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Le présent travail aborde l'évolution des pratiques de régulation de trois systèmes socio-techniques sur la longue durée. Comme nous l'avons déjà indiqué, la place et le rôle de chaque système dans la construction de la thèse ont obéi à une logique de division du travail, logique basée sur l"'état de l'art" relatif à chaque système. Il est évident que la recherche des matériaux empiriques relatifs à chaque système est dépendante de cet "état de l'art". Ainsi, pour ce qui concerne l'industrie, le domaine de loin le plus étudié, nous nous sommes appuyés en grande partie sur une "matière première" déjà repérée par la littérature historiographique existante. Nos sources principales sont les textes des protagonistes du mouvement taylorien (1890-1930), ainsi qu'une série de manuels de gestion datant des époques différentes qui nous ont permis de restituer une généalogie d'un certain nombre d'outils de gestion dans le domaine de l'industrie. Pour ce qui concerne le métropolitain, nous nous sommes appuyés sur les fonds documentaires de la RATP située rue de Bercy. Outre une lecture systématique des ouvrages techniques écrits par les ingénieurs des compagnies exploitantes, nous avons consulté également les publications et les revues internes à la RATP (Bulletin de Documentation et d'Information (1945-) RATP.Etudes Projets (1983-)) ainsi qu'un certain nombre des revues qui ont fréquemment accueilli des articles consacrés au métropolitain (Génie Civil (1880-), Revue générale de l'Electricité (1917-), Revue générale de chemins de Fer (1924-)). Pour l'assainissement, domaine où la littérature existante est quasiment absente, nos sources principales étaient de trois natures. Pour la période qui s'étale jusqu'à 1930, outre une série de traités et manuels écrits par les ingénieurs de l'époque que nous avons consultés, nous nous sommes appuyés principalement sur le dépouillement systématique d'un certain nombre de revues : Annales des Ponts et chaussées (1831 -), Transactions of the American Society of

Civils Engineers (1867-), Proceedings of the Institution of Civil Engineers (1837-), Enginneering News (1890-). Pour la période actuelle, nous avons procédé également à une recherche de terrain (Documentation interne service de la Seine- Saint-Denis, entretiens avec des ingénieurs du service).

Pour ne pas surcharger la bibliographie à la fin de la thèse, nous avons choisi d' y faire figurer uniquement les références contenues dans le corps du texte. De même, le choix de ces références a obéi à une logique de sélection. Loin de chercher l'exhaustivité, nous avons essayé de produire un échantillon représentatif qui peut

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fonctionner comme une entrée dans l'étude de différents thèmes abordés dans le cadre de la thèse. Enfin, une remarque sur les notes. Pour éviter dans la mesure du possible d'interrompre la fluidité du texte principal, nous avons choisi de renvoyer dans les notes en bas de page un certain nombre de preuves, d'arguments, de précisions soutenant, clarifiant ou développant les affirmations avancées dans le texte principal, choix qui explique la longueur de certaines notes. Dans le même but, nous avons également essayé d'éviter de reprendre des choses dites ailleurs, en préférant renvoyer à la bibliographie spécialisée. Des digressions longues sur les travaux d'autres auteurs ont été écartées, surtout lorsque nous n'avons pas d'objections sérieuses à dresser à l'égard de leurs dits (nous sommes un peu plus longs dans le cas des différends). De ce que nous venons de dire, il est évident que l'influence que ces auteurs ont exercée sur notre travail est bien plus grande que ne le laisse supposer leur sous-représentation (quantitative) dans les notes.

Notons enfin que les traductions des citations tirées d'ouvrages ou d'articles étrangers ont été réalisées par l'auteur.

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INTRODUCTION

Cette partie est composée de deux chapitres, hétérogènes quant à leurs contenus mais complémentaires quant à leurs fonctions. Le premier, descriptif dans ses visées, est également formé de deux grandes sections : l'une consacrée au monde industriel, l'autre au métropolitain parisien. Nous suivons ici le cycle de vie d'un complexe de pratiques de régulation développées au sein de chaque système. Selon une périodisation qui coupe l'horizon temporel de l'analyse en trois phases, celle de la naissance-formation, celle du fonctionnement routinier, enfin celle de l'entrée en crise des pratiques, nous essayons d'articuler pratiques et acteurs, objets et organisations en une unité cohérente qui, sous la pression de tensions tant internes qu'externes, semble être entrée dans la figure de son achèvement. Comme notre historique concerne des durées longues (d'un siècle environ), nous avons dû nous résoudre à laisser dans l'ombre une foule de détails, en prenant garde toutefois de ne manquer aucune des articulations essentielles de cette unité en mouvement. Une fois les deux historiques achevés, un paragraphe récapitulatif accueille les conclusions d'ordre général que l'on peut tirer de nos deux lectures parallèles. Au- delà des spécificités qui marquent les deux systèmes, nous croyons entrevoir que les pratiques de régulation développées en leur sein sont liées par un réseau de ressemblances et d'identités fondamentales que nous essayons de mettre en scène.

