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Chapitre V. Rapport à l'autre

5.1. Le modèle agricole productiviste et l'inégalité des chances

5.1.1. Relève et nouveaux agriculteurs-éleveurs

Les facteurs responsables de l'inégalité des chances pour la relève212 agricole (jeune et moins jeune) sont nombreux et l'UP et l'UPA le reconnaissent. Parmi ces raisons l'UP dénonce notamment le phénomène de concentration des fermes. Les conséquences sont l'augmentation du prix des fermes et des permis de production (les quotas) en vente libre. Il s'agit de deux facteurs importants pour comprendre/expliquer l'inégalité des chances pour la relève agricole213. L'UPA et la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ) partagent également ce constat lorsqu’ils affirment que "les biens de production et particulièrement le foncier et le quota se présentent, par leurs prix à la hausse, comme la principale barrière à l'entrée pour l'ensemble de la relève agricole, qu'elle soit de type familial ou non"

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Le souligné est de nous.

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Le souligné est de nous.

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Une bibliographie sur la problématique de la relève en agriculture se trouve dans le document Rapport d'orientation sur l'établissement des jeunes en agriculture au Québec. Une alliance entre les générations pour une agriculture à dimension humaine (juillet 2004) de l'Union des producteurs agricoles (UPA) et la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ).

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Faut-il souligner que l'inégalité des chances entre "les agriculteurs déjà en place" n'est qu'un type de manifestation d'inégalité qui se comprend/s'explique par le prix des quotas. L'UP indique aussi que la formule du système de quotas en place est inéquitable également - et pour ne nommer qu'eux – pour les "petits producteurs et les fermes familiales indépendantes" et plus généralement pour les agriculteurs des "régions où les conditions de productions sont plus lourdes […]"(UP, 2004b, p. 86).

119 (UPA et FRAQ, 2004, p. 31). "La problématique, ajoutent-ils, semble résider dans l'incapacité, pour les jeunes214, de «compétitionner» avec les agriculteurs déjà en place […]" (idem).

Pour l'UP, deux évènements, la création de l'ALENA en 1994 et le Sommet de Saint- Hyacinthe en 1998 sous le thème de "VOIR GRAND", ont contribué à l'accélération et à l'intensification de la concentration en agriculture (UPA, 2003, pp. 7,8). Le phénomène de concentration se traduit par l'augmentation de la taille des fermes et par une diminution de leur nombre (idem). Il faut souligner que la concentration et la spécialisation des fermes et les mesures prises pour les contrôler ne sont pas récentes. Marx (1977, p. 522) écrit : "[u]ne loi de 1533 constate que certains propriétaires possèdent 24 000 moutons, et leur impose pour limite le chiffre de 2 000, etc.". Ces mesures avaient pour objectifs de réduire les impacts négatifs sur les conditions de vie des petits fermiers et des ouvriers agricoles (appauvrissement, baisse du nombre de fermiers car l'élevage de moutons sur des terres abandonnées au pâturage seulement ne nécessitait que quelques bergers) à la suite de pratiques agricoles qui encourageaient l'élevage intensif de moutons. Rappelons toutefois que Marx souligne que ces mesures restaient lettre morte. L'intérêt des propos de Marx est d'abord de souligner que la grande exploitation a des répercussions sur la campagne. Elle conduit, entre autres, à l'appauvrissement des fermiers et à l'exode rural. Ensuite, le régime capitaliste entraîne la concentration des fermes. Si on ne peut pas affirmer que la production agricole au Québec est dominée par le type capitaliste215, il faut toutefois admettre, avec l'UPA, que le secteur agricole est intégré à un secteur agroalimentaire capitaliste qui favorise la concentration de la production agricole.

Entre 1951 et 1971, le nombre de fermes a chuté de moitié : environ 72 500 exploitations ont disparu (Kesteman et al., 2004, p. 311)216. Cette chute s'est

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En fait ceci est vrai pour l'ensemble de la relève qu'elle soit jeune ou moins jeune.

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Mendras (1995, p. 308) souligne qu'en France les entreprises agricoles sont de deux types : familiale et capitaliste, alors qu'au Canada c'est le premier type qui est dominant. Les propos de Mendras sont basés sur une étude comparative internationale dirigée par Hugues Lamarche.

