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Quatre contextes urbains très variés sont au cœur de ce travail de recherche : Niamey au Niger, Puebla au Mexique, Lyon en France et Montréal au Canada. Avant de présenter ces villes et leur contexte, l’objet de cette partie est de décrire les raisons qui ont présidé au choix de notre corpus (nombre de cas et nature des sites). Pour ce faire, nous aborderons la comparaison internationale, son intérêt, les dangers qui y sont associés, et ce qui fait d’elle une posture épistémologique riche. Nous insisterons ensuite sur les raisons qui justifient son utilisation pour éclairer au mieux la problématique présentée précédemment, en précisant le type de comparaison choisi.

1. La comparaison internationale, une stratégie de

recherche

Plus qu’un choix méthodologique, la comparaison internationale revêt plutôt le caractère d’une posture de recherche, d’une démarche scientifique, ou pour reprendre les termes de M. Lallement et J. Spurk [2003], d’une stratégie de recherche. Si les études monographiques abondent, les comparaisons internationales sont beaucoup plus rares. Cette situation n’est pas liée à une éventuelle pauvreté des thèmes et des problématiques, mais à une grande difficulté, principalement méthodologique [Lallement & Spurk, 2003]. En ce sens, un éclairage épistémologique sur la comparaison internationale est nécessaire. Il s’articule autour de deux questions : Pourquoi comparer ? et comment comparer ?

D’un point de vue épistémologique tout d’abord, la comparaison suppose de la part de celui ou celle qui la pratique une posture intellectuelle spécifique, qui consiste à « faire de l’altérité

un opérateur de connaissance et consacrer le détour comme mode privilégié d’investigation »

(Dupré et alii, 2003:9). Si comparer deux objets suppose évidemment de faire l’effort de connaître chacun d’eux [Barbier, 1990], c’est ensuite au travers d’une dialectique qu’il est possible de mieux les comprendre, et éventuellement de tracer les contours d’une réflexion théorique qui les dépasse. « La spécificité de l’ici et du maintenant s’éclaire par la

comparaison à un passé ou à un ailleurs » (Rémy, 2000:346). Dans toutes les disciplines,

l’effort comparatiste a ses adeptes depuis plusieurs décennies. Un regain d’intérêt se manifeste cependant ces dernières années, en particulier pour la comparaison internationale. «

Il est [aujourd’hui] une raison qui pousse à la redécouverte de la stratégie des comparaisons internationales : la mondialisation » (Lallement et Spurk, 2003:8). Le contexte contemporain

mondialisé permet aux dynamiques urbaines de se lier et à la « pensée de la ville » d’être partagée et diffusée au-delà de la diversité des formes métropolitaines [Dureau et alii, 2000]. Si les moyens techniques facilitent aujourd’hui les rencontres, les partenariats et la communication, offrant de multiples possibilités aux chercheurs visant un travail comparatif, les objectifs justifiant cette démarche se doivent d’être clairement pointés.

Sans qu’un choix en particulier soit nécessaire de notre part, deux types d’objectifs peuvent être associés aux comparaisons : distinguer des différences ou éclairer des ressemblances. Dans ce dernier cas, l’énonciation de points communs entre contextes urbains très contrastés peut permettre de mettre au jour des tendances fortes et structurantes à une échelle large. Ce fut le cas par exemple pour les travaux de Y Zahavi et A. Talvitie [1980], qui donnèrent naissance à la conjecture dite de Zahavi. A l’inverse, la mise en valeur de différences entre les termes de la comparaison peut permettre de spécifier des caractéristiques propres à chacun d’eux. Ces deux types de résultats possibles à l’issue d’une comparaison doivent être

considérés comme envisageables et complémentaires, qui plus est lorsqu’il s’agit d’une recherche exploratoire. « The comparative method aims at the analysis of the genus and

differentia specifica of a social system : that is, similarities and differences. A model is searched for that may explain why and how there are similarities and differences between spatial entities by a number of independent factors » (Lane, 1990:196).

