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Une grande variabilité de données existe dans le domaine des transports et de la mobilité. Nous souhaitons présenter ici cette diversité pour être en mesure de justifier notre choix des enquêtes-ménages transport. Il est possible de retracer une évolution dans les préoccupations des spécialistes urbains et les données associées, d’une approche d’ordre technique en termes de véhicules (puis de voyageurs), à une réflexion d’ordre sociale, consacrant alors le citadin comme objet de recherche. Les techniques de recueil de données diffèrent alors assez nettement.

1. La mobilité perçue comme demande de transport

La mobilité a longtemps été réduite à une acception relative aux flux de transport. Cette considération techniciste faisait alors de cette discipline une science de l’ingénieur. Fondée sur l’approche économique des néoclassiques, le transport est considéré comme un marché (et l’individu un consommateur), confrontant une offre et une demande dont la connaissance est nécessaire. La mobilité correspond dans ce cadre à la demande de transport, et son étude renvoie à des besoins de planification. Sa prise en compte est alors centrée sur les déplacements (caractérisés par leur inscription spatiale et temporelle, leur motif et le mode de transport utilisé) et la mobilité quotidienne renvoie à leur succession au cours de la journée. Du point de vue économique, la mobilité sous-entend donc une prise en compte des déplacements principalement de par leur durée et leur coût. La valeur que chacun accorde au temps évolue en fait selon les contextes et les individus considérés. Cette notion rejoint celle du coût, dans la mesure où, moins l’individu est prêt à passer de temps dans les transports, plus important sera le coût qu’il acceptera d’y consacrer (le temps peut prendre alors une valeur chiffrable). La notion de coût généralisé permet d’intégrer des coûts directement engagés par les usagers et des paramètres plus difficilement quantifiables (confort, attente, sécurité, etc.). Cette approche théorique de la mobilité est généralement associée à des études quantitatives. Les véhicules ou les voyageurs sont les unités qui constituent les flux mesurés. Il existe dans cette perspective différentes sources de données renvoyant aux déplacements urbains dans leur ensemble ou dans certaines de leurs composantes. En voici une liste non exhaustive mais suffisamment large pour cerner l’éventail des techniques de recueil de données [SITRASS, 2001]30, [Bussière et alii, 1995]:

Les enquêtes Origine-Destination auprès des voyageurs en transports collectifs :

enquêtes au cours desquelles des passagers sont questionnés sur le déplacement qu’ils sont en train d’effectuer (information complétée par des données personnelles).

Les enquêtes de mobilité de personnes dans l’espace de voirie : même type d’enquêtes

que les précédentes mais considérant l’ensemble des personnes mobiles, quel que soit leur mode de déplacement.

Les enquêtes de personnes aux générateurs : même type d’enquête que les

précédentes, mais concentrée en un point précis, considéré comme un générateur de déplacements (hôpital, lycée, grande surface, zone administrative, etc.)

Les comptages de trafic : technique consistant à compter les véhicules passant par

unité de temps soit de manière automatique (détecteurs à tube caoutchouc par exemple), soit manuellement, ce qui permet alors de distinguer différents facteurs : type de véhicules, taux d’occupation, direction prise au carrefour, etc.

Les comptages vidéo : technique d’enregistrement vidéo permettant d’évaluer les flux

réels en des lieux précis. Elle offre alors la possibilité de distinguer les modes mobilisés, les flux de marchandises, ou encore les situations de conflits entre utilisateurs de la voirie.

Les comptages de voyageurs en transport collectif : comptages consistant à évaluer le

nombre de passagers par unité de temps en un point particulier du réseau de transport collectif, permettant alors d’évaluer les flux.

Il est possible dans un premier temps de distinguer parmi ces sources de données les enquêtes à proprement parler et les comptages. Les objectifs de ces derniers sont plus directement des objectifs d’ordre technique de quantification et sont généralement associés à un aménagement particulier (qui peut être imaginé, projeté, en phase de réalisation ou récemment construit). Les enquêtes (qui correspondent aux trois premiers exemples proposés) portent sur des composantes précises des systèmes de transport urbain. Ce peut être un mode de transport particulier (les enquêtes dans les transports collectifs en sont de bons exemples) ou encore des zones géographiques ciblées (les générateurs de déplacements ou encore certaines sections des réseaux viaires ou de transports en communs). Ce sont des enquêtes de clientèle dans la mesure où ne sont questionnées que les personnes mobiles et/ou clientes, c’est-à-dire les voyageurs. Leur caractère ciblé est une qualité dans la mesure où chacune peut être mobilisée selon les objectifs de l’étude lancée, et répond a priori directement aux questions posées. Si ces techniques sont principalement associées à des objectifs d’aménagement, l’approche de la