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120 poursuivie entre 1971 et 2001. À nouveau, environ la moitié des fermes furent éliminées. Des 61 257 exploitations existant en 1971, on n’en retrouve plus que 32 139217 en 2001 (idem). Ces auteurs nous informent que durant ces années, les "très petites fermes", c'est-à-dire celles de 69 acres ou moins demeurent stables mais que les "petites" et les "moyennes" fermes (70 à 239 acres)218, "enregistrent un déclin important" (ibid., pp. 311,312). En effet, on enregistre une baisse du nombre de fermes entrant dans ces catégories pour chaque année de recensement entre 1971 et 2001. Nous sommes passés de 38 834 fermes en 1971219 à 12 986 en 2001220. Qu'en est-il pour les "grandes" (240 à 399 acres) et les "très grandes entreprises agricoles" (400 acres et plus) pour reprendre les expressions de Kesteman et al. (ibid., p. 312). Le nombre des "grandes" entreprises est en déclin constant depuis 1971. On en dénombrait 9 903 en 1971 et 6 373 en 2001. Mais la proportion des "grandes" fermes augmente depuis le recensement de 1971. En 1971, elle représentait 16,2 % du nombre total des fermes; en 2001 elle représente 19,83 %. Le nombre des fermes dont la taille se situe entre 400 et 559 acres est stable depuis 1976. On rapportait 3 091 fermes en 1976 et 3 022 en 2001, ce qui représente respectivement 6.0 % et 9.4 % du nombre total des fermes. Soulignons, par ailleurs, que depuis 1971 le nombre de fermes dont la taille excède 560 acres ne cesse d'augmenter. On comptait 937 fermes de 560 acres ou plus en 1971; il y en avait 3 214 en 2001. Ces "très grandes entreprises agricoles" représentaient 1,6 % de l'ensemble des exploitations agricoles en 1971. En 2001, ces "très grandes exploitations agricoles" représentent 10 % des fermes. Finalement, Kesteman et al. (ibid., p. 12) notent que "les exploitations de 1 600 acres ou plus doublent221 d'une

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Signalons qu'il y a 30 539 fermes avec des revenus agricoles bruts de 2 500 $ et plus (www40.statcan.ca/102/cst01/agrc35f_htm) (2005-10-31).

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Les recensements de l'agriculture entre 1971 et 2001 distinguent trois tailles de fermes entre les limites données : 70 à 129 acres; 130 à 179 acres et 180 à 239 acres.

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Statistique Canada. Division de l'agriculture. Aperçu de l'agriculture canadienne selon les données du recensement : 1971-1991. Mai 1992. Catalogue 93-348. Voir le Tableau 1 intitulé "Fermes classées selon la taille de la ferme, Canada et provinces, 1971-1991".

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Statistique Canada. Recensement de l'agriculture 2001. Voir le tableau 3 intitulé "Fermes classées selon la superficie agricole totale, par province, par région agricole de recensement (RAR), par division de recensement (DR) et par subdivision de recensement unifiée (SRU), 2001".

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Les chiffres exacts sont les suivants : 23 fermes en 1971; 30 fermes en 1976, 47 fermes en 1981; 61 fermes en 1986; 90 fermes en 1991; 147 fermes en 1996 et 202 fermes en 2001.

121 année de recensement à l'autre, entre 1971 et 1991 et que les terres de 1 120 acres ou plus s'élèvent à près de 600 en 2001"222 .

La concentration des fermes se traduit par une augmentation de la valeur des fermes bien que la concentration ne soit pas l'unique facteur pour la hausse des prix. En s'appuyant sur les données de Recensements du Canada, 1971-2001, Kesteman et al. (ibid., p. 319) indiquent qu'en 1971 "la valeur moyenne de la ferme223 au Québec se chiffrait à près 36 000 $. Elle s'élève à plus de 667 000 $" en 2001.

Comment l'UP compte s'attaquer au phénomène de concentration des fermes qui contribue à l'augmentation du prix des fermes et par le fait même contribue à disqualifier, entre autres224, une bonne partie de la relève potentielle et des nouveaux agriculteurs ? Pour l'UP la solution225 pour favoriser l'égalité des chances est de limiter la taille des fermes et/ou son chiffre d'affaires. Pour l'UP, la ferme paysanne226, le type de ferme qu'elle privilégie, a "un chiffre d'affaires de $250 000 ou un revenu net avant impôt d'environ $40,000, ou 100 hectares en exploitation, ou 100 unités animales"227 (UP, 2002, p. 157).

