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L’expérience princeps

Dans le document soumission manipulation Psychologie (Page 95-98)

LE DOIGT DANS L’ENGRENAGE

1.1 L’expérience princeps

L’objectif de la première recherche expérimentale de Freedman et Fraser (1966) était d’obtenir de ménagères qu’elles acceptent que des enquêteurs (cinq ou six pas moins) viennent chez elles pendant deux heures afin de répertorier les produits qu’elles utilisaient dans leur maison. Ces charmantes dames prises au hasard dans le bottin téléphonique d’une ville américaine étaient sollicitées, par téléphone, par un enquêteur d’un « organisme privé » dont le nom était inventé pour la circonstance. Après s’être présenté, il demandait à la personne si elle accepterait de répondre à un court question-naire composé de huit questions sur ses produits de consommation courante.

En cas d’acceptation, le questionnaire était alors soumis et, au terme de la conversation, l’enquêteur remerciait chaleureusement cette dame, lui souhai-tait une bonne journée puis raccrochait. Trois jours plus tard, ce même enquêteur téléphonait à nouveau aux ménagères ayant accepté de répondre initialement et leur demandait alors si celles-ci accepteraient de recevoir la fameuse équipe d’enquêteurs chez elles. À des fins de comparaison, un groupe contrôle avait été constitué qui se voyait formuler directement la requête finale. En outre, deux autres conditions expérimentales étaient intro-duites afin d’évaluer, plus précisément, le mécanisme cognitif sous-jacent à la technique. Dans un troisième groupe, on procédait comme dans le cas du

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Pied-dans-la-Porte mais le questionnaire préparatoire n’était pas soumis aux sujets. Dans ce cas, l’enquêteur prétextait simplement qu’il les contacterait ultérieurement. Dans un dernier groupe, enfin, il n’était fait aucunement allu-sion au questionnaire et l’enquêteur se contentait de téléphoner pour présen-ter l’organisation à laquelle il appartenait et ce qu’elle faisait. Les résultats qui furent obtenus sont présentés dans le tableau 2.1 ci-dessous.

Tableau 2.1

Taux d’acceptation de la requête finale

Le premier groupe présenté ici se différencie statistiquement des autres groupes. Pour Freedman et Fraser (1966), ces résultats attestent bien de l’efficacité de la méthode et permettent de commencer à expliquer les condi-tions qui rendent cette technique efficace. Apparemment, la familiarité entre la ménagère et l’enquêteur ne jouerait pas puisque l’on observe bien une différence entre le premier et le troisième groupe alors que l’interaction entre les deux personnes a été de même durée. Au contraire, il semble bien que ce soit le fait d’accepter d’effectuer la première requête qui prédispose à accep-ter la seconde. Pour autant, certaines questions restaient en suspens : l’accep-tation de la requête finale dépendait-elle de l’accepl’accep-tation de la première requête ou d’un engagement initial de faire quelque chose auprès d’un enquêteur devenu familier ? Afin de mieux cerner le mécanisme expli-catif à l’efficacité du Pied-dans-la-Porte, Freedman et Fraser vont effectuer une seconde expérience dont les résultats stupéfieront, pendant de nombreu-ses années, les psychologues sociaux.

Il s’agissait, cette fois, d’une requête qui apparaissait, au premier abord, comme plus exorbitante que la précédente puisque l’objectif était d’obtenir de résidents de maisons individuelles qu’ils posent dans leur jardin un large panneau (pas moins de 16 m2) sur lequel était inscrit : « Conduisez prudemment » et cela, pour le compte d’un supposé service public d’infor-mation de sécurité routière.

L’expérience a donc été réalisée auprès de propriétaires de pavillons d’une banlieue calme d’une ville et quatre conditions expérimentales combinant deux facteurs ont été utilisées. Comme précédemment, il fallait concevoir une requête préparatoire qui soit facilement acceptée par les sujets. Aussi,

Pied-dans-la-Porte Contrôle

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deux types de requêtes ont été élaborés qui consistaient à demander à certai-nes personcertai-nes de mettre un autocollant sur leur voiture ou, alors, pour d’autres personnes, de signer une pétition. La pétition ou l’autocollant portait, selon le cas, sur la sécurité routière (message d’incitation à conduire avec prudence) ou l’écologie (incitation à garder sa région propre). Cette sollicitation, contrairement à précédemment, ne se faisait pas par téléphone mais en face-à-face, au domicile des personnes. Deux semaines après, un autre expérimentateur se présentait au domicile de ces mêmes personnes (il était, de plus, ignorant de la manipulation préalable) pour présenter la requête finale. Un groupe complémentaire de personnes, non sollicitées pour signer la pétition ou mettre un autocollant, était également introduit afin de constituer le groupe contrôle. À l’ensemble de ces personnes, l’expérimenta-teur demandait si elles accepteraient de mettre un panneau publicitaire en faveur de la prévention routière dans leur jardin. Ce panneau étant de grande taille, une photographie représentant celui-ci à proximité d’un pavillon stan-dard était présentée aux sujets afin qu’ils puissent se rendre compte des conséquences esthétiques que la pose d’un tel panneau pouvait entraîner.

Malgré le caractère exorbitant de cette requête finale, les taux d’accepta-tion obtenus par Freedman et Fraser ont dépassé certainement toutes leurs espérances. La synthèse de ces différents taux de soumission est présentée dans le tableau 2.2 ci-dessous.

Tableau 2.2

Taux d’acceptation à la seconde requête (en %)

En condition contrôle, c’est-à-dire dans le cas où les personnes n’ont pas été sollicitées une première fois, le taux d’acceptation de la mise en place du panneau a été de 16.7 % et s’avère statistiquement différent de tous les autres taux. On confirme donc, à nouveau, l’effet du Pied-dans-la-Porte. Comme on peut le voir, lorsqu’il y a convergence entre le thème et les caractéristiques des deux requêtes (condition « autocollant pour la sécurité routière »), les personnes acceptent d’autant plus facilement la seconde requête.

Type de requête préparatoire Mettre un autocollant Signer une pétition Justification

Sécurité routière 76.0 47.8

Préservation de la nature 47.6 47.4

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