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Responsabilité de l’engagement ou engagement à la responsabilité ?

Dans le document soumission manipulation Psychologie (Page 153-160)

QUI NE PEUT LE PLUS, PEUT LE MOINS

3.2 Responsabilité de l’engagement ou engagement à la responsabilité ?

On peut donc dire, à la lecture des résultats des expériences présentées ci-dessus, que l’engagement à faire est un puissant vecteur d’induction du comportement. Toutefois, certaines recherches montrent que ce n’est pas l’engagement seul qui explique un tel changement dans le comportement d’intervention des personnes. Ainsi, Schwarz, Jennings, Petrillo et Kidd (1980) ont répliqué le paradigme de Moriarty dans une bibliothèque mais ont également utilisé une troisième situation où un sujet s’engageait auprès d’un compère qui, lui-même, prétendait surveiller les affaires d’une personne.

Comme ce compère disait devoir s’absenter pour aller en cours, il demandait

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donc au compère de prendre le relais et de surveiller les affaires. Quelques minutes plus tard, un second compère volait une calculatrice restée sur la table. Les résultats qui ont été obtenus sont présentés dans le tableau 2.15 ci-dessous. Comme précédemment, le taux d’intervention du sujet a été mesuré mais, fait nouveau, la latence de son intervention, c’est-à-dire le temps mis pour arrêter le voleur, a également fait l’objet d’une mesure par déclen-chement d’un chronomètre dont la gestion était assurée par un discret obser-vateur. Bien entendu, ce temps n’était mesuré qu’auprès des sujets qui sont intervenus.

Tableau 2.15

Taux d’intervention et latence de l’intervention selon les conditions expérimentales

Si on réplique les résultats classiques de Moriarty, on observe également que les sujets, en condition d’engagement délégué, sont moins intervenus pour empêcher le vol que dans une situation où l’engagement à surveiller était formulé par la victime. En outre, la latence du temps de réaction a augmenté drastiquement dans cette condition par rapport à celle d’engage-ment direct où l’on peut voir que la réaction est quasid’engage-ment immédiate. On voit bien qu’il y a une profonde analyse de la situation en condition d’enga-gement délégué qui vraisemblablement, altère, au bout d’un moment, la capacité d’intervention du sujet.

3.2.1 Être engagé, c’est être responsable

Il semble donc que ce n’est pas l’engagement de surveillance qui explique l’intervention du sujet mais bien un engagement envers une personne déter-minée (ici la victime du vol). Il est donc vraisemblable que c’est lorsque la responsabilité directe du sujet est engagée que l’engagement prend toute sa force d’influence et détermine ainsi le comportement d’intervention du sujet.

Dans la recherche de Schwartz et al. (op. cit.), on est en droit de penser que si le sujet n’a pas fourni le même type de réponse comportementale à l’égard du voleur en condition d’engagement délégué, c’est parce qu’il y a eu dilu-tion de sa responsabilité à intervenir. Or, de nombreux travaux sur l’aide à autrui ont montré, et notamment dans des situations d’urgence, que cet effet de diffusion de responsabilité inhibe le comportement d’intervention ou

Engagement victime

Engagement délégué

Pas d’engagement

Taux d’intervention (en %) 100.0 60.0 40.0

Latence de l’intervention

(en secondes) 2.70 31.72 42.02

d’assistance à autrui (Latané et Darley, 1970). Cette diffusion de responsabi-lité est obtenue de multiples manières. On sait que la simple présence d’autrui contribue à diminuer le taux d’aide que l’on est susceptible d’appor-ter à quelqu’un (Hurley et Allen, 1974). En outre, une relation linéaire néga-tive entre le taux d’aide et le nombre de personnes est généralement observée (Latané et Darley, op. cit.). L’absence de sollicitation directe de la part de la personne nécessiteuse contribue également à diminuer ce taux d’aide (Goldman, Broll et Carril, 1983). L’inférence selon laquelle le sujet a une part de responsabilité dans ce qui arrive à la victime intervient également sur le taux d’aide. Ainsi, Samerotte et Harris (1976) ont montré que si un compère faisait croire à un passant, à l’aide d’une simple phrase faussement attribuée, qu’il avait une certaine responsabilité dans le fait que le compère avait fait tomber des enveloppes par terre, cela suffisait pour doubler le taux d’aide à la prétendue victime. La simple inférence selon laquelle le sujet estime être le seul à pouvoir produire la réponse adéquate accroît également sa responsabilité et donc une réponse d’intervention subséquente. Ross (1971) a montré qu’un adulte en présence de deux autres compères ayant pour consigne de ne rien faire, n’intervient pas lorsque de la fumée entre dans la pièce où il se trouve ou lorsqu’un ouvrier mime une chute grave dans une pièce adjacente. Lorsqu’il est seul, le sujet intervient dans la totalité des cas. Or, ce n’est pas simplement la présence d’autrui qui inhibe cette fonc-tion puisque, lorsque le sujet est en présence de deux enfants qui ont également pour consigne de ne rien faire, il intervient. En outre, la latence de son intervention diminue. Il semble donc que si les circonstances renforcent sa responsabilité personnelle à intervenir – ici la présence d’enfants qui ne peuvent savoir ce qu’il convient de faire en pareille circonstance – cela conduit à faciliter l’émission du comportement nécessaire à une telle situa-tion. Aussi, dans la recherche sur l’engagement délégué de Schwarz, Jennings, Petrillo et Kidd (1980), on peut penser que le plus faible taux d’intervention face au voleur procède de ce sentiment moins fort de respon-sabilité personnelle du sujet à intervenir. De plus, dans la recherche de ces auteurs, on a bien observé une latence plus importante de la réponse compor-tementale en condition d’engagement délégué qu’en condition d’engage-ment direct. Il semble donc que ce travail d’évaluation de la responsabilité nécessite un temps de traitement et d’évaluation plus long qui vient, encore une fois, réduire la probabilité d’émettre le comportement adéquat en pareille circonstance.

