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CHAPITRE I Vers une histoire des pratiques de conception

SECTION 1. L'HISTOIRE A TRAVERS LES CONCEPTS IMPLIQUES

1. Naissance des pratiques

Bien que la lutte de l'homme contre l'excès de l'eau du ciel se perde dans la nuit des temps, il faudra attendre le milieu du XIXème siècle pour que le problème de l'évacuation des eaux entre dans les préoccupations explicites des municipalités des grandes villes européennes (*). Ainsi, en 1841, un ingénieur anglais, Lindley, après un grand incendie qui a sévi dans la partie ancienne de la ville, fait de Hamburg "la première ville dans le monde pourvue d'un système d'assainissement complet selon les idées modernes"(2). En 1848, le parlement britannique dote

Londres d'un Metropolitan Commission of Sewers (3), tandis qu'à Paris, le

premier projet d'assainissement de la ville voit le jour en 1854 (4). Un an plus tard,

Brooklyn (5) devient la première municipalité aux Etats-Unis à être équipée d'un

système d'assainissement complet (eaux usées + eaux pluviales). Expliquer les voies de cette prise de conscience dont ont fait preuve les responsables de la gestion urbaine s'engageant dans une politique volontariste clairement affichée, nécessite des investigations historiographiques régionales (6) qui dépassent les possibilités de

1 Pour la période qui précède, voir Metcalf et Eddy, American Sewerage Practice,

Tome 1, Introduction, op. cit. ; Mille A., Assainissement des villes par l'eau,

les égouts, les irrigations, Paris, Dunod, 1886.

2 Metcalf et al., American Sewerage..., op.cit., p. 2.

3 Ibid., p. 4.

4 "Premier mémoire sur les Eaux de Paris, présenté par le Préfet de la Seine au conseil municipal du 4 août 1854", Paris, Imprimerie Administrative de Paul

Dupont, 1861.

* Tarr A.J., "Perspectives souterraines, les réseaux techniques urbains", Les

Annales de la Recherche Urbaine, juillet-décembre 1984, pp. 65-89.

6 Pour Paris, voir Ratcliffe, "Cities and environmental decline : élites and the sewerage problem in Paris form the mid-eighteenth to the mid-nineteenth century", Planning Perspectives, vol. 5, n° 2, mai 1990, pp. 189-222 ; Pour Bieleteld (Allemagne), voir Knaebel G., Bielefeld. Genèse d'un réseau d'égouts,

ce travail. Nous aimerions, ici, exposer brièvement quelques changements affectant le paysage urbain durant cette période, qui, en accentuant l'acuité du problème de l'évacuation des eaux pluviales, se sont trouvés à l'origine des politiques en matière d'assainissement (*).

En premier lieu, on peut évoquer le facteur démographique. L'augmentation de la population urbaine (2), sa concentration, se trouvent à l'origine d'une

intensification des flux des hommes et des marchandises irriguant l'espace urbain. La voirie, support de ces déplacements, occupe une place toujours davantage essentielle dans le fonctionnement de la ville. Son inondation fréquente, sa transformation en "marais" (3) devient de moins en moins tolerable d'un point de

vue fonctionnel. En même temps, la réduction des surfaces perméables, à la suite d'une urbanisation accrue et accompagnée des travaux de pavage (4) des rues,

renforce la fréquence et l'intensité des inondations. L'eau de surface ainsi que celle "recrachée" par les collecteurs existants mis sous pression, envahissent les caves, rongent les fondations, en mettant en péril habitants et biens de propriété. Outre ces mutations, dont les conséquences ont été immédiatement éprouvées et à maintes reprises évoquées, au tableau des évolutions relatives à l'assainissement qui ont marqué l'époque en question on pourrait ajouter deux autres traits : l'émergence d'un sens "du beau urbain" (5) et la prise de conscience de l'avantage compétitif

procuré par les travaux d'assainissement à la municipalité équipée dans sa guerre économique contre les autres municipalités (6).

Nous n'abordons pas ici le problème des eaux usées pour une raison simple. La question relative au traitement des excréments et aux problèmes hygiéniques qui y sont liées, d'une grande complexité, est traitée en profondeur par plusieurs auteurs. Nous préférons donc renvoyer à la bibliographie spécialisée. Voir la bibliographie donnée dans l'Introduction, note 1, page 6.