La recherche comparative est indiscutablement féconde du point de vue scientifique, et selon P. Hassenteufel [2005], la question n’est plus tant « faut-il comparer ? » ou « peut-on

comparer ? » que « comment comparer ? ». Cette dernière interrogation est effectivement

centrale dans la démarche du comparatiste, mais il est nécessaire à nos yeux pour y répondre de réfléchir au préalable à la notion de comparabilité. La variabilité des contextes culturels est souvent présentée comme un frein à la comparaison internationale. En nous référant à la bibliographie sur le sujet, trois types d’approches, culturalistes, fonctionnalistes et sociétales, semblent émerger [Lallement et Spurk, 2003]. Les premières mettent l’accent sur la cohésion culturelle des contextes considérés, leur acception principale tient de l’extrême difficulté de la comparaison tant les spécificités propres à chaque pays sont fortes. L’approche fonctionnaliste, antinomique de la précédente, repose sur une continuité supposée des phénomènes par delà les frontières, sous-entendant une comparabilité évidente entre les pays. L’approche sociétale tient enfin de la considération d’une cohérence nationale elle-même participant à l’élaboration d’un archétype supranational. La mondialisation ouvre la voie d’une approche globale des pays à laquelle nous adhérons, ce qui nous éloigne de l’approche culturaliste. Il n’en reste pas moins qu’à la lumière des monographies concernant la mobilité en milieu urbain, la composante culturelle ne peut être ignorée dans l’analyse des modes de vie urbains. L’approche sociétale permet finalement de construire des « cohérences sociétales », spécifiques d’un contexte spatial et temporel donné, mais pouvant être comparées avec une visée universelle [Barbier, 2002].

G. Sartori (1994:22) souligne « qu’on remarque souvent que les pommes et les poires sont incomparables ; mais le contre-argument inévitable est : comment peut-on le savoir avant de les avoir comparées ? ». En d’autres termes, la comparabilité doit être abordée relativement à certains des critères ou caractéristiques des objets étudiés. Si une table et une armoire n’ont pas grand chose à voir a priori, la qualité et la nature du bois à partir duquel ces deux meubles ont été construits, ou leur prix, leur utilité, peuvent être comparés… En ce sens, il est difficile de statuer sur la comparabilité entre deux termes, sans faire référence à l’approche par laquelle ceux-ci sont abordés ou à la problématique à la base même de la comparaison. « La

comparabilité est rarement un donné, elle est, au contraire, à construire » (Hassenteufel, 2005:118).

2. Une approche comparée de la ségrégation urbaine

En choisissant les villes de Lyon, Montréal, Puebla et Niamey, nous avons opté pour un échantillon pour le moins diversifié. Ces villes sont différentes les unes des autres par leur forme urbaine, leurs contextes économique, culturel, démographique ou politique. Tous ont une influence plus ou moins directe sur les relations entretenues par les citadins avec leur ville. Pourquoi donc avoir fait ce choix et quel sens a-t-il ?

Nous avons évoqué dans la partie précédente l’importance du contexte (en particulier culturel) et les précautions qui devaient être associées à sa prise en compte pour la réussite d’une comparaison internationale. En questionnant la ségrégation urbaine sur la base de la relation entretenue par chaque citadin avec la ville, nous plaçons les modes de vie au cœur même de la problématique. De ce point de vue, les composantes culturelles ne peuvent évidemment pas être ignorées, ce qui nous a poussé à une approche des contextes urbains sous forme d’études de cas. Cela renvoie dans les grandes lignes à l’approche sociétale décrite dans la partie précédente. « Une série d’études nationales peut (…) constituer implicitement une

comparaison, si les auteurs s’efforcent de répondre à la même problématique et de situer leurs analyses dans un même canevas conceptuel » (Dogan & Pelassy, 1980:10). La

comparabilité des quatre villes doit ainsi être questionnée relativement à la possibilité de construire une problématique commune, recouvrant le cadre conceptuel et les questions de recherche. C’est le cas de notre réflexion, qui peut être appliquée à tous les contextes métropolitains contemporains. « A Dakar comme à Paris, à Alger comme à Bruxelles, les

contraintes du marché du travail et du marché immobilier, les accidents et les aspirations des parcours résidentiels, les affinités et les répulsions de voisinages sociaux pèsent lourdement sur les manières de se situer dans la ville et d’en faire usage » (Souami, 2003). L’étalement

spatial, la forte hétérogénéité sociale entre individus et la coprésence au sein des aires urbaines de différents modes de transports, supposant chacun un rapport spécifique à la ville, représentent la base à partir de laquelle notre réflexion s’articule.