À notre connaissance, seule une recherche a tenté d’évaluer l’hypothèse d’activation de la responsabilité en situation d’engagement. De plus, cette recherche présente l’avantage d’avoir employé le paradigme de Moriarty.

Shaffer, Rogel et Hendrick (1975) demandaient à un compère de s’installer devant un étudiant assis à une table de bibliothèque. Au bout de deux minu-tes, le compère s’en allait en laissant ses affaires sur place. Dans la moitié des cas, il demandait à l’étudiant de bien vouloir surveiller ses affaires.

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ques minutes après, un second compère s’installait à côté de la place laissée vacante par le premier compère et entreprenait de fouiller ses affaires et de voler ouvertement un billet dans le portefeuille de ce dernier ou une montre de poche laissée là. Son vol accompli, ce second compère s’en allait en ayant au préalable regardé le sujet dans les yeux. Comme dans la plupart des recherches, on observera un taux d’intervention plus important en condition d’engagement (67 %) qu’en condition contrôle où, cette fois, aucun contact préalable entre la victime et le sujet n’avait eu lieu (13 %). Lorsque le sujet n’était pas intervenu, le premier compère revenait et mimait alors un profond désarroi en constatant le vol. Il demandait alors au sujet s’il avait remarqué quelque chose. Si celui-ci répondait par l’affirmative, le compère lui deman-dait par où était parti le voleur, comment était-il, etc. Ici encore, on observera que, en condition d’engagement, l’aide fournie à la victime par les sujets qui n’étaient pas intervenus initialement, était plus prononcée qu’en condition contrôle. Le plus intéressant dans cette recherche a été la mesure de la responsabilité ressentie par le sujet et qui faisait l’objet d’une évaluation après que les faits se sont déroulés. Les résultats montreront que les sujets non intervenus en condition d’engagement s’estimaient plus responsables de ce qui arrivait à la victime et s’estimaient plus négligents de ne pas être inter-venus qu’en condition contrôle. Cette responsabilité semble corroborée par le comportement des sujets, puisqu’une évaluation de leur comportement par la méthode des juges-observateurs situés à une dizaine de mètres de la scène, a montré qu’en condition d’engagement, 100 % des sujets ont été attentifs aux agissements du voleur contre 79 % en condition contrôle. En outre, parmi les sujets qui ne sont pas intervenus, les observateurs ont estimé qu’il y avait, en condition d’engagement, plus de volonté manifeste à intervenir même si le comportement explicite d’intervention n’a pas été produit par ces sujets.

Il semble donc avéré, dans cette recherche, que l’engagement active un sentiment de responsabilité de la part du sujet. Une seconde expérience de Shaffer, Rogel et Hendrick (1975) confirmera cet effet : en condition d’enga-gement, les sujets s’auto-estimaient plus responsables de ce qui pourrait arri-ver à la victime s’ils n’intervenaient pas. De plus, dans cette seconde expérience, les auteurs avaient introduit une condition dans laquelle un troisième compère était assis à proximité du sujet et devenait, du coup, spec-tateur du vol. Celui-ci avait pour consigne de mimer la passivité. Dans cette condition, les résultats montreront une baisse du taux d’intervention du sujet en condition d’engagement tandis qu’une baisse de la responsabilité auto-évaluée sera également enregistrée comparativement à la situation d’engage-ment où le sujet était seul spectateur de la scène. Ces deux expériences sont, à notre connaissance, les seules à avoir testé l’hypothèse d’une activation et d’une diffusion de responsabilité en condition d’engagement lié à un comportement de surveillance. Les résultats obtenus attestent que les varia-bles expérimentales manipulées (engagement et diffusion de responsabilité)