mobilité peut être foncièrement différente. « Les préoccupations des auteurs ne concernent

que marginalement la structure sociale, dont l’étude pourrait cependant enrichir la compréhension des processus d’une façon décisive » (Kaufmann, 1999:12). Depuis plusieurs

années cependant, la dimension socio-économique des transports s’est développée et une attention plus grande est accordée à la dimension sociale, ce qui a porté à renouveler les approches du terrain.

2. La mobilité comme un fait social

Dans la lignée des travaux de T. Hägerstrand [1975] et A. Giddens [1987], plusieurs auteurs ont souhaité renouveler l’approche techniciste de la mobilité en développant le champ de la sociologie des transports ([Juan, 1997], [Kaufmann, 1999], [Petit, 2002], [Le Breton, 2002], etc.). J. Petit [2002] souligne l’intérêt d’une appréhension du citadin en termes non pas d’homo œconomicus mais d’homo sociologicus, acteur social doué d’une capacité de juger, de ressentir, et de justifier ses comportements par des choix qui ne sont pas nécessairement d’ordre économique. En ouvrant, par ces termes, une place plus large à la subjectivité de l’individu, on cherche donc à comprendre la mobilité comme un « phénomène social

relevable d’une analyse en termes de sens » (Petit, 2002:110). Bien que les enquêtes-ménages

puissent être considérées comme une exception à ce niveau, les données associées à ce type d’approches de la mobilité sont plus souvent d’ordre qualitatif. Celles-ci ont pour objectif de comprendre les comportements et les attitudes qui structurent les habitudes de mobilité et les usages [SITRASS, 2001]. Une fois de plus, le panorama de ces techniques de recueil de données pourrait être long, en voici un aperçu [Poupart et alii, 1997]:

Les monographies : elles relèvent d’une observation et d’une description précise d’une

famille, d’un village ou encore d’une communauté. Il s’agit alors d’une enquête de terrain qui peut être longue et qui nécessite de la part du chercheur d’observer et d’interroger.

Les entretiens31 : ce sont des enquêtes compréhensives réalisées en face-à-face entre l’enquêté et l’enquêteur. Une grille d’entretien pré-établie sert de base et de guide pour les questions. Peuvent être abordés les ressentis, les représentations, les stratégies, etc.

Les histoires de vie, ou biographies : il s’agit d’observer un individu ou un groupe

avec une démarche généralement clinique32. L’histoire de vie ne renvoie pas qu’au

31 Cette technique de recueil de données a été utilisée entre autres par A. Begag [1984], S. Juan [1997] ou encore L. Rougé [2005].

vécu d’un sujet mais en partie aussi à sa vie en société. Elle s’inscrit sur une longue période temporelle.

Si les approches quantitatives permettent de souligner des propensions, des grandes tendances, les méthodes qualitatives ont plus vocation à expliquer [Juan, 1997]. En ce sens, les méthodes quantitatives et qualitatives sont complémentaires. Ce recensement des différents types de données disponibles dans le domaine des transports permet de mettre en relation les objectifs visés par les études et les données mobilisées. Comment positionner alors les enquêtes-ménages transport, qui peuvent être utilisées à la fois dans des études à visée plutôt technique, à des fins de modélisation et d’aménagement à destination des

voyageurs, et dans des réflexions socio-économiques portant sur des citadins ? Quelles sont

leurs spécificités et en quoi constituent-elles une source de données privilégiée au regard de notre question de recherche ?

3. Approche de la mobilité urbaine par les

enquêtes-ménages transport

Les enquêtes-ménages transport sont des enquêtes dont l’unité statistique de base est le ménage. L’information recueillie concerne donc tous les membres de plus d’un certain âge (4 ans souvent), regroupés dans la même unité d’habitation. Ces enquêtes recensent les déplacements réalisés la veille et une description précise des enquêtés et du ménage auquel ils appartiennent est également proposée.

