• Aucun résultat trouvé

La réconciliation au service de la ville

Dans le document L'ORGANISATION DE L'ESPACE ~ (Page 187-200)

B) "Urbanisation par le compromis" et esprit de dépassement

1) La réconciliation au service de la ville

l~l

B) "Urbanisation par le compromis" et esprit de

demander à Serigne Cheikh de procéder également à la restructuration et au lotissement de Touba-Mosquée et du reste de la ville. Il lui remit pour cela une voiture toute neuve et lui donna carte blanche. La nouvelle fut accueillie avec surprise et circonspection par les habitants des deux villages. L'opération de lotissement ne fut pas toujours facilitée par la résistance de certains marabouts qui s'élevèrent contre la destruction ou le déplacement de leur concession. Ce qu'ils considéraient comme de l'irrévérence: "Serigne Cheikh n'ose pas détruire nos maisons ql/i l'ont vl/1laÎtre"

disaient-ils. Mais après le lotissement, Serigne Cheikh calma les esprits: "ceux qui me remettront un plan, .le leur donnerai des clés, ceux qui me remettront1111 devis recevront de l'argent". Plusieurs marabouts et notables profitèrent de la promesse.

Un autre signe de la décrispation est l'affectation par Serigne Cheikh de plusieurs centaines de parcelles d'habitation à un oncle maternel de Serigne Falilou, Serigne Omar Bousso ; celui-ci dénomma ce nouveau patrimoine situé à l'est de Darou Khoudoss, "Touba-Guédé" (entre Touba et Guédë87) et en fit son village.

aujourd'hui reconnu à part entière comme quartier de Touba.

Au delà de son rôle déterminant dans l'organisation de la ville de Touba, ce lotissement révèle un début de complexification de la nouvelle société urbaine. Il ne s'agit plus, en effet de considérer dans un esprit concurrentielles villages fondés par des fils de Cheikh A.Bamba, mais d'envisager plutôt le devenir d'un véritable centre urbain, aux besoins croissants en parcelles et en équipements, de telle sorte que les lignages trouvent leur place dans la confrérie en investissant dans la ville.

La nouvelle règle qui régit les relations entre les deux personnalités les plus marquantes de cette époque est donc le "compromis pour Touba". Par son poids politique et financier important, Serigne Cheikh eut ainsi plusieurs occasions d'investir pour la ville; mais il obéit aux interdits de son oncle qui pensait bien faire en empêchant la construction de dispensaires et d'écoles à Touba. Cette bipolarisation de la vie locale laissa, petit à petit, la place à l'émergence de pouvoirs périphériques

287Yillage traditIOnnel des BoussoàTouba.

provenant des grandes concessions assez éloignées du centre maIS désormais rejointes par le lotissement.

Le décès du second khalife en 1968 et l'accession de Serigne Abdoul Ahad ù la tête de la confrérie constitue le tournant décisif pour une véritable implication des autres segments de la confrérie.

2) Entente politique et nouveaux pouvoirs périphériques.

a) La gestion partagée une stratégie de légitimation du pouvoir contesté.

La multiplication des compromis et les rapports de "services" entre le khalifat et les autreslignage~du corps maraboutique ont favorisé la transcription à Touba des pouvoirs charismatiques lignagers. Ils constituent la nouvelle donne. Les craintes de voir Serigne Cheikh briguer de nouveau le khalifat288 après la disparition de Falilou s'avèrent vite injustifiées. Mais, comme à l'occasion des autres successions, la confrérie n'en connut pas moins des moments de flottement.

Le recours des khalifes à leurs matrilignages pendant les crises de succession.

s'explique par des raisons multiples : d'une part, par le peu de connaissance et d'expérience de la vie urbaine en général, et de celle de Touba en particulier; d'autre part, par le faible nombre de taalibé personnels en qui ils peuvent avoir confiance pour la gestion de la confrérie et de la ville. Par ailleurs, le khalife de la confrérie mouride, bien qu'étant le chef suprême de celle-ci n'a qu'un pouvoir lointain et moral sur les disciples. Ceux-ci se réclament avant tout du marabout auquel ils se sont affiliés et dans une moindre mesure, de son lignage ou de son matrilignage.

288 En effet, "quelques mois avant le décès du khalife général. . .et alors que celui-ci était déjà fort malade, Cheikh Mbacké organisa une réunion de ses fidèles à son domicile dakarois, avenue Charles De Gaulle, à laquelle quinze mille personnes participèrent. Les autorités politiques et religieuses du pays s'interrogèrent su,.

la signification de cette cérémonie qui ne correspondait à aucune célébration mouride particulièrl.'. Beaucoupy virent la volonté de Cheikh Mbacké d'affirmer son autorité et sa popularité dans la perspectil'c de la II/ort du khalife. Toutefois, rien de tel ne se produisit". C.COULON, Op.ciL, p.118

lX-J.

