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Chapitre V. Rapport à l'autre

5.2. La démocratie dans les municipalités rurales agricoles

5.2.4. Ce que souhaite l'UP pour démocratiser le territoire rural

Dans les prochains paragraphes, nous allons approfondir les énoncés précédents concernant ce que nous avons déjà écrit en ce qui à trait à ce que l'UP propose pour favoriser l'égalité politique entre les individus et/ou les groupes. D'abord l'UP souligne que "pour restaurer la paix sociale et rétablir l'équilibre des usages en milieu rural" (2004, (5), p. 2), "la MRC293 et les municipalités doivent retrouver la marge de manœuvre" qui leur a été retirée avec les lois 23 et 184 (ibid., pp. 2,8). Ceci, afin de redonner "aux MRC la capacité de planifier efficacement l'utilisation de la zone agricole en fonction de tous et non d'un seul groupe d'intérêt" (2004, (7), p. 2). Soulignons que pour l'UP, le projet de loi 23 qui fut sanctionné en 1996 et qui est entré en vigueur en 1997 "est issu des pressions de l'UPA et de l'industrie dans la crise porcine" (PP, p. 22). Kesteman et al. (2004, p. 368) affirment quant à eux, que l'adoption de la loi 23 en 1996 a permis de faire retomber les tensions entre le gouvernement du Québec et l'UPA. L'origine des tensions remontait au projet de loi 123 (1995) qui selon l'UPA ne protégeait plus autant les activités agricoles en territoire agricole (ibid, p. 367).

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Récemment le ministère des Affaires municipales et des régions a rejeté le règlement de contrôle intérimaire (RCI) de la MRC de Kamouraska qui tenait à encadrer la production porcine, car il le jugeait trop contraignant pour les éleveurs (L.G. Francoeur, Le Devoir, 20 et 21 janvier 2007, p. A-4).

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Nous avons déjà indiqué que pour l'UPA, la loi 23 favorisait la concertation entre le milieu agricole et les municipalités. Mais l'UP souligne qu'un questionnaire envoyé à 300 municipalités dégage "un constat d'impuissance à gérer et à développer leur territoire" (2003/2004, (4), p. 14). Ces propos sont partagés par le Barreau dans la conclusion de son mémoire sur le projet de loi 23 : "Le Barreau est d'opinion que l'ensemble des dispositions du projet de loi confère au gouvernement un pouvoir extrêmement étendu en matière d'aménagement sur les zones agricoles, réduisant par là l'autonomie des municipalités et le principe de décentralisation, de la déconcentration et de la responsabilisation des municipalités" (juin, 1996, p. 28).

L'UP demande donc que la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles soit modifiée pour les territoires "en dehors des zones périurbaines" (2004, (6), p. 2). Elle souhaite que les décisions soient décentralisées et que les décideurs soient les élus qui ont le devoir de rendre des comptes à leurs électeurs (idem). Pour l'UP, la décentralisation et la déconcentration des pouvoirs impliquent qu'il revient aux MRC, de concert avec les municipalités, "de caractériser la zone agricole de façon à protéger efficacement la zone agricole dynamique tout en ouvrant les zones à faible potentiel agricole (agroforestière et déstructurée) à la résidence et aux projets agricoles à petite échelle" (idem)294 .

Ensuite, cette démocratisation de l'espace rural, pour l'UP, nécessite d'amender aussi "le Code municipal et la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme" afin d'accorder "un droit des citoyens à l'information, à la consultation et à la décision" sur des projets agricoles (2003, p. 25). On voit ici que l'UP demande que le citoyen ne soit pas seulement informé comme c'est le cas actuellement, mais qu'il puisse aussi avoir un pouvoir décisionnel.

Enfin, un autre moyen pour démocratiser le territoire rural agricole notamment, est le concept d'un syndicat agriculteurs-citoyens mis de l'avant par l'UP. Bouchard (2002, p. 159) présente le concept de syndicat-citoyen comme "l'élément le plus innovateur

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157 de l'Union paysanne"295. Il ajoute : "Le syndicat citoyen s'inscrit dans l'expérimentation de nouvelles filières démocratiques susceptibles de combler les graves lacunes des filières démocratiques traditionnelles, telle la représentation parlementaire, attribuables notamment au corporatisme accru et à la toute- puissance des médias" (ibid., p. 161). Cette idée que le syndicat agricole serait composé de citoyens autres que les agriculteurs se retrouve dans la constitution de l'Union paysanne. On peut y lire que "l'Union paysanne a pour but de regrouper en une force collective organisée et représentative tout ceux qui sont en faveur d'une agriculture et d'une alimentation paysannes pour faire contrepoids au monopole de représentation syndicale …" (ibid., p. 158). L'UP avance deux autres raisons pour expliquer la création d'un syndicat citoyen agriculteur. Premièrement, pour l'UP, le modèle agricole doit être basé sur une décision collective, car l'agriculture et la ruralité touchent tout le monde. "L'Union paysanne a fait le pari que citoyens et agriculteurs, au-delà de leurs intérêts de groupe, se rejoignaient dans le besoin fondamental de se nourrir de la terre et de s'approprier son territoire, de vivre fort heureux dans leur milieu et leur communauté" (2004, (7), p. 5). Deuxièmement, la création de syndicats citoyen/agriculteur est une condition nécessaire pour mettre fin au corporatisme des syndicats et plus particulièrement au corporatisme de l'UPA (Bouchard, 2002, p. 159) qui, selon l'UP, est "un club corporatif de plus en plus restreint" (idem).