Pour la France, voir Roncayolo M., "Logiques urbaines", in Duby G. (sous la direction de), Histoire de la France urbaine. La ville de l'âge industriel, Tome 4, Paris, Seuil, 1983. Pour l'Angleterre, Edwards G., "The renewal of urban water and sewerage systems", Planning and Civil Engineer, London, Thomas Telford Ltd, 1982, pp. 39-45.

Hederstedt B., "An account of the Drainage of Paris", Proceedings of the

Institution of Civil Engineering, vol. XXIV, 1865, p. 262.

Tarr J.A., Perspectives souterraines..., op.cit.

Dupuy G., Knaebel G., Assainir la ville hier et aujourd'hui, Paris, Dunod, 1982. Tarr J.A., Perspectives souterraines..., op.cit. Cette remarque vaut surtout pour les Etats-Unis.

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Des réactions palliatives, telles que la "reconversion des surfaces concaves des rues en surfaces convexes"(l), dans le but d'éviter la concentration-stagnation des eaux

pluviales au milieu de la voirie ne se sont pas avérées capables d'infléchir l'évolution du phénomène. Une action systématique fut alors requise. C'est un acteur nouveau et un objet technique qui allaient se charger de répondre aux appels provenant du nouveau contexte : L'Ingénieur et l'égout gravitaire.

Dans le cas de l'assainissement, l'objet technique qui accueille les effets systématiques des ingénieurs était en quelque sorte déjà là, au moins quant au principe de son fonctionnement, l'action de la pesanteur. L'histoire ne part pas d'un point zéro. Le principe était présent, l'Ingénieur va lui conférer des matérialisations spécifiques : choix des matériaux de construction, formes des sections, agencement et orientation des collecteurs, autant d'opérations de concrétisation (2) d'un schéma

de fonctionnement abstrait qui demeure à travers les formes concrètes. Point de tangence de la nature et du monde humain, l'objet technique est revêtu d'une mission : satisfaire les besoins d'une organisation sociale en passant un certain nombre de "transactions" avec le monde inanimé. Transactions mettant en jeu plusieurs concepts dont le mouvement évolutif détermine le visage de l'objet technique et son mode de fonctionnement. De là, la nécessité de procéder à une généalogie de chacun d'entre eux. Mais nous voudrions au préalable aller vers "l'extérieur" du réseau d'égouts pour s'attarder, même peu de temps, sur le choix de l'objet lui-même. Pourquoi le réseau d'égouts a-t-il été adopté comme solution technique ?

A cette interrogation, nous pourrons avancer les éléments de réponse suivants. L'objet "réseau d'égout", souterrain et invisible, auto-suffisant dans son fonctionnement automatique, s'insère dans l'espace social de manière discrète. Posé sous et au long des voies, le réseau d'égout offre une solution qui ne met pas en cause le principe de propriété, alors dominant. En effet, étant donné que la voie

Hederstedt B., "An account of the Drainage...", op.cit., p. 262. C'est Emery qui a proposé cette solution pour améliorer la circulation à Paris, dans son article "Egouts et bornes-fontaines", Annales des Ponts et Chaussées (désormais APC), 1er semestre 1834. La question fait l'objet du paragraphe intitulé : "Substituer des chaussées bombées aux chaussées fendues", p. 245.

Sur cette catégorie, voir Simondon G., Du mode d'existence des objets

appartient au domaine public, l'intervention de l'Etat (pose et entretien de collecteurs) n'exige pas un déplacement des frontières entre ce qui relève de son initiative et ce qui appartient à la sphère de l'initiative privée. Tel ne serait pas le cas, par exemple, d'une politique active de la part des instances administratives en matière d'urbanisation destinée à contrôler et à atténuer le phénomène d'imperméabilisation du sol, tentative qui serait ressentie comme une intrusion de l'Etat dans une sphère régulée par le médium du marché (*). En effet, les principes de fonctionnement de la société de l'époque sont considérés le plus souvent comme des données pour les centres régulateurs (ici, la communauté des ingénieurs) : l'adoption de l'objet technique se réalise dans un espace de contraintes sociales dont l'élasticité est bien limitée. Le réseau d'égouts constitue une solution qui cadre parfaitement avec le système de principes sur lequel repose le fonctionnement de la société historique. Qui plus est, le principe gravitaire est une chance à saisir, l'idéal de l'automaticité étant un thème récurrent de l'imaginaire technicien. "(...) l'Ingénieur devrait devenir le serviteur de la Nature, et après avoir étudié les caractéristiques physiques de la localité et les avoir exploité autant que possible, réaliser ainsi ses fins beaucoup plus facilement qu'en forçant le cours naturel des choses" (2).

