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Conclusion

Dans le document L'ORGANISATION DE L'ESPACE ~ (Page 158-165)

religieuse àla mondialisation224, l'urbanisation de sa capitale n'est-elle pas dans un sens une forme de résistanceàl'accentuation actuelle de celle-ci?

Touba est surtout le chef de file des villes religieuses qui. avec les

villages-d C ' R l ~~s , . , l

centres e ommunautes ura eç~' enges en communes, sont es composantes d'une nouvelle urbanisation qui semble rompre la monotonie du réseau urbain sénégalais. La ville est religieuse. "Onyretrouve souvent le sacré et c'est le sacré qui semble avoir donné naissanceàla vie collective"226. L'islam sénégalais est fortement confrérique, et l'autonomisme227 de ces confréries s'exprime à travers des centres religieux dont les dynamismes sont liés soit à l'intégration au réseau urbain formé par la colonisation, soit à une action volontariste propre. souvent soutenue par l'État.

Le village-mosquée de Touba est devenu la deuxième agglomération du pays.

remettant ainsi en cause la hiérarchie urbaine et perturbant de manière significative par sa localisation au centre du pays, la distribution spatiale des villes. Pourquoi Touba est-il arrivé si tard alors que sa fondation est antérieure à celle de plusieurs centres urbains importants ? Quels sont les déterminants et mécanismes de l'organisation de l'espace? Comment et avec quelle énergie la confrérie a-t-elle pu mener simultanément l'organisation de l'espace toubien et ses autres entreprises ? Touba constitue la projection et la concentration des hiérarchies socio-religieuses, de leurs confrontations et de leurs compromis.

224N'oublions pas que ce qu'on appelle aujourd'hui globalisation ou mondIalisatIon et que Léopold Sédar Senghor appelle de ses voeux sous le vocable de "civilisation de l'universel" a commencé avec la

colonisation.

225 Le Sénégal en compte aujourd'hui 320, dotées d'une autonomie financière et dIrigées par un conseIl élu au suffrage universel.

226RACINE J.B., 1993 -La ville entre Dieu et les hommes. Anthropos, 355 p.

227Autonomlsme par rapport a· , l'Etat, et par rapport aux autres con renes.f ' .

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Deuxième partie

La confrérie mouride et la gestion de sa ville : l'encadrement

maraboutique à l'épreuve de

l'urbain.

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Introduction

La ville de Touba est pour la confrérie mouride, le point focaL l'espace de prédilection, celui où se jauge la puissance mystique et sacrale de l'entreprise de Cheikh Ahmadou Bamba, et son symbolisme. La relecture de l'évolution du mouridisme, àtravers la notion de territoire, a permis de mettre en perspective toutle caractère crucial de Touba dans la vie du fondateur et dans les représentations de sa confrérie. La territorialisation de la confrérie mouride a une composante urbaine et une composante rurale, qui, je le répète, se complètent de manière dialectique, ce qui permet de rejeter ainsi l'opposition manichéenne dont elles sont souvent l'objet.

L'idée d'une "confrérie rurale" est ainsi battue en brèche par l'urbanisation de Touba, qui appelle de prime abord, une question essentielle : si la ville, en général, est considérée traditionnellement comme le lieu de la perversion à l'inwrse de la campagne plus marquée par la vertu et la religiosité, quelles sont les véritables articulations entre l'évolution de la confrérie mouride et le développement de sa ville?

N'y a-t-il pas dès le départ cette composante urbaine notamment avec la spécialisation commerciale du frère de Cheikh Ahmadou Bamba (Cheikh Antal et de son lieutenant Cheikh Ibra Fall ? La fabrication urbaine est liée au projet originel mais constitue également une réponse à la crise de l'arachide et l'illustration de la conversion commerciale et urbaine du mouridisme.

Touba suggère un symbolisme religieux important lié à la représentation fortement idéaliste que les Mourides se font de la ville, et à une identification au territoire. La concentration des symboles et du sacré découle de la projection des charismes singuliers et lignagers228,et de l'enterrement des saints sur le sol urbain.

Elle est servie par un projet constant et volontariste de fabrication urbaine, qui à son tour valorise le sacré au service de ce symbolisme. Les khalifes en sont les

228J'ai également pensé à "post-singulier" à la place de "Iignager" pour souligner le caractère individuel d'une expérience mystique qUi aboutit à une consécration personnelle qui de par son hérédité. fonde le principe de reproduction du pouvoir maraboutique.

instigateurs et les animateurs. La réalisation du rêve devenu projet de la confrérie montre l'importance de la variable historique dans l'analyse du fait urbain et l'affirmation du symbolisme: chaque khalife général (nécessairement descendant direct du fondateur) a marqué l'agglomération; c'est l'enchaînement dans le temps d'efforts urbanisants successifs que reflète la ville. Il s'agit en fin de compte de définir le rôle urbanisant du marabout et de mettre en exergue la place de l'autorité et de la légitimité du pouvoir maraboutique dans la production et la gestion urbaines locales.

La ville est faite d'intérêts qui se rencontrent, négocient et se combattent. Le rêve de ville n'est pas la conscience de ville, et la ville réelle est sans doute toute autre. Quelles sont les limites de l'espace urbain ? Il semble qu'à Touba, on peut distinguer une ville "idéale", une nécropole-ville de pèlerinage, une ville pratiquée par la masse des citadins, une ville-marché, une ville reconnue par l'État (zone du statut particulier), une ville programmée par le cadastre, et enfin une ville administrée. La relative jeunesse de la ville est-elle en cause dans ces distinctions?