se traduisent bien par des auto-évaluations de responsabilité qui varient selon les conditions. Lorsque le sujet est le seul à pouvoir agir et qu’il y a eu enga-gement préalable, ce niveau de responsabilité apparaît comme étant presque deux fois plus élevé qu’en condition contrôle. Il est donc vraisemblable que cette norme de responsabilité (Latané et Darley, 1970) soit activée par la requête d’engagement formulée par la victime et que cette responsabilité explique, par la suite, le comportement d’intervention du sujet lorsque le vol survient.

La norme de responsabilité activée par la technique d’influence renforce-rait l’idée que le sujet est le seul à pouvoir aider le solliciteur, ce qui condui-rait à augmenter l’aide que le sujet secondui-rait en mesure de lui apporter. En outre, on sait que la norme de responsabilité activée conduit, si cette responsabilité est prise en défaut, à augmenter l’aide consentie, par la suite, au solliciteur.

Ainsi, Harris et Samerotte (1976) ont montré que si le sujet n’avait pas remarqué qu’un vol avait lieu, il se soumettait plus volontiers, en condition d’engagement, à une requête ultérieure de demande d’argent émanant de la victime. De plus, le montant des dons qu’il accordait à la victime était, dès lors, plus substantiel.

3.2.2 La persistance de l’engagement

La puissance d’influence de l’engagement est également contenue dans sa persistance temporelle : on s’engage et on s’engage durablement. Ainsi, une recherche de Joule (1994) a montré que des chômeurs de longue durée mis en situation engageante dans le cadre d’une formation, se montraient plus motivés, plus impliqués dans cette formation. Toutefois, après que cette formation a cessé, et donc après que la situation engageante a été interrom-pue, on a pu observer que l’implication, la motivation des personnes persis-tait et se traduisait par des comportements en lien avec cette implication initiale suscitée par l’engagement. Castra (1995) a observé une meilleure insertion chez des sujets (des jeunes à faible niveau de qualification) placés dans un tel dispositif d’engagement dans la formation. De fait, si cet effet durable de l’engagement s’observe, on peut penser qu’il en va de même de la responsabilité activée par un tel engagement. Du coup, cela devrait donc conduire le sujet à plus se préoccuper de ce qu’il advient à la personne qui l’a engagé et cela même si l’engagement est levé. Une recherche récente de Guéguen et Triffaut (2002) a testé cet effet de persistance d’un engagement initial devenu caduque et a également testé l’impact du temps sur cet engage-ment. Leur recherche s’est déroulée dans des trains régionaux où un compère venait s’asseoir en face d’un sujet sur une banquette et se mettait à lire une revue. En condition d’engagement différé, à peine le compère s’était-il installé, qu’il se levait et disait au sujet : « Je vais aux toilettes, vous pouvez jeter un coup d’œil sur mes affaires ? Merci. » Sans attendre de réponse de la part du sujet, le compère se dirigeait alors vers les toilettes situées en bout de

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voiture et s’y enfermait deux minutes. Au terme de ce délai, il revenait à sa place et s’asseyait sans échange verbal ni non verbal avec le sujet. Il entre-prenait alors de reprendre la lecture de sa revue. En condition d’engagement récent, le compère procédait exactement de la même manière mais il ne se rendait aux toilettes que cinq minutes avant l’arrêt en gare. Enfin, en condi-tion contrôle, à peine installé, le compère établissait une courte interaccondi-tion avec le sujet en lui demandant l’heure. Par la suite, il procédait comme précédemment. Il se levait au bout de quelques minutes puis se rendait aux toilettes et revenait s’asseoir après deux minutes. Bien entendu, ici, le compère n’avait pas demandé au sujet de surveiller ses affaires pendant ce temps. Lorsque le train arrivait en gare, le compère se levait, rassemblait ses affaires et s’en allait en « oubliant » sa revue sur son siège. On évaluait si la personne indiquait ou pas au compère cet oubli. Les résultats de ces taux d’intervention sont présentés dans la figure 2.4 ci-dessous.

Figure 2.4

Taux d’intervention du sujet selon la condition expérimentale

Comme on peut le voir, il y a bien un effet de persistance de l’engage-ment. Il n’y a plus de vol à craindre, le compère est revenu et, pourtant, il semble que le sujet ait été plus attentif à l’égard des affaires du compère puisqu’il a signalé, plus souvent, l’oubli de la revue. On remarquera d’ailleurs que ce taux intervention est d’autant plus élevé que l’engagement a été formulé quelques minutes avant que le compère ne s’en aille.