La spécificité des enquêtes-ménages transport au sein des techniques de recueil de données repose sur plusieurs aspects. Le premier est qu’elles donnent accès à une connaissance fine des comportements de déplacements des personnes dans leur ensemble (sont visés tous les modes de déplacements, une diversité et une représentativité maximale de la population, un ensemble varié de motifs, et ce dans l’ensemble de l’aire urbaine considérée). Cette méthode de recueil de données vise l’exhaustivité [C.E.R.T.U., 1998]33. Tels que décrits dans le guide méthodologique du SITRASS [2001], les thèmes classiques recensés dans une enquête-ménages transport sont les suivants :

• La composition du ménage

32 Dans l’approche clinique, le sujet est appréhendé « à travers un système de relations, constitué en dispositif, c’est-à-dire au sein duquel le praticien, ou le chercheur (…) se reconnaissent effectivement impliqués (…) » (Ardoino cité dans Poupart et alii, 1997:278).

33 Le C.E.R.T.U. est le centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques. Cette structure fournit une méthodologie stricte des enquêtes-ménages déplacements, à respecter pour obtenir une subvention de l’Etat. Cela permet de garantir la comparabilité des résultats obtenus pour toutes les villes françaises. La dernière version actualisée de ce guide est parue en 2008 [C.E.R.T.U., 2008].

• Les caractéristiques socio-économiques du ménage et de ses membres

• Les revenus du ménage (et de ses membres)

• L’équipement en moyens de transport

• Les déplacements effectués la veille du jour d’enquête, les jours de semaine.

Ces thèmes peuvent être associés à d’autres, moins répandus comme les parcours migratoires, recensés dans l’enquête-ménage réalisée en 1996 à Niamey [Diaz Olvera & alii, 1999] et abordés dans l’enquête poblanaise réalisée en 1993-1994.

Lorsque le budget des études le permet, elles peuvent être combinées avec les techniques de recueil de données évoquées précédemment pour enrichir l’information et les approches. Citons à ce propos une étude réalisée en 1992-1993 à Marrakech [Bussière et alii, 1995], visant à analyser la mobilité urbaine dans cette ville. Une enquête-ménages transport a été combinée avec des enquêtes cordons34 et des comptages vidéo (pour compléter l’information en périphérie et évaluer les flux entrants et sortants de la zone d’étude). Il est plus fréquent encore de voir associé à une enquête-ménages un certain nombre d’enquêtes qualitatives, qui permettent soit de préparer la réalisation des questionnaires, soit de compléter l’analyse ([SITRASS, 2004a], [SITRASS, 2004b]).

Ces enquêtes sont fondamentales pour la modélisation. En France, celle-ci passe en général par les modèles à quatre étapes35 et les données de ces enquêtes interviennent dans plusieurs de ces étapes. En ce sens, les enquêtes-ménages auraient pu être considérées parmi les sources de données quantitatives, associant la mobilité à une demande de transport, et réalisées à de fins de planification. Mais leur spécificité est qu’elles peuvent être mobilisées dans une autre perspective : cette information « permet de bien mesurer les comportements de déplacements

sous diverses facettes, et éventuellement de comprendre les mécanismes collectifs déterminant les comportements individuels de déplacements » [SITRASS, 2001]. L’interprétation peut

donc rester tout à fait ouverte aux phénomènes sociaux et dépasser les perspectives techniques. « Les enquêtes-ménages déplacements36 sont, pour les organismes centraux et pour les instituts de recherche, une base unique pour alimenter de nombreuses études et réflexions dans le domaine de la sociologie des transports, des déplacements, des activités et, en un mot, du fonctionnement de la ville » [C.E.R.T.U., 2008].

34 Les enquêtes cordons font partie des enquêtes de mobilité de personnes dans l’espace de voirie, avec la particularité d’être une opération de grande envergure au cours de laquelle sont placés des postes d’enquêtes à l’ensemble des points d’entrée et de sortie d’un espace, formant ainsi un cordon.

35 Les quatre étapes sont la génération, la distribution, le choix modal et l’affectation. 36 Les enquêtes-ménages déplacements correspondent aux enquêtes-ménages transport.

Cette démarche quantitative est fréquente dans le monde de la recherche urbaine mais n’est pas sans faille. Elle se base en effet sur des présupposés parfois délicats tels que l’existence d’une structure urbaine définie et d’un système de valeurs commun motivant les déplacements [Rosales Montano, 1990]. La diversité des enquêtes-ménages transport n’a pas été appréhendée jusqu’ici. Dans la mesure où notre recherche est basée sur les données de quatre enquêtes-ménages différentes, ce travail préalable est nécessaire.

B. Diversité des méthodes de recueil de données au travers des

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