Si le concept est nouveau on ne peut toutefois ignorer les difficultés qui se profilent à l'horizon. À l'image de l'UPA, l'UP a créé des unions sectorielles de production dans le but d'inciter des agriculteurs insatisfaits de l'UPA à rejoindre ses rangs296. Mais comme le souligne Bouchard dans le journal de l'Union paysanne (2003/2004, (4), p. 17) : "Les citoyens membres du mouvement devront s'investir complètement […] sinon ils seront marginalisés devant la poussée des producteurs qui, décidés à investir le mouvement, sont prêts à y mettre l'argent nécessaire". On peut donc comprendre que la création de l'union sectorielle «citoyen» constitue une mesure

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Bové et Dufour (2002, p. 243) présentent la position de la Confédération paysanne au sujet de la participation des citoyens à la redéfinition de l'agriculture.

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Soulignons que la Loi sur les producteurs agricoles exige des unions sectorielles pour le syndicat unique légalement reconnu. Conséquemment, l’UP n’est pas obligée de se soumettre à cette loi.

158 visant à contrer les risques que représente la création d'unions sectorielles de production pour les membres non agriculteurs de l'UP.

L'évolution concrète du concept de syndicat-citoyen est à suivre297. À l’heure actuelle, l’UP tend-elle de plus en plus vers une logique d'un syndicat-paysan ou plutôt vers un syndicat citoyen-paysan ? Est-ce que l'UP est de plus en plus corporatiste ? Weber (1991, p. 160) écrit : "une corporation est une association d'artisans spécialisée selon un type de métier. Sa fonction s'exerce selon deux exigences, l'une interne : réglementer le travail ; l'autre externe : en obtenir le monopole" (ici on peut le comprendre comme le monopole des agriculteurs/paysans au détriment des membres citoyens). Le temps dira si l'UP sera en mesure de traverser ses crises. Si elle y parvient, pourra t-elle réussir à concilier ce qui par définition semble inconciliable ?

5.2.5. Résumé

En résumé, selon l'utopie de l'UP, la démocratie en région rurale est déficitaire. Les désirs et les intérêts de l'autre sont subordonnés aux intérêts et désirs des agriculteurs et d'une agriculture productiviste. Cette inégalité politique se traduit dans les faits par la difficulté à assurer une cohabitation sociale harmonieuse entre les agriculteurs et l'autre et par le dépeuplement et la dévitalisation des régions périphériques. Pour l'UP, le gouvernement et l'UPA sont à blâmer, car ils défendent une loi sur le zonage en région rurale qui normalise les inégalités politiques et qui favorise les conflits sociaux et l'appauvrissement des régions périphériques principalement. Cette idée est exprimée à sa façon par Pisani (2004, p. 27) : "Voici des lustres qu'il [le Parlement français] considère le monde agricole comme une

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Bien sûr si l'UP réussit à se maintenir comme regroupement, ce qui n'est pas du tout évident lorsqu'on regarde, notamment, le taux de participation au congrès annuel de 2005, la mise sur la glace de la publication du journal de l'UP depuis mars 2005 pour manque d'argent, le départ de Roméo Bouchard, etc.

159 masse politique qu'il faut satisfaire et non comme un ensemble économique qu'il faut organiser"298.

Par ailleurs, ce qu'il faut retenir de l'utopie de l'UP, c'est que les inégalités politiques entre les deux "classes" de citoyens et les conséquences qui en résultent s'expliquent par le souhait de l'UPA de s'assurer que la zone verte soit une zone protégée pour les producteurs agricoles et leur "agriculture intensive à haute productivité" et que la réalisation de ce souhait est d'autant plus facile que l'UPA a le pouvoir et l'influence sur des organismes qui ont un pouvoir décisionnel (CPTAQ) ou consultatif (CCA) sur des projets en zone verte. Ce désir de contrôle n'est pas nouveau. Il y a déjà trente-cinq ans Belec (1970, p. 218) écrivait : "[…] l'UCC a été conçue dès l'origine comme un mécanisme de contrôle du milieu rural et que, malgré de nombreuses et importantes transformations, c'est encore aujourd'hui cette aspiration de contrôle qui définit l'objectif ou du moins la forme de l'activité de l'UCC". Pour comprendre l’utopie de l’UP exposée dans cette section, il faut garder présentes à l’esprit ces deux affirmations : premièrement, l’UPA exerce un "contrôle du milieu rural" et deuxièmement, le gouvernement québécois légifère et réglemente non pas dans l'intérêt de tous mais pour satisfaire d'abord et surtout des agriculteurs et une agriculture encouragés par l'UPA. La solution de l'UP se résume à cette formule : le gouvernement doit travailler et légiférer afin de trouver "le juste équilibre entre bien commun agricole et bien commun … commun"299.

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Dans le même sens cette belle et significative formule du général de Gaulle que Pisani cite dans son ouvrage. "Vous n'êtes pas le ministre des agriculteurs mais le ministre de l'Agriculture de France" (Pisani, 2004, p. 30).

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