste ou faut-il plutôt chercher à identifier une source commune aux deux textes ? La série de chapitres dressant le portrait des officiers idéaux dans l’Avis aus roys se distingue de celle du Liber en ce qu’elle se penche sur le rôle du maître d’Hôtel (III, 22), des maîtres des requêtes (III, 23) et des sergents « et gardes des chasteaus » (III, 25, §1) en plus de reprendre les offices de confesseur (III, 18), de chapelain (III, 19), d’aumônier (III, 20) et de chambellan (III, 21) également présents dans le Liber. De plus, le chapitre évoquant le rôle de l’aumônier (III, 20) est considérablement plus développé sous la plume de notre anonyme que sous celle de l’auteur du Liber, qui se contente de quelques mots. Il se pourrait donc que nos deux auteurs aient eu recours à une source commune.

Lydwine Scordia estime que, pour rédiger son Liber de informatione principum, l’anonyme a emprunté au Policraticus de Jean de Salisbury, au miroir du franciscain Guibert de Tournai (1259) et au Speculum dominarum332. Guibert de Tournai, né dans cette même ville vers 1200 et entré chez les Frères Mineurs vers 1240, semble rédiger !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

331

Lydwine SCORDIA, « Le roi, l’or et le sang des pauvres dans Le livre de l’information des princes, miroir anonyme dédié à Louis X », dans Revue Historique, 306/3, 2004, p. 507-532. De nombreux manuscrits contenant la traduction française du Liber de informatione principum faite par Jean Golein en 1379 à la demande de Charles V attribuent la paternité du texte original à Gilles de Rome.

332

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son Eruditio regum et principum en 1259 alors qu’il occupe la charge de professeur à l’Université de Paris. Destiné à saint Louis et même à un cercle d’auditeurs plus étendu, son Eruditio semble très inspirée du Policraticus de Jean de Salisbury et du livre VIII du Speculum doctrinale de Vincent de Beauvais dédié à la science politique. Dans son édition de l’Eruditio333, Alfred de Poorter précise que la volonté de Guibert est d’édifier un saint. Au-delà des thèmes traditionnels plus ou moins développés dans chaque « miroir des princes » et comme mentionné plus haut, rien ne permet d’établir un lien entre l’Avis aus roys et l’Eruditio regum et principum.

Initialement dédié à la reine Jeanne de Navarre de la part de son confesseur Durand de Champagne, le Speculum dominarum est une œuvre didactique en prose destinée à l’instruction morale et religieuse des femmes (1300) empruntant au Speculum

morale de Vincent de Beauvais334. Si le texte latin ne nous est parvenu qu’à travers un exemplaire daté de 1456335, sa traduction française, plus ou moins fidèle, connue sous le nom de Miroir des dames et réalisée par un cordelier anonyme, a en revanche été très diffusée et a fait office de manuel d’instruction pour les reines de France durant plusieurs siècles. Toutefois, son rapport à l’Avis aus roys semble limité et très indirect.

De nombreuses pistes semblent mener à la dernière source potentielle de l’auteur anonyme du Liber, le Policraticus, composé par Jean de Salisbury vers 1159. Né à Salisbury, en Angleterre, vers 1120, Jean est l’élève d’Abélard à Paris, de Robert Melun et de Guillaume de Conches. Proche de Thomas Becket, Jean lui destine probablement le Policraticus dans lequel il dénonce les vanités de la cour. Il entretint toute sa vie des relations conflictuelles avec Henri II, jusqu’à être banni en 1163. Jean ne rentra en Angleterre qu’après l’assassinat de son ami Thomas Becket, en 1170. Il devint évêque de Chartres en 1176, où il mourut le 25 octobre 1180. Le chapitre I, 1, 2 (§1-9) de l’Avis

aus roys fait inévitablement penser au texte de Jean de Salisbury lorsqu’il reprend la

métaphore du corps social336. Pourtant, la table suivante révèle des dissemblances dans l’emploi de la métaphore :

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

333

Alfred DE POORTER, Le traité Eruditio regum et principum de Guibert de Tournai, Louvain, Institut supérieur de philosophie de l’Université, 1914.