Par ailleurs, l'espace urbain évoque la forte hiérarchisation de la confrérie, et exprime à la fois son unité, sa diversité et ses divisions. L'organisation de cet espace est fortement liée à la complexité des jeux de pouvoir internes qui ont rythmé la vie de la confrérie. Elle souligne l'enracinement wolof de la société maraboutique avec la structuration en lignages et matrilignages, qui émettent des logiques diverses de création de quartiers - auxquels ils s'identifient -àtravers des stratégies d'affirmation concurrentielles. La structuration de la société est tellement prégnante que l'on ne peut éviter d'explorer de manière approfondie les règles de cette structuration et les origines diverses de celles-ci (coutume wolof, droit coranique ou arbitrage prophétique). La hiérarchie socio-religieuse se projette dans l'organisation progressive d'un espace dont chaque étape épouse les contours d'un khalifat déterminé. Les pouvoirs respectifs de la famille centrale (celle restreinte de Cheikh Ahmadou Banlba), des familles et matrilignages collatéraux (celles de ses frères et cousins), des lignages de cheikh non Mbacké-Mbacké, des regroupements de

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disciples et multiples acteurs nouveaux ou relancés par l'urbanisation, s'emboîtent et se superposent sur l'espace ou par celui-ci. La confrérie mouride a conçu ses structures d'encadrement en milieu rural où la relation marabout-disciple a été testée et consolidée àtravers une application agricole sous-tendue par une mystique du travail et un principe de proximité des contractants. La doctrine mouride n'en est pas demeurée rurale pour autant. L'émigration vers les villes puis vers le reste de l'Afrique, l'Europe et les États Unis est une forme de sécularisation de cette doctrine qui s'affranchit de la proximité (qui se nourrit de la distance? ) tout en valorisant le retour àTouba, qui constitue ainsi une fin en soi. Cependant, dynamismes ruraux.

urbains et migratoires sont concomitants, et à chacun de ces milieux correspondent une structure d'encadrement et des pratiques particulières de la relation fondamentale.

Aujourd'hui la confrérie construit sa propre ville. expression de ses dynamismes internes et externes, et y inventent des formes de gestion urbaine et d'encadrement qui reflètent la capacité d'adaptation de la confrérie. mais aussi ses contraintes. Au corps maraboutique, s'est jointe une multitude d'acteurs aux logiques et aux intérêts souvent divergents, et qui participent àdifférentes échelles, àl'encadrement d'une société urbaine de plus en plus complexe. Les réseaux religieux mourides deviennent ainsi de véritables tremplins de la mobilisation des citadins et produisent des effets urbanisants substantiels. La confrérie change pour réaliser son rêve de ville et le vécu de celle-ci influence l'idéologie et les pratiques.

La concentration du sacré et du symbolique sur cet espace se nourrit de la conservation et de la mise en valeur de souvenirs liés aux péripéties de la vie du fondateur ou de ses cheikh, fondateurs de quartiers. La manipulation de la mémoire devient ainsi un puissant instrument d'affirmation et de contrôle de la clientèle, dans l'émulation entre les différents segments de la confrérie. Les arbitrages de ces conflits et compétitions ont consacré l'espace comme instrument de régulation des tensions.

Comment s'est traduite la réforme foncière et administrative qui a permis l'application de la loi sur le domaine national dans tout le Sénégal, et fait de Touba-Mosquée (àpartir de 1976) le village-centre d'une Communauté Rurale, gérée par un

conseil? Négociations, superposition de légitimités ou reclassement des anciens pouvoirs?

Par ailleurs, l'intérêt renouvelé des sciences sociales pour l'État post-colonial en Afrique noire, nourri par les crises que celui-ci connaît presque partout et par l'inquiétude que suscitent les conflits qualifiées d"'ethniques", offre un champ de réflexion pour une étude sur des groupes particuliers (ici les confréries musulmanes) par l'intermédiaire des villes qu'elles ont sécrétées. L'urbanisation de Touba doit être regardée sous l'éclairage des relations entre l'État et la confrérie qui ont été largement analysées dans la littérature. Si le mouridisme est une réponse religieuse parmi d'autres à la colonisation, il n'en demeure pas moins que celle-ci a contribué àle modeler, voire à le développer. Touba semble être à la fois le reflet d'une "contrc-société" mouride et le lieu où la "coopération" entre l'État colonial et la confréne mouride a trouvé son domaine d'application. Depuis l'indépendance, ces deux tendances apparemment contradictoires n'ont cessé de s'accentuer. Touba bénéficie d'un statut d'exterritorialité et est considéré par l'administration comme une collectivité territoriale autonome, mais attire les investissements de l'État dans le cadre de ce que Christian Coulon a appelé les "échanges de services"229. Que signifie cette duplicité de l'État dans ces relations avec les confréries islamiques? Touba n'est-il pas dans une certaine mesure une forme de contestation de l'État et une manifestation de la crise qui l'agite? Quelles sont les niveaux d'analyses pertinents des relations État-confrérie mouride dans la ville? Quels formes prennent ces relations ? Que signifie dans le champ des relations entre l'État et la société en général, le développement de sociétés urbaines qui fonctionnent en marge du système habituel de gestion des villes? Les villes religieuses semblent être le résultat du dynamisme des sociétés africaines face à une vision d'un État dominant, coercitif et en mal de légitimité (l'équivalent de ce que fait l'informel dans l'économie) '? La confrérie mouride quantàelle, pourrait en être le reflet.

229COULON, 1981, p.174

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Chapitre 1

Fondements sociaux de l'urbanisation : le projet

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