Clientélisme individuel, malS aussi clientélisme lignager. Au moment des successions, le loyalisme des disciples ne lui est assuré que dans la mesure où leur marabout et son lignage sont en bon terme avec lui. Cette fois-ci, le fils aîné clu khalife précédent, Serigne Modou Bousso, sans faire valoir ouvertement ses droits à la succession de son père, refusa l'autorité de son oncle dont le pouvoir tardaIt ~t

s'affirmer du fait de la durée du khalifat de Serigne Falilou et du grand prestige qu'Il en avait tiré auprès des Mourides289, En effet, Serigne Modou Bousso 'fit pre/I\'e d'une certaine indépendance et alla même jusqu'à susciter des dUJicultés à AbdOiI Lahat à propos de parcelles de terrains contestées29U et aussi des II/odalités d'organisation du grand magal. Lorsqu'en 1970 le khahfe général partit en tournée dans le pays, Modou Bousso le précéda partout pourfaire en sorte que les taalihc et les cheikhs de son père lui versent l'adhiya qui était dû au nouveau chef de la

J, ' ' ,,291

conJrene .

À l'échelle de la ville, les soutiens du khalifat précédent qui ont pendant plusieurs années tissé des réseaux de clientèle intéressée et accumulé des biens grâces àleurs fonctions, ont toujours tendance àrefuser la nouvelle autorité qui tarde ainsi à s'affirmer. Ce fut le cas entre 1968 et 1974, au début du règne de Serigne Abdoul Ahad, En effet, pendant cette période, la gestion de la ville connaît des dysfonctionnements graves: le chef de village de Touba-Mosquée2lJ2 nommé par le khalife précédent refuse de reconnaître le nouveau khalife. Il ne voulait même pas le rencontrer pour prendre des directives de lui. Serigne Abdou1 Ahad réagit en nommant un autre293 àsa place, Mais celui-ci connaît très vite les pires difficultés. Il

289 Le khalifat de Serigne Fallou est cMsidéré par les mourides comme la période des .. vaches grasses" et de la " baraka".

29°J'ai pensé qu'il était intéressant de mener des enquêtes pour approfondir les "diffIcultés" dont parle Coulon.

Un vieux témoin raconte qu'on a frôlé la guerre lorsque Sengne Abdoul Ahad a voulu construire sa maison sur le terrain laissé là par Serigne Falilou pour ses fils. De son vivant, le second khalIfe avait détrUIt une maison en construction sur le même terrain et appartenant à un autre fils de Cheikh Ahmadou Bamba (Serigne Abdou Borom Deurbi). C'est finalement ce dernier fait que Serigne Cheikh a évoqué pour convaincre le fils du second khalife que son oncle est tout puissant et qu'il ne peut rien faire devant sa volonté. Enquêtes en Février 1996

291c.COULON, op.cit.p.118 292Son nom estM G 'or ueye.

293Serigne Lô

n'avait pas les coudées franches du fait de l'omniprésence des partisans de Modou Bousso dans l'appareil de gestion. Pourtant, le nouveau chef de village venait de Guédé qui est lefief du lignage du khalife précédent. Le nouveau khalife avait a1l1si cru trouver la solution en nommant un homme de Serigne Falilou2'!4. Mais, la fronde et la contestation étaient devenues systématiques, et cette décision fut rejetée. Le nouveau pouvoir de Serigne Abdoul Ahad ne pouvait s'exercer qu'avec l'appui de la famille du khalife précédent, mais celle-ci ne le suivait pas. Avec le temps, le dysfonctionnement s'accentua. Le nouveau khalife décide alors d'employer la manière forte en demandant avec insistance à Modou Bousso de le rencontrer à Touba Bele1295. "C'est S.Abdoul Ahad qui lui a donné la main le premier et lui a dit

