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Approcher la mobilité quotidienne individuelle permet de comprendre la manière qu’ont les citadins de pratiquer l’espace et de gérer leur temps. Au-delà de l’usage d’un mode de transport spécifique, l’étude de la mobilité quotidienne peut permettre de définir des styles de mobilité [Scheiner & Kasper, 2003]. Ceux-ci permettent de prendre en compte les modes de transport utilisés, mais également le budget-temps, le budget-distance, le nombre de déplacements effectués ou encore les types d’espaces parcourus (proche du domicile, centre, périphéries, etc.). « L’idée fondamentale, c’est qu’à des groupes de modes de vie

correspondent des formes spécifiques de mobilité » (Scheiner & Kasper, 2003:356). Nous

évoquerons ces formes spécifiques de mobilité sous la perspective de divers styles de mobilité, qui résument pourquoi (activités réalisées), comment (modes utilisés) et où (espaces pratiqués) les citadins se déplacent dans la ville ?

La mobilité quotidienne permet d’inscrire l’ensemble des activités des citadins dans l’espace et dans le temps. La dimension spatialisée des modes de vie, appréhendée par une telle approche de la mobilité quotidienne, renvoie aux espaces de vie tels que les géographes les définissent. Selon G. Di Méo (1996:58), l’espace de vie est l’ensemble des « lieux du

quotidien, des itinéraires que parcourt chaque jour, plus ou moins régulièrement, l’homme-habitant, travailleur, consommateur acteur ou agent social. Les cheminements qu’il emprunte entre son logis et son travail, entre celui-ci et les commerces où il se ravitaille, les centres de services et les espaces de loisirs qu’il fréquente (…) s’inscrivent aussi dans ce registre ».

les individus. Elle permet également d’insister sur les espaces de la mobilité, espaces au niveau desquels les comportements individuels prennent forme. A. Giddens [1987] développe alors le concept de régionalisation, qui renvoie selon lui à un « procès de zonage de

l’espace-temps en relation avec les pratiques sociales routinisées » (Giddens, 1987:173). Ce sont donc

bien les pratiques individuelles qui donnent sens aux régions, telles que l’auteur les définit. On retrouve cette même idée dans la définition des lieux et de l’espace de M. De Certeau [1990]. « Est un lieu l’ordre (quel qu’il soit) selon lequel des éléments sont distribués dans

des rapports de coexistence. (…) L’espace est un croisement de mobile. Il est en quelque sorte animé par l’ensemble des mouvements qui s’y déploient. (…) En somme, l’espace est un lieu pratiqué » (De Certeau, 1990:173). La pratique des lieux, pour reprendre les termes de M. De

Certeau, est donc le résultat de choix complexes et contraints de la part des individus. La place centrale de l’individu se retrouve également dans les propos d’A. Metton, qui évoque dès 1969 la notion d’espace vécu : « Le cadre urbain des grandes agglomérations est trop

vaste pour que l'homme trouve là un espace à sa dimension. Il s'approprie seulement une certaine tranche de cette masse urbaine, cette tranche, il l'appelle son « quartier ». (…) Le quartier est ce qui est autour, présente une certaine unité fonctionnelle ou d'atmosphère... Le terme est encore plus flou lorsqu'il caractérise non pas un point fixe mais l'homme qui se déplace pour son travail, ses loisirs ou ses besoins au sein de la masse urbaine. Notre quartier est alors notre environnement, notre espace vécu, un espace que nous connaissons bien ou moins bien, mais qui de toutes façons s'oppose à ce qui est au-delà, qui est de fréquentation nulle ou occasionnelle. S'agit-il alors d'un concept variable suivant chaque individu ? » (Metton, 1969:304).

Les espaces de vie et les espaces vécus semblent associés à une même idée, mais avec une entrée centrée respectivement sur l’individu ou sur l’espace. Evoquer les espaces de vie, c’est essayer de comprendre comment les individus pratiquent l’espace tandis qu’aborder les espaces vécus revient à avancer l’idée que l’espace prend son sens dans les pratiques individuelles. La notion d’espaces de vie est donc plus adaptée à la nature de notre réflexion. Leur étude permet de rendre compte de la relation spécifique entretenue par chaque citadin avec la ville dans laquelle il réside. Au regard de l’ensemble de ces considérations, la mobilité quotidienne se présente comme un outil pertinent pour saisir l’originalité et la diversité des espaces de vie des citadins dans les métropoles contemporaines. Pour ce faire, nous serons amené à travailler sur divers styles de mobilité.

En décrivant les acceptions usuelles de la mobilité quotidienne et l’approche que nous avons décidé de privilégier pour son appréhension, nous avons insisté sur la relation entre les citadins et leur ville. Cet effort théorique va maintenant nous permettre de préciser le lien qui peut être tissé entre la mobilité quotidienne et la ségrégation urbaine.

III. La ségrégation urbaine, la nécessité d’une

approche des espaces du quotidien

Parmi les grandes transformations, typiques des métropoles contemporaines, il est fréquemment fait état de la ségrégation ([Buisson & Mignot, 2005], [Dureau & alii, 2000], etc.). « A l’échelle métropolitaine, l’idée prévaut que (…) la tendance est à l’accroissement

de la ségrégation socio-spatiale, ce qui n’est pas nouveau mais accentué » (Dubresson,

2000:24). Etalement urbain et ségrégation semblent associés, dans les villes américaines [Mieszkowski & Mills, 1993] ou françaises [Bouzouina, 2007], même si des liens directs semblent difficiles à isoler. Quoi qu’il en soit à ce niveau, il suffit d’un regard pour observer, dans les villes du Nord comme dans les villes du Sud, les contrastes très nets entre certains quartiers et entre les habitants qui résident dans chacun d’eux ([Lautier, 2003], [Diomande, 2001]). A. Dubresson (2000:24) évoque par exemple « des îlots de pauvreté jouxtant des

isolats de richesse au sein d’un archipel bâti en forme de kaléidoscope ». La ville est un lieu

de cohabitation pour une multitude de personnes socialement différentes. Selon P. Blanquart [1997], elle est une projection sur un espace de manières d’être, de vivre ensemble et de penser. Des regroupements s’y déroulent alors et tendent à composer une partition ségréguée. Mais quelles sont les bases théoriques du concept de ségrégation et quelles sont les réalités qu’il recouvre ? La polysémie de ce terme, fréquemment dénoncée ([Brun, 1994], [Grafmeyer, 1999]), justifie un effort de précision. L’étude des formes d’organisation des hommes dans l’espace s’est concentrée au fil du temps sur les localisations résidentielles, c’est ce dont nous allons rendre compte dans un premier temps. Cette perspective épistémologique suggère un élargissement de la notion de ségrégation aux espaces du quotidien. Nous irons dans ce sens en dessinant, dans un second temps, les contours théoriques de ce que nous entendons par ségrégation urbaine.

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