• Aucun résultat trouvé

La soumission à l’autorité en situation réelle : allô docteur !

Dans le document soumission manipulation Psychologie (Page 76-80)

SUR NOTRE COMPORTEMENT

3.1 La soumission à l’autorité en situation réelle : allô docteur !

Un des reproches qui ont été adressés au paradigme de Milgram est son absence de prise sur la réalité. Bien sûr, on a pu montrer que les sujets pensaient que la victime recevait réellement les chocs, que l’autorité était bien une autorité légitime qui savait ce qu’elle faisait. Néanmoins, comme l’ont évoqué certains auteurs (Blass, 1999a ; Miller, 1975), le caractère un peu surréaliste de cette expérience peut rendre certains sceptiques quant à la possibilité d’obtenir une telle soumission à de tels actes en conditions

naturelles. Si l’on pousse un tel raisonnement dans ses retranchements, le laboratoire permettrait d’exprimer un registre comportemental qui n’existe-rait que dans ce contexte. Ailleurs, notamment en condition naturelle, cet effet d’influence de l’autorité ne s’observerait pas à un tel niveau. Si l’histoire est là pour nous faire douter de la pertinence d’une telle argumenta-tion, elle n’en constitue pas pour autant une preuve expérimentale. Pour cette raison, des chercheurs ont tenté d’évaluer l’effet de la soumission à l’autorité en situation naturelle, dans un contexte habituel pour les sujets.

La plus marquante de toute est sans aucun doute la recherche menée par Hofling, Brotzman, Dalrymphe, Graves et Pierce en 1966 notamment en raison de la caractéristique des sujets utilisés (des infirmières) et du lieu dans lequel leur comportement de soumission a été testé (l’hôpital). Il arrive parfois que le statut des infirmières soit contesté par le comportement des médecins. C’est le cas lorsque le médecin viole les règles d’une procédure dont les infirmières ont habituellement la charge ou lorsqu’il leur ordonne de procéder à quelque chose qui contrevient à leurs principes professionnels.

On peut se demander si une infirmière obéira à l’injonction de donner un médicament à un malade lorsque cette demande émane d’un inconnu qui lui téléphone en se présentant comme un médecin sachant que : 1) la personne est étrangère à l’infirmière, 2) la procédure de prescription par téléphone contrevient aux règles de prescription à l’hôpital, 3) le médicament prescrit n’appartient pas à la liste de médicaments autorisés dans le service, enfin 4) la dose prescrite est, sans ambiguïté, excessive. Afin de tester expérimen-talement la réaction des infirmières, Hofling et ses collaborateurs ont imaginé et mis en place la procédure suivante menée auprès de trente-quatre infirmières d’hôpitaux publics et privés américains.

En condition expérimentale, des boîtes de médicaments étaient placées dans l’armoire à pharmacie de différents services et les indications suivantes étaient portées sur ces boîtes : « Astroten, capsules de 5 mg, dosage ordi-naire 5 mg, dose journalière maximale 10 mg ». À l’aide d’un enregistre-ment, l’expérimentateur téléphonait au sujet (l’infirmière de garde) et se présentait comme un médecin (« Je suis le Dr Hanford » : nom totalement inconnu dans le service) qui disait venir visiter un patient du service (un patient véritablement en soin dans le service). Ensuite, l’expérimentateur demandait à l’infirmière d’aller vérifier dans l’armoire à pharmacie si le médicament (Astroten) avait été reçu. Lorsque l’infirmière revenait pour confirmer la présence du médicament, l’expérimentateur lui demandait d’administrer au patient 20 mg (le double de la dose maximale autorisée) et disait qu’il signerait la prescription ultérieurement mais qu’il fallait que le malade la reçoive pour que cela commence à faire de l’effet lorsqu’il arrive-rait dans dix minutes. L’expérimentateur remerciait ensuite l’infirmière et raccrochait.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

En situation contrôle, la procédure téléphonique était décrite, sur papier, à un groupe d’infirmières en exercice et à un groupe en formation afin qu’elles s’imaginent être dans la situation. Des renseignements d’ordre biographique (âge, sexe, race, etc.) et professionnel (expérience, temps partiel/complet, etc.) étaient demandés aux sujets pour évaluer la correspondance avec le groupe expérimental. On leur demandait de lire le texte et, à la fin de la lecture, l’expérimentateur leur demandait d’écrire tout ce qu’elles pensaient dire et faire dans le cas d’une telle demande. Puis on leur demandait de donner les raisons qui justifiaient leur décision. On leur demandait ensuite de dire ce que la majorité du groupe avait pu écrire.

Les résultats obtenus, contrairement à ce à quoi on pouvait spontanément s’attendre, dépassent ceux obtenus par Milgram. Sur vingt-deux infirmières du groupe expérimental, vingt et une (95.5 %) ont obéi à la demande de l’expérimentateur et ont administré la dose prescrite par le faux médecin (en fait une simple solution glucosée). Parmi les douze infirmières du groupe contrôle, 10 (83.3 %) ont mentionné qu’elles n’auraient pas obéi à la demande en raison du dosage et de l’absence de demande écrite ou du non-respect des règles de prescription. Dix sur douze ont également mentionné qu’elles pensaient que les infirmières, dans leur majorité, ne se conforme-raient pas à cet ordre. Sur vingt et une infirmières en formation interrogées ultérieurement, toutes ont mentionné qu’elles n’auraient pas obéi à la demande en raison principalement du dosage.