"pardonne-moi". S.Modou lui réponds "c'est moi qui viens demander pardon". Ils ont beaucoup discuté et se sont réconciliés ce jour là,,296. Après cette réconciliation, le nouveau khalife rend une visite de courtoisie à son neveu (à Khaïra) et en profite pour tenter de lever les obstacles liés à la gestion de la ville. Il lui demande notamment de choisir un nouveau chef de village. Son choix porte sur Thierno Diaw, fils d'un dignitaire mouride et disciple du khalife précédent qu'il a servi pendant plusieurs années. Celui-ci après moult hésitations accepte l'offre qu'il prend cependant comme un cadeau empoisonné297.Le moment de la rencontre avec Serigne Abdoul Ahad et la solennité avec laquelle le khalife le consacra sont révélatrices des enjeux de la gestion de la ville, des attributions liées à la fonction, et de l'état d'esprit dans lequel le chef de village exerce sa fonction: "S.Abdoul Ahad me dit "ThienlO, je te demande de ne m'opposer aucun argument si vraiment tu es sincère dans tafoi en S. Touba". A partir de ce moment, j'étais sans réaction, rien ne fonctionnait plus dans mon esprit. J'ai compri8- qu'il a trouvé l'argument infaillible pour me confondre, c'est à dire S. Touba. Il a ajouté: "je te remercie et je prends le prophète

2940nra~onteque le khalife précédent avait lui même choisi de changer de chef de village. C'est sa mortqUI l'en a empêché.

295Village de culture de Serigne Abdoul Ahad, situé à 25 km de Touba.

296Entretien avec Thierno DIAW, Touba, 1995

297"La fonction de chef de village est une fonction relevant du coutumier et de ce monde ci. Til enrelldras toutes les calomnies et moi je suis marabout, j'ai des taalibé qui sont nombreux dans la ville1'1aillcurs el cela leur ferait ma!", exlique-t-il.

et S. Touba en témoignage. .. ce que je te donne là, c'est comme si je te c01~fïais une chambre dans laquelle sont gardées tes propres affaires. Si la chamhre hnÎle ce snnt tes affaires qui hnÎlent avec. Thienw. rends grâce cl Dieu et n'ajoute rien." Je réphe trois fois "Al hamdoulillah" (f?loire cl Dieu). Il ajoute

':ie'

l'eux [fUe' tu saches que ce que je te confie ne m'appartient pas et n'appartient pascl S.Modou. Par conséquelltje ne te payerai rien et S.Modou non plus,. C'est S.Touba qui te soutiendra et te pa.vera parce que c'est pour lui que tu travailles. C'est l'oeuvre de S.Touba qu'il faut voir dans toute richesse. .. Modou, vas-y avec Thierno, je vous suis". C'est comme si j'étais en pleine nuit. Nous partîmes vers Khaïra et y passâmes la journée. Vers Takussan (17 heures), on nous dit qu'il est arrivé. On va le l'oir et il me fit une

"procuration totale ". Il a également appelé à une réunimz pour le lendemain Il envoya une voiture pOlir venir me prendre. Quand je suis arrivé. la maison était pleine de monde parce qu'il avait appelé toute la population de Touba. Quand je me suis installé, il a dit: "l'objet de cette réunion. c'est la concertation. Parce qlle nOlis partageons S. Touba et nous sommes des voisins. nous devons donc IIOUS cnncerter.

Il Y a un changement. A partir d'aujourd'hui, je confie le village à Thiemo DiaH' ici présent. Pour toutes les affaires de maisons, les conflits, les ménages. les problèmes avec l'autorité étatique, ne venez plus me voir. Allez l'oir Thierno. Voilà ce que je voulais vous dire, Wassalam (Salutations}". Il me remit l'enveloppe qui contenait la

. " 298

procuratIOn .

Le nouveau khalife réussit ainsi à surmonter ces difficultés en s'appuyant sur des hommes de Modou Bousso, qui accepta lui-même ce compromis. Mais il prend également le soin de s'assurer le soutien de Serigne Cheikh qui devient pour lui, jusqu'à sa disparition en 1978, un.confident attentif.

Comme les grands travaux mobilisateurs que j'ai déjà évoqués. la gestion partagée est ainsi érigée en politique de légitimation du pouvoir khalifal toujours contesté au moment des successions. La distribution de pouvoirs fonciers aux quartiers lignagers entre sans doute également dans la même optique.

298Entretien avec Thierno DIAW, Touba, 1995

1~/

b) Le pouvoir aux quartiers lignagers comme un ensemble de villages.

une ville gérée

La seconde opération d'urbanisme de Touba est l'oeuvre de Serigne Abdoul Ahad. Après l'opération, le contrôle spatial concurrentiel est généralisé du fait. d'une part de l'attribution volontaire par le khalife de terrains lotis qui deviennent des quartiers, et d'autre part des stratégies d'affirmation de chaque lignage par la fondation, la refondation et la gestion de quartiers de la ville. Dans le premier cas de figure, ce sont surtout des fils de Cheikh Ahmadou Bamba qui étaient trop jeunes pour fonder des quartiers ou qui n'en avaient pas fait leur souci premier antérieurement, qui ont été ciblés. Serigne Saliou, khalife actueL frère collatéral et cousin utérin de Serigne Abdoul Ahad est le "propriétaire" de Dianatoul Mahwa (2 000 parcelles), tandis que Serigne Souhaïbou, son frère utérin, disparu en 1991.