Cette idée de limiter la taille des fermes ne fait pas partie de l'idéologie de l'UPA, bien que le modèle agricole qu'elle dit privilégier est basé sur ce qu'elle qualifie

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Le tableau 3 du recensement de l'agriculture (2001) intitulé "Fermes classées selon la superficie agricole totale, par province, par région agricole de recensement (RAR), par division de recensement (DR) et par subdivision de recensement unifiée (SRU), 2001" dénombre exactement 585 fermes de 1 120 acres ou plus.

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Soulignons qu'il s'agit de la ferme en général et non pas de la ferme laitière.

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Il ne faut pas oublier que plusieurs agriculteurs en place sont exclus car le prix élevé des fermes ne leur permet pas d'augmenter la taille de leur ferme.

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Dans son mémoire (2003), l'UP propose des solutions moins catégoriques pour s'attaquer à la concentration pouvant au mieux, la ralentir mais certainement pas l'éliminer.

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Dans son manifeste, l'UP écrivait qu'un trait important de cette ferme est que son fonctionnement relève du travail des membres de la famille. Toutefois, des changements seront apportés. L'expression "ferme familiale" sera remplacée par celle de "ferme paysanne". "Nous préférons parler, écrit l'UP, de ferme paysanne plutôt que de ferme familiale, étant donné que les titulaires de fermes peuvent ne pas être une famille ou être une association de familles ou être locataires plutôt que propriétaires" (2002, p. 157).

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Dans le document intitulé "Orientations pour l'interprétation de la déclaration de principe" de l'UP on parle de 200 000$ de chiffre d'affaires et rien n'est dit par rapport revenu net. Ceci dit, l'intérêt de la proposition de l'UP n'est pas de savoir si c'est 200 000$, 250 000$ ou plus mais de vouloir fixer une limite.

122 aujourd'hui de "ferme à dimension humaine"228. Dans son mémoire déposé au BAPE sur la production porcine, l'UPA souligne qu'elle a toujours privilégié la ferme familiale. Déjà en 1977, sa position était la suivante : "Le genre de ferme que privilégie l'UPA est la ferme familiale et multifamiliale et, du même souffle, elle refuse le modèle de la ferme capitaliste et de la grande ferme collective"229 (UPA, 2003, p. 28). Et l'UPA ajoute que cette position demeure encore la sienne aujourd'hui bien que "sa définition a évolué et un nouveau vocable a émergé lors du congrès de l'Union en 1999 : la ferme à dimension humaine"230 (idem), c'est-à-dire "une entreprise agricole dont l'exploitant et sa famille y vivent, prennent les décisions, contrôlent la gestion et fournissent l'essentiel du travail231 et du capital" (idem). L'UPA écrit qu'il s'agit "du modèle d'agriculture à privilégier" afin de "favoriser l'autonomie des productrices et producteurs agricoles" (ibid., p. 30).

Rappelons que Rivet (1974, p. 119) écrivait il y a déjà plus de trente ans que le modèle de ferme à privilégier lors des congrès de l'UCC de 1959 et 1960 "est

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L'UPA semble plutôt promouvoir les programmes d'aide (prêt et subvention) favorisant la relève en agriculture (UPA et FRAQ , 2004, p. 32. Voir aussi le Programme d'appui financier à la relève agricole de La Financière Agricole.

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Kesteman et al (2004, p. 302) écrivent au chapitre XVIII intitulé : "Mutations et constantes : l'idéologie de l'UCC de 1950 à 1972" : "Dans le processus d'évolution du cultivateur vers le producteur agricole, le concept de ferme familiale demeure intact". Au paragraphe suivant ils ajoutent : "Une ferme familiale est peut-être réellement un bien de famille ; elle sera peut-être transmise à un descendant; elle sera encore un bien où une lignée peut continuer à produire. Elle sera davantage un lieu où le producteur est autonome et où la famille concentre les décisions, la gestion et une partie du travail". Enfin, "Le concept de ferme familiale n'exclut pas ainsi le salariat des enfants ou d'ouvriers agricoles" (idem). Confrontant la ferme familiale à la ferme intégrée, les auteurs écrivent qu'avec celle-ci il y a"amorce de la perte de son caractère familial" (idem).

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Le souligné est de nous. Mentionnons que l’UP (2004, (4), p. 2) écrit que Laurent Pellerin reprend aujourd'hui le concept de "ferme à dimension humaine" après l'avoir "qualifié de retour en arrière".