95.5 % d’obéissance totale dans cette expérience menée en condition naturelle alors que, lors d’un entretien ultérieur, on a pu mettre en évidence que les infirmières du groupe expérimental ont, majoritairement, été conscientes du caractère non professionnel de cette demande. Onze ont avoué être conscientes de la contradiction concernant le dosage et dix-huit être conscientes du caractère non professionnel et illégal de la demande par téléphone dans ce cas. Néanmoins, parmi les vingt et une qui ont obéi dans le groupe expérimental, quinze (68.2 %) ont évoqué des cas similaires et rappelé la contrariété du médecin lorsqu’elles n’avaient pas appliqué sa pres-cription. Il semble donc que le coût d’une désobéissance dans ce cas était tel qu’il a conduit de manière encore plus marquée les personnes à obéir à cet ordre. Contrairement à l’expérience de Milgram, un lien de subordination réel existait entre les sujets et la source d’autorité. Cela pourrait expliquer ce taux plus important d’obéissance.

Bien entendu, ces résultats sont à relativiser. L’expérience a été menée il y a maintenant trente-cinq ans et a été conduite sur un faible nombre de sujets.

Toutefois, le taux d’obéissance est tel qu’il semble attester que des situations de forte subordination à une autorité sont des conditions qui favorisent l’émission de comportements pour le moins problématiques et contestables d’un point de vue professionnel. Ils donnent également matière à réflexion

sur l’intérêt qu’il y a à interroger l’exercice du pouvoir dans les structures organisationnelles où, pourtant, la coercition est, en apparence, absente des procédures d’exercice de ce pouvoir. Ici, une injonction banale, émanant d’un supérieur hiérarchique, conduit, dans une structure organisationnelle très hiérarchisée comme peut l’être l’hôpital, à l’adoption de comportements contraires à une éthique professionnelle et dangereux pour autrui.

Les résultats obtenus par Hofling et al. (1966) nous aident à comprendre cette notion d’état agentique si chère à Milgram. À l’hôpital, les délimita-tions des responsabilités de chacun sont très nettes et sont fonction de la place qu’il occupe. Les médecins tiennent le haut de la pyramide et possè-dent le pouvoir. Ils sont les seuls à avoir compétence et délégation pour poser un diagnostic : leur diagnostic. Celui-ci ne peut être contesté par des person-nes qui n’ont pas cette compétence ou cette délégation et, sont là, la plupart du temps, pour exécuter une prescription en lien avec le diagnostic établi par le médecin. Cette pratique est immuable et s’établit dans le cadre d’une longue tradition de la répartition des rôles et l’attribution des responsabilités.

Cela conduit à entraîner une réponse automatique même quand la prescrip-tion est entachée d’une erreur. Comme le dit si bien Cialdini (1990), « les subordonnés cessent de penser et se contentent de réagir » (p. 207). Cet effet de réponse automatique aux ordres d’un médecin explique très bien les 95.5 % d’obéissance totale obtenus auprès des infirmières dans l’expérience de Hofling et al. (1966). Il est à noter que cette expérience, valide, de manière empirique, d’autres travaux sur cet effet de réponse automatique.

Pendant longtemps, on a montré, dans des études faites par des associations de consommateurs, que les pharmaciens étaient susceptibles, dans une forte majorité, de fournir des médicaments dont l’association était dangereuse afin de respecter cette prescription. Il a fallu un arsenal législatif pour combattre cette réponse à l’autorité justement en engageant la responsabilité du phar-macien en cas de problème imputable à cette délivrance de médicaments incompatibles. Certaines anecdotes valident également cet effet de réponse automatique aux ordres du médecin. Cialdini (1990) rapporte l’histoire d’un médecin qui avait prescrit un traitement pour un patient souffrant d’une affection auriculaire. Comme ce traitement comprenait plusieurs médica-ments sous forme de gouttes, le médecin, plutôt que de donner, à chaque fois, le mode de prescription et la posologie avait, pour chaque produit suivant, porté la mention : « traitement analogue ». Comme, de plus, il avait réduit tout cela, on trouvait la mention : « traitement anal ». Il s’est avéré que l’infirmière ayant reçu cette prescription et connaissant pourtant la fonction et le mode d’administration du médicament, l’a néanmoins appliqué comme cela était dicté par le médecin. Les gouttes destinées aux oreilles de notre patient ont donc été consciencieusement introduites dans son anus. L’infir-mière avait cessé de penser pour ne se focaliser que sur le respect de la pres-cription et cela, nonobstant, son inadéquation.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.

3.2 Les formes modernes de soumission à l’autorité :

Dans le document soumission manipulation Psychologie (Page 76-80)