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La soumission aux marabouts, levier de la continuité et

Dans le document L'ORGANISATION DE L'ESPACE ~ (Page 40-45)

1 - Le mouridisme, cadre de substitution à la société Iignagère wolof

B) La naissance de la confrérie mouride, une réponse religieuse à la crise sociale wolof

2) La soumission aux marabouts, levier de la continuité et

"innovation" du mouridisme

Parallèlement àla colonisation, des masses de "gens du peuple", surtout des paysans libres, des castés, esclaves ou professionnels, trouvent refuge dans la

51WILLAIME J.P. - 1995 :Sociologie des religions. Paris, PUF, Que sais-je, p.28

j )

nouvelle structure52apportant avec eux "l'habitude d'une extrême soumission" et "la volonté de travailler pour un maître ou de lui donner les fruits de leur travail" 53.

C'est en cela qu'il y a continuité. Mais Momar Coumba Diop va plus loin. Pour lui,

"Cheikh Ahmadou Bamba et Cheikh Ibra Falr4réalisent ensemble une symbiose des valeurs enseignées par le mouridisme, la prière et le travail. Cette symbiose est celle de la société tieddo55 et de l'islam naissant. Les valeurs enseignées par l'islam (la

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prière, etc. ) se greffent sur celle que la société tieddo dictait aux masses paysannes (travail et obéissance). Ibra Fall est le disciple qui symbolise le travail et l'obéissance.

Son comportement se réfàe à un modèle archétypal beaucoup plus proche des sociétés traditionnelles, il n'est pas issu de l'islam arabe, mais plutôt d'une réactualisatioll de certaines valeurs de la société tieddo,,56. Mais l'exemple Baye Fall 57 est marginal et cette analyse ne peut valoir pour toutes les composantes de la confrérie. Sur la soumission dont le mouridisme a fait une vertu, le fondateur s'exprime clairement et lui donne un sens exclusivement religieux et mystique.

L'éclairage de ses écrits est irremplaçable: "Celui qui s'isole après avoir accumulé toutes les connaissances et prétend accéder à Dieu sans guide, sur la base de sa propre connaissance, se noie dans la perdition", écrit-il58

. Et il avertit "celui qui n'a pas de cheikh comme guide spirituel, Satan est son cheikh où il va" 59. C'est autour de ce principe que se sont constituées et fonctionnent des hiérarchies socio-religieuses qui sont les institutions de l'ordre nouveau. La conception particulière que

52Sur les effectifs des Mourides dans cette époque-là, Monteil donne quelques informatIOns: "ell 1895, il entrait au dy%f avec 500 taalibé. .. El! 1912, Paul MARTY estimait à 68 350 l'effectif des mOl/rides (autour de 10 000 chefs de famille et de mille étudiants) dont 33 000 au Baol et 28 000 au Cayo,.. " op.CILP 180.

530 'BRIEN D.C., 1970 - Le talibé mouride : la soumiSSIOn dans une confrérie religieuse sénégalaise.

C.E.A., Vol. X, nO 40, p. 564.

54Cheikh Ibra Fall est un des grands lieutenants et disciples de Cheikh Ahmadou Bamba issu de l'ancienne aristocratie, et qui se distinguait par une vision et une pratique atypique de la religion musulmane (ni prières canoniques, ni ramadan), mais aussi par une soumission extrême qui lui donne une réputation de malade mental.

55Société wolof traditionnelle, guerrière et plus ou moins animiste.

56 Thèse de M. Coumba DIOP, 1980 -Laconfrérie mouride : organisation politique et mode d'implantatio/l urbaine, Lyon, p. 69

57Baye Fall est le nom donné au sous-groupe de la confrérie mouride fondé par Cheikh Ibra Fall.

58MBACKÉC.A.B, 1984 - Les cadenas de l'enfer. Casablanca, Dar-el-kitab, 82 p.

59Extrait de "Itinéraires du paradis", poème de Cheikh Ahmadou Bamba.