A propos des contraintes structurelles qui pèsent sur les politiques menées par l'Etat capitaliste, dans une perspective non fonctionnaliste on peut consulter l'article classique de Offe C. et Rouge V., "Theses on the theory of the state", New German Critique, vol. 6, 1975. La prégnance du principe de propriété privée transparaît plus que clairement dans les débats engagés par les ingénieurs de l'époque. Même la nécessité de réaliser des travaux de raccordement est considérée comme susceptible de porter atteinte à ce principe. Par exemple, la proposition de doubler les canalisations à Londres, jugées insuffisantes, "implique le re-drainage de chaque maison (...) alors que

l'interférence avec la propriété privée suffit à elle seule à rendre la mesure intolérable", Bazalgette J.W., "On the Main Drainage of London and the

Interception of the Sewage from the River Thames", Proceedings of the

Institution of Civil Engineers vol. XXIV, 1865, p. 291.

Rawlinson R., "On the drainage of Towns", Proceedings of the Institution..., op.cit., vol. XII, 1852, pp. 32-33. La position selon laquelle l'ingénieur doit se servir des forces naturelles n'est spécifique ni au contexte anglais ni à l'assainissement. Ainsi on lit dans 1' Histoire de l'Ecole Polytechnique, écrit en 1828 (réédition chez Belin : 1987) par l'ingénieur militaire Fourcy A: "ils

[les ingénieurs] sont ainsi destinés (...) à modifier et tourner au profit de la société les mouvements de tous les genres que la nature produit sans cesse". On

trouve également la même position "théorisée" sous la plume de A. Comte dans son Cours de philosophie positive (1830) op. cit., 2ème leçon, paragraphe 9.

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Notons enfin que l'option pour l'objet technique en tant que réponse à un besoin exprimé participe efficacement à un mouvement de technicisation des problèmes sociaux, mouvement qui donne une impulsion d'autonomisation au centre régulateur chargé de résoudre ces problèmes. Une fois ce processus accompli, le problème social devient un problème technique. Ce repli dans une sphère-prétexte de contraintes objectives, avec la traduction (l) des questions sociales en questions

techniques, immunise les ingénieurs contre l'intervention d'autres acteurs (la classe politique par exemple) et rend par là même possible, le déploiement systématique de leur rationalité spécifique.

Mais regagnons notre objet technique. La pluie tombe. La terre l'avale avec d'autant plus d'avidité qu'elle est sèche. De proche en proche, la saturation advient. Des ruisseaux se forment, se croisent, se renforcent, pénètrent dans les égouts par l'intermédiaire des avaloirs et des bouches. Les eaux de pluie ainsi recueillies seront transportées par la force de la pesanteur vers le milieu naturel. Etant donné que le réseau fonctionne de manière automatique (écoulement gravitaire), la seule chose qui incombe à l'Ingénieur est le dimensionnement de l'égout : quelle taille ? Tâche dont la simplicité de la formulation contraste avec les difficultés redoutables de sa réalisation. D'abord c'est la pluie, réalité protéiforme, marquée par des traits forts d'individualité, imprévisible dans son évolution. Avant de choisir un niveau de protection, et par conséquent la pluie qui va servir de base de calcul pour le dimensionnement du réseau, il faut au préalable la quantifier. De là une longue histoire de modélisation. De la pluie appréhendée en termes de quantité (telle quantité pendant telle durée) à la pluie envisagée en termes de vitesse (concept d'intensité), de la pluie isolée à celle qui prend place à une population statistique, autant de tentatives de "mise en équation", le chemin est long et sinueux. Ensuite, c'est la ville qui fonctionne comme opérateur de transformation de la pluie en débit d'évacuation. Comment modéliser toutes ces transformations, suivre leurs déploiements spatial et temporel ? Mesures directes qui essaient de lier pluie et débit observés, démarches plus analytiques qui préfèrent déduire de la cause initiale, la pluie, le débit de dimensionnement en se passant de mesures, vont se développer,