Bien entendu, en raison de la difficulté de mise en place d’une telle expé-rience, il était difficile de mesurer le niveau de responsabilité des sujets.

Aussi, une évaluation a été faite par des étudiants auxquels le scénario de l’expérience était présenté sans, toutefois, que les résultats soient présentés.

On leur demandait ainsi de se mettre à la place du sujet et d’estimer leur niveau de responsabilité et de négligence à l’égard de ce qui arrivait au compère et d’estimer également le niveau de responsabilité personnelle et de

100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 Taux d’intervention (en %) 0

Contrôle Engagement différé Engagement récent

négligence du compère. Les résultats obtenus sont présentés dans le tableau 2.16 ci-dessous.

Tableau 2.16

Moyenne des évaluations selon le type de scénario (scores supérieurs = accentuation de la dimension mesurée)

Exception faite de la mesure de la responsabilité de la victime, les diffé-rences entre les deux groupes sont toutes statistiquement significatives. On remarque que le niveau de responsabilité et de négligence que le sujet s’auto-attribue est faible (9 était la valeur maximum) tandis qu’il est plus élevé dans le cas où on attribue ces dimensions au compère. Il semble donc que les sujets responsabilisent plus le compère que l’observateur de la scène. Toute-fois, les sujets s’attribuent moins de responsabilité et de négligence et en attribuent plus au compère en condition contrôle. Il apparaît donc qu’ils sont en mesure de percevoir le niveau de responsabilité qu’entraîne l’engagement initial qui, vraisemblablement, les conduit à différencier leurs évaluations par rapport au groupe contrôle. Cela va donc dans le sens d’un effet de persistance de cette responsabilité qui semble se traduire, au niveau compor-temental, par plus d’intervention de la part des sujets.

Baer, Goldman et Juhnke (1976) ont confirmé ces effets dans une expé-rience originale testant cet effet d’induction d’une responsabilité préalable par un acte engageant. Leur expérience impliquait trois compères qui se trouvaient dans un ascenseur au moment où un sujet rentrait. Le premier compère demandait au sujet s’il savait quel jour on était. Puis, après avoir reçu l’information, il le remerciait. Quelques instants plus tard, le premier compère demandait à un second si l’ascenseur allait au dernier étage. Ce deuxième compère répondait « oui » alors que son information était fausse.

Dans une autre condition, le premier compère demandait la date au sujet mais c’était le troisième compère qui demandait au second l’étage d’arrêt de

Engagement Contrôle

Responsabilité du sujet pour l’oubli

de la revue 2.46 1.74

Négligence du sujet pour ne pas avoir

jeté un coup d’œil 3.07 2.14

Responsabilité du sujet pour surveiller

les affaires 3.36 2.13

Responsabilité de la victime

pour l’oubli de la revue 6.39 6.89

Négligence de la victime pour ne pas

avoir jeté un coup d’œil à ses affaires 6.00 7.26

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l’ascenseur. Enfin, en condition contrôle, l’interaction préalable entre le premier compère et le sujet n’avait pas lieu. Dans cette recherche on mesu-rait à quel point le sujet intervenait pour rectifier l’information fausse donnée par le second compère. Les résultats montreront que 70 % des sujets ont rectifié l’information lorsque c’était le premier compère qui demandait l’information sur l’étage contre 35 % lorsqu’il s’agissait du troisième. Enfin, en condition contrôle, l’information sera rectifiée dans 33 % des cas. Ici encore, l’activation d’une responsabilité préalable à aider autrui produit un effet de persistance qui conduit à faciliter une aide ultérieure spontanée.

Dans l’ensemble, les travaux que nous venons de présenter montrent que l’engagement a une propriété d’activation de la responsabilité personnelle du sujet à accomplir l’acte qui lui est demandé et il semble que cette responsabi-lité explique bien son comportement ultérieur. Indépendamment du contexte de l’engagement, on sait que plus on augmente ce sentiment de responsabi-lité personnelle, plus on tend à accroître le comportement d’aide (Ross, 1971). De fait, cette responsabilité pourrait bien être ce qui lie l’individu à son acte car en augmentant ainsi l’implication du sujet par la médiation de l’engagement, il est logique d’observer à la fois une augmentation de la production de l’acte et un effet de persistance de celui-ci dans le temps. Bien entendu, cet effet ne se limite pas aux seuls engagements à surveiller les affaires d’autrui. Nous allons voir, dans la partie qui va suivre, que les effets de l’engagement s’observent pour nombre de comportements. Il est toutefois vraisemblable que, dans de nombreux cas, cette médiation par la responsabi-lité personnelle explique les effets obtenus.

3.3 Avoir l’intention de faire suffit déjà même lorsque

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