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les Mourides ont du travail et sur laquelle plusieurs études se sont appesanties, est l'expression de cette pratique de la soumission et fonde au moins partiellement le dynamisme migratoire et économique mouride. Seulement, l'idéologie est une chose et la pratique en est une autre. Donal Cruise O'Brien émet l'idée selon laquelle, le mouridisme a "par certains aspects dépassé les nonnes de la tradition soufi en portant davantage encore l'accent sur la soumission, la renforçant par des éléments tirés du milieu social local"6o. L'un de ces éléments pourrait être l'hérédité du titre et de la fonction de marabout qui se perpétue àtravers la force de la mémoire qui, je le souligne, est d'abord liée aux hommes avant d'avoir une traducti0n spatiale. On ne peut exister dans la confrérie mouride si on n'en a pas marqué l'histoire. C'est pour cette raison que les structures modernisantes ou de sécularisation ont du mal àse reproduire continuellement. Le marquage du territoire mouride est lié àdes stratégies d'affirmation individuelle ou lignagère qui sont des moyens d'entrer dans l'histoire.

Comme pour les juifs, on pourrait alors parler d'un espace-temps mouride qui soutiendrait la valeur théorique de la notion de territoire dans ce contexte.

L'émergence d'un corps maraboutique et l'adhésion de milliers de disciples soumis ne sont pas les seuls éléments du dynamisme mouride. Les nouveaux convertis, d'origines et de conditions sociales diverses devaient être instruits et encadrés. "Celui qui n'a pas reçu, un temps, sa fonnation des mains d'un cheikh, celui-là trouvera les épreuves" avertit Cheikh Ahmadou Bamba dans "Les itinéraires du paradis". Pour cela, il crée une nouvelle hiérarchie de cheikh, - marabouts consacrés dans sa famille et parmi ses fidèles les plus fervents et ses élèves les plus doués, - et de nouveaux rapports sociaux basés sur la relation marabout-taalibé (disciple). La nécessité idéologique d'avoir un marabout est l'acte fondamental du mouridisme et le mysticisme, son soubassement. L'instruction religieuse et l'éducation par le travail sont deux notions bien distinctes qui ont touràtour puis de manière concomitante, été les déterminants de la création des premières structures d'encadrement mouride appelée daara. Elles justifient encore aujourd'hui avec

600'BRIEN,op.ciL

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d'autres paramètres leur survie. La relation marabout-disciple est la relation de proximité qui sous-tend tout le système mouride et fait son originalité. Autour d'elle, se constituent et fonctionnent les hiérarchies socio-religieuses, les structures d'encadrement, de mobilisation et de production que sont les daara. La hiérarchie maraboutique est assurée de tous les privilèges sentimentaux et matériels, et ceci a une base idéologique avec les écrits de Cheikh Ahmadou Bamba : "Bonheur au

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serviteur, disciple sincère qui s'attache àeux par les services rendus, par l'amour et par des présents dont il les comble" écrit-il. La pratique de cette recommandation et le profit qu'en tirent les marabouts sont largement liés à ce qu'on a appelé une

"exaltation" ou mieux une "sanctification" du travail qui prend un sens particulier chez les Mourides61.

C'est dans ces nouvelles communautés de disciples regroupés autour de cheikhconsacrés par Cheikh Ahmadou Bamba62que le niveau de réinterprétation des rapports sociaux wolof devaient être analysés. Exceptées quelques remarques faites par Monteil et Marty, cela n'a pas été fait àl'époque. Copans, Rocheteau et Pélissier ont le mérite d'avoir tenté, plus d'un demi-siècle après, de combler cette lacune de la recherche63.Il ressort de la conclusion de Pélissier que la confrérie a bel et bien "pris le relais de l'organisation wolof traditionnelle dont les méthodes d'encadrement ont été largement transposées du plan politique au plan religieux". Pour Copans cependant, cet "encadrement maraboutique, s'il donne une forme originale à un phénomène de restructuration sociale, n'ouvre cependant pas la voie à llne transfonnation radicale de la société wolof'64. Cette remarque permet d'entrevoir les limites de ce "remplacement" des rapports sociaux wolof par le système mouride d'encadrement, mais ne les nie pas. Plus que des résidus intégrés par la société

61 Je ne reviendrai pas sur ce thème que nombres d'études ont exploré, notamment celle de Abdoulaye WADE qui fait le parallèle avec les protestants et de COUTY, 1972 - La doctrine du travail chez les mourides.