Sur la notion de traduction, voir Callon M., "Eléments pour une sociologie de la traduction : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins- pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc", L'année Sociologique, n° 36, pp. 169- 2 0 8 .

s'affronter pendant soixante-dix ans environ, avant qu'une doctrine codifiée voit le jour vers 1920. A cette complexité s'en ajoute enfin une autre, celle de l'objet lui- même. Etendu sur l'espace, composé par une série de collecteurs qui communiquent entre eux, le réseau d'égouts forme un système rigide qui contraste avec la plasticité de la pluie. Il en résulte des tensions qui s'installent à l'intérieur du système et qui vont accompagner les pratiques de régulation tout au long de la ligne diachronique de leur histoire, avant de trouver une amorce d'apaisement dans les technologies toutes récentes de l'information. Suivons, donc, de près, cette histoire des pratiques de régulation qui prend la forme d'une aventure conceptuelle.

2. La pluie

2.1. L'évolution du concept (1780-1920)

Un concept est plus qu'un mot ; un concept a une histoire donc une date de naissance. A un moment, on dit qu'il est formé : quand il permet d'instituer un protocole d'observation et quand il entre dans le champ visible d'un "regard déjà codé" (!)• La pluie, mot depuis toujours, a attendu la météorologie pour devenir concept. Un instrument presque futile baptisé udomètre (2) (figures 11 et 12), une

pensée statistique à ses balbutiements, quelques canons simples à l'usage du savant, escortent la pluie dans son entrée au royaume de la raison. De cette raison "logico-identitaire" (3) des sciences modernes de la nature, fondatrice d'unité,

objectivante, systématique et disciplinante.

Foucault M., Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 12.

Des mots grecs udor (= eau) et metro (= mesurer). Udomètre fut la première appellation du pluviomètre. Pour une histoire de l'instrument, on peut consulter les anciens livre de Cotte, Traité de Météorologie, Paris, Imprimerie Royale, 1774 ; Mémoires sur la météorologie, pour servir de suite au Traité de

météorologie de 1774, Paris, Imprimerie royale, 1788 et celui de Metcalf et al., American Sewerage..., op.cit., Tome I, chapitre VI.

Horkheimer M., Adorno W.T., Dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974 (édition originale 1947).

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Quand a-t-on commencé à mesurer la pluie ? On le faisait déjà durant le XVIIème siècle C1)- Ainsi, on apprend qu'en 1689, 18 pouces, 11 lignes et 1/2, sont tombés

à Paris, tandis que sur une période de cinquante-quatre ans, juillet est le mois le plus pluvieux avec une quantité moyenne de 0 pouces, 21 lignes et 3/4. Pendant soixante-six ans d'observation (1689 jusqu'à 1754), 1.114 pouces d'eau sont tombés à Paris, ce qui donne une moyenne de 16 pouces, 10 lignes et 1/3, pour "l'année commune". Ce dernier chiffre constitue d'ailleurs la "vraie moyenne", somme de toutes les valeurs observées divisé par le nombre des observations, tandis que la "moyenne arithmétique" (la somme des valeurs extrêmes divisée par deux), "méthode bien moins sûre", s'élève à 16 pouces, 5 lignes. Le traitement des données enregistrées prend fin avec la mise en regard des quantités moyennes de pluie tombées dans plusieurs villes Européennes (2).

Si nous nous attardons sur ces quelques chiffres (qu'on pourrait facilement multiplier), c'est parce qu'on assiste à l'acte de naissance d'un concept, à ce moment décisif où la pluie devient l'objet d'investigation d'une pensée systématique. On ne doit pas se méprendre sur la petitesse de l'analyse et la simplicité du commentaire qui accompagnent ce moment. Pour la première fois, la pluie, réalité protéiforme par excellence et avec des traits forts d'individualité devient un objet fixé, susceptible d'être représenté par un chiffre. Une réalité mouvante est projetée sur un axe étalonné. Il s'agit bien d'une opération d'objectivation et de "mise en forme" (3) dont l'aboutissement consiste en la

création d'objets standardisés, prêts à des traitements systématiques et codés.