334

Anne DUBRULLE (éd.), Le Speculum dominarum de Durand de Champagne, Paris, thèse de l'Ecole des Chartes (dactyl.), 1988. Le franciscain Durand de Champagne meurt en 1305.

335

Paris,BNF, MS lat.6784 :cet exemplaire, rédigé en 1456 pour Jean d’Etampes, évêque de Nevers, est un témoin postérieur à la traduction.

336

Cf. Charles BRUCKER (éd.), Le Policratique de Jean de Salisbury (1372) : livre V, Genève, Droz, 2006, p. 272 : V, 2, §3.

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Membres Avis aus roys (I, 1, 2) Policraticus (V, 2, 3)

Tête Le roi Le prince

Yeux, oreilles, langues Les sénéchaux, baillis, prévôt et autres juges

Les juges et administrateurs provinciaux

Cœur Les sages et les conseillers Le sénateur

Mains Les chevaliers Les chevaliers et officiers

Côtes, flancs - Les conseillers

Ventre, intestins - Les fonctionnaires des finances

Jambes Les marchands -

Pieds Les laboureurs Les laboureurs

Dans son chapitre I, 1, notre anonyme offre aux marchands une place de choix dans le corps social tandis que les officiers des finances mentionnés par Jean de Salisbury disparaissent. L’auteur de l’Avis aus roys s’est-il aventuré à adapter le modèle proposé par l’évêque de Chartres répondant par la même aux préoccupations de son temps ? En attendant de revenir sur le message profond qu’elle véhicule337, cette puissante métaphore mérite qu’on s’attarde sur ses origines.

L’image du corps social n’est pas exclusive au Policraticus et à l’Avis aus roys : elle se rencontre originellement chez Aristote, Platon, Sénèque et même dans la Bible338 avant d’être reprise, en leur temps, par Hugues de Fleury339, Hélinand de Froidmont340, Vincent de Beauvais341 ou encore Jean de Galles342... Si ces derniers auteurs médiévaux reprennent à l’identique l’image à succès proposée par Jean de Salisbury343, nos anonymes de l’Avis aus roys et du Liber de informatione principum offrent une autre version de la métaphore à leurs lecteurs. Les passages sont si semblables que le premier pourrait avoir pris modèle sur le second :

« […] dont le roy si est le chief, seneschaut, baillif et prevost et autre juge, ont l’office !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

337

Cf. infra, p. 298-299.

338

Renvoyons au passage biblique relatif à la statue de Nabuchodonosor (Dn, II, 31-45). Saint Paul imagine un corpus ecclesiae mysticum dans lequel les chrétiens sont les membres du corps et le Christ la tête (cf. A. DELAPORTE, L’idée d’égalité en France au XVIIIe siècle, Paris, 1987, p. 109-130).

339

Cf. HUGUES DE FLEURY, Tractatus de regia potestate et sacerdotali dignitate, E. SACKUR (éd.), MGH, Libelli de lite, 1892.

340

HELINANDUS, De bono regimine principis, XVIII (PL, 212, 740a) et Chronicon, XI, 38. Hélinand de Froidmont est né dans une famille noble vers 1160-1170. Il fit ses études à Beauvais et devint un trouvère apprécié avant de se retirer, à l’âge de vingt ans, à l’abbaye cistercienne de Froidmont située dans le Beauvaisis. Avec les Vers de la mort, écrit entre 1194 et 1197, il s’affirme comme l’un des plus grand poète du Moyen Âge. Auteur de nombreux sermons, Hélinand est l’auteur d’une Chronique à vocation universelle constituée à l’origine de 49 livres allant de la Création jusqu’en 1204. Les livres 19 à 44 ne nous sont pas parvenus. Il intègre à son livre XI le De bono regimine principis, opuscule composé à une date indéterminée.

341

VINCENT DE BEAUVAIS, Speculum doctrinale, VIII, 8.

342

JEAN DE GALLES, Communiloquium sive summa collationum, I, 2-10.