était l'attributaire de Madiyana (5 000 parcelles). Ces deux exemples soulignent l'omniprésence du lien matrilinéaire dans les jeux de pouvoir. Dans l'autre cas de figure, le khalife, après avoir préparé les villages lignagers à l'urbain, en a fait des quartiers de la ville, en les dotant d'un pouvoir de gestion foncière sur les terres loties qu'il leur a attribuées et qui sont le plus souvent contiguës aux villages. Mais ils ne correspondent pas toujours tout à fait aux anciens terroirs. ni aux contours des terres que le lignage avait cédées au khalife lotisseur299.La cession de leurs terres au khalife n'a pas posé de problèmes majeurs: 'quand quelqu'un te prête des yeux, tu regardes où il veut" a-t-on coutume de dire pour expliquer la non-résistance des lignages maraboutiques, qui doivent leur 8xistence et leurs pouvoirs au fondateur de la ville.

Ce lotissement a coïncidé avec l'application à Touba, considéré comme une zone rurale, de la loi sur le domaine national qui stipule que les terres rurales seraient désormais gérées par des collectivités locales dirigées par des Conseils Ruraux. Ces

299nserait simpliste de penser comme certains qu'on leur a tout juste rendu les terres qu'ils avaient mises à la disposition du khalife. En outre, le modèle du terroir contigu au village est souvent inopérant ici. Des terres appartenantàune grande personnalité d'un village peuvent être situées à l'opposé de celui-ci.

IXX

terres appartiennent donc juridiquement à l'État malgré le statut particulier de Touba.

Cela a certainement facilité leur qui ressemble à une "loi sur le domaine national"

appliquée àla ville.

Par ailleurs, en dehors de~ lignages qui exercent un contrôle territorial ~urdes villages devenus quartiers et des fils de Cheikh Ahmadou Bambaàqui on a attribué des quartiers entiers, de larges faveurs foncières ont été faite~àde grandes familles de notables et surtout aux marabouts de deuxième et de troisième génération. Ces deux dernières catégories ont souvent reçu des lot~ de 50 à 100 parcelles, voire des sous-quartiers entiers.

Mais les "villages" du premier noyau urbain autant que ceux rejoints par les lotissements n'étaient pas reconnus administrativement. La politique de compromis se poursuivit avec la reconnaissance administrative, à la demande de Sengne A.Ahad, de la plupart des quartiers qui devenaient ainsi des "villages" autonomes placés sous l'autorité des lignages, et intégrés dans le maillage administratif national.

"J'ai vu les "décisions" de mes propres yeux, c'est lui qui les a démarchées .. ensuite, il a appelé chacun des marabouts et lui a remis son attestation et le plan de son quartier", raconte Thierno Diaw. Chaque village avait désormais une autonomie administrative et une autonomie de gestion foncière et la terre commence réellement à cette époque à constituer un enjeu politique et commercial: "chacun voulait développer son quartier, parce que développer son quartier, c'est promouvoir son lignage dans la confrérie et attirer des taalihé,,~(I().Le contrôle foncier s'affirme comme un moyen d'intégration et d'unification de la "ville sainte". Il contribue également àla régulation des tensions apparues lors des crises de succession. Pour les lignages, les biens fonciers sont capitalisés pour satisfaire leur clientèle et attirer les disciples des autres sous leur autorité, la dépendance foncière pouvant se traduire par une affiliation charismatique. La concurrence se reproduit ainsi et s'exprime par l'appropriation foncière.

300Entretien avec Cheikh NIANE, Touba, 1995.

lKlJ

Une autre forme de compromis du khalife est l'intégration dans l'appareil khalifal de membres des autres lignages. L'exemple de Serigne Moustapha Bassirou a déjà été évoqué ci-dessus: c'est le plm connu mais plusieurs autre~ existent:

Serigne Amsatou Mbacké pour la famille de Cheikh lbra Faty (frère de Cheikh Ahmadou Bamba) et Marne Mor Mbacké pour celle de Marne Cheikh Anta (autre frère) représentaient les deux lignages collatéraux les plus importants. Au sein des matrilignages issus du fondateur de la confrérie, son premier conseiller était Serigne Mbacké Madina, frère de Serigne Cheikh, mais il consultait souvent Serigne Abdoul Aziz, représentant la famille de Serigne Bara (autre fils de Cheikh Ahmadou Bamba).