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Pour Roméo Bouchard (2002, p. 169), la ferme familiale signifie autre chose. Voyons comment il nous présente le rapport des membres de la famille entre eux et la relation entre la ferme et les différents membres de la famille. À propos du paysan il écrit : "Il est essentiellement famille : sur une ferme paysanne, la femme, l'homme et les enfants ne sont pas des individus indépendants ayant chacun leur carrière et leur réseau de relations, et se croisant tout juste à certains moments : ils sont indissociables et forment une chaîne de survie. Cette appartenance à un territoire, cet enracinement dans une "terre natale, selon l'expression du grand poète québécois Gaston Miron, génèrent une force tranquille, une assurance, une fierté, une certitude, une estime de soi qui sont à l'image même du bonheur et de la santé" (le souligné est de nous). Lorsque tes enfants n'ont jamais travaillé ni mis les pieds dans la ferme familiale, cela n'exprime-t-il pas un manque de fierté et un manque d'estime de soi ?

123 intimement lié à la question de la liberté et de l'indépendance de l'agriculteur" notamment. Mais il ajoute que cela ne dure pas. "À compter de 1963, et ce jusqu'en 1966 inclusivement, les congrès successifs proposent le réaménagement et la consolidation des fermes […] afin d'en accroître la rentabilité […]" (idem). Ceci fait dire à Rivet que la "ferme familiale, en quelques années seulement, change de base justificatrice. Des valeurs considérées comme fondamentales comme la liberté, l'indépendance et la stabilité, l'on passe à la rentabilité économique qui peut être réalisée par l'exploitation familiale, mais au nom de laquelle on pose quand même le principe de l'exploitation collective232" (idem). Cet auteur nous rappelle que dans le mémoire déposé à la "Commission Royale d'Enquête sur l'Agriculture" en 1966, l'UCC présentait le modèle de ferme souhaité : " Il nous apparaît que les fermes qui doivent être développées (entendre : celles qui devraient bénéficier du crédit gouvernemental), tout en se rapprochant du modèle de la ferme traditionnelle, ne doivent pas nécessairement en épouser exactement ce modèle. Le type de ferme que nous avons à l'esprit est une ferme où, comme dans le passé, la propriété du sol et des autres moyens de production est entre les mains des véritables exploitants qui gèrent leurs entreprises et y consacrent eux-mêmes leur travail" (ibid., p. 121). Rivet ajoute que dans ce mémoire, l'UCC indique "que ce type de ferme peut revêtir plusieurs formes allant du propriétaire et travailleur unique à la mise en commun de tous leurs moyens par quelques producteurs"233 (idem).

L'UP (2003, (3), p. 1), souligne que le BAPE, dans son rapport sur la production porcine, donne la définition suivante de la ferme familiale : "[…] celle qui comporte 4 unités de main-d'œuvre ou moins"234. L'UP indique "que Laurent Pellerin [président de l'UPA] s'est empressé d'accepter [cette définition] en signalant qu'elle permettait

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Rivet (1974, p. 119), nous informe qu'aux congrès tenus entre 1963-1966, on parle de "réaménagement" et "consolidation des fermes sur "une base familiale ou collective"" mais sans apporter de précision sur le terme collectif. Sur la question de l'évolution de la pensée de l'UCC - UPA sur les "formes" des fermes avant 1974, voir Rivet (pp. 119-124).

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Kesteman et al. (2004, pp. 313, 314) montrent que la forme juridique des exploitations change principalement depuis 1971. Alors que la forme juridique de 95% des fermes était de type "ferme familiale ou individuelle" en 1971, il n'en reste que 51.3% en 2001 (idem).

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Toutefois, on rapporte qu'au congrès de l'UPA de 2004, "[l]'assemblée n'a jamais pu s'entendre sur le nombre d'exploitants par ferme. La réponse à cette question peut faire éventuellement toute la différence entre une ferme familiale et une grande compagnie" (Claude Turcotte, "De producteur à transformateur", Le Devoir, 4 et 5 décembre 2004, p. C-7.

124 d'englober 98% des fermes actuelles dans la catégorie des fermes familiales à dimension humaine!" (idem). Effectivement, dans son mémoire sur la production porcine l'UPA écrit : "[…] le modèle d'agriculture à privilégier" doit "permettre le maintien des 32 000 entreprises agricoles actuellement existantes" (UPA, 2003, p. 30). Si l'on suit le raisonnement de l'UPA, il y aurait donc seulement 2% des "entreprises" qui ne sont pas des "fermes à dimension humaine". Rappelons que les "très grandes entreprises", c’est-à-dire les exploitations agricoles de 560 acres et plus, représentaient 10% des fermes en 2001. Ceci étant dit, la réduction de la taille des fermes ne semble pas une mesure souhaitable et qui plus est, envisageable par l'UPA pour démocratiser l'agriculture. Ce qui est (le nombre existant de ferme et leur taille) est ce qui doit être.