On trouve en effet dans le cas de la pluie les deux exigences (moments fondateurs) relatives à la naissance d'un concept physique. Exigence technique d'abord : un

Cotte, Traité de Météorologie, op.cit. Notons enfin qu'au X V I I Ie m e siècle, la

météorologie n'est pas considérée comme une "science de la nature", mais comme une "science sociale", puisque les conditions physiques ont été considérées comme forces agissant sur l'état de la société (maladies, naissances, formes politiques...). Ainsi, Montesquieu essaie de montrer les liens qui unissent la forme politique et les lois d'un pays à son climat et à la nature du sol. Voir Cassirer E., La philosophie des Lumières, op. cit., p. 221 (édition originale 1932).

Cotte, Traité de Météorologie, op.cit., pp. 312-317.

Pour reprendre la belle formule de Thevenot L., "Les investissements de forme", Conventions économiques, CEE, Paris, PUF, 1985, pp. 21-71.

appareil de mesure, le précurseur du pluviomètre moderne 0 qui sert de support matériel pour l'opération de quantification de la pluie. Il est évident que la multiplicité des formes est agitation pour une pensée systématique et que l'instabilité des choses a comme corollaire l'absence de traitements standardisés. Grâce à l'udomètre, la météorologie construit un objet standard à partir d'une matière première qui ne l'était pas. Bien sûr, cette opération de "mise en forme" a ses "coûts" liés au rejet de l'individualité et de la singularité des pluies concrètes. Coûts d'autant plus élevés que le caractère extrêmement simple de l'appareil enregistreur employé rendait nécessaire pour chaque enregistrement de mesure la présence physique de l'observateur. Dans un premier temps, les mesures concernaient principalement des quantités accumulées pendant plusieurs pluies, tandis que l'horizon temporel le plus petit de la mesure était la journée (les relevés portaient alors uniquement sur la quantité journalière d'eau recueillie).

Mais l'exigence technique ne suffit pas en elle-même. Les observations amassées resteraient silencieuses sans l'aide d'un regard analytique qui les embrasse. La deuxième exigence — exigence théorique — concerne le traitement des observations acquises (en réalité produites). Le mouvement de standardisation de l'objet "pluie" se doubla d'un autre, portant cette fois-ci sur le mode de traitement de ces objets normalisés. C'est la statistique de l'époque qui répondit à cette exigence. Ainsi, les pluies, réduites à la quantité d'eau tombée durant une période donnée et régulière, furent confinées dans des traitements de routine, tels que la recherche des valeurs extrêmes et, opération plus délicate, le calcul de la moyenne

(2) .

Techniques d'observation et protocoles de traitement étaient là. Il manquait le sujet de ces opérations. Sujet bien discret, puisqu'il semble s'identifier au domaine de l'observation désintéressée, de cet enregistrement passif qui se contente de sa fidélité et de son innocence. Sujet également réservé dans ses jugements, dans la mesure où il attend d'embrasser la totalité avant de se prononcer.

L'appellation "udomètre" sera remplacée par celle de pluviomètre vers 1840. Sur la théorie statistique et celle de probabilités de l'époque, voir le classique Todhunter I., A History of the Mathematical Theory of Probability from the

Time of Pascal to that of Laplace, New York, 1949 (1ère édition 1865) ; Revue de

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"Or la première qualité (...), c'est la sincérité, on ne peut exiger de lui que les faits ; s'il propose ses réflexions, ce doit être toujours avec une réserve extrême, (...) qu'après s'en être assuré par des Observations faites dans toutes les parties du monde.

(...) A cet esprit de discrétion et de réserve, joignez une grande exactitude, et vous aurez l'idée d'un parfait Observateur" (}).

La seconde étape dans le processus de saisie quantitative de la pluie consiste dans un déplacement de l'attention de l'observateur vers chaque pluie prise individuellement. Outre la quantité d'eau tombée, l'observateur note les heures du début et de la fin de l'averse. Chaque pluie est donc représentée par sa durée globale et par la quantité totale d'eau recueillie au cours de cette durée. Les deux conditions préalables pour la formation du concept d'intensité sont réunies. En divisant la quantité d'eau par la durée de la pluie, on obtient l'intensité moyenne de