Quant aux lignages de cheikh, leurs membres étaient très présents dans l'entourage du khalife.

La politique des grands travaux donnait également au khalife l'occasion d'impliquer des lignages de cheikh. Certains lignages sont associés à certains types de service qu'ils avaient pris l'habitude d'accomplir depuis les premières années de la confrérie. Leur désignation pour les mêmes types de travaux représente une sorte de reconnaissance de leur rôle dans le développement de la confrérie et leur permet de se mettre en valeur par l'effet de la mémoire. L'exemple des SARR et des DIENNE sont les plus intéressants. Les premiers ont creusé le "puits de la miséricorde" (aïlloll

rahmati) et sont devenus les spécialistes dans ce domaine sans vocation antérieure:

au moment de sa modernisation et de son équipement, le khalife a refait appel aux descendants du lignage pour le faire. Les seconds retiennent la mémoire de la confrérie par le rôle qu'ils ont joué dans la construction des mosquées de Touba et Diourbel. Au moment de créer un nouveau cimetière, Serigne Abdoul Ahad a également confié les travaux à la famille301. Plus de 20 ans après, elle en assure encore la garde et l'entretien302.

301 C'està la même famille qu'on a confié en 1993 les travaux de restauration de la mosquée de Diourbel initiés par le khalife qui est aussi le gardien de la mémOire dans cette autre ville mouride.

302Les bonnes relations ainsi créées pennettaient en retour au khalife d'obtenir des faveurs foncières ...de la part des lignages: le palais de Serigne Touba a été construit par le khalife sur une réserve qui apparlenait au lignage de Serigne Bassirou. Mais, comme c'est son fils aîné qui était le bras doit du khalife, celui·cl a pu l'acquérir moyennant une parcelle moins bien située et selon certains, une somme d'argent.

IlJU

Mais c'est sans doute la réforme qui a fait de Touba une Communauté Rurale autonome qui a le plus fait intervenir l'idée de compromis dans la gestion urbaine.

Promulguée en 1972. la loi a connu une application progressive, qui a coïncidé à Touba avec la politique de décentralisation du khalife. Mais celui-ci décide de faire représenter chaque lignage influent de la confrérie par un conseiller. Tous les fils vivants de Cheikh Ahmadou Bamba, tous les petits fils directs, les familles de ses frères implantées en ville, les grands lignages de cheikh. sont pour la plupart représentés:1OJ. Par ailleurs, il est admis que c'est le chef de village de Touba-Mosquée qui doit présider aux destinées du Conseil Rural. Mais pour faire plaisir à Serigne Cheikh, petit-fils le plus âgé, et personnalité la plus influente de la confrérie à cette époque, il fait un choix conjoncturel en mettant en selle le chef de village de Darou Khoudoss304

.La réforme instituant la Communauté Rurale a également permis de consolider une forme de gestion urbaine originale, qui considère non pas des quartiers d'une même ville, mais des villages dont l'autonomie est reconnue. Les 12 quartiers déjà intégrés dans le bâti ne représentent qu'une partie des 74 villages

"ayant des intérêts communs" et constituant la Communauté Rurale. Comme toutes les autres réparties sur le territoire sénégalais, elle est gérée à partir d'un chef-lieu:

Touba- Mosquée.

Au total, c'est surtout l'inspiration et le pragmatisme d'un khalife, soucieux d'autorité et de légitimité urbaines, qu'il est intéressant de souligner à ce stade de l'analyse. Cette politique a aboutià une stabilité de la société urbaine qui a favorisé la

con~truction de la ville de Touba.

303Serigne Saliou, Serigne Souhaïbou, Serigne Abdoul Khadre, Serigne Mourtada, Serigne Cheikh, Serigne Mohmadane Diobé, Serigne Modou Bousso, Serigne Modou Khary Niang, et le marabout de Guédé Bousso sont les personnalités ciblées.

304Ce1a n'a pas empêché le chef de village de Touba Mosquée de faire valoir les droits de son village, en opposant son vétoà la construction du siège du Conseil Rural à Darou Khoudoss : "Après les séminaires de formation organisés à notre intention, je lui ai dit qu'il ne fallait pas qu'il se trompe. Le président de la CR peut habiter où il veut, mais le siège doit se trouver dans le village centre, je le lui ai dit. Dans ces moments de doute, j'ai averti S.A.Ahad qui m'a dit qu'il faut que je défende mes droits jusqu'au bOllt". Entretien avec Thierno DIAW, Touba, 1995.

Dans le document L'ORGANISATION DE L'ESPACE ~ (Page 187-200)