En abordant le sujet de la ségrégation urbaine, nous faisons face à une réalité qui concerne toutes les grandes villes de la planète, sous des formes et à des degrés divers. La première raison qui justifie notre choix d’une comparaison internationale est donc sans doute la plus simple : si toutes les métropoles contemporaines sont touchées par un même phénomène, il

semble enrichissant de pouvoir faire une comparaison et pointer alors les spécificités liées à chaque contexte et les tendances fortes communes aux différentes villes. « Si la ségrégation

sociale continue de préoccuper nombre de chercheurs travaillant sur la ville, on ne dispose pas véritablement jusqu’à présent de tentatives globales visant à comparer les aspects et les mécanismes de la ségrégation, ni leurs interactions avec l’évolution de la société et de l’espace dans les grandes métropoles » (Lévy et Brun, 2000:229). Ce premier point est sans

doute ce qui a initialement catalysé notre motivation pour la comparaison internationale. Une approche problématique et un contexte métropolitain communs donc, mais le choix des quatre villes repose sur une volonté de réponses contrastées aux questions de recherche posées. « often the most useful cases in helping to generate hypothesis are those that clearly

represent some extreme position » (Sax, 1968:290). La relation entre les citadins et leur ville

s’inscrit dans une dialectique distance/proximité, qui ressort comme un angle d’approche central de la ségrégation urbaine. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi des villes au sein desquelles les pratiques modales sont contrastées. La part modale très forte de la marche à pied à Niamey, de la voiture particulière à Montréal ou encore l’usage important des transports collectifs à Puebla sont autant de spécificités recherchées pour appréhender le quotidien de la ville.

Notre choix de quatre villes résulte alors de notre volonté de dépasser une approche Nord-Sud, qui stigmatise selon nous une opposition trop simpliste. La diversité des villes du Nord, tout comme celle des villes du Sud, n’est pas discutable et méritait selon nous d’être relayée dans cette recherche. En nous limitant à quatre villes, nous ne saisissons évidemment pas l’hétérogénéité urbaine mondiale, mais une partie tout de même et sans doute la plus grande que nous étions en mesure de saisir. Ce sont effectivement des raisons pragmatiques qui ont limité notre échantillon, car au-delà de nos exigences d’ordre scientifique, le choix s’est fait en grande partie selon notre disponibilité des données brutes d’une enquête-ménages transports réalisée dans le courant des années 90. Tel que nous l’expliquons dans la seconde partie de ce chapitre, les enquêtes-ménages présentent des avantages qui se sont vite avérés déterminants pour répondre à notre question de recherche. Or, il est difficile d’avoir accès à ce type de données, ainsi qu’à l’ensemble des choix et des hypothèses à la base de chacune des variables (les métadonnées). Notre connaissance et notre compréhension des villes nécessitaient parallèlement un ou des séjours dont le financement restait à mettre en place. Guidés par ce contexte de recherche et par les impératifs scientifiques de notre travail, nous avons choisi en premier lieu Lyon et Montréal, qui sont les deux villes au sein desquelles

notre thèse de doctorat a été préparée. Quant aux deux villes du Sud, notre choix s’est porté dans un premier temps sur la ville de Niamey au Niger. Une enquête-ménages y a été réalisée en 1996 par le L.E.T., Laboratoire d’Economie des Transports (qui est le premier laboratoire d’accueil de notre doctorat). Nous maîtrisions également les données de l’enquête, notre mémoire de master-recherche ayant déjà porté sur cette ville [Ravalet, 2003]. La seconde ville choisie est Puebla, sur laquelle nous avions réalisé une première réflexion en 2002 [Bussière & alii, 2005]. L’enquête a été menée en 1994 par le G.I.M., Groupement Inter-universitaire de Montréal, dont fait partie l’I.N.R.S.-U.C.S., Institut National de la Recherche Scientifique, Urbanisation, Culture et Société (second laboratoire d’accueil de notre doctorat).

Tel que nous l’avons évoqué, notre recherche s’articule autour d’études de cas, successives et intégrées. Ce type d’approche était nécessaire pour dépasser les problèmes de comparabilité liés aux différences culturelles. Il s’explique également par les difficultés liées à l’interprétation des résultats issus des données et traitements pour chaque étude de cas (qui suppose une contextualisation des tendances mises en exergue). « As is often argued in the

comparative literature, generalizations concerning national differences can be dangerous as they are bound to lead one to overlook variations and the specificity of structured contexts in which people use principles of evaluation » (Lamont et Thévenot, 2000:10). Cette étude

exploratoire ne permet pas d’éclairer directement des différences nationales mais un certain nombre de « points susceptibles d’être construits comme des différences nationales » (Vassy, 2003:221). Cette remarque vaut tout autant pour la mise en lumière de potentielles différences continentales. En d’autres termes, si les villes choisies représentent des contextes urbains variés et sont caractéristiques sur bien des points des métropoles situées dans la même région du monde, les résultats obtenus n’ont pas vocation à être directement extrapolés.

Il s’agit maintenant de présenter les aires urbaines choisies et leur contexte. Après quelques traits généraux d’ordre géographique, nous proposons un rapide aperçu historique. Les contextes économique et politique sont ensuite présentés, ainsi qu’une description de la population résidente. Un état des lieux des transports urbains clôt la présentation de chaque cas.

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