Le passage du premier au second chapitre correspond à un changement de registre. Après nous être livrés à un travail de description, il est question d'offrir à la chair historique de notre récit, son squelette théorique. En nous appuyant sur les matériaux recueillis et exposés dans le premier chapitre, nous essayons de donner un fondement théorique à l'explication du mouvement — émergence, formation et transformation — des pratiques de régulation qui se développent au sein d'un système socio-technique. Pour ce faire, nous procéderons en deux temps. Dans un premier temps, en pratiquant le genre du commentaire, nous accompagnerons les analyses consacrées par Canguilhem à la notion de régulation. Ces analyses, classiques et exemplaires, seront interrogées sous l'angle de nos propres préoccupations liées à l'étude des systèmes socio-techniques ainsi qu'à la lumière des deux historiques présentés auparavant. La restitution du contexte dans lequel la notion de régulation est née et a commencé à servir, le décèlement des implications qui sont inscrites dans son emploi, devraient nous permettre d'opérer les

déplacements nécessaires pour l'adapter à notre propre objet d'analyse. Le concept de mode de régulation est l'issue de ces déplacements successifs. Le reste du chapitre est alors confronté à la tâche d'élaboration de ce concept. Pièce centrale de notre édifice théorique, le mode de régulation ouvre l'accès à un complexe de deux thèmes imbriqués.

— En premier lieu, la question de l'historicité des pratiques de régulation : leur genèse et leur transformation seront abordées à l'aide du concept de référentiel qui intègre des formes constituées de connaissance (outillage intellectuel tel que les statistiques, théories disponibles...) et des représentations relatives à la nature, à la connaissance..., moins systématiques que les formes constituées mais non moins prégnantes dans les pratiques de régulation ;

— Le deuxième thème est celui de la normalisation des pratiques, de leur insertion dans des morphologies organisationnelles et de leur traduction en rôles tenus par des acteurs spécifiés.

Nous l'avons compris, le mode de régulation désigne cette mise en réseau de notions opérationnelles, de pratiques, d'institutions et de rôles..., tous agencés en une unité structurale.

Où puisons-nous les éléments nécessaires à la constitution de notre arsenal conceptuel ? Force est de constater que nous n'avons pas ici affaire à un corpus déjà formé qui se serait développé de façon cumulative. Il n'en demeure pas moins que nombre de thèmes qui nous préoccupent ici sont abordés à l'intérieur de disciplines telles que l'historiographie, la sociologie des sciences (]) et les théories

des organisations, disciplines qui constituent les sources majeures de notre inspiration. Des pièces pour une tentative de synthèse sont là ; il n'en reste pas moins vrai que nous chercherons à éviter les pièges d'un syncrétisme purement rhétorique et inadapté à notre objet d'analyse. Bref, cette partie basée sur l'appropriation critique d'un héritage conceptuel provenant de plusieurs horizons, doit nous doter d'une série de catégories d'analyse, adéquates à la réalité des

Sur le dialogue de plus en plus intense entre l'historiographie et la sociologie des sciences, disciplines autrefois distinctes, voir l'article très bien documenté de Golinski J., "The Theory of Practice and the Practice of Theory : Sociological Approches in the History of Science", ISIS, vol. 81, n° 308, septembre 1990, pp. 492-505.

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systèmes socio-techniques et définissant les règles d'exploration de leur espace de régulation.

Ce chapitre théorique s'achève sur une discussion sur le statut du mode de régulation. S'agit-il d'un concept dont l'usage est purement méthodologique ? Constitue-t-il uniquement un cadre formel et un guide de lecture systématique susceptibles d'être appliqués à l'étude des pratiques de régulation développées au sein d'autres systèmes socio-techniques, sans autoriser aucune conclusion empirique, ni prédiction quant à leur trajectoire réelle ? Ou, au contraire, le mode de régulation est-il quelque chose de plus qu'un outil analytique, par sa capacité à renseigner sur les évolutions réelles des systèmes socio-techniques concrets ? Devant ces deux conceptions "puristes" du mode de régulation (conception "méthodologique" versus conception "réaliste"), nous épouserons une attitude intermédiaire qui nous permettra de discuter, ne serait-ce que rapidement, un certain nombre de questions concernant la généralisation en sciences sociales — i.e., la possibilité de généraliser des conclusions tirées d'un échantillon "fini" d'études de cas.

CHAPITRE I