Travaux et Documents de l'ORSTOM, nO 15, pp 67-83.

62Au nombre de 200 en 1952 selon Nekkach.

630n peut également penser que ces structures d'encadrement conservaient encore largement lesrapport~

sociaux de leurs débuts au moment des études de ces auteurs qui ont été condultes entre 1960 et 1970. Il faudrait aujourd'hui se poser les mêmes questions dans les villages oudaara plus ou moins influencés par l'urbanisation toubienne.

64COPANS, 1972, op cil. p. 23.

maraboutique, les héritages wolof sont le fruit d'une compatibilité structurelle et idéologique avec le mouridisme. C'est ainsi, non pas la conformité des rapports sociaux mourides et wolof qui peut faire parler de substitution, mais seulement leur

"non-contradiction,,65. L'hérédité du statut et de la fonction de marabout n'est qu'un autre élément de la "continuité". En réalité, c'est ce principe qui reproduit le système et fait des lignages, les supports de l'encadrement confrérique. La relation marabout-taalibéessentiellement individuelle devient une relation de clientèle liant des lignages maraboutiques à des taalibé, des lignages de taalibé, voire des communautés ethniques (laobé par exemple) ou des groupes appartenant aux mêmes entités spatiales. Clientélisme individuel et collectif, clientélisme de sang même me semble-t-il. L'origine de ce principe est mal définie, mais il est tout àfait conciliable avec les pratiques lignagères wolof.

Mais la plupart des études ont surtout privilégié la relationmarabout-taalibéau détriment des rapports qu'entretiennent les marabouts entre eux et de ceux qui régissent l'intérieur du groupe des taalibé. C'est dans ces relations horizontales qu'on devrait pourtant retrouver le plus de survivances des rapports sociaux wolof antérieurs, surtout ceux qui n'ont rien à voir avec des rapports de domination.

L'étude de Guy Rocheteau est la seule exception que je connaisse. Elle conclut que la relation marabout-taalibéqui entre en contradiction avec les hiérarchies traditionnelles

"n'en pennet pas moins aux distances sociales traditionnelles de se manifester"66.

Le mysticisme de Cheikh Ahmadou Bamba, la relation marabout-taalibé, l'obligation de soumission et de "services rendus" au marabout, la valeur spirituelle donnée au travail, la consécration de cheikh, devenus des saints aux yeux des Mourides, se conjuguent pour faire du mouridisme une confrérie originale, se singularisant par sa discipline, sa capacité de mobilisation et son dynamisme économique67. Ces cheikh ayant ou non un lien parental avec Cheikh Ahmadou

65COPANS, op. cil. p.23.

66Travaux et documents de l'ORSTOM, 1972, nO 15, p.248.

67Toutes ces qualités ont suffisamment été mises en exergue par l'abondante littérature sur la confrérie, cn milieu urbain et en milieu rural, au Sénégal comme à l'étranger. Je n'y reviendrais que dans la mesure de leur sens socio-géographique et de leur articulation avec l'urbanisation de Touba.

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Bamba, ont fini par constituer une classe maraboutique structurée, hiérarchisée, très attachée à la continuité lignagère, le titre de cheikh étant désormais très rarement décerné aux taalibé méritants.

Les communautés de disciples constituées autour des cheikh ont donné un sens pratique à la relation marabout-disciple en ayant été les fers de lance de la conquête foncière et agricole du pays mouride. Et la hiérarchie de saints a donné une hiérarchie du sacré sur un territoire qui ne cesse de s'étendre.

II - Spatialisation et ébauche de sacralisation du

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