Pour l'UP, cette définition est inacceptable car elle "permet d’y mettre n’importe quoi, y compris toutes les méga-porcheries de 15 000 porcs!" (2003, (3), p. 2). Pour l'UP encore, la ferme familiale de l'UPA ne favorise pas la création d'emplois à la ferme : "une porcherie de 2400 places (7400 porcs par année) crée ¾ de un emploi" (ibid., 2003, p. 1). Pour l’UP, la ferme familiale productiviste de l’UPA se réduit donc à une "exploitation agricole individuelle"235, c'est-à-dire qu'elle réduit au minimum le besoin de main d'œuvre agricole236.

Si on s'en tient aux propos de nos deux acteurs collectifs sur la ferme familiale, nous pouvons affirmer qu'ils sont tous les deux des défenseurs de "la thèse de l'irréductibilité de la ferme familiale". Bruno Jean résume cette thèse de la manière suivante : la ferme familiale est "la plus apte à relever les défis contemporains en assurant une utilisation judicieuse des ressources écologiques, en permettant une occupation optimale du territoire, en assimilant les innovations techniques, en

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Jean (1997, p. 143) utilise cette expression de Servolin comme synonyme de la ferme familiale. Cette expression, pour ces auteurs, contrairement à l’utilisation que nous en faisons ici, n’est pas péjorative, au contraire.

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Pour quelques statistiques à ce sujet, voir Morisset (1987, p. 59). Rappelons qu'ici nous parlons de travailleurs agricoles et non pas de baisse d'emplois dans le secteur agricole, à savoir ce qui est en amont et en aval de la production agricole comme telle. Jean (1997, p. 145) écrit que "le travail de la femme de l'exploitant et de ses enfants a pratiquement disparu ou il est devenu insignifiant" en agriculture productiviste. Au sujet de l'évolution de la place des agricultrices dans l'agriculture québécoise voir Kesteman et al. (2004, pp. 332-336).

125 s'adaptant efficacement à une économie agricole marchande où elle peut faire profiter l'ensemble de la société de ses gains de productivité" (1997, p. 151). Nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que les deux premiers énoncés de cette thèse sont partagés par l'UP et l'UPA. Néanmoins, si nos deux acteurs collectifs sont prêts à assimiler de nouvelles techniques, il ne s'agit pas pour autant d'assimiler les mêmes techniques. La problématique de la gestion des fumiers, tout comme l'introduction des biotechnologies en agriculture l'illustrent bien237. Finalement, si les gains de productivité en agriculture représentent la finalité de l'idéologie de l'UPA, ceci n'est pas vrai dans le cas de l'utopie de l'UP. Contrairement à l'UPA, elle ne croit pas que l'on doive continuer à penser strictement productivité afin d'assurer notamment le panier d'épicerie au prix le plus bas pour le consommateur. Pour l’UP, l'agriculture paysanne - qui est par définition multifonctionnelle - ne peut penser strictement en terme de productivité. C'est une des raisons pour lesquelles l'UP demande un financement suffisant de l'État. En nous appuyant sur les deux thèses que le sociologue québécois Bruno Jean (1997, p. 151) présente comme les deux positions théoriques "sur les formes sociales d'organisation de la production agricole", nous pouvons affirmer que pour l'UP, le modèle agricole encouragé par l'idéologie de l'UPA favorise dans les faits "la thèse de la dissolution de la ferme familiale" et non pas "la thèse de l'irréductibilité de la ferme familiale". Autrement dit, le modèle agricole prôné par l'UPA accélère la disparition d'une véritable ferme familiale "au profit des grandes unités de production privées ou collectives de type industriel".

Nous abordons maintenant le deuxième facteur qui est à la base de l'inégalité des chances. Il s'agit dans les prochains paragraphes d'interroger les deux acteurs collectifs sur les systèmes de quotas, à savoir le mécanisme de contingentement de l'offre.

L'UP indique que ce sont les fermes dont les productions sont contingentées "qui ont disparu le plus vite, soit 80%" d'entre elles depuis les années 1960 (UP, 2004, (1a), p. 2). D'autre part, l'UP mentionne que les prix pour l'obtention de ces permis

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126 bloquent "la relève et l'arrivée de nouveaux fermiers" (idem). L'UP prend l'exemple du secteur laitier pour exposer son point. Pour l'UP, "la relève dans le secteur laitier