343

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des eyls et des oreilles, li sage et li conseiller on l’office dou cuer, li chevalier qui ont a deffendre le bien commun ont l’office des mains, li marchent qui courent par le monde ont l’office des gembes, li laboreur des terres ont l’office des piés quar ils sont tousjours a la terre et soustiennent le corps. Et ainsi li princes est le chief de tout le corps de la communité344. »

« Sciendum est autem quod cum Respublica sit quasi quoddam corpus compagniatum ex membris variis rex princeps in eo obtinet locum capitis ; senescalli propositi et judices officium aurium habent et occulorum ; sapientes et consiliarii officium cordis ; milites protegentes sunt ad modum manuum ; mercatores discurrentes per mundum ad modum tibiarum ; agricole et an pauperes solo inherentes ad modum pedum princeps igitur in corpore republice est sicut caput345 ».

Plus tard, Philippe de Mézières, dans son Songe du vieil pèlerin (1389)346, reprendra la métaphore en synthétisant les deux versions évoquées précédemment et en lui ajoutant une pléiade de détails :

« […] prenons l’omme pour le royaume de France ; duquel homme la teste si est le roy, le coul et la poictrine et les aisselles sont les royaulx princes et barons du royaume. Le ventre et les entrailles sont les tresoriers et receveurs ; les cuisses pevent estre prinses pour les groz bourgoiz et marchans, qui par leur marchandise soustiennent le royaume ; et les gembes pour les gens de mestier, et les piez pour le peuple labourant. Encores, les bras dessus vers les espaules pevent estre pris pour les grans officiers et chevetaines du royaume, mais les braz dessoubz avecques le poing proprement sont la chevalerie et vaillans chevaliers et escuiers, qui deffendent le corps du roy, c’est le royaume. Et pour conclusion de la figure, les doys de la main sont les varlez et serviteurs necessaires pour la personne du roy347. »

Si le Liber de informatione principum et l’Avis aus roys peuvent paraître si proches à première vue, que penser alors des autres passages communs aux deux miroirs qui affichent de sensibles dissemblances ? Ainsi, le chapitre consacré à l’office des chapelains dans le Liber (II, 9) apparaît bien moins développé que son équivalent !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

344

Avis aus roys, I, 1, 2, §17-25.

345

ANONYME, Liber de informatione principum, I, 1 (Paris, BNF, ms lat. 16622, fol. 2r°). Voir également la traduction de JEAN GOLEIN, Livre de l’information des princes, I, 1 (Paris, BnF, ms fr. 1950, fol. 4r) : « La royal magesté est en la chose publique aussi comme un corps composé de divers membres, ouquel le roy ou le prince tient le lieu du chief, et les senescaulz, les prevoz, les juges ont l’office des oreilles, des iex, et les sages conseilliers l’office du cuer, et les chevaliers deffendeurs le lieu des mains, et les marcheans courans par le monde sont a maniere de jambes, les laboureurs cultiveurs des champs et les autres popules povres sont adjoins a maniere des piez. Et ainsi il appiert que les princes sont ou corps de la chose publique comme le chief. »

346

PHILIPPE DE MEZIERES, Songe du Vieil Pelerin, 2 vol., G. W. Coopland (éd.), London, Cambridge University Press, 1969, p. 636 et 536.

347

Ibid., p. 572-573 (II, 129) : à l’image de nos deux auteurs anonymes, Philippe de Mézières prétend puiser son inspiration dans la Bible plutôt que chez Jean de Salisbury (Jeannine QUILLET, « Figures allégoriques du Songe du vieil pèlerin de Philippe de Maizières », dans L’Art des confins, mélanges

offerts à Maurice de Gandillac, Annie Cazenave, Jean-François Lyotard (éds.), Paris, Presses

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tiré de l’Avis aus roys (III, 19)348. La chose aurait pu passer inaperçue si les autres chapitres communs consacrés aux officiers de l’Hôtel n’étaient pas aussi comparables349. Pour finir, la présence dans l’Avis aus roys de chapitres dédiés aux charges du maître d’Hôtel (III, 22) et du maître des requêtes (III, 23) souligne plus cruellement leur absence dans le Liber. Deux hypothèses s’entrechoquent alors : l’auteur de l’Avis a-t-il jugé bon d’ajouter des chapitres originaux à son modèle du Liber