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CHAPITRE I La régulation à travers deux exemples sur la longue durée : Taylorisme

CONCLUSION DU CHAPITRE

Partie de la thèse destinée à accueillir nos considérations théoriques, la partie I n'en comporte pas moins deux épisodes historiques qui, en leur qualité de figures illustratives, en préparent la lecture. Historiques qui, tout en s'écartant de notre objet principal d'investigation, le réseau d'assainissement (nous avons bifurqué vers l'industrie et le métropolitain), sont unis par un réseau de ressemblances qui révèle, au-delà des contenus propres à chaque système socio-technique, des identités fondamentales. Qu'on ne s'étonne pas. Que des identités circulent entre des pratiques déployées en des points formellement disjoints et dispersés reste compréhensible, si on se souvient que les deux systèmes socio-techniques sont habités par une figure commune, celle de l'Ingénieur. Source de pratiques de régulation dont nous avons dessiné les principaux traits, porteur de schémas perceptifs et d'outils spécifiques, l'ingénieur semble être guidé dans sa pratique par un projet de rationalisation général, qui pénètre ses multiples réalisations concrètes et assure par là des interconnexions entre différentes facettes de la réalité historique. En effet, nous croyons pouvoir discerner dans nos exemples des traits de répétition dont la constance est à ramener à l'expression de ce projet unique de rationalisation. Nous nous proposons de procéder dans ce paragraphe à l'explicitation de grands principes d'organisation de ces pratiques de régulation, qui ont fait jusqu'à présent l'objet de présentations parallèles.

Un système socio-technique se présente tout d'abord sous la forme d'une chaîne hétérogène, composée d'éléments humains et non humains. Chaîne en mouvement, irriguée des pratiques éclatées dans l'espace et le temps et dont l'agencement doit réaliser les objectifs du système. C'est sur la base des stratégies dominantes assurant cet agencement qu'on peut qualifier les pratiques de régulation dans leur ensemble. De quelles stratégies, donc, les pratiques observées au sein de nos deux systèmes nous offrent-elles la lecture ? Ce qui nous semble traverser les deux exemples, c'est la présence d'une volonté, à plusieurs reprises manifestée, de bâtir un système clos sur lui-même, système qui, une fois mis en branle, assure par son mouvement sa propre régulation, possédant en soi-même son centre régulateur. Pour que cette volonté s'accomplisse, une analyse tenue de chaque composante du système, et soutenue par un outillage intellectuel (statistiques, plans...), a dû être menée à fond. Une fois ce mouvement de décomposition achevé, un autre prend sa place, visant à reconstituer, grâce à un enchaînement judicieux d'objets et de

comportements prescrits, l'ordre pensé. Là où la technique peut remplacer l'homme, elle va le faire. Là où ce dernier s'avère encore indispensable, la technique souvent le contrôlera. Fondés sur un calcul préalable de régimes de réciprocité, qui seront ensuite imposés, entre le fonctionnement de la technique et l'action de l'homme, les modes de régulation en question sont marqués par une économie radicale de communications entre les membres du collectif du travail. Economie réalisée par la combinaison de deux voies majeures. La première mobilise la technique en inscrivant dans des dispositifs techniques des programmes de coordination ; il en résulte une organisation conditionnée de sous-ensembles fonctionnels dans la marche de l'ensemble. La deuxième est celle de la codification des informations échangées (fiches d'instruction, plans, indicateurs globaux...) ainsi que de la définition stricte des canaux empruntés. Voie qui s'est incarnée de manière spectaculaire dans les architectonies organisationnelles qui ont prévalu pour les deux systèmes socio-techniques tout au long de notre historique. Architectonies marquées par des découpages pris dans des rapports hiérarchiques privilégiant la tâche de conception aux dépens des tâches de réalisation, caractérisées par des cloisonnements forts à travers lesquels l'information a du mal à circuler.

Pratiques de régulation qui, austères en communications, partagent également un autre trait commun. Elles sont pensées et projetées sur un mode homéostatique. En effet, l'innovation étant exclusivement l'apanage de l'ingénieur-concepteur, le fonctionnement du système se résume au respect du programme préalable, et à la résorption des écarts constatés entre la réalité et la norme. Quelle que soit la forme précise qu'a emprunté chaque mode de régulation, elle se caractérise par le règne d'un processus fondé sur le principe de la répétition et de la soumission à un programme préétabli. Il faut ici ajouter que les deux grands traits structurels que nous venons d'évoquer — i.e., économie de communications, régulation homéostatique — qui marquent le dedans du système, se sont avérés être en concordance avec leur dehors. Ce dernier, pendant la période routinière du fonctionnement des pratiques de régulation, est caractérisé par une dynamique d'évolution en grande partie prévisible et anticipée. C'est cette stabilité (l) qui a

Stabilité imposée parfois par l'ingénieur lui-même : choix du programme d'exploitation basé sur la régularité des rames, protection du système contre les éléments "perturbateurs" (usagers) par le recours fréquent à la technique (portillons automatiques) dans le cas du métro ; stabilité construite par des

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rendu possible une planification des pratiques, invariables sur une durée significative.

Compte tenu de ces deux traits majeurs partagés par les deux systèmes, on comprend aisément pourquoi ces derniers partagent le même régime de crise. Régime traversé par la même tension entre une réalité de plus en plus imprévisible dans ses manifestations et son évolution d'une part, et un système de pratiques normalisées, bâties sur la base d'une représentation construite à l'aide d'un certain nombre d'informations codifiées et fixes d'autre part.

De la récapitulation des enseignements qu'on a pu tirer de nos deux historiques, nous passerons à la théorie. Conformément à ce que nous avons annoncé dans l'introduction de cette partie I de la thèse, le chapitre suivant sera consacré au concept central de notre travail, celui de mode de régulation. Nous procéderons, comme prévu, en deux temps. Dans un premier temps, à travers une discussion serrée des analyses classiques consacrées par Canguilhem à la notion de régulation, nous essayons d'opérer les déplacements nécessaires pour adapter cette dernière à notre propre objet d'analyse. Le concept de mode de régulation est l'issue de ces déplacements successifs. Le reste du chapitre est alors confronté à la tâche d'élaboration de ce concept.

représentations "adéquates" de la réalité" (recours à la moyenne, à des régimes normaux, par une pensée "toutes choses égales par ailleurs"), pour ce qui concerne l'industrie ; stabilité établie enfin par des forces qui transcendent le pouvoir de l'ingénieur : tout le contexte macro-économique quant au Taylorisme.

CHAPITRE II